Chapitre 1 : L’évolution du cadre normatif des finances publiques
L
e cadre normatif des finances publiques est bien entendu composé des sources juridiques des finances publiques épousant l’ensemble de la hiérarchie des normes (I). Mais au sein de ces normes juridiques, il faut faire un cas particulier des principes budgétaires et comptables qui revêtent une importance fondamentale en la matière, et ce, quelle que soit leur nature juridique formelle, par ailleurs assez variable (II).
I. Les sources des finances publiques
On distingue assez classiquement ces sources en fonction de leur importance dans la hiérarchie des normes. Ainsi, il convient d’envisager tout d’abord les normes supra-législatives que sont la Constitution et les sources internationales (A), la loi organique (B), qui constitue le texte central en matière de finances publiques et les sources qu’on peut qualifier de « résiduelles » que sont les sources législatives et réglementaires (C).
A – La Constitution et les sources internationales
On distinguera alors, plus par finalité pédagogique que par rigueur juridique, parmi les normes à valeur supra-législatives les sources constitutionnelles d’une part (1) et les sources internationales (2) de l’autre.
1. Les sources constitutionnelles
Essentiellement, les sources constitutionnelles se divisent en deux groupes de normes. Les dispositions proprement constitutionnelles, c’est-à-dire inscrites dans le texte même de la Constitution et les dispositions intégrées au bloc de constitutionnalité à partir de la décision du Conseil constitutionnel n° 71-44 DC du 16 juillet 1971, Liberté d’association.
➜ La Constitution
Certaines constitutions, étrangères (la Constitution espagnole du 27 décembre 1978 ou la loi fondamentale pour la République fédérale allemande du 8 mai 1949 par exemple) ou issues des régimes précédents (par exemple la Constitution du 5 fructidor an III), comportent une partie consacrée spécifiquement aux finances publiques. Ce n’est pas le cas de la Constitution française actuelle même si plusieurs dispositions de la Constitution du 4 octobre 1958 sont bel et bien consacrées, spécifiquement ou non, aux finances publiques.
Ainsi, en premier lieu, l’article 34 de la Constitution prévoit que « les lois de finances déterminent les ressources et les charges de l’État dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique ». Cet article fonde donc la compétence parlementaire de principe en matière d’adoption du budget (même si, on le verra, le gouvernement dispose d’une position avantagée en la matière), mais surtout il renvoie l’essentiel de l’organisation du droit budgétaire à une loi organique, la loi organique du 1er août 2001 (la LOLF) en l’occurrence.
On trouve ensuite toute une série de dispositions relatives aux spécificités de la procédure législative en matière budgétaire, même si, là encore, une grande majorité de ces règles se trouve dans la loi organique. Ainsi, l’article 39 pose le principe de priorité d’examen du projet de loi de finances par l’Assemblée nationale en vertu du principe de consentement du peuple à l’impôt ; L’article 40 encadre quant à lui spécifiquement le droit d’initiative et le droit d’amendement des parlementaires en matière financière en précisant que « les propositions et amendements formulés par les membres du Parlement ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l’aggravation d’une charge publique ». L’article 42 pose, depuis la dernière révision constitutionnelle, une spécificité des lois financières puisque contrairement aux autres textes, le texte débattu en première lecture n’est pas celui arrêté par les commissions mais le projet du gouvernement lui-même et enfin, l’article 49 al. 3, l’engagement de responsabilité sur un texte, qui est lui aussi désormais réservé (sauf un texte par session) aux seules lois de finances et lois de financement de la Sécurité sociale.
S’agissant de l’article 47 de la Constitution (et article 47-1 pour les lois de financement de la Sécurité sociale), seul véritable article exclusivement financier, il rappelle, lui aussi, le principe de renvoi à une loi organique s’agissant de la procédure budgétaire, mais va tout de même non seulement encadrer les délais d’adoption de la loi de finances (70 jours et procédure accélérée de plein droit) mais également fonder l’existence de la Cour des comptes ainsi que sa mission d’assistance au gouvernement et au Parlement.
Un article 47-2 a d’ailleurs été inséré d’une part pour clarifier et renforcer ce rôle d’assistance de la Cour : « La Cour des comptes assiste le Parlement dans le contrôle de l’action du gouvernement. Elle assiste le Parlement et le Gouvernement dans le contrôle de l’exécution des lois de finances et de l’application des lois de financement de la Sécurité sociale ainsi que dans l’évaluation des politiques publiques. Par ses rapports publics, elle contribue à l’information des citoyens » – que pour consacrer le principe de sincérité comptable et l’élever à un rang constitutionnel : « Les comptes des administrations publiques sont réguliers et sincères. Ils donnent une image fidèle du résultat de leur gestion, de leur patrimoine et de leur situation financière. »
La révision constitutionnelle de 2008 a également modifié la procédure d’inscription à l’ordre du jour et est ainsi, pour ce qui concerne les finances, venue préciser dans son article 48 al. 3 que les lois de finances et lois de financement de la Sécurité sociale sont des textes pouvant être inscrits par priorité par le Gouvernement. Mentionnons enfin, pour mémoire et par souci d’exhaustivité, l’article 53 qui prévoit que « les traités… qui engagent les finances de l’État ne peuvent être ratifiés ou approuvés qu’en vertu d’une loi ».
D’autres dispositions trouvent bien entendu à s’appliquer s’agissant de l’adoption de la loi de finances et de son exécution, dès lors que la loi de finances est une loi ordinaire soumise à la procédure législative – certes quelque peu modifiée – mais il ne s’agit pas ici à proprement parler de règles « financières ».
➜ Les autres dispositions à valeur constitutionnelle
À côté de ces règles issues du texte de la Constitution, le Conseil constitutionnel reconnaît depuis la décision 71-44 DC Liberté d’association d’autres principes à valeur constitutionnelle formant ce que l’on appelle le « bloc de constitutionnalité ».
Il s’agit en premier lieu de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 dont 3 articles ont un lien avec les finances publiques, voire même leur servent de fondement.
Ainsi, l’article 13 dispose que « pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable ; elle doit être également répartie entre les citoyens, en raison de leurs facultés ». Il s’agit du principe de nécessité de l’impôt qui, il est vrai, est plus un principe de droit fiscal qu’un principe de finances publiques.
L’article 14, quant à lui, dispose que « les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi, et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée ». Là encore, si cet article est à la base du principe fiscal de légalité de l’impôt, il n’en pose pas moins, tout comme l’article 13, le principe de consentement à l’impôt qui n’est ni plus ni moins que le principe à la base du droit budgétaire.
Enfin, l’article 15 dispose que « la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration ». Cet article est fondamental car il fonde les règles de comptabilité publique mais surtout la mission de contrôle du Parlement et la mission d’assistance en la matière de la Cour des comptes.
Bien entendu, il existe bien d’autres principes constitutionnels potentiellement opposables aux lois de finances : les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République (PFRLR), les principes particulièrement nécessaires à notre temps (PPNT), ainsi que les principes, objectifs et exigences à valeur constitutionnelle, mais si le Conseil constitutionnel y fait parfois référence en matière budgétaire, ces principes ne sont généralement pas propres aux finances publiques. On citera néanmoins, pour l’exemple, l’exigence d’équilibre des comptes de la Sécurité sociale (CC, n° 97-393 DC, 18 décembre 1997, LFSS pour 1998).
2. Les sources internationales
En réalité, le constat sera ici plus succinct puisque, par nature, la matière des finances publiques, et le droit budgétaire notamment, est un domaine régalien de l’État, qui ressort de l’exercice direct de sa souveraineté. Dès lors, on conçoit assez difficilement des accords internationaux intervenant dans ce domaine réservé à l’État.
Pourtant, il faut opérer ici deux tempéraments d’importance inégale d’ailleurs. Il existe, en effet et tout d’abord, de nombreux accords internationaux en matière commerciale ou fiscale qui dès lors ne sont pas sans lien avec nos finances publiques. Mais dans ce premier cas, on ne saurait les considérer comme de véritables sources des finances publiques françaises.
