Au Roy
Oultre le mal que je sens, treshault Prince,
De plus ne veoir la gallique province
Et d'estre icy par exil oppressé,
Je doubte et crains que, moy aiant laissé
L'air de Ferrare, il ne te soit advis
Que j'ay les sens d'inconstance ravis,
Et qu'en ton cueur n'entre une impression
Que de vaguer je fais profession,
Sans en ung lieu povoir longtemps durer,
Ne la doulceur de mon aise endurer,
Ce qui n'est pas : je n'y ay fait oultrance,
N'aucun forfait, fors que je suis de France.
Mais quant j'y vins, certes je ne pensoys
Que ce fust crime illec d'estre Françoys.
Voilà le mal : voilà la forfaicture
Qui m'a faict prendre ailleurs mon adventure.
Si plus y a, que je soys rebouté
De tout l'espoir que j'ay en ta bonté.
Rien que le vray, Sire, je ne revelle,
Et le regret à tesmoing j'en appelle
Qu'eurent de moy, sans que gloire me donne,
Les serviteurs et la dame tant bonne
Qui maintesfoys à rompre travailla
Le departir que Dieu me conseilla.
Mais quel besoin est il que je proteste
Tant de raisons ? De ce trouppeau la reste,
Sans toy, bien tost paistre apres moy viendra,
Car au pasteur pour le moins ne tiendra.
Et lors sauras, si tu ne le sçais point,
Que pas ne suis la mousche qui le poingt.
Je dy cecy craignant que je n'acqueste
Plus fort ton yre et perde ma Requeste,
Qui est non pas de servir ta Grandeur
Comme souloys (ce seroit trop grant heur),
Ains qu'il te plaise ung congé me donner
De pour six mois en France retourner,
A celle fin qu'ordre donner je voise
A ce qui plus de loing que pres me poise.
O que je n'ay le cheval Pegasus,
Plus hault volant que le mont Parnasus,
Ou les dragons avec lesquelz Medée
Est de la tour de Corinthe evadée.
De Dedalus ou Perseus les esles
Vouldroys avoir, il ne m'en chault lesquelles !
Bien tost vers France alors voleteroys,
Et sur les lieux plaisans m'arresteroys,
Pendant en l'air, planant comme ung gerfault :
Si te verroyt peult estre de là hault
Chassant aux boys : contempleroys la France,
Contempleroys Loyre, qui des enfance
Fut mon sejour, et verroys mes amys,
Dont les ungs m'ont en oublyance mys,
Les autres non : puis à l'autre volée
Regarderoys la maison desolée
De mon petit et povre parentage,
Qui sustenté estoit de l'advantage
Que j'eus de toy. Mais pourquoy metz je avant,
Sot que je suis, tous ces souhaictz d'enfant,
Qui viennent moins quand plus on les desire.
Et toy seul est de me donner, O Sire,
Esles au dos, voire cheval volant.
Parle sans plus, et dy en le voulant
Que je retourne au rang acoustumé :
Soudain seray d'esles tout emplumé.
Non qu'à present si grant requeste face,
Peu de respect auroit devant ta face
Ce mien escript, si encor continue
Le tien courroux : mais s'il se diminue
Je ne dis pas que lors toute ma force
De t'en prier humblement ne s'efforce.
O Roy Françoys, tout ce monde charnel,
Que feroit il, si tousjours l'Eternel
Estoit esmeu ? Ne voyons nous souvent,
Apres qu'il a par tonnerre et par vent
Espovanté ce miserable monde,
Qu'en fin s'appaise, et rend l'air cler et munde ?
Pour ceste cause icy bas chascun homme
A juste droit roy et pere le nomme.
Toy donq, qui es du pays roy et pere,
Feras ainsy, et ainsy je l'espere.
Certes souvent, ayant vaincu en place
Ton ennemy, tu luy as bien fait grâce,
Grâce, pour vray, laquelle il ne t'eust faicte
Si dessus toy fust tumbé la deffaicte.
Tel a couché encontre toy la lance,
Que tu as fait plein d'honneur et chevance.
Moy donq, qui n'ay en nulz assaulx, n'alarmes
Encontre toy jamais porté les armes,
Et n'ay en rien ton ennemy servy,
Auray moins que ceulx là desservy ?
Dieu, qui les cueurs jusqu'aux fons congnoist bien,
Sçait quelle ardeur a eu tousjours le mien
A ta haulteur. Il sçait combien de foys
J'ay vers le ciel pour toy levé ma voix,
Et de quel cueur à mes enfans petiz
J'ai enseigné (qu'à peine parloient ilz)
Comment pour toy prier ilz le devoient,
Entrans au lict, et quant ilz se levoient.
