CHAPITRE 29

— Je suis en position, déclara Afon.

— Moi aussi, confirma Marcelo.

Le ventre de Derik se noua.

— Amelia, tu es prête ? demanda-t-il doucement.

— Oui.

Sa réponse immédiate engendra une poussée d’adrénaline en lui. Il fit rouler ses épaules puis leva son fusil laser, en position pour tirer. Il passa ensuite en mode « silencieux ».

— J’éliminerai le premier garde quand il arrivera au coin. Marcelo, si tu as un bon angle de tir, tu élimines le second garde. Afon, prépare-toi, ordonna-t-il.

— Je vise le gars en doré. Quelque chose me dit que c’est le chef, répondit ironiquement Afon.

— Affirmatif, fit Derik.

Il attendit que le garde sur la droite de l’enclos fasse demi-tour, et tira au moment où il tourna au coin et qu’il fut brièvement caché des autres soldats.

Son tir toucha le Juangan à l’arrière de la tête et la force de l’impact le propulsa en avant. Il s’effondra devant la cage. Plusieurs hommes âgés à l’intérieur le regardèrent avec surprise avant d’observer les alentours. Trois d’entre eux cachèrent rapidement le soldat mort en se postant devant lui le long de la palissade. De sa position, Derik vit l’un des prisonniers tendre la main entre les barreaux et lui prendre son arme.

Marcelo tira presque en même temps. Il avait attendu que le Juangan sur la gauche commence à revenir sur ses pas. Un jeune homme à l’intérieur de l’enclos bondit sur ses pieds et attrapa le soldat par ses vêtements avant qu’il n’ait le temps de toucher le sol. Il tint la créature devant lui, s’en servant pour se cacher.

Reportant son attention sur la zone principale, Derik vit l’homme qu’Afon avait identifié crier des ordres. Il reconnut l’uniforme et l’armure que le Juangan portait ; c’était le commandant du vaisseau spatial. Il était inhabituel que ceux-ci quittent leurs vaisseaux, en raison du risque de mutinerie et de finir au menu de l’équipage.

— Où sont les chasseurs qui ont été déployés ? exigea de savoir le commandant.

— Ils ont intercepté un vaisseau prime qui entrait dans l’atmosphère, général Tusk, répondit un soldat.

Le général se tourna vers le Juangan qui lui avait répondu et ricana. Derik vit distinctement ses dents jaunes pointues sur ses gencives bleu foncé.

— Qu’est-ce qui s’est passé ? Où est le vaisseau prime ? aboya le général.

Le soldat s’approcha avec méfiance de son supérieur.

— Cinq chasseurs ont voulu l’intercepter. Le colonel Tusk a signalé qu’il s’agissait d’un vaisseau de transport et non de guerre avant qu’on perde le contact. Le système de communication de cette planète étant détruit, le vaisseau prime n’a pas pu envoyer de signal de détresse. Le dernier signal qu’on a reçu du colonel Tusk venait des Canyons Rouges. Une tempête de sable s’est levée peu après et nous n’avons reçu aucune communication depuis, général Tusk. Il ne reste plus que trois vaisseaux de transport et un seul chasseur sur la planète, monsieur. On ne voulait pas mener de recherches sans le bon équipement au cas où le vaisseau prime aurait survécu. On attendait l’arrivée de renforts.

Le général Tusk scruta les environs. Il poussa un rugissement de rage et brandit son épée, décapitant le soldat en un mouvement fluide. Le bras toujours levé, il se tourna vers les prisonniers.

— Ça, c’est pour avoir attendu. Chargez les prisonniers dans les vaisseaux de transports et préparez le chasseur, ordonna le général.

Derik mit un instant à faire le lien entre le nom du général et celui du colonel. Il ne se serait jamais attendu à ce qu’un Juangan se préoccupe de ses héritiers, mais c’était visiblement le cas de celui-ci. Il se demanda vaguement lequel des pilotes qu’ils avaient tués la veille était de la famille du général. Mais ça n’avait pas une grande importance. Le général rejoindrait bientôt son fils.

— Amelia, tiens-toi prête. Afon, si tu peux, tue ce salaud, dit Derik.

Il vit le flash de l’arme de Dolinski. La tête du général pivota dans sa direction en même temps. Le coup laissa une profonde entaille dans la peau écailleuse du cou du Juangan au lieu de le frapper en pleine tempe.