C’est surtout la construction européenne et donc le traité sur l’Union européenne qui constitue le seul texte international ayant trait et ayant un impact sur le droit budgétaire français. Point bien entendu de transfert de compétences ici, pour les raisons évoquées plus haut, mais à tout le moins, les critères de convergences, les règles liées à la discipline budgétaire, d’ailleurs récemment étendus par le traité budgétaire européen (traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance du 2 mars 2012) dans la zone euro constitue une contrainte (quand bien même elle serait peu effective) normative que doivent respecter les lois de finances et donc une source positive du droit budgétaire français.
B – La loi organique relative aux lois de finances
Comme mentionné plus haut, la Constitution fait référence, à plusieurs reprises, à une loi organique ayant pour objet de préciser les principes posés par la Constitution. Longtemps, cette loi organique était en fait une ordonnance, l’ordonnance du 2 janvier 1959, jusqu’à ce que la LOLF vienne remplacer ce texte. Il s’agira, pour ce texte central, de présenter tout d’abord la genèse de la LOLF (1) avant d’aborder sa valeur juridique (2), quelque peu particulière.
1. La genèse d’une réforme historique
La loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF) est une réforme historique dès lors qu’elle vient modifier après 42 ans d’application l’ordonnance du 2 janvier 1959. Cette ordonnance était en effet marquée par une forte intangibilité, modifiée très légèrement à deux reprises (en 1971 et en 1995), elle avait surtout connu pas moins de 35 tentatives de réforme toutes vouées à l’échec à tel point que l’ordonnance était perçue comme étant plus rigide que la Constitution elle-même. Et pourtant, la réforme interviendra à la suite d’une proposition de loi organique déposée par Didier Migaud, le 11 juillet 2000. Or, ce succès était justement d’autant moins évident que la proposition émanait du Parlement lui-même. C’est dire si le succès de la proposition de Didier Migaud s’explique par un contexte particulier.
En effet, faut-il ajouter qu’une telle réforme paraissait quasi-impossible à mener dans le contexte politique de l’époque puisque la France se trouve alors en période de cohabitation avec une opposition entre les deux chambres ? Or, rappelons-le, l’adoption d’une loi organique suppose l’accord des deux chambres (art. 46 Co). Et c’est finalement la coopération initiale entre Didier Migaud (PS), rapporteur général de la commission des Finances à l’Assemblée nationale, auteur de la proposition, et Alain Lambert (UDF), président de la commission des Finances au Sénat qui a permis de faire de cette réforme une réforme « transpartisane », et d’obtenir un consensus politique. Dès lors, les deux organes du pouvoir exécutif, opposés, le président de la République Jacques Chirac et le Premier ministre Lionel Jospin vont se rallier à la réforme et le consensus s’opérera également au niveau du pouvoir législatif, les deux assemblées, opposées, suivant la démarche des commissions des Finances. On notera également l’attitude positive du Sénat qui renoncera à amender le texte en seconde lecture préférant voir la réforme aboutir plutôt que de risquer un trente-sixième échec à cause de différends mineurs essentiellement rédactionnels.
Le succès de cette réforme s’explique également par une coopération du ministère des Finances, qui s’était pourtant, jusqu’à lors, opposé à toute réforme de l’ordonnance. Cette coopération s’explique par le fait que le ministre Laurent Fabius avait quelques mois auparavant signé, en qualité de président de l’Assemblée nationale, un rapport estimant la réforme de l’ordonnance des plus nécessaires. Dès lors, le ministère et la direction du budget en particulier se montreront très coopératifs durant les débats et aucun amendement gouvernemental ne sera proposé.
De plus, au-delà de ce consensus politique, cette réforme a fait l’objet d’un véritable consensus institutionnel : le Conseil d’État avait ainsi été saisi pour avis sur quelques questions relatives à la réforme et donc, indirectement, sur la « proposition Migaud » et la Cour des comptes a également participé à la réflexion par deux contributions en décembre 1999 et mars 2000. Enfin, c’est la validation de l’ensemble du dispositif (à l’exception de 2 dispositions mineures) par le Conseil constitutionnel (CC, n° 2001-448 DC, 21 juillet 2001, Loi organique relative aux lois de finances) qui a permis le succès d’une réforme ambitieuse et à droit constitutionnel constant, et ce, alors même que la constitutionnalité de certains aspects du dispositif (notamment l’introduction d’un volet comptable ou la réforme du droit d’amendement) pouvait faire débat.
Le texte sera finalement adopté à la quasi-unanimité le 28 juin 2001, en moins d’un an (6 mois de procédure, ce qui reste assez exceptionnel pour une telle réforme). La « LOLF » sera finalement promulguée le 1er août 2001 (JO du 2 août 2001) et entrera alors progressivement en vigueur à partir de 2002 pour être pleinement applicable au 1er janvier 2005 avec le projet de loi de finances (PLF) 2006.
2. La valeur juridique de la loi organique relative aux lois de finances
La loi organique est considérée, et parfois qualifiée, comme étant la « constitution financière de la France ». Bien entendu, cette formule est inexacte puisque les lois organiques ne font pas partie du bloc de constitutionnalité. Mais, la formule n’est finalement pas si éloignée de la vérité tant sur le plan juridique que sur le plan pratique.
Sur le plan pratique en effet, il est indiscutable que la loi organique, parce qu’elle pose les principes généraux de notre système budgétaire, est le texte le plus fondamental en matière financière.
Sur le plan juridique, la place de la loi organique dans la hiérarchie des normes est en réalité toute singulière. Sous l’empire de l’ordonnance organique, le Conseil constitutionnel a en effet, très tôt, accepté de contrôler les lois de finances au regard des prescriptions contenues dans la loi organique (CC, n° 60-8 DC, 11 août 1960, Redevance Radio-Télévision). Dès lors, certains auteurs ont pu estimer que la loi organique avait une valeur supra-législative ou quasi-constitutionnelle. La formule est sans doute excessive puisque le contrôle par rapport à la loi organique ne s’opère que pour les lois de finances. Jamais le Conseil constitutionnel n’a censuré des dispositions législatives « ordinaires » au regard de la loi organique. Ainsi, on peut en conclure que celle-ci ne saurait être intégrée au bloc de constitutionnalité.
Bien entendu, ce qui vaut pour l’ordonnance de 1959 vaut également pour la LOLF (CC, n° 2011-448 DC, précitée) et ainsi, ce texte revêt lui aussi cette place singulière de disposition à valeur « quasi-constitutionnelle ».
C – Le décret gestion budgétaire et comptabilité publique (GBCP)
Malgré les quelques innovations comptables issues de la LOLF (1), la modernisation du système financier, notamment concernant l’exécution des nouveaux budgets de programmes, rendait nécessaire une refonte des règles de la comptabilité publique, intervenue dix ans plus tard avec le GBCP (2).
1. Les innovations comptables issues de la LOLF
Notons tout d’abord, qu’au départ, la LOLF ne devait pas contenir de dispositions relatives à la comptabilité publique. La proposition initiale de Didier Migaud n’en contenait pas et le Conseil d’État, dans son avis du 21 décembre 2000, s’était d’ailleurs montré très réservé, à raison d’ailleurs, sur le caractère organique de telles dispositions. Néanmoins, un volet comptable a été inséré par les sénateurs, sous l’impulsion d’Alain Lambert. Le Conseil constitutionnel avait ensuite validé, non sans une certaine bienveillance, ce dispositif tout en déclassant préventivement ce volet de la loi organique.
Il n’en demeure pas moins que la LOLF prévoit ainsi plusieurs innovations sensibles parmi lesquelles on peut citer :
− La mise en place d’une triple comptabilité budgétaire, générale c’est-à-dire patrimoniale et d’analyse des coûts, destinée à renforcer la transparence autour de la situation financière de la France ;
− La LOLF maintient le système dit « de caisse » s’agissant de la comptabilité budgétaire c’est-à-dire que les recettes et les dépenses sont comptabilisées au titre de l’année au cours de laquelle elles ont été encaissées ou payées par le comptable. Cependant, depuis la LOLF, la comptabilité générale retient, elle, le système de l’exercice, c’est-à-dire que ces mêmes recettes et dépenses sont prises en compte au titre de l’année, de l’exercice, auquel elles se rattachent indépendamment de leur date d’encaissement ou de paiement.
