Le Dieu Gard de Marot à la Court
Vienne la Mort, quand bon luy semblera,
Moins que jamais mon cueur en tremblera,
Puis que de Dieu je reçoy ceste grâce
De veoir encor de mon seigneur la face.
Ha mal parlants, ennemys de vertu,
Totallement me disiez devestu
De ce grand bien : vostre cueur endurcy
Ne congneut oncq ne pitié, ne mercy.
Pourtant avez semblable à vous pensé
Le plus doulx Roy, qui fut oncq offensé.
C'est luy, c'est luy, France Royne sacrée,
C'est luy qui veult que mon oeil se recrée,
Comme souloit; en vostre doulx regard.
Or je vous voy (France) que Dieu vous gard.
Depuis le temps, que je ne vous ay veue,
Vous me semblez bien amendée, et creuë,
Que Dieu vous croisse encores plus prospere.
Dieu gard Françoys (vostre cher filz, et pere),
Le plus puissant en armes, et science,
Dont ayez heu encore experience.
Dieu gard la Royne Alienor d'Aultriche,
D'honneur, de sens, et de vertus tant riche.
Dieu gard du dard mortifere, et hydeux
Les filz du Roy. Dieu nous les gard touts deux.
O que mon cueur est plein de dueil, et d'ire,
De ce, que plus les troys je ne puis dire !
Dieu gard leur soeur, la Margueritte pleine
De dons exquis. Ha Royne Magdaleine,
Vous nous lairrez : bien vous puis, ce me semble,
Dire Dieu gard, et adieu tout ensemble.
Pour abreger, Dieu gard le noble reste
Du Royal sang, origine celeste.
Dieu gard touts ceulx qui pour la France veillent,
Et pour son bien combattent, et conseillent.
Dieu gard la Court des Dames, où abonde
Toute la fleur, et l'eliste du monde.
Dieu gard enfin toute la fleur de lys,
Lyme, et rabot des hommes mal pollys.
Or sus avant mon cueur, et vous mes yeulx,
Touts d'ung accord dressez vous vers les cieulx,
Pour gloyre rendre au pasteur debonnaire
D'avoir remis en son parc ordinaire
Ceste brebis esloignée en souffrance.
Remerciez ce noble Roy de France,
Roy plus esmeu vers moy de pitié juste,
Que ne fut pas envers Ovide Auguste.
Car d'adoulcir son exil le pria,
Ce qu'accordé Auguste ne luy a.
Non que je vueille (Ovide) me vanter
D'avoir mieulx sceu, que ta muse chanter.
Trop plus que moy tu as de vehemence
Pour esmouvoir à mercy, et clemence :
Mais assez bon persuadeur me tien
Ayant ung Prince humain plus, que le tien.
Si tu me vaincz en l'art tant aggreable,
Je te surmonte en fortune amyable :
Car quand banny aux Gettes tu estoys
Ruysseaulx de pleurs sur ton papier jectoys
En escripvant sans espoir de retour :
Et je me voy mieulx que jamais, autour
De ce grand Roy, ce pendant qu'as esté
Pres de Cesar à Romme en liberté,
D'amour chantant, parlant de ta Corynne.
Quant est de moy, je ne veulx chanter hymne
Que de mon Roy : ses gestes reluysants
Me fourniront d'arguments suffisants.
Qui veult d'amour deviser, si devise :
Là est mon but. Mais quand je me ravise,
Doibs je finir l'Elegie presente
Sans qu'ung Dieu gard encore je presente ?
Non, mais à qui ? Puis que Françoys pardonne
Tant, et si bien, qu'à touts exemple il donne,
Je dys Dieu gard à touts mes ennemys
D'aussi bon cueur, qu'à mes plus chers amys.