Le puissant rugissement de rage de Tusk fendit l’air. Derik le prit comme un signal pour commencer à tirer. Marcelo et Afon firent de même. Il se déplaça le long du mur derrière lequel il s’était mis à couvert, éliminant les soldats un par un.

— Visez bien la tête. Leur peau est trop épaisse et ça ne fera que les ralentir ! lança-t-il sèchement dans le communicateur.

— Je ne tire que pour tuer, répondit Afon en grognant.

Les têtes de trois Juangans partirent en arrière sous les coups de feu simultanés d’Afon, de Marcelo et de Derik. Du coin de l’œil, ce dernier vit Amelia tourner à l’angle de l’enclos et retirer la barre de la porte principale. Les hommes se précipitèrent pour ouvrir les battants.

Derik tira sur un soldat qui avait remarqué ce qui se passait. Des bouts de pierre volèrent dans tous les sens alors qu’une rafale de tirs laser criblait le mur derrière lequel il se tenait. Il se baissa et s’élança vers un bâtiment vide avant d’être propulsé en arrière quand il explosa brusquement.

Il roula et s’ébroua. Se relevant, il resta penché en avant et partit à toute vitesse vers un autre bâtiment. À peine s’était-il éloigné que le mur derrière lui explosa à son tour. Avisant un trou dans le mortier, il leva son arme et tira.

La tête du Juangan bascula en arrière et il tomba à la renverse. Le canon laser dans ses mains fit feu tandis que ses doigts se raidissaient dans la mort. L’une des boules de feu passa à travers la porte ouverte de l’un des vaisseaux de transport.

Des hurlements terrifiés se mêlèrent au vacarme assourdissant de l’appareil qui explosa. Derik fonça plus loin afin de voir s’il pouvait localiser Amelia. Il regarda éperdument autour de lui, tentant d’apercevoir sa fine silhouette au milieu de la masse chaotique de corps qui s’enfuyaient dans les ruines de la ville.

— Merde ! Je suis touché, jura Marcelo d’une voix douloureuse dans le communicateur.

— C’est grave ? interrogea Derik.

Un rire abrupt échappa à l’Humain.

— Je ne courrai aucun marathon pendant un moment, grogna-t-il.

— Afon, tu vois Amelia ? demanda-t-il.

— Négatif. Je suis sous un feu nourri. Ce trou à rats dans lequel je me cache est sur le point de s’écrouler, répondit-il d’une voix tendue.

— Les Juangans ont attrapé une dizaine de femmes et d’enfants. Ils les font montrer dans le vaisseau de transport qui est en train de démarrer. J’essayais de les arrêter, expliqua Marcelo.

— Continuez de tirer, ordonna Derik.

— Je n’ai plus de munitions, dit Afon.

Une série de tirs retentit.

— Mon arme est vide aussi, grogna Marcelo.

Derik baissa les yeux vers son fusil laser. La charge était basse et il ne lui restait qu’une batterie de rechange. Il jeta un coup d’œil à travers la fumée. Sans renforts, il ne faudrait pas longtemps au véhicule de transport pour demander au vaisseau de commandement en orbite d’envoyer d’autres chasseurs. Ils les pourchasseraient et referaient prisonniers tous les habitants.

— Quelqu’un a demandé des renforts ? intervint Amelia.

— C’est quoi ce bordel… ? siffla la voix stupéfaite d’Afon à son oreille.

Interdit, Derik vit une centaine de petits robots d’attaque survoler les ruines comme un essaim de guêpes en colère et commencer à tirer sur les derniers Juangans. Un petit rire lui échappa. Levant son fusil, il visa la tête du général Tusk et appuya lentement sur la détente.

Le Juangan se tourna dans sa direction au même moment. Un trou sombre apparut au milieu du front de la créature. L’épée scintillante dans sa main s’abaissa doucement avant qu’il ne s’effondre, mort.

Les robots d’attaques de Brock éliminèrent rapidement les derniers soldats qui occupaient le centre de la ville. Les seuls qui restaient étaient les Juangans à bord du vaisseau de transport qui survolait la ville. Derik pointa son fusil vers le moteur avant de l’abaisser lorsqu’il se rendit compte que si le vaisseau s’écrasait, personne ne survivrait. Cette brève hésitation lui coûta sa seule chance de l’arrêter.

— Faites le point, ordonna-t-il.

Il retira la batterie vide et inséra la dernière qui lui restait. Fusil à l’épaule, il sortit de derrière le mur. De petits groupes d’habitants émergeaient des ruines. Parmi eux, il aperçut Afon, qui aidait un Marcelo en sang.

