Complaincte à la Royne de Navarre du maltraictement de Madame de
Ferrare par le Duc, son Mary
Plaigne les mortz qui plaindre les vouldra :
Tant que vivray, mon cueur se resouldra
A plaindre ceulx que douleur assauldra
En ceste vye.
O fleur que j'ay la premiere servie,
Tu metz chascun hors de peine asservie :
Et toy, tu as peine non desservie,
Bien je le sçay.
De mille ennuys tu en as faict l'essay :
Mais puis le temps que banny te laissay
Sans te laisser, à servir m'adressay
Une princesse
Qui plus que toy d'avoir ennuy ne cesse.
O Dieu du ciel, n'auray je une maistresse
Avant mourir, qui son cueur de destresse
Puisse exempter ?
N'est pas ma Muse aussy propre à chanter
Ung doulx repos qui les peult contenter,
Qu'ung dur travail qui les vient tormenter
Ou une oultrance ?
Ha Marguerite, escoute la souffrance
Du noble cueur de Renée de France :
Puis, comme seur, plus fort que d'esperance
Consolle la.
Tu sçais comment hors son pays alla,
Et que parens et amys laissa là :
Mais tu ne sçais quel traictement elle a
En terre estrange.
De cent couleurs en une heure elle change.
A ses repas poires d'angoisse mange.
Et en son vin de larmes fait melange,
Tout par ennuy :
Ennuy receu du costé de celluy
Qui estre deust sa joye et son appuy :
Ennuy plus grief que s'il venoit d'aultruy,
Et plus à craindre.
Las, et ne veoyt ceulx à qui se veult plaindre.
Son oeil royal si loing ne peult actaindre.
Et puis les montz, pour ce bien luy estaindre,
Sont entredeux.
Peu d'amys a quiconques est loing d'eulx.
Le Roy ton frere, et toy et tes nepveux
Estes les sainctz où elle faict ses veux
A chascune heure.
De France n'a nul grant qui la sequeure :
Et des petiz qui sont en sa demeure
Son mary veult, sans qu'un seul demeure,
Les rebouter.
Car rien qu'elle ayme il ne sçauroit gouster :
C'est la geline à qui on veult oster
Tous ses poussins, et scorpions bouter
Dessoubz son esle.
C'est la perdris qu'on veult en la tonnelle
Faire tomber. Mais que ne pense en elle
Le Roy, de qui la bonté fraternelle
Tant invoquons ?
Vouldroit il bien à bailleurs de boucons
Bailler luy mesme en garde ses flascons ?
Frans et loyaulx autour d'elle vacquons :
C'est son decore.
Mais ce fascheux ingrat, et pire encore,
Vouldroit reduyre en petite seignore
La fleur de lis que tout le monde honore
D'affection.
Helas, s'il fait tant de profession
D'honneur, de loz, de reputtation,
Pourquoy le train de nostre nation
Veult il deffaire ?
Faulte d'amour l'esguillonne à ce faire,
Que luy engendre ung desir de desplaire
A celle là qui prent pour luy complaire
Merveilleux soing.
Paris, tenant par force Helaine au loing,
Feit qu'elle n'eut de reconfort besoing :
Son traictement estoit ung vray tesmoing
D'amitié clere.
Helas, fault il que bonté se declaire
Plustost au cueur d'un forceur adultere
Qu'en ung mary ? Sçais tu pourquoy austere
Luy est ainsy ?
Il vouldroit bien à la dame sans si
Oster la force et le vouloir aussy
De secourir Françoys passans icy :
C'est leur refuge.
Bien je le sçay : à la bonne heure y fu je.
Il vouldroit bien, si mon sens est bon juge,
Par quelque grant et dangereux deluge
Plus luy ravir.
Il vouldroit bien jusques là l'asservir,
Que d'un seul poinct ne peust au roy servir,
Et luy a faict, pour de cela chevir,
Mille vacarmes.
O Roy Françoys, elle porte tes armes,
Voyre, et à toy s'adressent telz alarmes,
Dont le plus doulx ne pourroit pas sans larmes
Estre desduict.
Et ne peult l'aultre à raison estre induit.
Par cil honneur où France l'a conduit,
Ne par enfans que tant beaulx luy produit
Par maincte année.
Ne la bonté de la noble Renée
Ne la doulceur qui avec elle est née,
Ne les vertus qui l'ont environnée
N'y ont povoir.
J'auroys plustost entrepris d'esmouvoir,
Comme Orpheus, en l'infernal manoir
Caron le dur, voire Pluton le noir
Et chien Cerbere.
O donques Roy, son cousin, frere, et pere,
Arreste court l'entreprise impropere :
Et toy Princesse, en qui tant elle espere,
Mectz y la main.
Ung parentaige aultre que le germain
Y doit mouvoir ton cueur doulx et humain :
Si n'y pensez, mourra quelque demain,
Seche et ternie.
Et en mon cueur, si secours on luy nye,
Veu la façon comment on la manye,
Diray qu'elle est de la France banye
Autant que moy,
Qui suis icy en angoisseux esmoy,
En actendant secours promis de toy
Par tes beaulx vers, cela je ramentoy
Avecques gloire.
Et bien souvent, à part moy, ne puis croire
Que ta main noble ayt eu de moy memoire
Jusqu'à daigner me estre consolatoire
Par ses escriptz,
Qui pour jamais en mon cueur sont inscriptz.
Plus ne sont leuz : leur doulceur de hault pris
Et zelle ardant me les eurent apris
En peu d'espace.
Et aussytost que desespoir menace
Mes yeulx de plus ne veoir ta clere face,
Lors force m'est que de ta lettre face
Mon escusson.
Si la prononce en forme de chanson,
Plustost en ung, plustost en autre son,
Puis hault, puis bas, et en ceste façon
Je me consolle,
Si que mon cueur de grant liesse volle,
Rememorant ta royalle parolle,
Qui me promect de m'effacer du roolle
Des dechassez.
Or sont delà les plus grans feuz passez.
Rien n'ay mesfaict. Au Roy doulceur abonde.
Tu es sa seur. Ces choses sont assez
Pour rappeler le plus bany du monde.