Le Valet de Marot contre Sagon.
Frippelippes, Secrétaire de Clément Marot, à Françoys Sagon,
secrétaire de l'Abbé de Sainct Evroul.
Par mon âme il est grand'foyson,
Grand'année, et grande saison
De bestes, qu'on deust mener paistre,
Qui regimbent contre mon maistre.
Je ne voy point qu'ung sainct Gelais,
Ung Heroët, ung Rabelais,
Ung Brodeau, ung Seve, ung Chappuy,
Voysent escripvant contre luy.
Ne Papillon pas ne le poinct,
Ne Thenot ne le tenne point.
Mais (bien) ung tas de jeunes veaulx,
Ung tas de rimasseurs nouveaulx,
Qui cuydent eslever leur nom,
Blasmant les hommes de renom.
Et leur semble, qu'en ce faisant
Par la ville on yra disant,
Puis qu'à Marot ceulx cy s'attachent,
Il n'est possible, qu'ilz n'en sachent.
Et (veu les faultes infinies
Dont leurs Epistres sont fournies)
Il convient de deux choses l'une :
Ou qu'ilz sont troublés de la Lune,
Ou qu'ilz cuydent, qu'en jugement
Le monde (comme eulx) est jument.
De là vient, que les paovres bestes
(Apres s'estre rompu les testes)
Pour le bon bruyt d'aultruy briser,
Eulx mesmes se font despriser :
Si que mon maistre sans mesdire
Avecques David peult bien dire :
'Or sont tombés les malheureux
En la fosse faicte par eulx.
Leur pied mesme s'est venu prendre
Au filé, qu'ilz ont voulu tendre.'
Car il ne fault pour leur respondre
D'aultres escriptz à les confondre
Que ceulx là mesmes qu'ilz ont faictz,
Tant sont grossiers, et imparfaictz,
Imparfaictz en sens, et mesures,
En vocables, et en cesures,
Au jugement des plus fameux,
Non pas des ignorants, comme eulx.
L'ung est un vieulx resveur Normand
Si goulu, friant, et gourmand
De la peau du paovre Latin,
Qu'il l'escorche comme ung mastin.
L'aultre ung Huet de sotte grâce,
Lequel voulut voler la place
De l'absent : mais le demandeur
Eust affaire à ung entendeur.
O le Huet en bel arroy
Pour entrer en chambre de Roy.
Ce Huet, et Sagon se jouent :
Par escript, l'ung l'aultre se louent,
Et semblent (tant ilz s'entreflattent)
Deux vieulx Asnes, qui s'entregrattent.
Or des bestes, que j'ay susdictes,
Sagon, tu n'es des plus petites :
Combien que Sagon soit ung mot,
Et le nom d'ung petit marmot.
Et saches, qu'entre tant de choses
Sottement en tes dictz encloses,
Ce vilain mot de concluer
M'a faict d'ahan le front suer.
Au reste de tes escriptures,
Il ne fault vingt, ne cent ratures
Pour les corriger. Combien doncq ?
Seullement une tout du long.
Aussi Monsieur en tient tel compte,
Que de donner il auroit honte
Contre ta rude Cornemuse
Sa doulce Lyre : et puis sa Muse
Parmy les Princes allaictée,
Ne veult point estre valetée.
Hercules feit il nulz efforts
Sinon encontre les plus forts ?
Pensez qu'à Ambres bien sierroit,
Ou à Canis, qui les voyrroit
Combattre en ordre, et equipaige,
L'ung ung valet, et l'aultre ung paige.
J'ay pour toy trop de resistance :
Encor ay je peur, qu'il me tance
Dont je t'escry : car il sçait bien
Que trop pour toy je sçay de bien.
Vray est il qu'il avoit ung valet
Qui s'appelloit Nihil valet,
A qui comparer on t'eust peu :
Toutesfoys il estoit ung peu
Plus plaisant à voir, que tu n'es :
Mais non pas du tout si punes.
Il avoit bien tes yeulx de Rane,
Et si estoit filz d'ung Marrane,
Comme tu es. Au demeurant :
Ainsi vedel, et ignorant,
Sinon qu'il sçavoit mieulx limer
Les vers, qu'il faisoit imprimer.
Tu penses que c'est cestuy là
Qui au lict de Monsieur alla,
Et feit de sa bourse mitaine.
Et va, va : ta fiebvre quartaine !
Comparer ne t'y veulx, ne doy :
Il valoit mieulx cent foys, que toy :
Mais vien çà, qui t'a meu à dire
Mal de mon maistre en si grand'ire ?
Vrayement il me vient souvenir,
Qu'ung jour vers luy te vey venir
Pour ung chant Royal luy monstrer,
Et le prias de l'accoustrer,
Car il ne valoit pas ung oeuf.
Quand il l'eust refaict tout de neuf,
A Rouen en gaignas (paovre homme)
D'argent quelcque petite somme,
Qui bien à propos te survint,
Pour la verolle, qui te vint.
Mair pour une sueur, quand j'y pense,
Tu en rends froyde recompense.
Il semble (pourtant) en ton Livre,
Qu'en le faisant tu fusses yvre :
Car tu ne sceuz tant marmonner,
Qu'ung nom tu luy sceusses donner.
Si n'a il couplet, vers, n'Epistre,
Qui vaille seullement le tiltre.
