6
ou The Sky Is Falling
— Je sais que tu es encore amoureux d’elle, vieux.
Oh, par pitié, arrête de m’appeler « vieux » ! Qui utilise encore ce terme, à part les Américains et ceux qui ont connu les années 1950 ? Gary a trente ans et il vient du Hertfordshire.
J’avais fermé la boutique – Dev comprendrait – et accepté à contrecœur un « petit café… histoire de prendre des nouvelles… juste une petite conversation, pour mettre les choses à plat ».
Cela faisait dix minutes que je regardais distraitement les mots sortir de la bouche de Gary. De grands mots bien lisses, creux, flous. Et puis, comme quand on émerge d’un long tunnel en ayant oublié que l’autoradio était allumé, j’ai entendu :
— … dur pour toi de la voir avec un autre.
Cela a rappelé mon attention à l’ordre.
— Mais, à un moment donné, tu dois accepter la responsabilité de tes actes. Lever les mains, dire « OK, j’ai merdé » et passer à autre chose. Sinon, ta vie ne vaudra pas le coup d’être vécue.
De la part de n’importe qui d’autre, cette dernière phrase aurait pu être intimidante. Sonner comme un avertissement, un coup de semonce. Venant de Gary, elle faisait l’effet d’un commentaire à deux balles d’un mauvais épisode de Dr Phil.
J’ai tenté d’interrompre le flot de paroles.
— Ce n’est pas ça, je ne suis plus amoureux d’elle, ai-je assuré en contemplant ma tasse de café.
Mais il m’a ignoré.
— On a tous connu ça un jour, Jason.
Et c’est là que j’ai remarqué sa polaire. Dubai Desert Classic 2004. Ornée d’un petit logo des Emirats. Lisse et douce, sans une peluche. Il en prenait soin.
— Ce que je veux dire, c’est qu’on a quelqu’un, et puis on le perd. C’est comme ça que va le monde. La vie est trop courte.
J’ai compris soudain qui était Gary : quelqu’un qui pouvait dire « La vie est trop courte » comme s’il venait d’inventer ça lui-même. Probablement se prenait-il pour un génie d’avoir trouvé une réflexion aussi profonde. Je parie qu’un jour il verra la phrase placardée sur un autocollant à l’arrière d’une voiture et se sentira spolié.
— Tu dois profiter de chaque jour comme s’il était ton dernier, a-t-il ajouté en feignant au moins de trouver cette conversation étrange et en examinant une tache sur la nappe. Et si tu te consumes en vain pour quelqu’un…
— Je t’assure que je ne me consume pas pour Sarah. J’avais bu, l’ordinateur était allumé et, oui, je reconnais que j’ai fait des erreurs – que j’en ai fait une énorme –, et tu peux te féliciter de n’en avoir jamais fait de pareille, mais on fait tous des erreurs dans la vie, Gary.
Oh non. Cette phrase-là sortait de ma bouche. « On fait tous des erreurs dans la vie. » Je suis pire que Gary.
— Ça ne sert à rien de vivre dans le passé, Jason.
Et c’était reparti…
Cette situation était un vrai calvaire. J’avais l’impression de me faire réprimander par un adulte. Un homme, un vrai. Parfaitement capable d’accepter sans sourciller l’échec d’une relation amoureuse. Ce qui expliquait, je pense, pourquoi Gary prenait autant de plaisir à cette conversation. Il n’était pas mû par la pitié ni l’inquiétude. Il faisait ça pour dire : « Regarde-moi. Regarde ce dont je suis capable. Non seulement je peux réussir ma relation de couple avec Sarah, mais j’ai assez de maturité pour pouvoir te dire où tu t’es planté et pourquoi tu es un minable, tout en continuant à donner l’impression que je te rends un service. Tu devrais vraiment essayer le chapeau haut de forme. »
Bien. J’en avais assez entendu. J’ai fait de mon mieux pour avaler cul sec une demi-tasse de café et j’ai déclaré :
— Ecoute, Gary, je ferais mieux d’y aller.
J’ai reculé ma chaise de quelques centimètres en signe de détermination.
— Dev doit se demander pourquoi j’ai fermé la boutique. Il est en train d’apprendre une chanson polonaise. Et le mardi entre trois et quatre, c’est notre créneau le plus fréquenté de la semaine. Son créneau, je veux dire. Moi, je ne travaille pas là.
