CHAPITRE 22

Derik et Amelia quittèrent la salle du conseil main dans la main. Il restait silencieux, car il savait qu’elle avait besoin de temps pour reprendre le contrôle de ses émotions. Ses pensées n’étaient pas protégées par le mur qu’elle tentait habituellement de dresser entre eux.

Même sans leur lien, il aurait été impossible de ne pas voir que les derniers jours l’avaient profondément affectée. Ce serait traumatisant pour quiconque de découvrir que sa mère était en fait en vie et qu’elle partageait un lien de parenté avec une personne comme Dolinski.

— Avoir un lien de parenté avec Dolinski n’est pas si terrible, murmura-t-elle en réponse aux pensées de Derik.

— Pas si terrible ?! Tu as lu les crimes qu’il a commis ? demanda-t-il d’une voix choquée.

Elle lui fit un sourire en coin.

— Ouais, mais ça aurait pu être pire. J’aurais pu avoir un lien de parenté avec Avilov ou Markham. Crois-moi, avoir Lou pour père était déjà assez difficile, souligna-t-elle.

— Je t’aurais protégée, jura-t-il.

Elle s’arrêta au milieu du couloir et le regarda. Puis elle sourit et posa une main sur sa joue, caressant lentement sa barbe rêche.

— Je peux retirer les poils si tu n’aimes pas.

Elle secoua la tête.

— C’est ton corps. Peu importe que j’aime ou non. Si tu aimes, c’est tout ce qui compte.

— Ça m’importe si ça te provoque des irritations, murmura-t-il, tournant la tête afin que ses lèvres effleurent sa paume.

Elle l’observa une seconde, un sourire curieux aux lèvres, puis se dressa sur la pointe des pieds. Elle fit remonter sa main le long de son torse pour garder l’équilibre.

— J’imagine qu’il faudra que je découvre si c’est le cas.

Il prit une profonde inspiration lorsque son regard quitta ses yeux pour se poser sur sa bouche. L’espace d’un instant, elle marqua une pause à un souffle de ses lèvres, puis l’embrassa doucement. Il la plaqua contre son corps dur.

Il la laisserait poursuivre son exploration tant qu’elle continuerait de bouger les lèvres avec sensualité. Les sensations de leurs bouches l’une contre l’autre, la façon dont leurs souffles se mêlaient lui plaisaient, et quand il fit descendre sa main dans son dos, il aima la façon dont elle s’arqua et pressa ses seins contre lui. Un gémissement lui échappa et sa verge durcit. Elle aussi gémit doucement et entrouvrit les lèvres afin qu’il puisse l’embrasser de plus belle. Leurs langues dansaient, se touchaient, reculaient et se touchaient de nouveau à un rythme érotique de plus en plus rapide à mesure qu’ils s’embrasaient de désir.

Il fit remonter ses doigts le long de son bras puis les posa à l’arrière de sa tête sans cesser de l’explorer. Elle bougea juste assez pour glisser une jambe entre les siennes, ce qui lui coupa le souffle. Son grognement sourd parut soudain extrêmement bruyant dans le couloir, et se rappelant enfin qu’ils se trouvaient dans un espace public, il rouvrit les yeux. Ils n’étaient pas seuls.

Derik mit lentement fin au baiser, son regard noir posé sur le groupe de guerriers qu’il voyait par-dessus l’épaule d’Amelia. Ils les observaient avec une intense fascination et un plaisir évident. Instinctivement, il attira sa tête contre son épaule pour l’abriter.

— Heu, Derik, murmura-t-elle.

— Ignore-les, répondit-il tout bas.

Elle gloussa.

— C’est difficile quand on est encerclés, dit-elle en reculant avant de se tourner vers les hommes, un sourcil haussé. Vous êtes tellement en manque que ça, les gars ? Vous n’avez qu’à prendre des photos tant que vous y êtes. Vous pourrez continuer à regarder même quand on aura fini.

— On peut ? demanda l’un des guerriers en souriant.

— Est-ce que toutes les femelles humaines sont aussi affectueuses ? s’enquit un autre.

— Bien sûr qu’elles le sont ! Vous n’allez pas aux soirées films romantiques de Tilly le vendredi soir ? s’étonna un troisième guerrier.

— Je préfère ses soirées boissons du jeudi. Elle sert différentes bières avec son popcorn, proclama un quatrième guerrier, tout sourire.

Derik s’apprêtait à leur ordonner de partir avant qu’ils ne contrarient Amelia, mais son éclat de rire l’arrêta. Son visage était rougi et ses yeux pétillaient. Sa beauté lui coupa le souffle.

— Sérieux, allez vous acheter une vie, les mecs, dit-elle en continuant de glousser.