− S’agissant de la comptabilité budgétaire, la LOLF a raccourci à 20 jours la durée de la période complémentaire c’est-à-dire la période permettant, après la fin de l’exercice, de comptabiliser des opérations par le comptable.
− La LOLF a surtout, non seulement consacré le principe de sincérité budgétaire, mais lui a également adjoint un volet comptable puisque l’article 27 dispose que « les comptes de l’État doivent être réguliers, sincères et donner une image fidèle de son patrimoine et de sa situation financière ». Les comptables étant « chargés de la tenue et de l’établissement des comptes de l’État veillent au respect des principes et règles comptables. Ils s’assurent notamment de la sincérité des enregistrements comptables et du respect des procédures » en vertu de l’article 31.
− Enfin, la loi organique introduit une nouvelle mission dévolue à la Cour des comptes, mission de certification de l’ensemble des comptes de l’État visant à s’assurer de leur sincérité et de leur fidélité.
En réalité, les principales innovations comptables, en tout cas celles qui sont le plus susceptibles de remettre en cause le système actuel, ne sont pas directement contenues dans le dispositif de la LOLF mais sont issues des travaux de mise en œuvre de cette réforme. Ainsi, par exemple, la mise en œuvre de la triple comptabilité a entraîné un vaste chantier visant à refonder le plan comptable de l’État à travers la mise en place d’un nouveau référentiel et de nouvelles normes comptables.
Parallèlement, c’est le développement du support informatique de cette nouvelle comptabilité, l’application ACCORD, rebaptisée par la suite CHORUS, qui, en visant, à terme, à automatiser certaines phases de la procédure d’exécution budgétaire pourrait largement remettre en cause les principes actuels de la comptabilité publique. Enfin, l’allégement et la rationalisation des contrôles comptables à travers l’introduction du contrôle hiérarchisé et du contrôle partenarial ont rendu inévitable une réforme du système d’une part et très simplement par sa contrariété avec le règlement général de la comptabilité publique et d’autre part par un rapprochement (« partenarial ») des agents de l’exécution du budget. Dès lors, la réforme profonde de notre système semblait inévitable et après avoir été attendue pendant plus de dix ans, la réforme du RGCP a enfin été opérée.
2. Le GBCP : révolution ou simple adaptation ?
En effet, il a fallu attendre 2012 pour que le texte d’application directe de la LOLF, complétant cette dernière s’agissant de l’exécution, notamment comptable, du nouveau budget orienté par la performance, voie le jour avec le décret gestion budgétaire et comptable (GBCP).
Annoncé depuis quelques années (notamment avec le pré-projet de 2009), ce décret était d’autant plus attendu qu’il apparaissait nécessaire de donner un cadre juridique aux nouvelles modalités de gestion du budget (la déclinaison opérationnelle des programmes), de tirer les conséquences de la modernisation du cadre comptable (triple comptabilité) ou des nouvelles modalités de contrôle (CHD, CAP) et plus généralement de se positionner sur une éventuelle remise à plat des principes qui gouvernent l’exécution comptable du budget et notamment le principe de séparation des ordonnateurs et des comptables.
On notera que la première grande innovation de ce nouveau « RGCP » est justement de se voir affublé d’une nouvelle dénomination regroupant la gestion budgétaire et la comptabilité publique (et donc portant désormais explicitement sur l’exécution budgétaire et comptable). Depuis la LOLF, l’approche « systémique » du budget a été renforcée et ce décret s’inscrit dès lors pleinement dans cette logique. On notera cependant que la dénomination fait l’objet d’une certaine confusion puisque, tout en modifiant son intitulé, l’article 237 du décret prévoit que le décret relatif à la gestion budgétaire et comptable publique constitue le règlement général sur la comptabilité publique au sens des dispositions législatives qui renvoient ou se réfèrent à ce règlement général.
Sur le fond, le décret innove par une modernisation du cadre d’exécution budgétaire et comptable surtout marqué par une mise en concordance avec les principes de la loi organique ou de sa mise en application : déclinaison opérationnelle des programmes, triple comptabilité, contrôle budgétaire, contrôle interne comptable, contrôles comptables modernisés, développement de la programmation pluriannuelle, etc. On notera cependant que ces innovations, par rapport au décret de 1962, n’en sont pas réellement si on tient compte de la pratique post-LOLF. Toutefois, le décret modernise également les procédures d’exécution comptable notamment s’agissant du recouvrement, de la prise en compte des services facturiers ou la dématérialisation des opérations.
Reste que, si ces innovations sont loin d’être négligeables (surtout du point de vue du droit positif), force est de constater que ce décret ne constitue pas une véritable révolution du cadre de la comptabilité publique alors même qu’il en avait l’occasion. Pour ne citer que deux exemples, la mise en place de la déclinaison opérationnelle des programmes et de ses nouveaux acteurs, aboutissant à un éclatement de la fonction d’ordonnateur aurait pu conduire à la remise en cause du principe, tout comme les nouveaux contrôles comptables, basés sur une collaboration, un partenariat entre l’ordonnateur et le comptable. Il n’en est rien et le décret se contente de rendre compatibles (expressément) les deux systèmes avec le principe sans revenir sur ce dernier.
D – Les sources résiduelles
En dessous de la loi organique, il ne reste que des sources résiduelles pour les finances publiques. Essentiellement, il s’agira des règlements des assemblées qui viennent compléter la loi organique, s’agissant de l’organisation du travail parlementaire (1) et de la loi et du règlement (2) qui constituent, quant à eux, des sources secondaires en matière de finances publiques.
1. Les règlements des assemblées
Les règlements des assemblées ont pour objet de compléter la Constitution et les lois organiques s’agissant de l’organisation, du fonctionnement et des procédures applicables au sein de chacune des assemblées.
Ainsi, même si ce ne sont pas des normes spécifiquement financières, chacun des deux règlements comporte des dispositions spécifiques consacrées à la matière budgétaire notamment s’agissant de la discussion budgétaire (temps de parole, modalités de vote, irrecevabilités, contrôle).
On rappellera néanmoins deux spécificités juridiques s’agissant de ces règlements. En premier lieu, les règlements des assemblées ne font pas partie du bloc de constitutionnalité (CC, n° 78-97 DC, 27 juillet 1978, Réforme de la procédure pénale), et le juge constitutionnel refusera de contrôler la loi, notamment la loi de finances, par rapport aux dispositions contenues dans les règlements. En second lieu, on notera également que, parce qu’ils complètent les lois organiques et donc la Constitution, les règlements des assemblées sont, comme les lois organiques, déférés automatiquement au Conseil constitutionnel (art. 61 Co) qui examinera, notamment, leur conformité à la loi organique relative aux lois de finances, et ce alors même que celle-ci n’a pas valeur constitutionnelle (CC, n° 66-28 DC, 8 juillet 1966, Règlement du Sénat).
Enfin, notons que la réforme constitutionnelle de juillet dernier renforce considérablement le rôle des règlements des assemblées qui peuvent compléter la Constitution sur de nombreux domaines notamment budgétaires comme l’organisation des séances (art. 28 Co), l’exercice du droit d’amendement (art. 44 Co), les droits de l’opposition (art. 51-1 Co) ou encore l’organisation et le fonctionnement des missions d’évaluation et de contrôle (art. 51-2 Co).
2. La loi et le règlement
S’agissant de la loi tout d’abord, il faut mentionner que bien entendu la loi de finances constitue la première source de droit budgétaire. Elle est en premier lieu le support juridique du budget. Pourtant, sans entrer dans trop de détails, sa portée juridique est tout à fait spécifique. En effet, contrairement aux lois ordinaires, il n’est pas possible pour un administré de contester un acte administratif, voire une décision unilatérale prise ou non à son encontre, en se basant sur la loi de finances.