Gary a paniqué.
— Avant que tu y ailles, vieux… Ecoute, ce n’est pas à moi de te le dire mais…
Mais quoi ?
Gary hésitait toujours, comme s’il y prenait plaisir. Moi aussi, d’ordinaire, j’aime bien marquer des pauses, des temps d’hésitation. Dans n’importe quel contexte, je peux même faire des pauses d’une minute ; c’est comme un cadeau. Sarah disait souvent que la vie advient durant les pauses, que certaines sont sublimes ; d’autres réconfortantes. Le temps de pause qu’un chauffeur de taxi observe après que vous lui avez indiqué un nom de rue, et juste avant le hochement de tête qui confirme qu’il connaît le chemin. La pause entre chaque pub au cinéma, quand musique et images disparaissent d’un coup et qu’il ne reste que la lueur d’un téléphone portable qu’on éteint ou le froissement lent et timide d’un emballage de friandise. Mais cette pause-là… elle ne laissait rien augurer de bon. Elle n’avait rien de réconfortant.
— Non, oublie.
— Quoi donc ?
— Non, ce n’est pas à moi de le dire.
— De dire quoi, Gary ?
Une dernière pause, décisive. Brève cette fois, mais pas de meilleur augure.
— Non.
Et sur ce, il a posé un billet de cinq sur la table, il a souri et il a reculé sa chaise à son tour.

 

— Si tu veux.
Gary avait insisté pour me raccompagner jusqu’à la boutique. J’avais essayé de lui prouver combien j’étais occupé en divisant la petite pile que j’avais inutilement faite plus tôt, mais ça ne me donnait pas l’air particulièrement débordé. Ça me donnait juste l’air d’un type qui fait des piles.
Vous voyez ce que je veux dire.
Gary avait tripoté quelques coffrets de jeux et lu leur présentation à voix haute. Gary fait partie de ces gens qui ont la manie de lire à voix haute. « Deux pour le prix d’un ! » s’était-il écrié d’une voix guillerette lorsque nous étions passés devant la station Esso. « Croissants frais ! » Que voulez-vous répondre à « Croissants frais ! » – ou pire à « Alimentation & Spiritueux » ?
Et le pompon : il venait de tomber sur les photos. Je n’avais pas eu le temps de les mettre hors de portée.
— Elles sont à toi ? a-t-il demandé.
J’ai dû réprimer une réaction spontanée de gêne.
— Ouais. Non. A une amie.
J’ai tendu la main pour l’inciter à me les rendre, mais il était fasciné.
— C’est qui ?
— C’est… comme je viens de te le dire, c’est une copine. Une bonne amie.
Une bonne amie ?
Il a continué à l’observer, à l’étudier. Je voyais ses yeux aller et venir sur cette première photo. Je savais ce qu’il était en train de faire. Il la comparait à Sarah, il cherchait à déterminer qui était le vainqueur.
— C’est bien, Jason, a-t-il lâché, finalement, en étalant les photos en éventail devant lui. C’est bien d’avoir des amis.
J’ai hoché la tête. Bon, où était le mal ? Si Gary s’imaginait que je traînais avec de jolies blondes au regard pétillant, peut-être le dirait-il à Sarah ? Sauf que non, bien sûr, jamais il ne ferait ça. Cela me rendrait bien trop séduisant. Non, Gary allait raconter à Sarah que je travaillais dans une boutique de jeux vidéo et que je portais un pull orné d’un dessin de matelot.
— Whitby, a-t-il ajouté alors d’un ton mélancolique.
— Hmm ?
— C’est Whitby, n’est-ce pas ? Je reconnais l’abbaye, a-t-il dit en désignant un des clichés.
Elle – qui qu’elle soit – portait une écharpe rouge et riait de ce que lui disait la personne qui prenait la photo. C’était une de mes préférées. On ne pouvait pas voir le vent, mais on pouvait presque le sentir. Un vent vif, mordant, qui délogeait les toiles d’araignée, nettoyait tout sur son passage. A l’arrière-plan, tout en haut d’un escarpement, se trouvait le bâtiment que Gary dissimulait maintenant sous son doigt.
J’ai fait de mon mieux pour les récupérer discrètement. Ces photos étaient à moi. Bas les pattes, Gary.
