Du coq à l'asne faict à Venise par ledict Marot le dernier jour
de juillet MVCXXXVI
De mon coq à l'asne dernier,
Lyon, ce malheureux asnier,
Fol, foliant, imprudent, indiscret,
Et moins sçavant qu'ung docteur en decret,
Ha, ha, dist il, c'est grand oultraige
De parler de tel personnaige
Que moy. En est il ung au monde
Et qui tant de sçavoir habonde ?
Et je responds : ouy, ouy vrayment,
Et n'y fust autre que Clement.
Le latin, le grec et hebreu
Luy sont langaiges tenebreux.
Mais en françoys de Heurepoix,
Et beaulx escuz d'or et de poix,
En quelque latin de marmite,
Par nostre dame, je le quicte,
Pour vray il est le plus sçavant :
C'est raison qu'il voyse devant.
Quant de sa proposition
Touchant la fornication,
Il vauldroit mieulx la trouver bonne,
Qu'y besongner comme en Sorbonne.
Mais le maquart ne se contente,
Et dit au gendre de sa tente,
S'il nous peult quelque jour avoir,
Il employra tout son pouvoir
De nous faire brusler tous vifz.
De ma part, je n'en suis d'advis
Et n'y sçauroys prendre plaisir.
Toutesfoys, s'il en a desir,
Quand il sera prest qu'il me mande,
Et si j'y voys, que l'on me pende.
Tu diras, mon amy Lyon,
Pour moy quelque fidelium,
Ou quelque creux de profundis
Pour me tirer en paradis.
Mais si trouvez qu'il soit ainsi,
Qu'au partir de ce monde icy
Nous soyons saulvez ou dampnez,
Ne dictes riens et me donnez
Ce petit mot en epitaphe,
Mais que soubz mon corps on le graphe :
Cy pend ce fol qui s'est rendu
A Paris pour estre pendu.
Quant de celluy qui s'est fasché.
Que me suis à luy ataché,
C'est ung meschant, faulx et flateur,
Insigne dissimulateur,
Et vindicatif à oultrance :
Mais je ne veulx que Lyon pense
Que voulsisse de luy mentir :
Parquoy ne me puys repentir
D'en avoir dit ce qui est vray :
Et si me poingt, je descouvray
De plus grans cas qu'il a commis.
Qu'il ne face plus d'ennemys :
Il en a trop qui vivent bien.
Lors seray son amy, combien
Qu'il ne l'ayt en rien merité,
Le traistre plain de vanité.
Mais Dieu vueille que l'on oublye
Ce que souffrons pour sa follye.
Je suis trop loing pour le luy dire,
Qui me contrainct de le rescripre.
Et si dit plus en dupplicant,
Pareillement et quant et quant,
Que savant est, il est bien pris :
Car encor qu'il en soit repris
De tous, mesme de sa voysine,
Dont le mary faict bonne myne,
Il n'est possible qu'il s'en garde.
Chacun jour, quand il se regarde,
Il est tout certain qu'il se veoyt :
Je suis despit qu'il n'y pourveoit :
Mais il est bon entendre icy
J'en suys en merveilleux soucy.
Est ce de luy que j'ay escript ?
Nenny non, c'est de l'antecrist.
Ce n'est pas luy, et si ne sçay,
Il en a faict son coup d'essay.
Nommez moy celluy qui s'en doubte !
Par mon nyda, je n'y veoys goutte !
Est ce point Juda ou Symon ?
Non est, si est, c'est il, c'est mon !
Or me croyez, c'est Barrabas :
Prenez le, mectez le à bas !
Quel bruict, quelle pitié, quelle honte !
Voylà ce qu'on nous en racompte.
Venez çà, que respondes vous
A ce qu'il vous dit ? Bran pour vous !
Je le congnoys, c'est ung grand prebstre.
Vous faillez, il le vouldroit estre,
Pourveu qu'il en eust acroché
Quelque abbaye ou evesché.
Mais, sans bonnet, sa teste nue
Est pour la mistre bien menue.
N'en parlez plus, parbieu c'est il,
Tout ce qu'il sçayt n'est que babil :
Je n'en pourroys plus tant souffrir,
Voy cy que je luy vueil offrir :
Luy bailler mon art et ma muse,
Pour en user comme j'en use,
En me resignant son office,
Car je sçay qu'elle m'est propice.
Faictes, si povez, qu'il s'y range :
Je suis trescontant de l'eschange.
L'estat est bon pour les affaires
De nous et noz petitz confreres.
