Epistre à Sagon et à la Hueterie, par M. Charles Fontaine, mal
attribuée par cy devant à Marot
Quand j'ay bien leu ces livres nouvelletz,
Ces chants Royaulx, Epistres, Rondeletz,
Mis en avant par noz deux Secretaires,
Qui en rithmant traictent plusieurs affaires,
Je leur escrys par moyen de plaisir,
Et de ce faire ay bien prins le loysir :
Car raison veult, que je les advertisse,
Qu'ilz n'ont pas heu du Poëte notice,
Qui dit qu'on doibt garder ses vers neuf ans,
Pour ce qu'on doibt craindre flottes, et vents,
Lors qu'on transporte, et qu'on mect en lumiere
Des escripvants leur ouvrage premiere :
Laquelle il fault reveoir diligemment,
Et de plusieurs avoir le jugement.
Celluy est sot, qui son imparfaict oeuvre
A toutes gens impudemment descoeuvre.
Plusieurs sçavans disent, qui sont ces veaulx,
Qui à rithmer se rompent les cerveaulx ?
Il semble à veoir, quand leur rithme on entonne,
Que tout par tout là où on l'oyt, il tonne.
Tout leur escript est rude, estrange, obscur,
Tant l'ung, que l'aultre, et en sa veine dur.
Il est bien vray, que cest art d'escripture
Est bien seant, quand on l'a de nature :
Ce qu'on congnoist à la facilité,
Et ne court point sans grande verité
Ce commun dit : on ne faict rien, qui serve,
Quand on le faict bon gré maulgré Minerve.
Ce que les gens d'esprit, et de sçavoir
Facillement peuvent appercevoir.
On voyt tant bien une oeuvre, qui sent l'huille,
Ou esventée, et seiche comme tuyle.
Il est facille à discerner les vers,
Qui n'ont point vie, et gisent à l'envers :
Il est facille, on le sent à la trace,
Quand aulcuns vers viennent de bonne race.
Je ne veulx pas pourtant les abbaisser,
A celle fin de mon style haulser :
Car je congnoys la petite science,
Que Dieu me donne, et prens en patience :
Mais seullement je veulx mectre en avant
Le jugement de maint homme sçavant,
Et de plusieurs, qui leur maistre seroyent,
Quand en cest art leur plume addresseroyent.
Je ne veulx donc trencher du parangon
Pour me monstrer ennemy de Sagon.
Je ne pretends ne plaid, ne huterie
Avec Sagon, ne La Hueterie :
Ce nonobstant, s'ilz en veulent à moy,
Je n'en seray (ce croy je) en grant esmoy :
Car je voy bien, à peu pres, que leur veine
Est ung petit trop debile, et trop vaine
Pour bien jouer. Cela tresbien je sçay
A veoir sans plus leur paovre coup d'essay.
Si dessus moy, leur cholere s'allume,
Là Dieu mercy nous avons encre, et plume,
Pour leur respondre ung peu plus sagement,
Qu'ilz n'ont escript touts deux premierement.
Que bien, que mal, selon noz fantasies
Nous escripvons souvent des Poësies :
Si ne suffist d'escripre maint blason,
Mais ilz s'ennuyent garder rithme, et raison.
Rithme, et raison, ainsi comme il me semble,
Doibvent tousjours estre logés ensemble.
L'homme rassis doibt son cas disposer
De longue main, premier que d'exposer
Son escripture, et ses petits ouvrages
Dessoubz les yeulx de tant de personnages :
Dont plusieurs n'ont mys en jeu leurs volumes,
Combien qu'ilz soyent faicts d'excellentes plumes.
Tant moins doibt on faire ung oeuvre imprimer,
Où il y a grandement à limer :
Il fault souvent y approcher la lime,
Avant qu'il soit permys, que l'on imprime :
Car les sçavants disent, bren du rithmeur,
Pareillement merde pour l'imprimeur,
Lequel nous vient cy rompre les cervelles
De ses traictés non vallants deux groiselles.
Tiltres haultains ne nous font qu'abuser,
A celle fin, qu'on y voyse muser,
Il n'y a point de plaisir en leur muse
Non plus, qu'au son de vieille cornemuse.
Je n'eusse pas pensé, que de six ans
On eust peu veoir de si sotz Courtisans,
Qui eussent heu la plume si legiere,
Qu'elle auroit peur de demourer derriere.
On jugeroit, que ces compositeurs
Sont aussi tost Poëtes, qu'Orateurs.
O Courtisans, vostre veine petite,
Pour bons rithmeurs va ung petit trop viste :
Non faict, que dys je ? Ains pour le faire court,
Il fault ainsi avoir bruyt en la court :
Ung bon rithmeur, qui tant d'experience,
Que de nature, il ayt ceste science.
En second poinct, il ne doibt tant errer,
Qu'il n'ayt pouvoir de sa main temperer
A ce que par quelcque maniere lasche
Dessus aultruy ses aguillons ne lasche
Effrenement, l'assaillant le premier.
