On ne dormit guère au campement pendant la nuitsuivante. Qui aurait pu trouver quelque sommeil ensongeant qu’à tout instant l’abîme pouvait s’ouvrir, qui,si ce n’est ce petit enfant qui souriait à sa mère, et quesa mère ne voulait plus abandonner un instant ?

Le lendemain, 4 juin, le soleil reparut au-dessus del’horizon dans un ciel sans nuages. Aucun changementne s’était produit pendant la nuit. La conformation del’îlot n’avait point été altérée.

Ce jour-là, un renard bleu, effaré, se réfugia dans lelogement et n’en voulut plus sortir. On peut dire que lesmartres, les hermines, les lièvres polaires, les ratsmusqués, les castors fourmillaient sur l’emplacement del’ancienne factorerie. C’était comme un troupeaud’animaux domestiques. Les bandes de loupsmanquaient seules à la faune polaire. Ces carnassiers,dispersés sur la partie opposée de l’île au moment de larupture, avaient été évidemment engloutis avec elle.Comme par un pressentiment, l’ours ne s’éloignait plusdu cap Bathurst, et les animaux à fourrures, tropinquiets, ne semblaient même pas s’apercevoir de saprésence. Les naufragés eux-mêmes, familiarisés avecle gigantesque animal, le laissaient aller et venir, sanss’en préoccuper. Le danger commun, pressenti de tous,avait mis au même niveau les instincts et lesintelligences.

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