A la Royne de Navarre
Par devers qui prendront mes vers leur course,
Synon vers toy, d'eloquence la source,
Qui les entens sans les falloir gloser,
Et qui en sçais de meilleurs composer ?
A qui diray ma doulleur ordinaire,
Synon à toy, Princesse debonnaire,
Qui m'a nourry, et souvent secouru,
Avant qu'avoir devers toy recouru ?
A qui diray le regret qui entame
Mon cueur de fraiz, synon à toy, ma Dame,
Que j'ay trouvée en ma premiere oppresse
(Par dit et fait) plus mere que maistresse ?
O noble fleur, si advouez nous sommes
Tirer de Dieu comparaison aux hommes,
Alloit jamais David, roy, à recours,
Fors à celluy qui luy promist secours ?
Alloit jamais Israel à refuge,
Quand contre luy couroit nouveau deluge,
Fors à celluy qui aux premiers dangers
L'avoit tiré d'entre les estrangiers ?
Je ne dy pas que bras et cueur ensemble
Ne leve à Dieu : mais en effect il semble
Que je ne doy avoir confort de luy.
Synon par toy, quand il me vient ennuy.
Or en ay ung, qui dedans mon cerveau
Est lourdement imprimé de nouveau.
Tu sçais comment, par parolles mutines
Des envieux aux langues serpentines,
Je fus contrainct (bien t'en peult souvenir)
Par devers toy en franchise venir,
Puis tout à coup, helas, t'abandonner
Soubz le conseil qu'il te pleust me donner :
Si me traictas (ains que partir) de sorte
Qu'il n'est besoing que de ma plume sorte
Ce qui en fut, craignant apprecier
Mon loz en lieu de te remercier.
O gentil cueur de Princesse royalle,
O plaine d'heur la famille loyalle
Qui vit soubz toy ! Ainsy fut mon depart,
Ayant aux yeulx les larmes d'une part,
D'autre costé, une doubte, une craincte,
Qui en chemin dedans moy fut empraincte
Pour la fureur des envyeulx meschans,
Qui lors estoyent en queste sur les champs.
Lors comme ung cerf eschappé des dentées
Qu'il a des chiens jà experimentées,
Puis les sentant de bien loing aboyer,
Se mect encor à courre et tournoyer
En si grant peur que desjà il pense estre
Saisi aux flans, à dextre et à senestre,
Par quoy ne cesse à transnouer maretz,
Saulter buissons, circuir grans forestz,
Tant qu'en lieu soit où nul chien ne l'offense :
Ainsy passay Languedoc et Prouvence.
En telles peurs, et semblables travaulx
Passa ton serf torrentz, et montz et vaulx :
Puis se saulva en la terre italique,
Dedans le fort d'une dame gallique
Qui le receut : dont la remercias
Bien tost apres. Las, je ne sçay si as
Ores de moy souvenances semblables,
Je croy que si : mais ces espoventables
Doubtes et peurs, non encores tollues,
M'en ont causé tout plain de superflues,
Qui me font craindre où craindre je ne doy.
Donq trop de peur m'excusera vers toy.
L'homme subject à nauffrages terribles
Crainct toutes eaues, fussent elles paisibles :
Souvent aux champs la brebis apperçoit
Ung chien de loing, et cuyde que ce soit
Ung loup cruel : si se prend à courir
Et fuyt celluy qui la peult secourir.
Ainsy actainct de calamitez toutes,
Je ne conçoy en moy que peurs, et doubtes,
Tant qu'advis m'est, que ceulx là qui ont soing
De mon prouffit me faillent au besoing.
Et, qui pis est, crains que ma destinée
Suive son train, tant est acheminée :
Car chiens du Pau, de relais et renfort,
Sont jà venus eslancer de son fort
Ton povre serf, qui en l'estang sallé
Venitien jecter s'en est allé,
Où les mastins ne le laisront longtemps,
Car clabauder d'icy je les entens.
Ainsy osté m'ont la joye feconde
Et le repos que ma Dame seconde
M'avoit donnés : osté m'ont ceste aisance,
Oultre son vueil, et à ma desplaisance :
Et maintenant, tout ce que faire puys
Sont pleurs, et plains, et ne sçay qui je suis,
Fors seullement une plante esbranchée,
Laquelle fut lourdement arrachée
De ton jardin fertile et fructueux
Par turbillons, et ventz impetueux
Qui m'ont poulsé par sus les grans montaignes
Jusqu'à la mer qui est joincte aux campaignes
De l'Itallye, où j'ay plus de douleurs
Que n'a la terre au printemps de couleurs.