En revanche, la loi de finances peut également comporter en plus de dispositions proprement budgétaires, c’est-à-dire concernant la perception des recettes ou l’autorisation de dépenses, des dispositions ordinaires en matière budgétaire. Ainsi, par exemple, l’article 34 II de la LOLF permet aux lois de finances de comporter des dispositions (dites facultatives) en matière fiscale, en matière d’information et de contrôle budgétaire du Parlement ou encore en matière de comptabilité publique et de responsabilité financière.
Enfin, la loi ordinaire, notamment sur ces derniers domaines, peut comporter des dispositions qui sont sources des finances publiques. Il en va par exemple ainsi de la partie législative du Code des juridictions financières ou encore de la loi du 23 février 1963 qui organise et encadre la responsabilité des comptables publics.
S’agissant du pouvoir réglementaire, le constat est le même. L’exécutif dispose d’un pouvoir réglementaire en vue de l’exécution de la loi de finances qui va notamment se manifester par les décrets de répartition des crédits (ouvrant et mettant à disposition des gestionnaires les crédités adoptés par le Parlement) et, en cours d’exercice, par les différents actes réglementaires permettant de modifier les autorisations budgétaires (décrets d’avance, transferts, virements, annulations, reports, etc.). En second lieu, l’exécution comptable des budgets publics est une matière relevant du domaine réglementaire. Ainsi, le pouvoir réglementaire constituera une source du droit de la comptabilité publique avec principalement le décret du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptabilité publique précité, ou encore la partie réglementaire du Code des juridictions financière…
Reste que parmi ses sources des finances publiques, notamment organique, il faut sans doute faire une place à part aux grands principes du droit budgétaire, et dans une moindre mesure, du droit comptable, qui sont marqués par une très grande intangibilité car appliqués depuis la Restauration.
II. Les principes budgétaires et comptables
Bien entendu, il convient de faire une place à part aux principes comptables (A), posés d’ailleurs assez récemment. Mais, s’agissant des principes budgétaires, on distingue assez classiquement les principes dits « traditionnels » (B), issus de la Restauration, des « nouveaux » principes budgétaires (C), plus récents et dont on verra d’ailleurs qu’ils ont plus de mal à s’imposer juridiquement.
A – Les principes budgétaires « traditionnels »
Il existe quatre principes budgétaires traditionnels qu’on classe parfois selon qu’ils portent sur la périodicité du budget, l’annualité (1), sa présentation, l’unité et l’universalité (2) et son contenu, la spécialité (3).
1. Le principe d’annualité
Le principe d’annualité est l’un des plus anciens principes budgétaires car il est lié au principe du consentement (régulier) à l’impôt. Pourtant, le principe d’annualité, qui comporte différents aspects, tend à faire l’objet d’aménagements de plus en plus nombreux sous l’effet de la modernisation de la gestion publique.
➜ Les différents aspects du principe
Essentiellement, le principe d’annualité comporte trois aspects distincts :
Tout d’abord, on rattache classiquement au principe d’annualité, la règle d’antériorité du budget, règle « temporelle » qui, selon certains auteurs, est autonome et en réalité inhérente à la notion même de budget. Cette règle impose très simplement que le consentement et l’autorisation du budget soient donnés avant le début de l’exercice. Ainsi, le budget de l’État est adopté au mois de décembre de l’année précédant l’exercice. Dans une acceptation plus stricte, la règle donne toute sa signification au concept d’autorisation budgétaire. En recettes, est coupable du délit de concussion (art. 432-10 du Code pénal), toute personne qui perçoit un impôt sans texte. En dépenses, il est, en principe, impossible d’opérer une dépense sans crédit inscrit au budget ou dès lors que ces crédits sont épuisés.
Plus classiquement, ensuite, le principe d’annualité se comprend comme l’autorisation annuelle donnée par le Parlement. Ainsi, le budget est adopté chaque année. Notons également que l’exercice, c’est-à-dire l’année d’application de la loi de finances, s’étend sur une année civile, aux termes de l’article 1 al. 2 de la LOLF. Le principe est par ailleurs renforcé par la mise en place par la LOLF (article 30) d’une comptabilité d’exercice, c’est-à-dire que les dépenses et les recettes sont comptabilisées au titre de l’exercice auquel ils se rattachent indépendamment de la date de recouvrement ou de paiement.
Or, si la plupart des pays appliquent l’annualité, l’exercice débute parfois au printemps (avril en Grande-Bretagne) ou à l’automne (octobre aux États-Unis). Ce principe signifie donc enfin que les autorisations (notamment les autorisations de dépenses) ont une validité d’un an. Ainsi, concrètement, et sous réserve des reports de crédits, les crédits ouverts au titre d’une année ne créent aucun droit au titre des années suivantes (art. 15 LOLF) et sont donc annulés en fin d’exercice.
➜ Un principe fortement aménagé
Bien entendu, la règle d’antériorité ne connaît pas d’aménagement, à tout le moins concernant le budget de l’État (contrairement aux budgets locaux) même s’il arrivait fréquemment sous la IVe République que le budget soit voté en retard obligeant à mettre en place des « douzièmes provisoires », c’est-à-dire des crédits ouverts chaque mois à partir des prévisions de l’année précédente. Il faut tout de même noter un léger aménagement qui consiste en la procédure d’engagement par anticipation. L’article 9 de la LOLF permet en effet d’utiliser des crédits qui ne seront ouverts que l’année suivante, par anticipation.
C’est surtout le principe d’annualité qui se trouve fortement aménagé soit pour des commodités de gestion soit pour encourager la vision pluriannuelle, c’est-à-dire les perspectives à moyen terme.
Ainsi, tout d’abord, si l’adoption du budget est annuelle, en pratique, les aléas de la gestion entraînent la nécessité d’adapter les prévisions budgétaires et de recourir notamment aux lois de finances rectificatives ; de sorte que les prévisions sont ainsi de facto infra-annuelles. En sens inverse, certains crédits non utilisés pourront être reportés par décret, les autorisations auront alors une durée supra-annuelle. Dans le même ordre d’esprit, l’exercice, qui normalement se termine au 31 décembre va, en vertu de l’article 28 de la LOLF, être rallongé d’une « période complémentaire » de quelques jours (20 au maximum) permettant de réaliser quelques opérations de fin d’année. Là encore, ces exceptions sont plutôt liées à des réalités de gestion et à un souci de transparence comptable et ne remettent pas en cause le principe lui-même.
En revanche, le principe est plus fortement ébranlé par la modernisation de la gestion publique. Celle-ci prône en effet de dépasser le cadre annuel et la vision à court terme pour, au contraire, favoriser les perspectives et la programmation à moyen et long terme. Le législateur de 2001 a donc dû concilier ces deux impératifs.
Ainsi, le législateur organique a globalement conservé le principe traditionnel de l’annualité. Il a toutefois renforcé assez fortement la perspective à moyen terme dans les documents budgétaires, même si cela reste du domaine informatif. En revanche, l’exécution pluriannuelle a bel et bien été introduite par l’article 8 de la LOLF qui généralise le principe des autorisations d’engagement et des crédits de paiement, conciliant pluriannualité des autorisations et annualité des crédits.
En effet, selon le système de l’article 8, chaque crédit fait l’objet d’une autorisation d’engagement, pluriannuelle, qui constitue la limite des crédits pouvant être engagés (c’est-à-dire, on le verra, recevoir un début d’exécution) et les crédits de paiement (annuels) qui constituent la limite maximum de paiement de la dépense sur l’année. En clair, un investissement va pouvoir être budgété sur plusieurs années mais être découpé en parts annuelles pouvant donner lieu au paiement de dépenses sur l’année.
Enfin, et pour conclure, une évolution sensible consiste en la création des lois de programmation des finances publiques dans le cadre de la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008. L’article 34 dispose en effet que « les orientations pluriannuelles des finances publiques sont définies par des lois de programmation. Elles s’inscrivent dans l’objectif d’équilibre des comptes des administrations publiques ».