Il abaissa son fusil et les rejoignit.

— Où est Amelia ? demanda-t-il.

Afon fronça les sourcils et regarda autour de lui.

— Je ne l’ai pas vue, répondit-il en aidant Marcelo à s’allonger sur un rocher.

— Qui a lancé l’essaim de robots d’attaque ? interrogea ce dernier avant de grogner quand il étendit sa jambe.

ASIA2 apparut soudain à côté de lui sur la pierre. Elle portait une robe fluide blanche et une grande capeline de la même couleur. Des lunettes de soleil sombre complétaient sa tenue.

— Moi, bien sûr. Amelia m’a demandé si on avait quelque chose à bord du vaisseau qui pouvait aider et je me suis souvenue des boîtes de robots d’entraînement. Ce n’était pas difficile de les reprogrammer pour qu’ils deviennent des robots d’attaque mortels. Brock en avait envoyé un nouveau lot amélioré au cas où Derik aurait du mal avec Amelia et aurait besoin de se défouler de sa frustration. C’est vraiment incroyable de voir à quel point je fonctionne mieux quand je ne souffre pas de bugs ! expliqua-t-elle.

— ASIA2, où est Amelia ? exigea de savoir Derik avec un sentiment d’inquiétude croissant.

— Oh, DAR et elle sont à bord du vaisseau de transport avec les femmes et les enfants, répondit-elle, un sourire aux lèvres.

— Elle est à bord…

Derik lâcha un chapelet de jurons.

Il pivota dans la direction où il avait vu le vaisseau pour la dernière fois. Il avait le cœur au bord des lèvres à l’idée qu’Amelia soit aux mains des Juangans. S’il avait tiré comme il l’avait envisagé…

Je vais bien. DAR m’apprend à piloter. On a déposé les femmes et les enfants dans un petit camp découvert par DAR. On dirait le début d’un camp rebelle. On se dirige vers ton vaisseau avec la pièce dont tu avais besoin, le rassura-t-elle joyeusement.

Derik chancela de soulagement. Son regard passa du vaisseau de transport au chasseur. Il se tourna vers ASIA2, puis Afon.

— Tiens, dit-il en plaquant un injecteur dans la main de l’Humain. Donne ça à Marcelo. Il sera guéri dans quelques heures. Dès qu’il pourra voyager, retournez au glisseur et rejoignez le vaisseau, ordonna-t-il en tournant les talons.

— Qu’est-ce que tu vas faire ? lança Afon derrière lui.

— Je vais avoir une conversation privée avec ma compagne !

— Oh là là, murmura ASIA2 avec un rire délicat.

Les sourcils froncés, Afon regarda Derik courir vers le chasseur juangan et secoua la tête, incrédule, quand il s’envola, le laissant seul avec ASIA2 et un Marcelo blessé. Il reporta son attention sur son chef de la sécurité en l’entendant gémir doucement.

— Comment est-ce qu’on est censés retourner au vaisseau spatial, bon sang ? grogna Marcelo.

ASIA2 balaya sa question d’un geste de la main.

— Oh, ne vous inquiétez pas, je vous guiderai. Afon, mon chéri, sois un amour et fais l’injection à ton ami. Les nanorobots le guériront en un rien de temps, comme l’a si bien dit Derik, lui conseilla-t-elle d’une voix distraite.

Il sortit l’injecteur de sa poche et l’étudia une seconde avant d’en presser la pointe contre la jambe de Marcelo à travers un trou de son pantalon. Il appuya sur le bouton.

Marcelo lâcha une série de jurons d’une voix éraillée avant que ses yeux ne roulent dans leurs orbites et qu’il ne commence à tomber la tête la première. Afon le retint. Avec l’aide de deux hommes qui s’étaient précipités vers lui avec une civière modifiée, ils allongèrent son ami sur le sol.

Il se redressa pour demander à ASIA2 si c’était normal, mais s’arrêta en voyant ses yeux briller d’une teinte rouge. Elle avait retiré ses lunettes de soleil et fixait intensément le vaisseau de transport juangan. Un frisson le parcourut à la vue du sourire satisfait qui étirait ses lèvres rouges.

— Qu’est-ce que tu fais ? s’enquit-il doucement.

Elle se tourna vers lui. Quelques secondes passèrent avant que le vert vif de ses yeux remplace le rouge, mais une fois que ses iris eurent repris une couleur normale, il devint difficile de dire que ce n’était pas une vraie femme.