O le beau faict, que l'on doibt premier !
Je ne vey oncq, depuis que suis en vie,
Escripre plus d'ardeur, gloire, et envie :
Certes l'escript le plus à detester,
C'est par rancueur mesdire, et contester :
Celluy, lequel aguise ainsi son style,
Doibt à bon droict estre appellé Zoille.
Tu monstres bien ta male affection,
A l'affligé donnant affliction.
Ce n'est pas là, ce n'est pas là la voye,
Qui gens d'esprit à bon renom convoye.
Communement de tel commencement
On n'en voyt pas fort bon advancement.
S'en est bien loing, il y a trop à dire,
Qu'on vienne à bien par blasmer, et mesdire :
Certes avant, qu'il soyt jamais dix ans,
On monstrera au doigt les mesdisans.
Desjà on dict, de La Hueterie,
Et de Sagon, ce n'est que flaterie :
A l'entour d'eulx de cent pas on la sent :
Je l'ay desjà bien ouy dire à cent.
Sage n'est pas celluy qui se soulace
A dire mal, pensant acquerir grâce :
Et mesmement, qui dict mal de celluy
Qui ne s'en doubte, et est bien loing de luy :
Dont il pretend avoir le lieu, et gaiges :
Mais beau temps vient apres pluye, et oraiges.
Facillement, et sans prendre grand soing,
On dict du mal de celluy qui est loing,
Que l'on pourroit avoir en reverence
Pour son sçavoir, quand il est en presence.
Quand telles gens se cuydent advancer,
Lors on les voyt tant plus desadvancer.
Il ne fault pas par moyen deshonneste
Penser venir à quelcque fin honneste.
Et qu'y a il plus loing d'honnesteté,
Que de mesdire avec une aspreté ?
Voylà comment pour le moins (à ce compte)
De vostre faict ne peult sortir que honte
Et deshonneur, si vous n'estes comptés
Pour gens qui estes desjà touts eshontés.
Je m'esbahys comment tu as peu estre
Si aveuglé, de te prendre à ton maistre;
Vous en deussiez touts deux mourir de dueil
On le congnoist et au doigt, et à l'oeil :
D'aultant s'en fault, que la vostre Marotte
Ne luy ressemble : elle est trop jeune, et sotte.
Ung peu plus tost vous voulustes frotter
De l'ensuyvir pour contremarotter.
L'ung va rithmant la fere contre affaire,
Et l'aultre aussi frere contre desplaire :
L'aultre par trop les oreilles m'offense;
Quand pour allume a voulu dire accense :
L'aultre redict moyctié, et amytié,
En douze vers, et moins de la moyctié :
L'aultre descript apres, Dieu sçait comment,
Ung chascun Ciel, et chascun Element :
L'Astronomie, aussi l'Astrologie,
Vous la diriez estre par eulx regie :
Mectre, et remectre, aussi cueurs, et obscurs,
Ce sont beaulx motz : mais en rithme ilz sont durs.
Et puis on veult pour aggreable avoir
Oeuvre tant sot, et mal plaisant à veoir !
Tantost apres, vingt et deux si arrivent,
Qui pas à pas l'ung et l'aultre s'ensuyvent.
Puis Sagon fonde, en docteur Arcadique,
Quatre raisons, sans texte Evangelique :
Aussi plusieurs personnages divers
Onques n'ont peu m'exposer ces deux vers :
Ton mal penser mect bien loing ta pensée,
Pres du soucy de ton âme offensée.
Pres, et bien loing, s'entresuyvent tres mal.
Aussi sent il troubler l'esprit vital,
Et cela vient de trop d'audace prinse,
Qui de plusieurs pourroit estre reprinse.
Ce nonobstant par telle folle audace
Nul d'eulx ne quiert, que d'estre mys en grâce :
Ce qui leur est chose plus qu'impossible,
Que s'il m'estoit par bon loysir possible,
J'auroys assez, pour esmouvoir maints cueurs,
Des sotz propos de ces Rethoriqueurs.
Ne sçay si bons la commune les clame :
Mais je sçay bien que tout sçavant les blasme.
Voylà que c'est : noz compositions
Veullent regner par noz affections.
Je n'ay loysir plus avant m'entremectre,
Mieulx me vauldroit entreprendre aultre metre,
Où l'on pourroit cueillir quelcque bon fruict,
Car je ne veulx, comme eulx, acquerir bruyt.
Mais je sçauroys vouluntiers quel homme est ce
Qui m'asseurast en sa foy, et promesse,
Qui auroit peu tirer ung seul proffit
De ces traictés, que l'ung, et l'aultre feit,
Tant froids vers Dieu, vers le monde, et l'eglise :
Tant seullement chascun d'eulx temporise,
A celle fin d'obtenir quelcque don :
Leur stile est doulx, voyre comme ung chardon.
Ce nonobstant cuydent en ceste sorte
Que de l'honneur, et proffit, il en sorte.
Homme ne doibt s'entremectre en quelcque art,
Duquel jamais n'entendit bien le quart.