Cette nouvelle catégorie de lois permet de fixer par un vote du Parlement la stratégie nationale de finances publiques, aujourd’hui acte du seul gouvernement élaboré à l’occasion du programme de stabilité adressé à nos partenaires européens. Elle s’inscrit également dans l’objectif de globalisation des comptes publics, en intégrant les finances de l’État, celles de la Sécurité sociale et des collectivités territoriales, dans leur ensemble et de manière pluriannuelle, puisque le projet de loi de programmation pour 2012-2017 détermine l’évolution détaillée des dépenses de l’État désormais sur cinq ans. On notera toutefois deux limites : d’abord les lois de programmation ne sont pas une nouveauté et, faut-il le mentionner, elles n’ont pas toujours connu un franc succès notamment du fait de leur plus ou moins grande inapplication ; puisque ces lois sont marquées par une absence de caractère normatif. Par ailleurs, fait conjoncturel, fort mal à propos il est vrai, la crise financière a fortement pesé sur le premier « budget pluriannuel » qui a eu beaucoup de difficultés à s’appliquer, limitant ab initio l’intérêt d’un tel exercice. Le récent avis du Haut Conseil des Finances publiques sur la loi de programmation 2014-2019 ne fait d’ailleurs que confirmer ces difficultés (Avis n° HCFP-2014-04 relatif au projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019, 26 septembre 2014).
2. Les principes d’unité et d’universalité
L’unité et l’universalité budgétaires sont des règles dont le contenu est relativement facile à déterminer, mais qui, en pratique, ont toujours eu beaucoup de mal à s’imposer, en tout cas dans leur intégralité, en raison à la fois d’aménagements qu’ils subissent et du nombre croissant d’opérations hors budget.
➜ Le contenu des principes
Les principes d’unité et d’universalité imposent une présentation du budget qui facilite à la fois le contrôle, qu’il soit politique ou technique, et la décision, en premier lieu celle du Parlement. Pour atteindre ces objectifs, on exige traditionnellement que toutes les prévisions de recettes et de dépenses soient rassemblées dans un document unique, donnant à la fois une vue d’ensemble et une description détaillée, permettant notamment une décision libre et éclairée de l’autorité budgétaire. On peut distinguer ici, même si les principes se recoupent largement, le contenu du principe d’unité et d’universalité.
▶ Le principe d’unité, appelé également par certains auteurs la règle d’unicité, exige que le budget soit présenté en un seul document, faute de quoi le contrôle serait fragmentaire et la décision partielle ou partiellement éclairée. Cette unité est généralement envisagée sur un plan matériel, mais n’est pas réalisée sur un plan temporel.
En effet, sur le plan matériel, le document présenté au Parlement lors du vote du budget doit être unique. Plus précisément, il doit s’agir d’un ensemble unique (« un et indivisible »), correspondant à ce qu’on appelle actuellement le « budget général », attestant, d’ores et déjà, de l’existence d’aménagements. Toutefois, une acception extrême du principe d’unité conduirait à exiger également que ne soit établi qu’un budget par an, par la loi de finances initiale. L’unité serait alors appliquée d’un point de vue non plus seulement matériel mais également temporel. La solution a parfois été préconisée, mais elle n’est pas retenue par le droit positif qui, non seulement permet, mais parfois impose des modifications, en cours d’exercice, des documents budgétaires initiaux par la loi de finances rectificative.
▶ Le principe d’universalité, quant à lui, appelé parfois la règle de totalité, est le corollaire de la règle d’unité. Il ne suffit pas, en effet, que le document budgétaire soit unique, encore faut-il qu’il contienne les prévisions de toutes les recettes et de toutes les dépenses de l’État. En somme, le principe fait référence ici non plus au contenant mais au contenu. La notion très simple en apparence est rendue complexe car elle se confond largement avec un nouveau principe budgétaire : le principe de sincérité. Le principe d’universalité en effet concerne la sincérité du périmètre budgétaire et exige que soient portées au budget toutes les opérations qui doivent relever de l’État.
En revanche, de manière beaucoup plus évidente et traditionnelle, le principe d’universalité comporte deux composantes : le principe de non-compensation et le principe de non-affectation.
La règle de non-compensation – ou de non-contraction ou encore du produit brut – interdit de ne présenter au budget qu’un solde des opérations en déduisant certaines dépenses de certaines recettes ou certaines recettes de certaines dépenses. En effet, un solde ne renseigne, ni sur le montant total, ni sur la nature des opérations compensées, ce qui interdit d’en mesurer le volume et d’en contrôler le détail, permettant ainsi des dissimulations, éventuellement d’opérations interdites. Ainsi, pour prendre un exemple classique, lorsqu’une commune achète un véhicule neuf moyennant reprise par le vendeur d’un ancien véhicule de ladite commune, celle-ci ne peut porter en dépense le solde de l’opération (prix du véhicule neuf moins valeur de reprise du véhicule ancien) mais doit porter séparément, en dépense le prix du véhicule neuf, en recette le prix de la reprise.
La règle de non-affectation interdit d’affecter une recette à une dépense. Toutes les recettes doivent être fondues dans une caisse commune et on décide des dépenses sans distinction d’origine des fonds. La principale justification est un impératif de solidarité : nul ne doit pouvoir prétendre assurer ou recevoir un financement particulier. On reconnaît là le fondement traditionnel de l’impôt, défini comme un prélèvement effectué « sans contrepartie » (individualisable). Une des conséquences en est que le contribuable ne peut contester son imposition en arguant du fait qu’il ne profite pas des dépenses.
➜ Les aménagements aux principes
Assez paradoxalement, les principes d’unité et d’universalité font l’objet d’un nombre assez important d’exceptions ou d’aménagements alors même que ces principes ne sont absolument pas remis en cause. Il s’agit généralement plutôt de tirer les conséquences d’une certaine complexité des opérations budgétaires et de ne pas s’enfermer dans une rigueur excessive.
Ainsi, en premier lieu, on notera la possibilité de constituer, à côté du budget général, des budgets annexes et des comptes spéciaux dans lesquels seront retracées des recettes et des dépenses incombant à l’État, qui plus est faisant, par principe, l’objet d’une affectation. En somme, les recettes d’un budget annexe sont affectées aux dépenses de ce même budget mais si elles sont bel et bien retracées dans la loi de finances, sont isolées du budget général.
▶ Plus concrètement, les budgets annexes, en vertu de l’article 18 de la LOLF, permettent de retracer des opérations de services de l’État, non dotés de la personnalité juridique, et résultant d’une activité de production de biens ou de prestation de services donnant lieu au paiement d’une redevance. L’intérêt est donc d’isoler les activités commerciales de l’État et d’avoir plus de souplesse de la gestion de ces activités. Ayant fait parfois l’objet d’abus de la part du gouvernement, la LOLF a encadré plus strictement le recours à ces budgets annexes de sorte qu’il n’en reste aujourd’hui que deux : l’aviation civile (2,1 Md€) et les publications officielles (environ 190 M€).
▶ Les comptes spéciaux (article 19 LOLF), quant à eux, permettent directement d’affecter certaines recettes à certaines dépenses, par exception au principe de non-affectation, afin de réaliser certaines opérations spécifiques. Il existe 4 catégories de comptes spéciaux :
− Les comptes d’affectation spéciale retracent des opérations pour lesquels il y a un lien direct (et donc une affectation) entre les recettes et les dépenses. Ainsi, généralement, elles servent à isoler des activités qui sont financées à partir d’une recette spécifique. Par exemple, le CAS « Contrôle de la circulation et du stationnement routiers » retrace les dépenses (déploiement des dispositifs de contrôles, fichier national du permis de conduire, etc.) financées à partir du produit des amendes. Ils représentent au total environ 67 Md€ (dont près de 57 uniquement pour les Pensions).