— J’envoie un cadeau au vaisseau de commandement juangan, répondit-elle effrontément.

Afon se tourna vers le vaisseau de transport qui s’élevait lentement du sol et pivotait. Quelques secondes plus tard, il quittait l’atmosphère. Il reporta son attention sur elle.

— Qu’est-ce que tu as fait ?

Elle déplia d’un geste sec les branches de ses lunettes de soleil et les chaussa sur son nez mutin. Il serra les dents alors qu’elle tapotait ses cheveux et ajustait son chapeau. Ce ne fut que lorsqu’elle eut vérifié que son rouge à lèvres n’avait pas besoin de retouche dans un miroir, apparu comme par magie dans sa main, qu’elle le considéra avec amusement.

— J’ai envoyé un message aux autorités de Baade. Puis j’ai ordonné au vaisseau de transport de s’amarrer au vaisseau de commandement juangan… où un malheureux problème de programmation fera surchauffer les moteurs, ce qui provoquera une explosion spectaculaire, l’informa-t-elle calmement.

Afon se redressa en entendant les habitants pousser de petits cris. Au-dessus d’eux, l’explosion du vaisseau spatial ressemblait à un beau feu d’artifice. Les débris changeaient de couleur en entrant dans l’atmosphère avant de se désintégrer.

Pour la première fois depuis sa capture, Afon ressentit l’énormité de la situation. Ce n’était pas la Terre. Ce n’était pas de la technologie humaine. Il observa la foule de plus en plus nombreuse autour de lui. Sans les protections qui leur couvraient le visage, il pouvait voir qu’il y avait des personnes de toutes les formes, de toutes les tailles et d’espèces différentes. Aucune ne ressemblait de près ou de loin à un Humain — sauf ASIA2.

Il baissa les yeux vers Marcelo. L’homme qu’il avait engagé comme son chef de la sécurité était devenu tellement plus au cours des dernières semaines. Il le considérait comme un ami. Cela ne lui était encore jamais arrivé.

— Tu peux refaire ta vie ici, Afon. Tu voulais repartir de zéro. Pourquoi ne pas laisser une chance à notre monde ? suggéra doucement ASIA2.

Il se renfrogna en s’apercevant que ses pensées étaient si faciles à deviner, même pour un superordinateur.

— Je n’ai rien ici.

L’IA lui offrit un tendre sourire.

— Au contraire, je pense que tu as tout ce qu’il faut avoir, rétorqua-t-elle.

Il baissa de nouveau la tête lorsque Marcelo bougea, et il posa une main sur l’épaule de son ami pour l’empêcher de se relever. Ce dernier ouvrit les yeux, cilla et afficha un sourire hagard.

— Est-ce que… on rentre… à la maison ? Au vaisseau ? bégaya-t-il.

Afon serra l’épaule de Marcelo.

— Oui, mon ami. On rentre, promit-il doucement.

Derik posa le chasseur juangan à un peu plus d’un kilomètre et demi de l’endroit où était caché le vaisseau. Il trouvait plus prudent de finir à pied et de se laisser le temps de se calmer. Imaginer les Juangans la torturer l’avait rapproché du point de rupture. Lorsqu’il prit conscience qu’il avait failli la tuer, il se sentit physiquement malade.

Il se mit à trottiner, ne ralentissant que pour entamer la descente dans le canyon. Le temps d’y parvenir, il avait retrouvé son calme. C’était incroyable ce qu’un laps de temps si court — passé à essayer de ne pas se tuer — pouvait faire pour aider à relativiser.

Je suis contente que tu te sentes mieux, observa-t-elle, pince-sans-rire.

Ça fait longtemps que tu écoutes mes pensées ? demanda-t-il en grimaçant.

Hmm, oui, j’ai pour ainsi dire tout entendu. J’ai trouvé tes plans de m’attacher particulièrement intéressants. Il faut que je te prévienne que quelques personnes ont déjà essayé par le passé et ça ne s’est jamais bien fini pour eux, plaisanta-t-elle.

Oui, mais est-ce qu’ils t’ont attachée avec amour ? répondit-il sur le même ton taquin.

Non, et c’est pour ça que tu es le plus créatif de tous, rit-elle.

Derik aperçut le vaisseau sous le surplomb rocheux. Son sourire s’élargit quand il vit Amelia, assise sur un rocher, les genoux remontés contre sa poitrine et le menton posé sur ses bras. Elle se leva lentement en le voyant.