— J’y suis allé souvent, gamin. Pas tout seul, évidemment. Papa avait une caravane, et il aimait bien ce coin. Quand es-tu allé à Whitby ?
J’ai réussi à hocher la tête et à la secouer dans un seul et même mouvement. Mais sans doute Gary a-t-il tranché mon indécision.
— Eh bien, bonne chance, Jason.
Je l’aurais volontiers regardé disparaître, mais j’avais la photo à la main et je ne voulais pas en détacher les yeux.

 

Dev a réapparu une heure plus tard en fredonnant un air que je n’avais jamais entendu.
— C’est Bo jestes Ty, de Krzysztof Krawczyk, a-t-il précisé. Et je n’ai aucune idée de ce que je viens de dire.
— Ça parle de quoi ?
— D’amour. D’un amour qui ne veut pas mourir, qui se languit, qui fait mal. Le genre d’amour que seul un mec qui tient une boutique de jeux vidéo peut éprouver pour une serveuse polonaise prénommée Pamela. Tu faisais quoi ?
— Gary est passé.
Dev a fait mine de se décomposer. Mais je sais qu’il adore ce style d’histoire.
— Que voulait-il ?
— Mettre les choses à plat. S’assurer qu’on n’était pas fâchés. Et me traiter de « vieux ».
— Il est génial, ce Gary. Enigmatique.
— Mais aussi, je pense, m’énerver.
— Comment ça ?
— Il a fait des pauses.
— Des pauses ?
— Oui, des pauses délibérées. Il a commencé à me dire un truc. Puis il a marqué une pause. Et finalement, il ne m’a rien dit.
— Les gens marquent parfois des pauses, en parlant. J’en fais, parfois.
— Toi, tu appuies sur pause. Et ce n’était pas simplement une pause. C’était une pause ostentatoire.
— Moi aussi je marque parfois des pauses ostentatoires. Je l’ai fait pas plus tard que l’autre soir. Les gens ont remarqué que j’avais fait une pause. A ta place, je ne me mettrais pas martel en tête.
— Je pense juste que…
— Arrête de penser. Si tu penses, tu n’arriveras jamais vraiment à l’oublier. Penser ne sert qu’à prolonger les tourments.
Voilà comment j’ai décidé de ne plus penser.

 

En haut, j’ai terminé ma critique des aventures de Bob et Alex (un 3 sur 5, je dirais), et je suis passé à la suite.
Enigmash-up : Un voyage initiatique du Moi au Ça, via Toi, Moi et Eux, ai-je tapé. Le curseur s’est mis à clignoter, aussi surpris par la phrase que je l’avais été moi-même.
Qu’allais-je bien pouvoir écrire à ce sujet ?
J’ai lu attentivement le petit prospectus. Pas mal de mots étaient imprimés en caractères gras sans qu’on comprenne pourquoi, et il y avait beaucoup trop de points d’exclamation.
« Kaiko Kakamara est parmi les nouveaux artistes les plus surprenants d’Angleterre !! Sa vision et sa ténacité ont mis le feu à la scène artistique, et on compte au nombre de ses admirateurs… »
J’ai senti soudain que la volonté de vivre m’avait déserté et j’ai poussé un lourd soupir. Bon, l’art est subjectif, non ? Donc, mon opinion est aussi valide qu’une autre. Est-elle cependant valide même si je n’ai pas vu l’exposition ?
Oui, je pense. Je me suis lancé.
Avec des admirateurs au nombre desquels on compte…
Et dix minutes plus tard, j’ai envoyé le tout par e-mail.
Je me suis reculé contre mon dossier et j’ai pensé à Gary. Pourquoi avait-il marqué cette pause ? Et qu’aurait-il pensé, s’il avait su que j’avais en ma possession les photos d’une inconnue ?
Et puis mon téléphone a sonné. C’était Zoe.
— Salut, tête de nœud. Les mots te viennent-ils aisément ?
— Je viens juste de te les envoyer par mail.
— Et tu en penses quoi ?
— A toi de me le dire !
— Non, que penses-tu de l’exposition ?
J’ai repris le prospectus.
— Oh, tu sais. Etonnant. Plein de visions et… de ténacité.
— Mince alors, tu as l’air de maîtriser. Et moi qui ne t’avais jamais pris pour un amateur d’art.
— Eh bien, il s’avère que j’en suis un.