− Les comptes de concours financiers rassemblent les recettes et les dépenses liées à l’aide financière de l’État envers certaines personnes publiques ou privées. Essentiellement, ils retracent les avances et prêts consentis par l’État notamment aux collectivités locales (avances du produit des impôts locaux), aux États étrangers ou banques centrales, des services publics ou même des particuliers ou associations dans des domaines précis. Ces comptes représentent 116 Md€ (donc 104 pour les seules collectivités locales).
− Les comptes de commerce (dotés de crédits évaluatifs : seul le découvert autorisé constitue un plafond) retracent des opérations de caractère industriel ou commercial effectuées à titre accessoire par des services de l’État non dotés de la personnalité morale. Il en existe une dizaine. Citons par exemple la « Régie industrielle des établissements pénitentiaires » qui retrace les opérations relatives à la fabrication et à la vente des objets produits par les détenus (un peu moins de 20 Md€ euros en autorisation de découvert).
− Les comptes d’opérations monétaires (crédits évaluatifs également) retracent des recettes et des dépenses de caractère monétaire comme les pertes et bénéfices de change, l’émission des monnaies métalliques et les opérations avec le FMI (250 M€ d’autorisation de découvert).
En dehors de ces deux dérogations, il existe également des dérogations au seul principe d’universalité et surtout de la règle de la non-affectation.
▶ Ainsi, on peut citer les fonds de concours (art. 17-II, LOLF) qui retracent des ressources mises à disposition de l’État avec obligation de l’utiliser conformément à l’intention de la partie versante, d’où la nécessaire affectation. Ces ressources sont constituées soit de fonds à caractère non fiscal versés par des personnes morales ou des personnes physiques pour concourir à des dépenses d’intérêt public, soit des legs ou donations faits à l’État. Ils représentent environ 4 Md€.
▶ Les attributions de produits (art. 17-III, LOLF) fonctionnent sur le même principe et permettent d’affecter à un service de l’État les recettes tirées des prestations qu’il fournit régulièrement.
▶ La procédure de rétablissement de crédits (art. 17-IV LOLF) est une technique dérogeant également au principe de non-affectation et qui permet de rétablir la situation budgétaire telle qu’elle figurait initialement. En effet, lorsqu’une dépense effectuée sur des crédits budgétaires est annulée (hypothèse du trop payé par exemple, ou paiement à la mauvaise personne), il y a reversement au Trésor du trop-perçu et donc une affectation puisqu’on rétablit la dotation originaire : les sommes reviennent donc vers le budget des services concernés et non dans le budget général.
▶ Les prélèvements sur recettes constituent également un aménagement au principe cette fois de non-contraction (art. 6 LOLF) : les prélèvements sur recettes constituent une rétrocession directe, un concours financier, que verse l’État aux collectivités territoriales (en compensation des exonérations, réductions ou plafonnements d’impôts locaux qu’il décide) et à l’Union Européenne (prélèvement national destiné au budget communautaire). Ces prélèvements sont déduits des recettes et ne sont pas inscrits dans les dépenses budgétaires. Il ne s’agit donc pas à proprement parler d’une affectation puisque les dépenses n’incombent pas à l’État (mais bien aux collectivités territoriales et à l’Union européenne). En revanche, dès lors que le détail des recettes rétrocédées n’est pas connu, il y aurait contraction des recettes. En réalité, le détail se trouve en annexes de sorte que le Conseil constitutionnel a validé cette pratique (CC, 82-154 DC, 29 décembre 1982, loi de finances pour 1983) avant que celle-ci ne soit consacrée par la LOLF. Ils représentent 68 Md€ dont 47 pour les collectivités territoriales et 21 pour l’Union Européenne (PLF 2016).
▶ On notera enfin que les dépenses fiscales (communément appelées « niches fiscales ») constituent également une exception, plus discutable, au principe de non-contraction. Il s’agit, lorsque l’État veut favoriser certaines activités ou certains groupes de contribuables, d’accorder des crédits d’impôts ; en les déduisant des impôts que ces contribuables doivent payer. Ce sont donc en fait des exonérations ou des allégements d’impôts (essentiellement sur l’impôt sur le revenu) accordés par l’État. Or, ces allégements représentent des charges pour le budget de l’État, puisqu’il renonce à certaines recettes fiscales, elles ne sont pourtant pas inscrites en dépenses. Ils sont évalués à près 83,4 Md€ pour 2016.
➜ Les opérations hors budget
Essentiellement, on peut mentionner deux types d’opérations ne figurant pas au budget : les opérations de trésorerie et les opérations à proprement parler « hors budget » c’est-à-dire des budgets autonomes.
▶ Les opérations de trésorerie sont des opérations matérielles de maniement de fonds et valeurs (encaissements, décaissements, mouvements, garde) qui, traditionnellement réservées aux comptables (et régisseurs) publics, se distinguent des opérations juridiques de gestion des deniers publics, qui sont, elles, réservées à l’ordonnateur et qui habilitent ce dernier à émettre des ordres dont les opérations de trésorerie ne sont que la contrepartie matérielle ; ainsi, un ordre de paiement ou un titre de recette, actes juridiques de l’ordonnateur, sont normalement suivis d’un décaissement ou d’un encaissement.
Ces opérations de trésorerie (émission d’emprunt, remboursement de la dette) ne figurent pas au budget ; elles relèvent de la responsabilité du Trésor. Seuls les intérêts des emprunts sont budgétés sous l’appellation « Charge de la dette » (environ 45 Md€).
Néanmoins, le Parlement s’est vu reconnaître, depuis la LOLF, un contrôle sur les opérations de trésorerie. Celles-ci ne figurent pas au budget, mais le Parlement doit donner son autorisation pour le lancement, la conversion et la gestion des emprunts (art. 26 LOLF). Par ailleurs, la loi de finances doit impérativement comporter un tableau de financement présentant les ressources et les charges de trésorerie. L’ensemble de ces évaluations fait l’objet d’un vote du Parlement (art. 34 et 43 LOLF). Enfin, le Parlement fixe chaque année un plafond à la dette de l’État.
▶ Les budgets autonomes sont ceux d’organismes dotés d’une personnalité morale distincte de celle de l’État (établissements publics, associations par exemple) et qui, dès lors, n’ont pas à figurer dans le budget de l’État ou à y être annexés. Cependant, l’État a pu profiter de cette possibilité pour « débudgétiser » les opérations d’organismes qui, bien qu’autonomes juridiquement, utilisent principalement ou exclusivement des crédits de l’État. Cette technique, généralement abusive, permet ainsi de minimiser le déficit public et de faire échapper des opérations au contrôle du Parlement. La jurisprudence du Conseil constitutionnel puis la LOLF ont tenté de réduire cette pratique de débudgétisation en interdisant la débudgétisation des dépenses dites permanentes (CC, n° 94-351 DC du 29 décembre 1994, loi de finances pour 1995) ou en imposant au gouvernement d’annexer une « charte de budgétisation » à la loi de finances indiquant les changements de périmètre du budget par rapport à l’année précédente (art. 51 LOLF).
3. Le principe de spécialité
Le principe de spécialité est un principe lié à la présentation et au vote des crédits. Il suppose que les crédits soient présentés puis adoptés avec un niveau de détail (une spécialisation) qui s’imposera aux gestionnaires dans le cadre de l’exécution du budget. Ainsi, en « spécialisant » les crédits, qui sont par ailleurs limitatifs, le Parlement va fixer une répartition de crédits qui ne pourra être remise en cause par la suite par l’exécutif sauf autorisation du Parlement (et sauf les exceptions expressément prévues par la LOLF). Parallèlement, cette présentation « détaillée » permet un meilleur contrôle du Parlement sur la dépense.
Pourtant force est de constater que c’est le principe de spécialité qui a été le plus touché par la LOLF qui a par ailleurs maintenu les aménagements au principe existant sous l’empire de l’ordonnance de 1959.