Dont ne soys glorieux, ne rogue :
Car tu le grippas au prologue
De l'Adolescence à mon maistre :
Et qu'on lise à dextre, ou senestre,
On trouvera (bien je le sçay)
Ce petit mot de coup d'essay,
Ou coups d'essay, que je ne mente.
O la sotie vehemente !
A peine sera jamais crainct
Le combattant, qui est contrainct
D'emprunter, quand vient aux alarmes,
De son adversaire les armes.
Ha Rustre, tu ne pensoys pas,
Que jamais il deust faire ung pas
Dedans la France : tu pensoys
Sans pitié ce bon Roy Françoys,
Et le paignoys en ton cerveau
Aussi Tigre, que tu es Veau.
C'est pourquoy les cornes dressas :
Et quand tes escriptz addressas
Au Roy tant excellent Poëte,
Il me souvint d'une Chouette
Devant le Rossignol chantant,
Ou d'ung oyson se presentant
Devant le Cygne pour chanter.
Je ne veulx flatter, ne vanter :
Mais certes Monsieur auroit honte
De t'allouer dedans le compte
De ses plus jeunes apprentys :
Venez, ses disciples gentilz,
Combattre ceste lourderie :
Venez son mignon Borderie,
Grand espoir des Muses haultaines :
Rochier, faictes saillir Fontaines :
Lavez touts deux aux Veaulx les testes :
Lyon (qui n'es pas Roy des bestes :
Car Sagon l'est), sus, hault la pate,
Que du premier coup on l'abbate.
Sus Gallopin, qu'on le gallope.
Redressons cest Asne, qui choppe,
Qu'il sente de touts la poincture :
Et nous aurons Bonadventure,
A mon advis assez sçavant
Pour le faire tirer avant.
Vien Brodeau, le puisné son filz,
Qui si tres bien le contrefeis
Au huictain des freres Mineurs,
Que plus de cent beaulx devineurs
Dirent que c'estoit Marot mesme :
Tesmoing le Griffon d'Angoulesme,
Qui respondit argent en pouppe,
En lieu d'yvre, comme une souppe.
Venez doncq'ses nobles enfants,
Dignes de chappeaulx triumphants
De vert Laurier, faictes merveilles
Contre Sagon digne d'oreilles
A chapperon. Non, ne bougez,
Pour le vaincre rien ne forgez :
Laissez cest honneur, et estime,
A la Dame Anne Philethime,
De qui Sagon pourroit apprendre,
Si la peine elle daignoit prendre
De l'enseigner. Trembles tu point
Coquin, quand tu oys en ce poinct
Hucher tant d'espritz, dont le moindre
Sçait mieulx que toy louer, et poindre ?
Je laisse ung tas d'yvrongneries,
Qui sont en tes rithmasseries,
Comme de tes quatre raisons,
Aussi fortes que quatre Oysons :
De ses deux soeurs Savoysiennes,
Que tu cuydois Parisiennes :
Et de mainte aultre grand'follie,
Dont il n'a grand'melancolie.
Mais certes il se deult gramment
De t'ouyr irreveramment
Parler d'une telle Princesse,
Que de Ferrare la Duchesse,
Tant bonne, tant sage, et benigne.
O quantes foys en sa cuysine
Ton dos a esté souhaitté
Pour y estre bien fouetté !
Dont (peult estre) elle eust faict deffence,
Tant bien pardonne, à qui l'offense.
Mais moy je ne me puis garder
De t'en battre, et te nazarder.
Ta meschanceté m'y convie,
Et m'en fault passer mon envie.
Zon dessus l'oeil, zon sur le groin,
Zon sur le dos du Sagoüyn,
Zon sus l'Asne de Balaan.
Ha vilain, vous petez d'ahan,
Le feu sainct Anthoine vous arde !
Cà, ce nez, que je le nazarde,
Pour t'apprendre, avecques deux doigts,
A porter honneur, où tu doibs.
Enflez vilain, que je me joue :
Sus, apres, tournez l'aultre joue :
Vous cryez ? Je vous feray taire,
Par Dieu, Monsieur le secretaire
De beurre frays. Hou le mastin !
Pleust à Dieu, que quelcque matin
Tu vinsses à te revenger :
L'abbé seroit en grand danger
De veoir par maniere de rire
Monsieur mon Maistre luy escripre,
Et d'estre de luy mieulx traicté,
Que de moy tu ne l'as esté :
Car il sçait tout, et sçait comment
Te feis expres commandement
De t'en aller mectre en besongne
Pour composer ton coup d'yvrongne :
Ce que luy accordas, pourveu
Qu'en apres tu seroys pourveu
De la cure de Soligny.
Quant à celle de Sotigny,
Long temps a par election
Tu en prins la possession.
Que je donne au Diable la beste :
Il me faict rompre icy la teste
A ses merites collauder,
Et les bras à le pelauder :
Et si ne vault pas le tabut.
Mieulx vault donc icy mectre but,
T'advisant, Sot, t'advisant, Veau,
T'advisant, valeur d'ung naveau,
Que tu ne te veis recevoir
Oncques tant d'honneur, que d'avoir
Receu une Epistre à oultrance
D'ung valet du Maro de France.
Et crains, d'une part, qu'on t'en prise :
Puis (d'avoir tant de peine prise)
J'ay peur, qu'il me soit reproché
Qu'ung Asne mort j'ay escorché.
FIN