À quelques mètres d’elle, il écarta les bras. Elle s’avança et accéléra pour lui sauter dessus. Il la rattrapa, passa un bras dans son dos et soutint ses fesses de l’autre. Elle enroula ses jambes autour de sa taille et l’étreignit, enfouissant son visage dans son cou avec un reniflement étouffé.

Ils ne dirent pas un mot. Après plusieurs minutes, il la reposa doucement et plaça délicatement une mèche de cheveux derrière son oreille.

— Comment va Marcelo ? demanda-t-elle, levant une main pour toucher la sienne sur sa joue.

— Il va s’en sortir. J’ai donné un injecteur de guérison à Afon. C’était intelligent, d’utiliser les robots d’entraînement.

Elle lâcha un petit rire.

— C’était l’idée d’ASIA2 d’utiliser les robots, mais tu sais que je suis un as de la cyberguerre. On l’a fait ensemble. J’ai demandé à ASIA2 de programmer les robots pour attaquer seulement les Juangans. Ensuite, j’ai vu deux lézards qui faisaient monter des femmes et des enfants dans le vaisseau, alors je me suis mêlée à eux. Je ne pouvais pas laisser ces monstres les emmener, Derik, pas après que tu m’as dit ce qui leur arriverait, fit-elle en déglutissant avant murmurer : J’ai tué les lézards.

Elle fixa son torse en prononçant ces derniers mots. Il fit descendre ses doigts le long de sa joue jusqu’à son menton et elle releva des yeux brillants vers lui.

— Les Juangans ne méritent pas tes larmes, Amelia. Ils auraient égorgé les femmes et les enfants sans hésiter, la réconforta-t-il.

Elle renifla et hocha la tête.

— Je sais. DAR a dit la même chose. Il m’a aidé à piloter le vaisseau. C’était pas aussi difficile que ce que je croyais.

Il rit en voyant ses yeux s’illuminer d’émerveillement.

— Je compte toujours t’apprendre à piloter une navette. Mon idée de t’emmener passer quelques jours au calme n’a pas très bien fonctionné. On va devoir rentrer sur Baade pour que je puisse réparer correctement notre vaisseau et informer le conseil de ce qui s’est passé ici, dit-il avec un grand soupir.

— Le voyage était amusant et la nuit dernière plutôt excitante, lui rappela-t-elle.

Il attrapa sa main qui caressait sa peau dans l’ouverture de sa chemise. La portant à ses lèvres, il embrassa le bout de ses doigts. Il haussa un sourcil et lui offrit un sourire suggestif.

— On pourrait encore rendre ça excitant.

— Voilà qui m’intéresse, souffla-t-elle.

Elle lui donna un tendre baiser. Il ferma les yeux, accueillant le raz-de-marée de sensations qui déferla en lui. Il voyait les délicats fils d’argent scintillants qui les liaient s’enrouler autour d’eux, les envelopper de leur beauté.

Des fragments de souvenirs refirent surface dans son esprit. Il ignorait si c’était les siens ou ceux d’Amelia. Mais cela n’avait aucune importance. Il revoyait ses beaux yeux pleins de défi qui soutenaient son regard à travers l’étroite ouverture dans le mur, la nuit de leur rencontre, son sourire excentrique quand elle l’observait, son tendre contact quand il avait été blessé, et son émerveillement quand il l’avait prise pour la première fois. Ces merveilleux moments l’emplirent d’un sentiment de paix.

Il rouvrit les yeux lorsqu’elle mit fin au baiser et lui caressa la joue. Il vit les fils d’argent dans ses yeux et sut qu’elle revivait les mêmes émotions. Elle était défiante face au danger, et elle était entêtée, forte, intelligente et magnifique. Il n’aurait pas voulu qu’elle soit différente.

— Je t’aime, Amelia, murmura-t-il d’une voix rendue rauque par l’émotion.

Elle lui adressa un sourire larmoyant et pencha la tête.

— Je sais, répondit-elle doucement.

— Aujourd’hui, j’ai failli te perdre tellement de fois. Mon cœur me fait mal, parce que j’ai peur de ne jamais revoir ton beau sourire ou de ne jamais ressentir la chaleur de tes mains sur moi. Les deux années d’attente…

Il secoua la tête ; l’émotion l’empêchait de continuer.