➜ Un principe en retrait
Sous l’empire de l’ordonnance, les crédits étaient présentés, suivant la nomenclature par nature qui détaillait les crédits par ministères, titres et chapitres. Les parlementaires faisaient porter leur vote (et donc leur contrôle) sur les quelque 888 chapitres du budget général. Or, la LOLF a procédé tout d’abord à une globalisation des crédits (et donc un retrait de la spécialité) puisque s’est substituée à cette nomenclature une nomenclature par destination des crédits (v. Chapitre 2) qui détaille les crédits par missions (environ 30-35) et par programmes (environ 120-130). La spécialisation des crédits est donc moins fine.
Plus encore, la LOLF a également dissocié le vote et la spécialisation des crédits puisque les crédits sont votés par missions et sont spécialisés par programmes (qui constituent des plafonds et dont la répartition est, sauf exceptions, figée). Aux niveaux inférieurs au programme, la répartition est indicative et les crédits sont gouvernés par la technique de la « fongibilité asymétrique » c’est-à-dire que la répartition peut être modifiée à tout moment à l’intérieur du programme par le gestionnaire et sous réserve du plafond des dépenses de personnel.
Néanmoins, ce retrait, réel et justifié par la garantie de souplesse de gestion accordée à l’exécutif, du principe de spécialité n’empêche pas un contrôle ni a priori (en loi de finances initiale) par le détail des crédits en annexes, ni a posteriori dès lors que le gouvernement doit faire état de tous les mouvements de crédits à l’intérieur des programmes (art. 53 LOLF).
➜ Les aménagements maintenus
La LOLF a par ailleurs maintenu les aménagements existants sous l’ordonnance en les réduisant tout de même (et nécessairement d’ailleurs puisque le principe est lui-même atténué). Essentiellement, ces aménagements consistent en des techniques permettant soit une non-spécialisation des crédits (crédits globalisés) soit de modifier la répartition en cours d’exercice.
Ainsi, l’article 12 de la LOLF permet de modifier en cours d’exercice la répartition des crédits, en opérant un virement d’un programme à un autre pour un même ministère ou un transfert d’un programme à un autre pour deux ministères distincts. En revanche, ces pratiques ont été, assez formellement, limitées par la LOLF, notamment avec un plafonnement des virements.
Par ailleurs, l’article 7 de la LOLF prévoit également la création de « dotations » qui sont des missions « spéciales ». Il existe deux dotations : une qui concerne les crédits des pouvoirs publics et une dotation pour provision. Or, ces dotations sont dotées de crédits dits globaux c’est-à-dire qu’ils ne sont pas spécialisés et constituent des enveloppes de crédits disponibles sans affectation précise, à charge, pour l’exécutif, d’en déterminer la destination au moment de la dépense. Plus précisément, il existe deux types de « provisions » : les dépenses pour mesures générales en matière de rémunération et surtout les dépenses accidentelles et imprévisibles. Ainsi, ces crédits sont globaux pour permettre une dépense exceptionnelle mais rendue nécessaire par les aléas de l’exécution.
Enfin, il existe ce que l’on appelle les « fonds spéciaux », appelés aussi fonds secrets, qui ont un régime particulier et justement par leur caractère « secret » ne font pas l’objet d’une spécialisation, c’est-à-dire dont l’affectation a priori est inconnue. Essentiellement, on distinguait autrefois les fonds spéciaux du gouvernement (7 M€) et les fonds spéciaux à destination particulière, c’est-à-dire essentiellement pour financer des opérations de la Direction générale de la Sécurité extérieure (DGSE). En 2002, la première catégorie a été supprimée, ne laissant subsister que les fonds destinés à la DGSE. Quant au régime, le Parlement vote donc une enveloppe globalisée de crédits dont l’utilisation fait l’objet d’un rapport non public en fin d’exercice.
Ainsi, plus ou moins malmenés par la LOLF, ces principes traditionnels n’ont pas moins survécu depuis la Restauration et ont une incroyable pérennité. Ils ont par la suite été complétés par deux nouveaux principes qui peinent à s’affirmer pleinement.
B – Les nouveaux principes budgétaires
En effet, aux principes dits traditionnels ont été ajoutés deux principes répondant à des nécessités nouvelles en termes de maîtrise et de transparence du budget : le principe d’équilibre (1) et le principe de sincérité (2). Il faudra également s’interroger, rapidement, sur l’impact de la modernisation de la gestion publique sur l’émergence des principes en devenir (3).
1. Le principe d’équilibre
Le principe d’équilibre signifie, ou signifierait, que le budget doit procéder d’une équation égalitaire entre les recettes et les dépenses ; c’est-à-dire que le budget ne doit ni présenter un déficit (l’État s’endette) ni un excédent à tout le moins excessif (l’impôt n’est pas « nécessaire »). Force est de constater que ce principe, sous cette acception, est très loin d’être une réalité. Pour 2016, avec un montant net de recettes évalué à 233 Md€ et un montant net de dépenses évalué à 306 Md€, le déficit envisagé s’élèverait à 73 Md€, pour le budget général. Chaque année, depuis plus de quarante ans, le budget accuse un déficit qui va d’ailleurs croissant. Par ailleurs, le solde prévisionnel (c’est-à-dire adopté en loi de finances initiale) est systématiquement dépassé en fin d’exercice avec un solde d’exécution plus ou moins considérablement dégradé par rapport aux prévisions (ex. : 60 Md€ en LFI 2009 contre plus de 140 Md€ en exécution). Tout au plus, les contraintes liées au traité de Maastricht ont quelque peu renforcé cette exigence d’équilibre avec un succès des plus relatifs.
Pourtant, le principe d’équilibre a également une dimension plus juridique qui a pu être sanctionnée par le juge constitutionnel. En effet, l’article 1er de la LOLF dispose que « les lois de finances déterminent, pour un exercice, la nature, le montant et l’affectation des ressources et des charges de l’État, ainsi que l’équilibre budgétaire et financier qui en résulte. Elles tiennent compte d’un équilibre économique défini, ainsi que des objectifs et des résultats des programmes qu’elles déterminent ». On notera d’ailleurs que le législateur organique a intégré la notion d’équilibre budgétaire renforçant, plutôt formellement il est vrai, la nécessité d’équilibre.
Toujours est-il que cet article implique, article 34 LOLF, que la loi de finances arrête dans sa première partie les conditions de l’équilibre financier. Or, il en résulte une obligation juridique simple, la première partie de la loi de finances (fixant cet équilibre) doit être adoptée avant la seconde partie. Or, pour des raisons circonstancielles, liées notamment à l’usage du 49 al. 3, la loi de finances pour 1980 n’a pas respecté cette condition, d’où la déclaration d’inconstitutionnalité totale (la seule d’ailleurs) prononcée par le juge dans sa décision 79-110 DC du 24 décembre 1979.
Mais en dehors de cette obligation qui ne pose plus guère de difficulté le principe d’équilibre est un principe au contenu bien peu contraignant. À noter que lors de la constitutionnalisation des lois de programmation, le principe d’équilibre a été réaffirmé désormais au niveau constitutionnel. Les orientations pluriannuelles des finances publiques sont définies par des lois de programmation. « Elles s’inscrivent dans l’objectif d’équilibre des comptes des administrations publiques » (art. 34). Il est cependant difficile d’y voir autre chose qu’une déclaration d’intention. D’ailleurs, au surplus, il s’agit de l’équilibre des comptes et non du budget et seule la loi de programmation doit tenir compte de cet équilibre.
Quant aux développements plus récents, on mentionnera tout d’abord l’échec de la révision constitutionnelle du 16 mars 2011, voulue par le Président N. Sarkozy, visant à créer des lois-cadres d’équilibre des finances publiques, lois de programmation pluriannuelles de retour à l’équilibre qui devaient s’imposer aux lois financières via un contrôle de constitutionnalité obligatoire. Citons également l’adoption de la loi organique du 17 décembre 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques, pris pour transposition du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire, signé le 2 mars 2012. Ce traité renforce la discipline budgétaire en imposant un objectif d’équilibre, l’interdiction d’un déficit structurel (hors conjoncture) trop important (0,5 % du PIB ou 1 % si la dette respecte les critères de Maastricht), sauf circonstances exceptionnelles, et une obligation de diminution de la dette excessive d’un vingtième par an (au-delà des 60 % de PIB). La loi organique de 2012 s’appuie largement sur la loi de programmation créée en 2008 avec, pour seule garantie, des avis prononcés par un Haut-Conseil des finances publiques, créé par la loi organique et chargé d’en contrôler le respect. Force est de constater, aux regards des récents avis du Haut Conseil (2014-4 et 2014-5) et du risque de sanction pour déficit public excessif qui pèse aujourd’hui par la France, que l’efficacité de ce dispositif est à relativiser.