— On essaie ! C’est très difficile de trouver une compagne sans aller dans votre monde. On doit attendre que le conseil redonne des missions qui impliquent le portail, répondit le premier guerrier avec un soupir mélancolique.

Amelia secoua la tête.

— Ce qu’il vous faut, c’est un site de rencontre. Ça vous aiderait, suggéra-t-elle.

— Un site de rencontre ? Est-ce qu’ASIA2 sait ce que c’est ? demanda Derik, les sourcils froncés.

— Probablement. Ce n’est pas si difficile à créer. Sur Terre, les gens les utilisent tout le temps pour trouver des personnes qui les intéressent, répondit-elle en haussant les épaules.

— Est-ce que ce site de rencontre nous aiderait à trouver nos âmes liées ? interrogea le deuxième guerrier.

— En théorie. Je n’en ai jamais utilisé, j’en ai juste vu quand je surfais sur Internet. Les pubs disent qu’ils vous aideront à trouver votre âme sœur, mais on sait tous comment ça se passe. Les pubs sont toujours un peu mensongères.

— Comment… ? commença un guerrier.

— Ça suffit, l’interrompit Derik. J’en parlerai au conseil, mais maintenant, j’aimerais passer du temps avec ma compagne.

— Peut-être que dame Tilly saura. Elle sait tout ce qu’il y a à savoir sur les femmes humaines et le sexe, commenta un guerrier tandis que le groupe s’éloignait.

Derik retint un grognement embarrassé. Il était certain qu’Amelia comprendrait vite qu’il était aussi perdu que les guerriers qui s’éloignaient. Sous son regard contemplatif, il lutta pour lui cacher son désarroi.

— J’en déduis que vous n’avez pas vraiment l’occasion de sortir avec des filles ici, conclut-elle calmement.

— Non, répondit-il à contrecœur.

Elle pencha la tête et l’observa quelques secondes. Il devinait qu’elle essayait de ne pas sourire, mais il savait également qu’elle était sincèrement curieuse.

— Alors, est-ce que t’es, genre, puceau ? s’enquit-elle avec désinvolture.

Derik comprit le réel sens de sa question. Elle voulait savoir s’il savait comment lui procurer du plaisir. Tous ses complexes redoublèrent d’intensité. Il voulait mentir et dire qu’il avait plus qu’assez d’expérience pour faire les choses bien. Le problème, c’était qu’il ne pouvait le faire sans qu’elle le sache.

— J’ai regardé les vidcoms explicatifs qu’ASIA2 a téléchargés et j’ai vu beaucoup de films que Tilly a présentés, répondit-il avec raideur.

Elle fit des yeux ronds.

— Waouh ! murmura-t-elle en secouant la tête avant de pivoter et de se remettre à marcher.

— Waouh ? répéta-t-il en fronçant les sourcils. Qu’est-ce que tu entends par « waouh » ? Est-ce que c’est un bon « waouh » ou un mauvais « waouh » ?

Il se dépêcha de la rattraper et elle lui adressa un sourire mystérieux.

— Eh bien, si tu embrasses aussi bien alors que tu as seulement regardé un tas de navets et des documentaires, je me demande ce que tu peux faire d’autre avec autant de talent, déclara-t-elle pensivement.

Il s’arrêta lorsqu’il comprit enfin ce qu’elle voulait dire. Un sourire niais étira ses lèvres. Elle aimait sa façon d’embrasser.

Non, j’adore, répliqua-t-elle effrontément.

Plusieurs jours plus tard, Amelia se trouvait dans les nouveaux quartiers de sa mère. Depuis la réunion du conseil, elles avaient pris le temps de parler de choses dont elles n’avaient encore jamais discuté. C’était bizarre… et étrangement réconfortant.

Au cours des derniers jours, leur relation avait changé. Avant, elles se montraient prudentes, plus focalisées sur le fait de survivre que de vivre, mais à présent, elles évoluaient de la simple relation mère-fille à celle d’amies. Elle releva le nez en entendant le petit soupir de sa mère.

— Qu’est-ce qu’il y a ? demanda-t-elle.

— Tu es si jeune et pourtant… tellement adulte, commenta Anne, s’asseyant dans le fauteuil en face du sien avec une tasse de thé chaud.

Elle lança un regard interrogateur à sa mère.

— Ouais, eh bien, c’est ce qui arrive quand on a une enfance comme la mienne, commenta-t-elle.

La Puce regretta sa répartie désinvolte lorsqu’elle vit les remords dans les yeux de sa mère avant qu’elle ne baisse le nez vers sa tasse fumante. Elle se tourna vers la fenêtre, attirée par l’ombre d’une navette volante.