— Ce n’est pas moi qui me suis fait tirer dessus, lui rappela-t-elle d’un ton taquin avant de redevenir sérieuse. Le timing n’était pas bon. Je n’étais pas prête à t’accepter. Tout finit toujours par s’arranger, même si ça n’en a pas l’air sur le moment. C’est ma mère qui me l’a dit il y a longtemps. Parfois, c’est difficile à croire, mais tout arrive pour une raison. On a beaucoup de raisons de vivre.

— Oui, c’est vrai.

— Si les gars ne reviennent pas tout de suite, j’aimerais juste passer du temps avec toi, dit-elle en se mordant la lèvre.

— Est-ce que tu me proposes un rendez-vous ? demanda-t-il, un sourcil haussé.

Elle pencha la tête et étudia son visage pendant une seconde avant d’acquiescer lentement.

— Ouais, j’imagine que oui, répondit-elle d’une voix songeuse.

Il se pencha et déposa un baiser sur ses lèvres.

— Ça me plairait beaucoup, murmura-t-il.

Elle glissa sa main dans la sienne et se retourna. Il contempla le canyon. Ce n’était peut-être pas ce qu’il avait prévu, mais l’endroit où ils se trouvaient avait-il réellement une importance, tant qu’ils étaient ensemble ?

— Alors, je n’ai jamais invité personne à un rendez-vous. Qu’est-ce qu’on est censés faire, exactement ? demanda-t-elle soudain.

— Je n’en ai pas la moindre idée. J’imagine qu’on peut faire ce qu’on veut, rit-il.

Marchant à reculons, elle lui sourit.

— Est-ce que tu veux regarder la programmation d’ASIA2 et de DAR ? J’ai trouvé un bout de code qui va te couper le souffle, suggéra-t-elle, son expression pleine d’espoir.

— J’ai hâte, dit-il avec un petit rire.

Mais étudier le code des IA n’était pas exactement ce qu’il avait en tête. Il passa un bras autour d’elle et la fit pivoter vers le vaisseau. Son monologue enthousiaste sur le code captura son attention et lui fit prendre conscience d’une chose : il ne s’ennuierait jamais avec sa petite hackeuse.

À près d’un kilomètre et demi de là, une silhouette solitaire avançait en chancelant vers le chasseur juangan, une épée brillante entre ses griffes ensanglantées. Le colonel Tusk progressait à pas prudents. Il scruta la vaste étendue qui l’entourait, à la recherche des occupants qui avaient abandonné le vaisseau spatial.

Il mit un genou à terre dans le sable et fit courir une griffe sur le contour d’une botte. Il releva les yeux avec un rictus triomphant. Son grognement fut emporté par le vent. Il se passa douloureusement une main sur le visage pour éclaircir sa vision brouillée. Sa peau était à vif à cause du sable soufflé par le vent. Du sang bleu foncé coulait sur son visage depuis sa plaie à la tête, se mêlant au sable et recouvrant sa main d’une substance collante.

Se relevant, il ignora la douleur qui pulsait dans son corps. Il avait survécu au crash, seulement pour frôler la mort dans la tempête de sable. C’était sa soif de vengeance qui l’avait poussé à continuer. Il leva la tête vers le ciel, où des débris en feu étaient encore visibles.

Le temps du changement était venu. Les Juangans avaient besoin d’un dirigeant qui les unirait face à un ennemi commun. Sa rage renforça sa détermination. Il était temps qu’un nouveau régime contrôle les galaxies. Une guerre se préparait et c’était lui qui allait la mener. Il était temps de montrer aux Primes qu’ils n’étaient plus l’espèce la plus forte de la galaxie.

S’approchant du chasseur d’un pas vacillant, il monta à bord. Après avoir fermé la porte, il prit un kit médical en se rendant vers le poste de pilotage. Quelques minutes plus tard, il quittait l’atmosphère, son véhicule passant au milieu du cimetière volant qu’était le vaisseau de commandement de son père.

— J’arracherai personnellement le cœur de Teriff ‘Tag Krell Manok, mais pas avant d’avoir tué tous ses enfants et leurs compagnons, gronda-t-il.

Il regarda l’écran lorsque le capteur émit une alerte ; plusieurs imposants vaisseaux de guerre approchaient. Programmant sa destination dans l’ordinateur, il effectua le saut spatial à la vitesse de la lumière au moment même où ils apparaissaient de l’autre côté de la planète. Bientôt, ce serait son vaisseau de guerre qui se déplacerait en toute liberté à travers la galaxie, jura-t-il silencieusement, plaqué contre son siège par la vitesse.