I
Sur la devise de Jan le Maire de Belges, laquelle est : De peu
assez
DE PEU ASSEZ a cil, qui se contente :
De prou n'a riens celluy, qui n'est content.
Estre content de peu est une rente
Qui vault aultant qu'or, ny argent contant.
Ce n'est pas tout s'esjouir en comptant
Force ducatz, si le desir ne cesse.
Qui en desir temperé est constant,
Il peut dire, qu'il a vraye richesse.
Contentement passe richesse
II
Distique
Peu de Villons en bon savoir,
Trop de Villons pour decevoir.
III
Au Roy, nostre souverain
Si en Villon on treuve encor à dire,
S'il n'est reduict ainsi qu'ay pretendu,
A moy tout seul en soyt le blasme (Sire)
Qui plus y ay travaillé qu'entendu.
Et s'il est mieulx en son ordre estendu
Que paravant, de sorte qu'on l'en prise,
Le gré à vous en doibt estre rendu,
Qui fustes seul cause de l'entreprise.
IV
Dizain sur le dict d'ung Theologien
De la Sorbonne ung docteur amoureux
Disoit ung jour à sa dame rebelle :
Ainsi que font tous aultres langoreux,
Je ne peux rien meriter de vous, belle.
Puis nous prescha que la vie eternelle
Nous meritons par oeuvres, et par dictz :
Arguo sic, si magister Lourdis
De sa Catin meriter ne peult rien,
Ergo ne peult meriter Paradis :
Car pour le moins Paradis la vault bien.
V
Huictain
Le Roy, aymant la decoration
De son Paris, entre aultres biens ordonne
Qu'on y batisse avec proportion :
Et pour ce faire, argent, et conseil donne.
Maison de ville y construict belle, et bonne,
Les lieux publics devise tous nouveaulx,
Entre lesquelz au meillieu de Sorbonne
Doibt, ce dict on, faire la place aux veaux.
VI
Remede contre la peste
Recipe assis sur ung banc,
De Meance le bon jambon
Avec la pinte de bon vin blanc
Ou de claret, mais qu'il soit bon.
Boire souvent de grand Randon,
Le doz au feu, le ventre à table,
Avant partir de la maison,
Cest opiate est prouffitable.
A vostre disner userez
De viandes creuses et legieres,
Beuf ne mouton ne mangerez,
Car ce sont trop dures matieres,
Connils, Perdrys soubz les poppieres,
Passerez aussi Perdriaulx,
Fuyez vyeulx oyseaulx de Riviere,
Et mangez force faisandeaulx.
Ne dormez point apres disner,
Car le dormir est dangereulx,
Et quand en viendra au souper,
Beuvez des vins delicieulx,
Puis apres, entre deux lincieux,
Allez reposer vostre teste :
Continuez ung an ou deux,
De trois mois ne mourrez de peste.
VII
A Geoffroy Brulart
Nostre maistre Geoffroy Brulart
Qui sçavez la science, et l'art
De guerir les gens de tous maulx,
Icy est l'ung de voz feaulx
Qui de colique brusle, et art.
Je ne mange poisson ne lard,
Non que craigne le papelart,
Mais mon mal me faict trop d'assaulx.
Nostre maistre,
Venez donc plus tost que tart,
Et n'oubliez pas le broillart
De voz receptes à monceaulx,
Et payé serez en Royaulx,
Car vous estes saige vieillart,
Nostre maistre.
VIII
Ce que aulcuns Theologiens plaquerent à Paris, quand Beda fut
forbanny, voulans esmouvoir le peuple à sedition contre le
Roy
Au feu, au feu, ceste heresie
Qui jour et nuyct trop nous blesse :
Doys tu souffrir qu'elle moleste
Saincte Escripture et ses esdictz ?
Veulx tu bannyr science parfaicte
Pour soustenir Lutheriens mesdictz ?
Crains tu dieu qu'il le permecte
Toy et tes biens qui sont fleuris
Face perir ?
Paris, Paris, fleur de noblesse,
Soustien la loy de toy qu'on blesse,
Ou aultrement fouldre et tempeste
Cherra sus toy, je t'en advertys.
Prions tous le roy de gloire
Qu'il confunde ces hereticques mauldictz,
Affin qu'il n'en soyt plus memoyre,
Non plus que des aulx pourriz.
Au feu, au feu, c'est le repaire,
Faictz en justice, dieu l'a permys.
IX
Responce de Clement Marot à l'escripteau icy dessus
En l'eau, en l'eau, ces folz seditieux,
Lesquelz, en lieu des divines parolles,
Preschent au peuple ung tas de monopoles
Pour esmouvoir debatz contentieux.
Le Roy leur est ung peu trop gratieux :
Que n'ha il mys à bas ces testes folles
En l'eau.
Ilz ayment tant les vins delicieux
Qu'on peult nommer cabaretz leurs escholles
Mais refroidir fauldroit leurs chauldes colles,
Par rebours de ce qu'ilz ayment myeulx,
En l'eau.
X
Dizain à ce propos
Au feu, en l'eau, en l'air ou en la terre,
Soient pris et mis ces folz predicateurs,
Qui vont preschant sedition, et guerre,
Entre le peuple et les bons precepteurs.
Ilz ont esté trop long temps seducteurs,
Et mis le monde en trouble, et desarroy.
Mais Dieu de grâce ha voulu, que le Roy
Aye entendu leur sophistic parler,
Qui les fera punir selon la loy,
Au feu, en l'air, en la terre, ou en l'air.
XI
Sur Juppiter ex alto
Tous les sermens que femme peult jurer
A son amy quand elle est accusée,
Tous les propos que jeunesse abusée
Presente au cueur doubteux pour l'asseurer,
Ont ilz puissance à faire meme durer
Et divertir mon malheureux soucy ?
