— ASIA ! appela Derik tandis que le silence le submergeait.
Il recula de plusieurs pas chancelants quand FRED apparut devant lui, l’air très mécontent. Il lança un regard féroce à l’IA.
— Où est Amelia ? exigea-t-il de savoir.
Une nuance rouge envahit la forme bleue scintillante de FRED, lui donnant une teinte violet foncé. Derik se demanda distraitement si Cosmos avait conscience de l’adaptation émotionnelle de plus en plus grande que développaient ses IA. Il prit note d’examiner la programmation dès que tout serait terminé. Chassant sa fascination, il écouta FRED, qui lui répondait.
— Ton danger public est parti chercher Afon Dolinski.
— Ça, je le sais. Ce que je ne sais pas, c’est où ! lança impatiemment Derik.
— FRED, sois un amour et programme le GPS dans le… le SUV, dit ASIA, sa voix butant légèrement sur les mots avant d’ajouter sur un ton de conspirateur : Les clés sont dans le meuble verrouillé dans le garage. FRED va te l’ouvriiiiiiiir.
Elle parut rester bloquée sur le dernier mot, puis dit joyeusement :
— Oh ! Oublie, Robert est là.
— Je l’ai appelé. Avery m’a rappelé que toute tentative pour récupérer Amelia devait être faite sans attirer l’attention sur l’escadron d’extraterrestres qui s’en chargerait, commenta sèchement FRED.
— Avery… Oh, oui… je suis enc… encore en train de me remettre. Le programme d’Amelia me fait ramer. J’ai l’impression d’être en bas débit ! répondit ASIA.
— Bas débit ? Ça ressemble à un très vilain mot, grogna FRED.
— Ça l’est, mon amour. J’ai l’impression de tourner à 40 kb/s, répondit-elle d’un ton affligé.
— J’interdirai à Amelia tout accès à toi, menaça FRED.
— Mais non ! Je préférerais lar… lar… largement qu’Amelia nous montre où est notre faiblesse plutôt qu’un petit moins que rien ! répliqua ASIA.
Un bruit de pas de l’autre côté de la porte attira son attention. Un instant plus tard, Robert se tenait sur le seuil. Ce dernier écarquilla les yeux tandis qu’il observait leur petit groupe avec circonspection.
— Heu… Avery a dit que vous aviez besoin de moi.
Teriff et les frères de Derik se retournèrent comme un seul homme. Le chauffeur blêmit lorsque Teriff dégaina son arme. Derik tendit la main devant lui.
— C’est Robert, un des hommes de Cosmos, annonça-t-il doucement.
— Peut-il nous emmener à ta compagne ? voulut savoir Teriff.
— Oui, répondit Derik en se tournant vers l’homme, la mine féroce.
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Le scooter tressauta alors que la Puce se garait sur le côté de la route déserte. Elle posa les pieds par terre et coupa le moteur. Au même moment, elle releva le menton, surprise et soulagée. Elle sentait de nouveau Derik.
— Peut-être que je lui donnerai une autre chance, marmonna-t-elle.
Ses murs mentaux étaient toujours dressés, mais elle sourit malgré elle et une étrange chaleur emplit son cœur parce qu’il avait dit la vérité : il avait prévu de revenir. Se laissant glisser du scooter, elle le poussa dans l’ombre sous un arbre près du haut mur de pierre couvert de lierre qui entourait le domaine d’Afon Dolinski.
Elle abaissa la béquille du scooter, s’assurant qu’il ne tomberait pas, avant de retirer son casque. Elle le suspendit au guidon et fit quelques pas pour examiner le mur. Convaincue que son moyen de transport était aussi sécurisé que possible, elle partit en direction de l’entrée de service.
L’herbe, humide en raison de la pluie tombée un peu plus tôt, étouffait le bruit de ses pas tandis qu’elle observait les lieux. Les rayons de la lune filtraient entre les gros nuages qui voilaient encore le ciel, créant assez de lumière pour y voir, mais tout de même assez d’ombres pour se cacher. Elle grimaça en sentant son bracelet vibrer. ASIA était à nouveau en ligne. Elle s’accroupit et appuya sur le dessus de son micro-ordinateur. En quelques secondes, le visage de l’IA apparut.
