Eglogue sur la Naissance du Filz de Monseigneur le Daulphin,
Composée par Clement Marot
Confortez moy, Muses Savoisiennes,
Le souvenir des adversitez miennes
Faictes cesser, jusques à tant que j'aye
Chanté l'Enfant dont la Gaule est si gaye :
Et permettez l'infortuné Berger
Sonner Eglogue moins leger
Que cy devant. Les Rosiers qui sont bas
Et les tailliz à tous ne plaisent pas.
Sus à ce coup chantons Forestz ramées,
Les Foretz sont des grandz Princes aymées.
Or sommes nous prochains du dernier aage
Prophetizé par Cumane, la saige :
Des siecles longs le plus grand et le chef
Commencer veult à naistre de rechef,
La vierge Astrée en brief temps reviendra,
De Saturnus le regne encor viendra :
Puis que le Ciel, lequel se renouvelle,
Nous ha pourveuz de lignée nouvelle,
Diane clere ha de là sus donné
Faveur celeste à l'Enfant nouveau né
D'Endymion : à l'Enfant voyrement,
Dessoubz lequel fauldra premierement
La Gent de Fer, et puis par tout le monde
S'eslevera la Gent d'Or pur et munde
Ce temps heureux, Françoys preux et sçavant,
Commencera dessoubz toy bien avant :
Et si l'on voit soubz Henry quelque reste
De la malice aujourd'huy manifeste,
Elle sera si foible et si estaincte
Que plus de rien la terre n'aura craincte :
Puis, quand au Ciel serez Dieulx triumphans,
Ce nouveau né, heureux sur tous enfans,
Gouvernera le monde ainsi Prospere
Par les vertuz de l'un et l'autre pere.
La terre doncq', gracieux Enfantin,
Te produira Serpolet et Plantin,
Treffe et Serfeuil, sans culture venuz,
Pour engresser tous les troupeaux menuz.
Les Chevres lors au logis reviendront
Pleines de laict. Les Brebis ne craindront
Lyon ne loup. L'herbe qui venin porte
Et la Coleuvre aux champs demourra morte.
Et l'odorant Amome d'Assyrie
Sera commun comme herbe de prairie
Regarde, Enfant de celeste semence,
Comment desjà ce beau siecle commence :
Jà le Laurier te prepare couronne :
Jà le blanc Liz dedans ton bers fleuronne :
D'icy à peu, de haultz Princes parfaictz,
Et du grand Pere aussi les nobles faictz
Lire pourras, tandis que les louanges
Du pere tien, par nations estranges
Iront volant : et deslors pourras tu
Sçavoir combien vault honneur et vertu.
En celluy temps, steriles Montz et Pleins
Seront de Bledz et de Vignes tous pleins :
Et verra l'on les Chesnes plantureux
Par les Forestz suer miel savoureux.
Ce neantmoins des fraudes qui sont ores
Quelque relique on pourra veoir encores.
La terre encor du Soc on verra fendre,
Villes et Bourgz de muraille deffendre,
Conduyre en Mer les navires volans :
Et aura France encores des Rolands.
Mais quand les ans t'auront faict homme, fort,
Plus ne sera de guerre aucun effort :
Plus voile au vent ne fera la Gallée
Pour traffiquer dessus la Mer sallée.
Chascune terre à chascune Cité
Apportera toute commodité :
Arbre croistront d'eulx mesmes à la ligne :
Besoing n'aura plus de serpe la Vigne :
Et ostera le Laboureur champestre
Aux Boeufz le joug : plus ne feront que paistre,
La Laine plus n'aura besoing d'apprendre
A fainctement diverses couleurs prendre :
Car le Belier, en chascune saison,
De cramoysi portera la toyson,
Ou jaune, ou perse : et chascun Aignelet
Sera vestu de pourpre ou violet.
Ce sont, pour vray, choses determinées
Par l'immuable arrest des Destinées.
Commence, Enfant, d'entrer en ce bonheur :
Reçoy desjà et l'hommage et l'honneur
Du bien futur : voy la ronde machine,
Qui soubz le poix de ta grandeur s'encline,
Voy comme tout ne se peult contenir
De s'esgayer, pour le Siecle advenir.
O si tant vivre en ce monde je peusse,
Qu'avant mourir loysir de chanter j'eusse
Tes nobles faictz, ny Orpheus de Thrace,
Ny Apollo, qui Orpheus efface,
Ne me vaincroit, non pas Clio la belle,
Ny le dieu Pan, et Syringue, y fust elle.
Or vy, Enfant, vy, Enfant bienheureux;
Donne à ta mere un doulx ris amoureux :
D'un petit ris commence à la congnoistre,
Et fay les jours multiplier et croistre
De ton ayeul, le grand Berger de France,
Qui en toy voit renaistre son enfance.