2. Le principe de sincérité
Le principe de sincérité est apparu dans les années 1990 dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel (décision n° 94-351 DC, 29 décembre 1994, loi de finances pour 1995) avant d’être consacré par la loi organique relative aux lois de finances (art. 32 LOLF : Les lois de finances présentent de façon sincère l’ensemble des ressources et des charges de l’État. Leur sincérité s’apprécie compte tenu des informations disponibles et des prévisions qui peuvent raisonnablement en découler) puis d’être constitutionnalisé, sous son aspect comptable certes par la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 (art. 47-2 Co : Les comptes des administrations publiques sont réguliers et sincères. Ils donnent une image fidèle du résultat de leur gestion, de leur patrimoine et de leur situation financière). Notons d’ailleurs que cette autonomie n’existe pas au niveau local, et cette notion revêt, en substance, deux aspects qui se confondent largement avec le principe d’universalité d’une part : la sincérité du périmètre budgétaire et d’équilibre : l’évaluation sincère des recettes et des dépenses.
Quoi qu’il en soit, depuis 1993, le principe de sincérité budgétaire est soulevé par les saisissants tous les ans, à l’occasion d’une saisine presque traditionnelle du Conseil sur la loi de finances de l’année, et donne lieu à une quasi-systématique première partie de la décision « Sur la sincérité de la loi de finances ».
Pourtant, force est de constater que, malgré cette extension progressive, le principe est toujours resté d’une application limitée. Le Conseil constitutionnel n’a en effet jamais censuré une loi de finances sur le grief de l’insincérité se retranchant derrière l’absence d’erreur manifeste d’appréciation manifestant une volonté de fausser les grandes lignes de l’équilibre budgétaire. On notera d’ailleurs une certaine divergence de points de vue entre le Conseil constitutionnel et la Cour des comptes, cette dernière relevant régulièrement des atteintes au principe de sincérité dans ses rapports annuels sur l’exécution de la loi de finances alors que le Conseil se refuse à confirmer ces atteintes.
On le voit donc, si la LOLF a consacré le principe de sincérité, elle n’a pas rendu plus effective l’application du principe par le juge constitutionnel. On pourra enfin s’interroger sur l’avenir du principe de sincérité budgétaire au regard des dernières lois de finances. En effet, s’agissant du PLF 2006, les parlementaires ont saisi le Conseil constitutionnel (CC, n° 2005-530 DC, 29 décembre 2005, Loi de finances pour 2006) mais, forts de nouveaux griefs liés à la mise en œuvre de la LOLF (renseignements des indicateurs, périmètre des missions, critique des missions monoprogrammes), les saisissants ont renoncé à soulever l’insincérité des prévisions budgétaires (tout au plus, les saisissants estimaient que l’absence de renseignements des indicateurs faussait la sincérité du budget). Enfin, s’agissant du PLF 2007, 2008 et 2009, le Conseil constitutionnel n’a tout simplement pas été saisi. Quant aux plus récentes décisions, très classiques sur le sujet, elles semblent largement confirmer une position très prudente du Conseil quant à une application plus rigoureuse du principe. Ainsi, la sincérité est un principe ambigu, plus politique que juridique et qui constitue ainsi plus un dogme, une règle morale, qu’un véritable principe juridique.
3. Des principes en devenir
Les principes d’équilibre et de sincérité, et dans une certaine mesure la pluriannualité, sont des principes forts d’un point de vue politique à défaut sans doute d’avoir une dimension juridique très marquée. Aussi, ces principes ont tendance à se développer et à être mis en avant, notamment avec le mouvement de constitutionnalisation précédemment décrit.
Ainsi, faut-il s’interroger sur le devenir de ces principes. Rapidement, on notera que les budgets modernes ont tendance à mettre en avant ces notions à l’exemple du budget de l’Union européenne, qui développe quelques principes non pas inconnus du droit français mais qui poussent un peu plus loin les concepts de transparence et de bonne gestion. Ainsi, et sans les développer, le droit budgétaire européen évoque, à côté des principes plus traditionnels, les principes de vérité budgétaire, de transparence, d’équilibre et de bonne gestion financière.
En France, la sincérité tend à s’étendre à cette notion plus large de transparence. D’ailleurs, la transparence budgétaire et comptable tend, au moins en principe, à se développer dans les règles budgétaires. L’équilibre et la bonne gestion financière sont aussi un principe en développement. La constitutionnalisation d’une « règle d’or » prohibant les déficits ou, à tout le moins, règle d’or au sens strict, en limitant le recours au déficit pour l’investissement, est constamment mise en avant. L’essor de la performance, enfin, pourrait permettre le développement de la notion de bonne gestion financière.
La France reste toutefois attachée à ces vieux principes et il semble assez peu probable que ces nouveaux principes soient consacrés autrement que par l’évolution de certaines règles budgétaires et comptables plus ou moins contraignantes d’ailleurs – notamment s’agissant de l’équilibre.
C – Les principes comptables
Il n’existe pas à proprement parler d’équivalent des principes budgétaires applicables à la comptabilité publique. On ne trouve pas de principes fondamentaux de la comptabilité publique (au niveau de l’État à tout le moins). Pourtant, certains principes sont au cœur de notre système de comptabilité publique.
Tout d’abord, rappelons que les principes budgétaires tendent à s’affirmer de plus en plus, et avec une valeur juridique très importante, sous leur volet comptable. Ainsi, les principes de sincérité des comptes ou d’équilibre des comptes ont fait leur apparition dans la Constitution à la suite de la dernière révision constitutionnelle même si l’effectivité de leur application reste assez incertaine.
Le principe qui gouverne l’exécution du budget et le système de comptabilité publique français demeure le principe de séparation des ordonnateurs et des comptables, même s’il faut l’avouer, ce principe est de plus en plus remis en cause. Sans évoquer le contenu de ce principe (v. Chapitre 6), il s’agit essentiellement de dissocier pour l’exécution et la comptabilisation des opérations celui qui gère les crédits, l’ordonnateur et celui qui manie les fonds publics et procède aux opérations matérielles, le comptable. Ce principe fonde à la fois l’exécution du budget, la comptabilité publique et les règles du contentieux financier.
Pour ce qui est de la comptabilité publique à proprement parler, les principes sont assez proches de ceux de la comptabilité générale ou, à tout le moins, tendent à s’en rapprocher (notamment au niveau local). Ainsi, on retrouvera le principe de régularité, de sincérité et d’image fidèle des comptes (regroupé sous le principe de sincérité des comptes), le principe de prudence (qui fonde notamment le développement des amortissements et des provisions) ou le principe de rattachement des charges à l’exercice qui fonde la comptabilité dite d’exercice, mise en place, au niveau de l’État, par la LOLF.
Reste qu’en réalité, ces principes n’ont pas la dimension des principes budgétaires et constituent plus un corpus de principes servant de point de mire à l’adaptation des règles de comptabilité publique vers une comptabilité moderne, plus proche de celle du secteur privé.
Sous réserve de la dernière révision constitutionnelle et de quelques adaptations par la LOLF, les sources et les principes applicables aux finances de l’État sont marqués par une relative stabilité voire un conservatisme prégnant. Au contraire, le cadre technique des finances publiques de l’État a lui été profondément revisité par la LOLF avec la volonté manifeste de moderniser les techniques budgétaires et comptables et de les adapter à la nouvelle gestion publique.