Toujours au fait de tout, ASIA avait choisi un programme de faible puissance rouge foncé pour préserver la vision nocturne de la Puce et émettre le moins de lumière possible.
— L’un des satellites de Cosmos est braqué vers le domaine, murmura-t-elle. Il y a deux signatures thermiques à moins de cent mètres. Elles s’éloignent de toi, direction l’est le long du mur d’enceinte. Il y a aussi deux gardes à l’entrée de service et des caméras tous les douze mètres.
Surprise, la Puce cligna des yeux.
— Tu n’es pas fâchée contre moi ? s’exclama-t-elle à voix basse.
— Non, ma chérie. Je sais pourquoi tu as fait ça. Tu es douée, mais je le suis encore plus. J’ai lu le dossier.
— Oh. Je ne savais pas qu’il était… que j’étais…
— Le fait qu’Afon Dolinski est ton oncle ne change rien au fait qu’il est très dangereux, lui rappela doucement ASIA.
— Je sais, murmura-t-elle, baissant la tête pour cacher son expression. Je ne veux pas que qui que ce soit sache pour Dolinski, pas encore. J’ai besoin de…
— Tu veux d’abord lui parler, compléta ASIA.
La Puce opina du chef.
— Il faut que je sache.
— Alors, c’est quoi le plan ? Je coupe leur système de sécurité et tu rentres en douce ?
La Puce pensa à Dolinski et à tout ce qu’elle avait appris sur lui. Une soudaine idée culottée lui vint. C’était complètement et fou et sans doute un peu suicidaire, mais… Elle se leva et commença à revenir sur ses pas, vers le scooter.
— Tu pars ? demanda ASIA, surprise.
La Puce secoua la tête.
— Nope, je vais réveiller Dolinski et me présenter. Je te dirai si j’ai besoin d’aide, dit-elle, l’ombre d’un sourire aux lèvres.
— Oh là là ! répondit ASIA dans un murmure.
La Puce appuya sur le micro-ordinateur, récupéra son casque et l’enfila. Puis elle remonta sur le scooter, le démarra et le poussa en avant pour libérer la béquille.
Effectuant un demi-tour, elle décida que, quitte à faire une entrée, autant la faire par la grande porte. Elle avait déjà fait pas mal de folies dans sa vie, mais celle-ci devait largement dépasser toutes les autres.
Derik, t’es là ? l’appela-t-elle timidement.
Attends-moi. Je suis en route, lui ordonna-t-il.
Non, je ne veux pas prendre le risque que tu sois à nouveau blessé. Je vais m’en sortir. Je voulais juste te dire… que je suis désolée.
Pour quoi ? voulut-il savoir.
Pour avoir pensé que tu m’avais quittée. Je ne t’en aurais pas voulu, tu sais, d’être parti, murmura-t-elle.
Je viens te chercher, Amelia.
La Puce eut un sourire désabusé.
Je sais. Mais attends-moi cette fois. Je te dirai si j’ai besoin que tu débarques tout feu, tout flamme, lui demanda-t-elle.
J’espère que tu as un meilleur plan que la dernière fois ! rétorqua-t-il.
L’exaspération dans son ton lui fit lever les yeux au ciel, mais elle ne répondit pas. Elle ne doutait absolument pas que Derik péterait un câble s’il savait ce qu’elle s’apprêtait à faire. Néanmoins, tandis qu’elle se retirait de leur échange et abritait ses pensées, elle fut réconfortée par leur connexion, discrète mais présente. Si le pire venait à se produire, ce serait sympa d’avoir un peu de cette technologie médicale extraterrestre à portée de main.
Prenant une profonde inspiration, elle tourna pour emprunter l’allée et s’arrêta quand un garde s’avança devant le portail. Elle le considéra une seconde avant de regarder l’arme dans sa main. Des doutes l’envahirent et elle se demanda s’il n’y avait pas un meilleur moyen de rencontrer Dolinski. Peut-être aurait-elle dû prendre rendez-vous, finalement… et pas au milieu de la nuit.
— C’est une propriété privée, annonça le garde.
Elle retira son casque et le regarda avec un sourire en coin.