En ceste mer n'a point tant d'animaulx
Qu'en moy d'ennuys : mais le grant de mes maulx
Et le dernier, est de sentir en l'âme
Quel douleur c'est perdre deux foys sa dame.
Aucunesfoys je dy : la nuict viendra,
Je dormiray, lors ne m'en souviendra :
Le dormir est contre le soucy une
Grant medecine, à ung chascun commune.
Mais en dormant viennent m'espovanter
Songes divers, et me representer
Aupres du vif de mon malheur l'ymaige,
Et mes espritz veillent à mon dommaige,
Si qu'advis m'est, ou que huissiers ou sergens
De me chercher sont promptz et diligens,
Ou qu'enserré suis en murs et barreaux,
Ou qu'on me livre innocent aux bourreaux.
Quelque foys suis trompé d'un plus beau songe,
Et m'est advis que me voy, sans mensonge,
Autour de toy, Royne tres honorée,
Comme souloye, en ta chambre parée,
Ou que me faiz chanter en divers sons
Pseaulmes divins, car ce sont tes chansons,
Ou qu'avec vous, mes amys singuliers,
Je me consolle en propos familiers.
Ainsy ayant senty à la legere
Ceste lyesse, et joye mensongere,
Pis que devant je me trouve empiré
Du souvenir de mon bien desiré :
Et en ce point, soit que le cler jour luyse,
Soit que la nuict à repos nous induise,
Je vy en peine : et fus ainsy traicté
Des lors qu'amour eust mon cueur arresté
A la Vertu, à la Belle sans si,
Et a duré mon mal jusques icy :
Tousjours les siens en la mortelle vie
Seront subjectz aux ayguillons d'envye.
Ha, noble fleur, ne te souvient il point
Qu'à mon depart, dont le record me poingt,
Tu me promis de bouche, et d'escripture
Te souvenir de moy, ta nourriture.
Or est il temps que de ce je te somme,
Ains que le fais de mes ennuys m'assomme.
De France, helas, suis bany desollé,
Non pour avoir aucun marchant vollé,
Non pour avoir par trop soudaine main
Tainct et rougi l'espée en sang humain,
Non pour avoir sur mer esté corsaire,
Non pour avoir adverty l'adversaire
Contre mon Roy, ne pour faulx tesmoigner,
Ne faulcement or ou argent congner :
Tous ceulx qui sont de Vertu amoureux
Ne tombent pas en cas si malheureux
Puisque suis donq bany pour ma Deesse,
Je te supply, toy qui es ma Princesse,
Me desbanir : ung chascun, pour tout seur,
Trouve tousjours ne sçay quelle doulceur
En son pays, qui ne luy veult permectre
De le povoir en oubliance mectre.
Ulixes sage, au moins estimé tel,
Fit bien jadis refus d'estre immortel
Pour retourner en sa maison petite,
Et du regret de mort se disoit quitte
Si l'air eust pu de son pays humer,
Et veu de loing son vilage fumer.
Est il qu'en France ung plus plaisant sejour ?
Et toutesfoys nous voyons chascun jour
Que l'Alemant et le Grec s'en retyre
Pour habitter son pays, qui est pire.
Sauvages ours, et lions furieux
De retourner mesmes sont curieux
En leur caverne. Estes vous esbahys,
Faulx mesdisans, si j'aspire au pays,
Là où j'ay prins nourriture et croissance,
Où j'ay enfans, compaignons, congnoissance,
Là où mes vers, cà et là espandus,
Sont des petis et des grans entendus,
Où je vivoys sans peine, et sans destresse,
Et où tu es, ma dame, et ma maistresse ?
Si te prometz, quant voy ma destinée
Si asprement à travaulx inclinée,
Que mon espoir, et toute sa vertu
Est tout à coup de grant craincte abatu :
Puis quant je pense à la bonté humaine
De ce grand Roy dont tu es seur germaine,
Et que c'est luy qui tout fasché devient
Quant de rigueur user il luy convient,
Lors mon espoir abatu se releve,
Et me promect que l'ennuy qui me greve
Tost prendra fin par le moyen de toy.
En fin d'escript, je le te ramentoy,
Te suppliant te prendre à ma fortune
Si de propos tristes je te importune :
Aussy ayant cest escript visité,
Si quelque mot s'y trouve inusité,
Pardonne moy : c'est mon stile qui change,
Par trop oyr parler langage estrange,
Et ne fera que tousjours empirer
S'il ne te plaist d'icy me retirer.