— Tu te souviens, à la fac, quand on était dans cette maison de Narborough Road, avec Dev et cette Française qui était aux Beaux-Arts ? Elle t’avait demandé de poser pour elle et tu avais failli déménager parce que tu croyais qu’elle te demandait de poser nu ?
J’ai éclaté de rire.
— Elle voulait juste que tu t’asseyes sur un banc en tenant une pomme !
Elle riait, maintenant, de ce rire familier, rauque. On avait bien failli être ensemble, Zoe et moi, si vous voyez ce que je veux dire. Rien qu’une fois à la fac, après une de ces soirées School Disco à la mode. Comme sa cousine, de passage en ville, était violemment malade dans sa chambre, Zoe était venue me rejoindre discrètement dans la mienne et nous avions regardé Les Goonies jusqu’à l’aube. Donc, je savais qu’elle m’aimait bien, autrefois. Peut-être était-ce encore le cas ?
— Bref, je ne t’y ai pas vu.
— Hmm ?
— Je ne t’ai pas vu à la galerie.
Je me suis figé. Plaisantait-elle ?
— Que veux-tu dire ?
— L’exposition. J’y suis passée, finalement.
Etait-ce du bluff ? Ou bien avais-je été démasqué ?
— Alors comme ça, tu étais là, ai-je soufflé à mi-voix, sans trop savoir si la réplique, que j’espérais badine, n’allait pas à l’inverse trahir ma peur.
— Oui. J’ai eu envie d’y faire un saut. Dans quel coin étais-tu ?
— Je devais être… dans l’autre partie.
— Quelle autre partie ?
— Celle qui était après la partie principale.
— Il n’y avait pas d’autre partie. C’est à peine s’il y avait une partie principale.
— Bon, tu sais, je n’ai fait que passer et comme c’était noir de monde, j’ai juste…
— C’était à moitié désert. Tu n’es pas passé.
J’ai distingué à l’arrière-plan un discret son d’alerte émis par son ordinateur. Merde. Mon mail. Il venait d’arriver.
— Si, j’y suis passé ! J’ai passé la tête à la porte !
S’il te plaît, crois-moi. S’il te plaît.
— Jason…
Et là, j’ai commencé à transpirer parce que je l’entendais déplacer sa souris, cliquer sur une pièce jointe, l’ouvrir.
— As-tu soumis une critique sans avoir vu ce dont tu parles ?
Etait-ce sa tactique ? Me rappeler le bon vieux temps, pour me déstabiliser ?
— Non… Je… j’y suis allé, mais peut-être ne m’as-tu pas vu…
— « Avec des admirateurs au nombre desquels on compte Evan Dando et Carl Barat… » a-t-elle commencé et aussitôt mon estomac s’est retourné car c’était exactement en ces termes que débutait ma critique. « … Kaiko Kakamara est un artiste à la vision surprenante. » Eh bien, Jason, c’est ta vision qui m’en bouche un coin.
— Zoe, je suis désolé, je peux t’expliquer.
— Et ce film ? Tu l’as vu ? Ou bien as-tu tout inventé, là encore ?
— Je l’ai vu. Je peux te le décrire par le menu, mais l’expo… J’étais en retard, et les métros étaient…
— Et le restaurant ? Y as-tu seulement mis les pieds ?
— Oui ! J’ai commandé la margherita !
Factuellement parlant, c’était vrai.
— Sachant ce que tu as fait, cela rend ce coup de fil beaucoup plus difficile.
Oh, bon sang. Oh, Seigneur. Non, arrête.
— Il va falloir que tu viennes au bureau.
Quoi ? Pourquoi ? Si tu dois me virer, fais-le et qu’on n’en parle plus.
— Rob est toujours en arrêt maladie et il vient de téléphoner pour annoncer qu’il va devoir le prolonger de quelques semaines. Une opération, je crois. Donc, j’ai besoin de quelqu’un pour le remplacer.
— Rob le…
— Rob le sous-rédac’ chef des pages culture.
— Donc… tu veux me nommer sous-rédac’ chef ?
— Non, je veux que tu remplaces le sous-rédac’ chef des pages culture.
— Et donc du coup, je…
— Du coup, tu n’aurais plus besoin d’aller nulle part. Juste de dire à d’autres d’y aller. Ce qui signifie du travail de bureau.
— Ça m’est égal ! Je veux dire, j’adorerais !
Il y a eu un silence.