— J’ai été lâche de rester, murmura sa mère. À la fin, je t’ai abandonnée pour me sauver.

La Puce la fusilla du regard.

— Non ! répondit-elle abruptement. Tu m’as protégée. Souviens-toi qu’il n’y avait pas que Lou. Fuir n’aurait mené qu’à ta mort et probablement à la mienne. On ne peut pas changer ce qui s’est passé. Les choses sont différentes maintenant. On n’a plus à craindre des gens comme Lou ou DiMaggio, ou même le gouvernement. Ils ne peuvent plus nous atteindre, dit-elle en désignant la fenêtre d’un geste de la main.

Les yeux de sa mère suivirent son mouvement.

— Ce monde est tellement beau, murmura-t-elle.

— Tu sais que tu pourrais rester ici. Tu n’es pas obligée de rentrer. Il y a d’autres Humaines ici. Elles semblent heureuses.

Anne se retourna vers elle, l’air surpris. La Puce grimaça en anticipant la réaction de sa mère à cette déclaration. Elle pouvait voir la question dans ses yeux. Le pire, c’était qu’elle sentait le rouge lui monter aux joues.

— Est-ce que c’est ce que tu comptes faire ? Rester ici, avec Derik ?

— Peut-être… Probablement… Je ne sais pas encore. Je réfléchis encore à tout ça, marmonna-t-elle.

— Il semble être un gentil jeune homme, continua sa mère.

— Il est cool, répondit-elle, regrettant d’avoir amené ce sujet sur le tapis.

— Est-ce que vous avez… ?

— Pas encore.

— Oh. Très bien. Si tu as des questions…, répondit sa mère avec embarras.

La Puce secoua la tête.

— J’ai dix-huit ans, presque dix-neuf. Je pense avoir une assez bonne idée de ce qui se passe entre un homme et une femme… probablement plus que Derik même, commenta-t-elle, un sourire amusé aux lèvres.

Sa mère écarquilla les yeux de surprise.

— Est-ce que tu veux dire qu’il est… ? s’étrangla-t-elle.

La Puce opina du chef.

— Ouais. Ils n’ont pas beaucoup de femmes ici, j’imagine, alors les gars passent la plupart de leur temps à s’entraîner à se taper dessus ou à taper sur leurs ennemis. Apparemment, il y a une espèce d’extraterrestres bizarres, les Juangans, que tout le monde déteste, parce qu’ils aiment attaquer et manger les gens, fit-elle en plissant le nez.

— Oh là là. Je me demande si…, commença sa mère avant de rougir.

— Ça ne m’étonnerait pas, gloussa la Puce, qui savait que sa mère pensait à Rav.

Les lèvres d’Anne tremblèrent, puis elle se mit à pouffer. Ce doux son fut contagieux et bientôt, toutes deux riaient aux éclats. La vie n’était vraiment pas la même sur cette planète ! Même entendre leurs rires paraissait étrange. Sa mère essuya une larme au coin de son œil et secoua la tête.

— Derik veut m’emmener quelque part… juste tous les deux, finit-elle par avouer.

— Où ça ? Pour combien de temps ?

La Puce haussa les épaules.

— Je ne sais pas. Deux ou trois semaines, peut-être. Il parlait de cet endroit qui s’appelle Quadrule Cinq. Ça serait trop génial de voler dans l’espace, dit-elle, se mordant la lèvre tout en reportant son attention sur la fenêtre.

Le silence suivit son commentaire. Elle fléchit les doigts et attendit de voir comment sa mère allait réagir. Ce n’était pas comme si elle lui demandait l’autorisation. C’était plus comme si elle lui demandait de l’accepter.

— Je pense que ce serait une merveilleuse aventure, Amelia.

Elle se retourna vers sa mère.

— Ouais, c’est ce que je me disais aussi. Mais, et toi ? Est-ce que ça va aller ?

— Ma chérie, je suis bien plus forte qu’avant. Je m’en sortirai. Et puis, qu’est-ce qui pourrait m’arriver ici ? Comme tu l’as si bien dit, Lou et DiMaggio ne peuvent plus nous atteindre, fit Anne avec un sourire.

— Ce n’est pas à eux que je pensais, répondit la Puce avec un sourire en coin.

Sa mère écarquilla les yeux et rougit de nouveau.

— Crois-moi, je ne suis pas près de m’approcher d’un de ces guerriers. Et puis, je crois que le gars de l’autre jour a abandonné. Je ne le vois plus traîner dans le coin. Je crois que j’ai enfin réussi à le faire fuir, rit Anne.

— Ouais, je pensais la même chose, et regarde où ça m’a menée ! marmonna la Puce entre ses dents.