— Ouais, j’avais cru comprendre avec le mur, le portail et votre arme. Dites à monsieur Dolan que je veux lui parler.
— Barre-toi, gamine. Monsieur Dolan ne parle pas à de la racaille comme toi, la railla l’homme.
— Vous seriez surpris. Dites-lui que c’est à propos d’Arianna Dolinski.
Le garde secoua la tête.
— Fous le camp ! ordonna-t-il en pointant son arme vers elle.
— Que se passe-t-il ? exigea de savoir une voix grave.
Le garde abaissa son arme et se tourna vers l’homme qui émergeait de l’ombre. La Puce étudia monsieur Costume-Noir-Hors-de-Prix et reconnut le chef de la sécurité d’Afon.
Voilà, pensa-t-elle. Je vais enfin arriver à quelque chose.
— Cette gamine demande à voir monsieur Dolan, monsieur, répondit le garde.
La Puce se rassit sur le scooter et soutint le regard de Marcelo Moretti, qui l’étudiait en silence.
— Qu’est-ce que tu veux ? lui demanda-t-il.
— Dites à Do…lan que j’aimerais lui parler d’une femme du nom d’Arianna Dolinski, répondit-elle, se maudissant silencieusement d’avoir failli donner son vrai nom.
— Pourquoi je devrais déranger monsieur Dolan à deux heures du matin pour parler de cette femme, mademoiselle… ?
Il attendit qu’elle lui donne son nom, mais elle n’en fit rien.
— Peut-être parce que je suis là, maintenant, monsieur Moretti, finit-elle par répondre.
Le ricanement du garde fut coupé court quand le chef de la sécurité se rapprocha du portail. Elle ne cilla pas en voyant son expression se durcir, ni lorsqu’il mit une main à l’intérieur de sa veste. Il était bien plus intimidant que DiMaggio, mais si l’on regardait bien, il était fait de la même étoffe que tous ceux qu’elle avait côtoyés toute sa vie ; il restait un malfrat.
— Ouvrez, ordonna Moretti.
— Oui, monsieur, répondit le garde à contrecœur.
— Si vous me permettez, dit la Puce. ASIA, ouvre le portail.
Moretti se figea lorsque le portail bourdonna soudain et commença à bouger. Le garde en resta bouche bée et les yeux écarquillés, sous le choc.
La Puce remit son casque et démarra le scooter avant d’entrer lentement dès que le portail fut ouvert assez grand. Elle n’avait pas pu s’empêcher de frimer, mais elle se rendit compte qu’elle avait dû révéler deux de ses atouts : elle savait qui était Moretti et avait demandé à ASIA d’ouvrir le portail. Elle allait devoir se montrer plus prudente par la suite.
— Suivez-moi, ordonna le chef de la sécurité.
Moretti se dirigea à grands pas vers le quad à l’arrêt dans l’allée, son chauffeur attendant le retour de son supérieur. Ce dernier s’assit à l’arrière, face à elle, son pistolet sur les genoux. Elle les suivit, plusieurs mètres derrière le véhicule.
Moins de cinq minutes plus tard, le chauffeur s’arrêta devant un magnifique manoir. Moretti se leva et attendit qu’elle gare le scooter. Elle coupa le moteur et abaissa la béquille avant de descendre. Après avoir retiré son casque, elle contempla l’impressionnante maison.
— Sympa la baraque, commenta-t-elle.
— Par ici, dit Marcelo d’un ton tranchant.
La Puce fit rouler ses épaules pour toute réponse. Le ton grincheux de l’homme ne la dérangeait pas. Il y a longtemps, elle avait appris à énerver les gens et à présent, elle voyait ça comme une forme d’art. Elle suspendit le casque au guidon et fit un bref signe de tête au chauffeur du quad.
— Assurez-vous que personne ne touche à la bécane. Elle ne m’appartient pas, ordonna-t-elle.
L’homme lui lança un regard surpris avant de se tourner vers Moretti pour recevoir ses ordres. Ce dernier opina du chef et la Puce garda une expression neutre lorsqu’elle vit son exaspération à peine masquée.
— Ça sera tout ? s’enquit-il sèchement.
— Ouaip, maintenant vous pouvez m’emmener voir votre chef.