À l’intérieur la foule ressemble à une mêlée du XV de France. Au centre des débats, la nef prend des allures de tribune présidentielle : hippodrome un jour de Grand Prix. Les VIP sont habillés de costumes chers et de robes hors de prix.
Une Mme Balmain et un M. Saint Laurent, un enfant Paul Smith et une miss Armani, une famille Ralph Lauren. Une grande célibataire en Zadig et Voltaire m’évoque une sauterelle verte. Elle épie du coin de l’œil une veste de Fursac à col châle, il tient par la main une robe Chloé blanc cassé perchée sur des talons Miou-Miou, un minisac Prada pendouille à son bras bronzé.
Ce n’est plus une église, c’est un dépôt-vente.
Le soleil transperce les vitraux, la lance du soldat aussi. Elle ouvre le flanc de Jésus en deux sur le tableau du chemin de croix à la douzième station, exactement.
Le Messie crucifié me fait maintenant face, je peine à fixer son regard à cause des poils blonds qui scintillent dans le bronzage de la fille multimarque. Ils me déconcentrent et je suis du genre à me laisser distraire.
Le clou du spectacle se joue à quelques têtes chapeautées de là, sept mètres à vol de voyeur : en plein chœur.
Derrière l’autel, le curé, teint hâlé, la cinquantaine conquérante, blanchi sous le harnois, l’œil qui frise typique des vieux brisquards, ressemble à une rock-star.
Il prêche, sermonne, pontifie et, dans la dernière ligne droite, heureux comme un pape, aux lèvres un large sourire un peu blanchi par la salive à la commissure gauche, il finit par bénir la nouvelle union derrière ses lunettes carrées à verres antireflet.
Pour cette peine, il fait le tour de l’autel et descend d’un pas sûr les trois marches avant de venir prendre position pour le final, miraculeusement suivi dans son show par ce putain de soleil. Ses rayons défoncent les vitraux et viennent éclairer la scène, pile au moment de la bénédiction des époux.
Alice a fait l’économie d’un voile.
Elle a choisi une robe fourreau esprit sablier, le choix des femmes aux courbes prononcées et à la taille fine. Les lignes sont pures, la dentelle douce.
La robe lui laisse le dos à l’air et s’ouvre en V pour offrir à l’assistance les formes subtiles de ses omoplates. La toilette descend en jupe droite et moulage parfait puis s’évase vers le bas, recouvre ses pieds fins, dissimule ses souliers de petite princesse naïve et un peu sotte, emportée par la force du grand jour.
C’est la seconde fois qu’Alice convole. La première c’était il y a onze ans avec moi, mais à la mairie. Cette église, on l’avait bien évoquée, mais je l’avais convaincue d’y renoncer, de laisser Dieu en dehors de tout ça.
Elle avait accepté de ne pas défiler au bras de son père, poursuivie par une cavalerie d’enfants d’honneur impassibles, et de signer en tailleur blanc le registre tendu par Monsieur le Maire, un point c’est tout. Jamais elle ne m’a clairement signifié que je l’avais privée de son rêve de petite fille meringuée rejoignant, le souffle court, son prince au pied du missel.
Vu le monde présent pour l’entourer et célébrer son accord parfait avec son nouveau mari, je pense au mal qu’elle a dû se donner pour les préparatifs et aussi à sa profonde jubilation de pouvoir enfin devenir, à 30 ans passés, une gamine romantique de la bonne société.
Elle a forcément un peu pensé à moi, ou du moins à nous, entre la demande du nouveau et le grand OUI qu’elle vient tout juste de prononcer de ses dents blanches et saines.
C’est donc pour elle aujourd’hui, samedi 11 septembre, une deuxième fois, un air de presque déjà-vu, certes moins simple et plus cérémonieux, plus stylé aussi, mais avec au bout du compte les mêmes conneries de promesses d’amour éternel pour le meilleur et pour le pire.
Si on prend le temps de s’arrêter deux secondes et si l’on considère qu’avec moi elle a eu sa part de pire, mon ex-femme peut donc s’attendre pour sa nouvelle vie de femme remariée à la félicité la plus pure, tendre les bras vers un avenir joyeux.
Elle fanfaronne au bras de son François, un champion de triathlon limougeaud : des bras comme mes cuisses, des cuisses comme mon torse, trader à la City de Londres, 40 ans, un peu dégarni mais pas trop, une tête de radiologue, un 4X4 de dentiste et un salaire de patron du CAC 40.
Alice m’a lâché un jour dans une discussion qu’il émargeait en ces années de vaches maigres à près d’un million d’euros par an avec bonus. D’où le total Dior pour le jour J, costume, chemise, cravate, chaussettes et chaussures, plumage idiot des gens sans imagination.
C’est vrai qu’il a l’air un peu con, le boursicoteur bodybuildé dans son costume de nouveau riche, à lui enfiler, l’air ému, cette alliance en or blanc ornée de tous ces diamants.
À peine le OUI a retenti qu’un tonnerre d’applaudissements et même quelques sifflets joyeux grondent, l’écho décuple l’assemblée mais ne fait pas trembler les murs, c’est du solide.
Rires et re-chant, et puis l’orgue sonne faux de nouveau, tente de suivre le n’importe quoi général et parvient à prendre le commandement des opérations.
Je sens la main de Laurence se serrer sur mon épaule. Et je respire un grand coup pour ne pas sursauter.