Si de mon art ne peult chevir,
Voycy dont il pourra servir :
On m'a promis qu'il a renom
De salpestre et pouldre à canon
Avoir muni tout son cerveau :
Faictes deux tappons de naveau,
Et les luy mectez en la bouche.
Et puis apres que l'on le couche
Tout de son long : et en l'oreille,
Tout doulcement qu'il ne s'esveille
Gectez y pouldre pour l'emorche,
Et gardez bien qu'on ne l'escorche,
Car ung homme bien empesché
Seroit d'ung renard escorché.
Et cela faict qu'on le repute
Pour servir d'une haquebute.
Jamais homme n'en parla mieulx :
Les tappons sortiront des yeulx
Et feront ung merveilleux bruict :
Et si la fouldre les conduict,
Ilz fraperont tous deux d'ung coup.
Cela leur servira beaucoup
Pour deschasser leurs ennemys :
Car s'ilz ne sont fort endormyz,
Tel canon leur donnera craincte.
Pleust à Dieu qu'il feust à la poincte
Du premier choc, ce gros marault,
Qui a crié sur nous harault
Et nous a chassé du pays.
Nous estions assez esbahys,
Lyon, il t'en peult souvenir :
Il n'estoit temps de revenir,
Il failloit chercher seureté
Du paouvre Clement arresté,
Qui surprins estoit à Bordeaulx
Par vingt ou quarante bedeaulx
Des sergens dudict parlement.
Je diz que je n'estoys Clement
Ne Marot, mais ung bon Guillaume
Qui, pour le prouffict du Royaume,
Portoys en grande dilligence
Paquet et lettres de creance.
Je n'avoys encores souppé,
Mais si tost que fuz eschappé
Je m'en allay ung peu plus loing,
Et, parbieu, il en estoit besoing :
Car pour ung tel paouvre souldart
Que Clement, qui n'est point pendart,
N'y fut faict plus grande poursuicte.
J'avoys chacun jour à ma suicte
Gens de pied et gens de cheval :
Et lors je prins le vent d'aval,
Et sur petitz chevaulx legiers
Je me mis hors de tous dangiers,
J'entends pourveu que je me tienne
Là où je suis en bonne estraine.
Si nous feussions demourez là,
Tel y estoit qui n'en parla
Jamais, depuis que j'en partis.
Ilz ont esté si bien rotys
Qu'ilz sont tous convertiz en cendre.
Or jamais ne vous laissez prendre
S'il est possible de fouyr :
Car tousjours on vous peult ouyr
Tout à loysir et sans collere.
Mais en fureur de telle affaire
Il vault mieulx s'excuser d'absence
Qu'estre bruslé en sa presence.
Des nouvelles de par deçà :
L'autre jour quand il trespassa
L'empereur, il ne l'estoit pas,
Et n'avoit pas passé le pas
Pour dire qu'il fust trespassé.
Il est bien vray qu'il est passé
De l'Ytalye en la Prouvence.
Les Françoys crient : vive France !
Les Espaignols : vive l'empire !
Il n'y a pas pour tous à rire.
Le plus hardy n'est sans terreur.
N'est ce pas ung trop grand erreur,
Pour des biens qui ne sont que terre,
D'exciter si horrible guerre ?
Les gensdarmes sont furieux,
Chocquans au visaige et aux yeulx.
Il ne fault qu'une telle lorgne
Pour faire ung gentilhomme borgne :
Il ne fault qu'un traict d'arbaleste;
Passant au travers de la teste,
Pour estonner ung bon cerveau.
J'aymeroys autant estre ung veau
Qui va droict à la boucherie,
Qu'aller à telle tuyerie.
C'est assez d'ung petit boullet,
Qui poingt ung souldart au collet,
Pour empescher de jamais boire.
Fy, fy, de mourir pour la gloire,
Ou pour se faire grand seigneur
D'aller mourir au lict d'honneur,
D'un gros canon parmy le corps,
Qui passe tout oultre dehors.
Par ma foy, je ne vouldroys point
Qu'on gallast ainsi mon pourpoint,
Et la livrée du cappitaine.
Hau, compaignon, levez l'enseigne :
Celuy qui la portoit est bas !
Sangbieu, voilà de beaulx esbas !
Voilà comment on se gouverne
Dedans une bonne taverne.
J'oseroys entrer hardyment,
Mais où l'on frappe nullement :
C'est ainsy que Clement devise,
Vivant en paix dedans Venise.