— Zoe, tu ne fais pas ça parce que…
— Parce que quoi ?
— Je veux que tu saches que tu ne me dois rien.
— Je fais ça parce que j’ai besoin d’un remplaçant, que Jennifer a réservé ses vacances, que Sam s’en va lundi et que Lauren a dit non. Donc lundi, d’accord ? Normalement, on commence à 10 heures, mais je pense que tu devrais plutôt passer acheter des croissants, mettre en route le café et être là pour 9 heures.
Et voilà.

 

Jason Priestley. Sous-rédac’ chef des pages culture. London Now.
C’était écrit sur une serviette en papier, mais en plissant un peu les yeux, ça pouvait presque passer pour une carte professionnelle.
Pour fêter ma promotion, Dev m’avait acheté une canette de bière qu’il venait de poser sur la table.
— J’ai remarqué que la presse généraliste a tendance à négliger le jeu vidéo. Mais avec « Game On », London Now aurait une fenêtre dans ce meilleur des mondes. Je serais un critique intrépide, j’écrirais avec mon cœur, en combinant…
— J’en parlerai à Zoe. Je ne sais pas trop quelle est ma marge de décision.
Il a semblé se satisfaire de cette réponse.
— Mais ça serait bizarre, non, de travailler avec Zoe ?
J’ai haussé les épaules. Il m’a imité. A mon avis, aucun de nous deux n’avait la réponse.
J’ai laissé flotter le silence qui a suivi. Pour tenter de le transformer en une pause signifiante. Et ensuite…
— Que sais-tu concernant Whitby, Dev ?
— Whitby ? Presque rien, si ce n’est que j’ai déjà entendu le nom. Pourquoi ?
— La Fille. Les photos. Il paraît que l’une d’elles a été prise à Whitby.
— Ah ! s’est exclamé Dev en claquant des doigts avant d’en braquer un vers moi. Je le savais !
— Tu savais quoi ?
— Je le savais ! Tu es amoureux d’elle !
— Mais non. Je sais juste qu’elle est allée à Whitby. Je sais que tu es passé faire des courses chez Asda avant de rentrer – et ça ne veut pas dire que je suis amoureux de toi.
— Comment sais-tu que l’une des photos a été prise à Whitby ?
— Gary.
— Donc, Gary est au courant ?
— Il est au courant pour Whitby. Pas pour La Fille. Il y allait en vacances, autrefois.
— Hé, viens voir ! s’est exclamé Dev en désignant le trottoir d’en face. Pamela.
Et il s’est remis à fredonner cette chanson bizarre.
— Quand vas-tu passer à l’action ?
— Lui faire la cour ? Chais pas. Demain, peut-être.
En silence, nous avons observé Pamela qui gagnait l’arrêt de bus à petites foulées, puis le dépassait et continuait sur sa lancée en direction d’une voiture qui se rangeait le long du trottoir. C’était une Viva bleue, à la carrosserie cabossée et écaillée, mais apparemment ce détail ne la dérangeait car elle semblait très contente de la voir. Il y avait un homme au volant, et lui aussi avait l’air content, et comme sur ce coup-ci j’avais une vraie longueur d’avance sur Dev, je me suis débrouillé pour être en train d’avaler une longue rasade de bière au moment où Pamela s’engouffrait dans la voiture, puis se penchait pour embrasser l’homme et lui caresser la nuque.
— Oh non, arrête ! a protesté Dev. Oh non !
J’ai grimacé et hoché la tête pour lui exprimer toute ma sympathie.
Et puis j’ai reçu un coup de fil. On m’a demandé comment j’allais et j’ai répondu à la question tout en m’éloignant de Dev, puis j’ai mentionné la visite de Gary. Oui, m’a-t-elle dit, elle était au courant, et elle en était désolée. Pas de problème, lui ai-je assuré, tout allait bien. Nous devions parler, a-t-elle enchaîné. Pourrions-nous nous voir ? Car ce serait mieux de faire ça face à face, et juste pour lui montrer combien j’étais débordé en ce moment, je lui ai répondu d’un ton revêche, non, faisons ça maintenant. Donc elle a parlé, je l’ai écoutée et elle m’a dit pourquoi elle m’appelait.
Et là, il n’est pas exclu que les nuages soient subitement devenus tout noirs et qu’il se soit mis à pleuvoir car le ciel venait de dégringoler sur terre.