A quel propos allegueray mes vers
Qui de ton nom sont plains en lieux divers,
Comme clerons de ta gloire immortelle
Et vrays tesmoings de mon naturel zelle.
Il est bien vray, que pour ton loz chanter,
On ne le peult (tant est grant) augmenter.
Mais Dieu, de qui la gloire est indicible,
Prent bien à gré que l'homme (à son possible)
Loue ses faictz, et ne tient à despris
Que pour subject de quelque oeuvre il est pris.
Certes, ung moys avant que ma fortune
Me feist savoir ma retraicte importune,
Je proposoys en mon entendement
(Mais Dieu en disposé autrement)
De te prier, Sire, sçais tu de quoy ?
De me donner ung lieu plaisant et coy,
Où à repos peust ma Muse habiter,
Et là tes faitz et tes vertuz dicter,
Voire, et combien que ta grandeur merite,
Non que Marot, mais Maro la recite.
Ma nef legiere osoit bien presumer
De faire voille en ceste haulte mer.
Or suis je bien au loing de mon propos :
A peine auray plaisant lieu de repoz
En France, helas, quand cil qui la manye
D'en approcher les bornes me denye :
A peine auray en ces terres loingtaines
Veine à chanter tes louenges haultaines,
Estant assez empesché jours et nuictz
A deplorer mes pertes et ennuys.
Voylà comment suis traicté : mais au fort
(Oultre que j'ay en Dieu mon reconfort)
Je me consolle en pensant que ma peine,
Quelque rigueur de quoy elle soit pleine,
Ne vient de rapt, de meurtre ou trahyson,
Ne par infame aucune mesprison,
Et que le cas plus grief que j'ay commis,
C'est qu'en courroux, sans y penser, t'ay mis.
A ce courroux soudain pour moy print cesse
Maincte faveur de prince et de princesse :
Et en ta court chascun (selon l'usaige)
Sagement sceut en suyvre ton visaige.
Quant la maison caduque et ancienne
Commence à tendre à la ruine sienne,
On voit tousjours que tout le fais d'icelle
Se vient jecter du costé qui chancelle.
J'ay fait l'essay de la comparaison,
Et d'ainsy faire ilz ont tous eu raison :
Car qui pourroit m'aymer d'amour ouverte,
Voyant à l'oeil contre moy descouverte
L'ire du Roy ? Certainement depuis
A peine aymé moy mesme je me suis.
Non que par là j'entre en desasseurance,
Mais au rebours par là j'ay esperance,
Quand ton cueur hault ung peu s'adoulcira,
Que tout le monde adonques me rira.
J'ay cest espoir, et ung plus grant encores,
Maulgré l'exil où je suis vivant ores.
J'espere veoir ma liberté premiere :
Apres noyr temps vient souvent la lumiere :
Tel arbre fut de fouldre endommagé,
Qu'on voit de fruict encores tout chargé.
Pourtant, si j'ay de ta puissance, Sire,
Esté touché, cela n'est pas à dire
Que celle main qui m'a voulu ferir
Ne vueille bien quelque jour me guerir.
J'ay tant au cueur ceste esperance empraincte,
Qu'on ne pourroit l'en tirer par contraincte.
J'espereray quand tu le deffendrois.
Il est bien vray qu'ailleurs, en tous endrois,
T'obeiray, mais en cestuy seul poinct
En hazart suis de ne t'obeyr point :
Et ne m'en fault (soit bien, soit mal) reprendre.
A ta bonté seullement s'en fault prendre,
Qui tousjours vient me donner bon confort
En me disant : espere, espere fort.
Or, ce pendant que l'esperance plaine
De doulx penser me tiendra en alaine,
Je te supply par iceulx troys enfans
Que puisses veoir conquereurs triumphans,
Par leurs deux seurs, tes filles tresaymées,
En qui Dieu a tant de grâces semées,
Par la seur tienne, et ma maistresse et dame,
Qui en vertus, sans prejudice d'âme,
Pareille n'a : par ta querelle juste
En ceste guerre, et par ce bras robuste
Que l'on a veu en lieu se hazarder
Où l'ennemy n'osa onq regarder,
Te plaise, Roy, à ton humble Clement,
A ton Marot, pour six moys seulement,
La France ouvrir, que ses enfans il voye,
Et qu'à leur cas et au sien il pourvoye.