Epistre à son amy, en abhorrant folle amour, par Clement
Marot
J'ay tousjours sceu par le conseil des sages
Et practiqué avec ceux de grands aages,
Et veu aussi par une experience
Qu'Amour de soy n'est que folle esperance,
Qui faict changer le sens [en] frenaisie,
Et la raison en vaine fantasie,
Aux travaillans donne la continue,
Et aux repos l'accroist, et diminue,
Aux tourmentez la donne plus legiere,
Et aux contens la donne toute entiere :
Car les tourmens à ceux qu'Amour attire
Sont doux plaisirs, et aux contens martyre.
Voy donc combien, amy, tu es deceu
De cest Amour sans t'en estre apperceu,
Qui soubz couleur d'un esperé remede
A tirer cueur, corps, et âme procede.
Premierement le plaisir que tu prens
Est de souffrir, et ainsi l'entreprens,
Car sans souffrir Amour n'est pas parfaict,
Et sans pouvoir ne vient on à l'effaict :
Et quand l'on a eu le fruict de l'attente,
Et qu'on parvient au point de son entente,
Le temps de soy faict le tout oublier,
Et bien souvent cause le publier.
Je ne dy pas qu'il t'en advienne ainsi
Et ne juge que tu preignes soucy :
Mais respondz moy : qu'est ce que tu attens
De ceste Amour, ou l'ennuy, ou le temps ?
Si c'est l'ennuy, le temps long te sera,
Si c'est le temps, l'ennuy si te tuera.
Ainsi de mort ne te puis guarantir,
Ou pour le moins que tu vives martir.
Doncques Amour ne peult estre propice,
Puis que du temps faict une mort prolixe.
Qu'est ce qu'Amour ? voy qu'en dit Saingelays,
Petrarque aussi, et plusieurs hommes lais,
Prebstres et clercs, et gens de tous estophes,
Hebreux, et Grecz, Latins, et philosophes :
Ceux là en ont bien dict par leurs sentences
Que de grands maulx petites recompenses.
Je ne dy pas qu'Amour ne soit bon homme,
Bon filz, bon fol, sage, bon gentilhomme,
Hardy, [couard], honteux, audacieux,
Fier, humble, fin, simple, fallacieux,
Malade, et sain, aigre, et doux, fantasticque,
Palle, sanguin, joyeux, melencolique,
Chault, froid, et sec, fascheux, plaisant, estrange,
Diable cornu : en forme d'un [b]el Ange,
Amy secret, et ennemy publicque,
Tresdoulx parle[u]r en faincte Rethoricque,
Grand, et petit, jeune, et vieil tout ensemble,
Foible, et puissant, à qui nul ne ressemble.
C'est ung marchant, qui à bon marché preste,
Mais au payer c'est une [caulte] beste,
Car son credit est d'une telle attente
Qu'il n'est celuy qui ne s'en mescontente.
Doncques, amy qui aymes amour suyvre,
Pense le mal qui vient de le poursuyvre,
Et voy le bien qu'on a de le laisser.
En y pensant ne te pourras blesser,
Mais bien plus tost d'une playe guerir,
Qui te pourroit par temps faire mourir.
Ce que je dy vient de l'affection
Et la pitié qu'ay de ta passion,
Voyant du tout la raison estre absente
Par folle Amour, qui en toy est presente.
Croistre je voy d'ung costé ta douleur,
Et amoindrir, d'ung aultre, ta couleur,
Qui monstre assez le nombre de ta peine
Et le sejour de la fievre cartaine,
Qui demourra, si ton mal ne s'escarte,
En continue, ou bien en double quarte.
Parquoy mieulx vault tost en sortir blessé
Que tard de mort en venir offensé.
Qu'est ce qu'Amour, sinon doulce amertume,
Tournant bon droict en mauvaise coustume,
Alienant le sens de la raison,
Voysin suspect, et certaine prison,
Qui, soubz couleur d'une esperance folle,
Ses favorez mort, destaint; et affolle,
En attendant le pretendu plaisir
Dont mal vient tost, et le bien à loysir ?
Encores plus, car le bien, quand il vient,
Ce n'est qu'ennuy, quand apres en souvient.
Le bien que j'euz une fois de m'amye
En peu de temps tourna en infamie,
Car en Amour fut si tresmalheureuse,
Apres l'effaict, que de moy fut jaleuse,
Moy d'elle aussi, tant qu'au lieu de le taire,
Chascun congneut nostre secret affaire :
Elle par trop avoit d'affection,
Moy, d'autre part, peu de discretion,
Comme aux aymans Cupido les yeux bende,
Sans y penser nous benda de sa bende,
Et desbendez quand nous fusmes tous deux,
Veysmes l'erreur d'Amour, dont je me deulx.
Finis