Non : car j'ay veu son mary murmurer
Souvent de moy qu'elle juroit ainsi.
XII
Dicton en ryme croisée
Sus, quatre vers, partez en haste
De par Marot dire à levrault,
Si la mort ne l'a mys en paste,
Qu'il le veult veoir, car il le vault.
XIII
Robinet à Marot
Pres de ton cueur plus dur que dyamant
Je suis logé, trescher amy Clement.
Comme si j'eusse la haulte mer passée,
Suys eslongné de ta bonne pensée :
Veu que tu es mon voisin de si pres,
Je m'esbahys si ne fays tes apprestz
Pour de promesse te venir acquicter :
Si quicté m'as, me convient te quicter.
Marot à Robinet
Tu es logé au cabinet
De mon cueur, amy Robinet,
T'advisant que point ne te quicte :
Mais puis qu'il fault que je m'acquite,
A ce soir me trouveras prest.
Ce pendant faiz doncques apprest
De vin sur la langue trotant,
Et de soif pour boire d'autant.
XIV
Dizain
Veu que suys né en povreté amere,
Moult haultement apparenté me voy :
Car une Royne excellente est ma mere :
Loué soit Dieu, duquel vient cest envoy.
D'un mesme pain vivons en bonne foy,
Voyre, et combien que je luy obtempere,
Son frere suys du costé du grand pere.
Que dictes vous, dois je vivre en esmoy ?
Allez caphars de rage et de vipere,
Elle n'est pas votre seur comme à moy !
XV
Au grant Maistre
Il pleut au Roy, l'ung de ces jours passez,
De commander que j'eusse de l'argent.
Advis me fut que c'estoit bien assez
Et que n'estoys desjà plus indigent.
A pourchasser n'ay esté negligent,
Et toutesfois je ne suis satisfaict.
Le Roy le veult, c'est raison qu'il soit faict :
Il vous plaira doncq commander par lectre
Que son vouloir sortisse son effect,
Et vous ferez ung oeuvre de grant maistre.
XVI
Epigramme par manière de dialogue pour madamoiselle d'Huban
Qu'esse qu'Huban ? c'est beaulté naturelle
Et grand vertu en forme corporelle.
Qu'esse qu'Huban ? du Seigneur un chef d'oeuvre
Mys icy bas, lequel il nous descoeuvre.
Qu'esse qu'Huban ? c'est un jardin et clost
Où tout sçavoir veritable est enclost.
Qu'esse qu'Huban ? affin que le vous dye
Tout en un mot, c'est la cyclopedie
Et de tous artz liberaulx le registre
Que le Seigneur a voulu faire, et tistre,
Pour nous monstrer sa vertu planctureuse.
Voilà que c'est qu'Huban, la bien heureuse :
Heureuse dy, quar il n'est femme au monde
En qui vertu plus qu'en icelle habonde.
XVII
A Madame de Ferrare
Quant la vertu congneut que la fortune
Me conseilloit d'abandonner la France,
Elle me dit : cherche terre opportune
Pour mon recueil, et pour ton asseurance.
Incontinent, dame, j'euz esperance
Qu'il feroit bon devers toy se retraire,
Qui tous enfans de vertu veulx attraire
Pour decorer ta maison sumptueuse,
Et qui plaisir ne prendrois à ce faire,
Si tu n'estoys toy mesme vertueuse.
XVIII
De Marot sorty du service de la Royne de Navarre et entré en
icelluy de Madame de Ferrare
Mes amys, j'ay changé ma dame,
Une autre a dessus moy puissance :
Née deux foys de nom, et d'âme,
Enfant de Roy par sa naissance,
Enfant du ciel par congnoissance
De celluy qui la saulvera :
De sorte quant l'autre saura
Comment je l'ay telle choysie,
Je suis tout seur qu'elle en aura
Plus d'aise que de jalousie.
XIX
Sonnet à Madame de Ferrare
Me souvenant de tes grâces divines,
Suis en douleur, princesse, à ton absence :
Et si languy quant suis en ta presence,
Voyant ce lys au milieu des espines.
O la doulceur des doulceurs feminines !
O cueur sans fiel ! ô race
d'excellence !
O dur mary remply de violence,
Qui s'endurcist pres des choses benignes.
Si seras tu de la main soustenue
De l'Eternel; comme chere tenue,
Et tes nuysans auront honte, et reproche.
Courage, doncq : en l'air je voy la nue
Qui çà, et là s'escarte, et diminue,
Pour faire place au beau temps, qui s'approche.
XX
Au Roy
Plaise au Roy me faire payer
Deux ans d'absence de mes gaiges,
Tant seullement pour essayer,
Apres que l'on s'est veu rayer,
Combien sont doulx les arreraiges.
J'en chasseray tous les oraiges
Qui loing de vous m'ont faict nager,
Et sauray gré à mes contraires,
Qui, cuydans troubler mes affaires,
M'auront fait si bon mesnager.
XXI
A la ville de Paris
Paris, tu m'as fait mainctz alarmes,
Jusqu'à me poursuivre à la mort.
Je n'ay que blasonné tes armes :
Ung ver, quant on le presse, il mord.
Encor la coulpe m'en remord.
Ne sçay de toy qu'il en sera :
Mais de nous deux le dyable emport
Celluy qui recommencera.
XXII
Au Roy, pour estrenes
Ce nouvel an, Françoys, où grâce abonde,
M'a fait present de plaine liberté :
Il m'a ouvert pour estrene le monde
Dont l'occident deux ans clos m'a esté.
Et pourtant j'ay d'estrener protesté
Le monde ouvert, et mon Roy valeureux.
Je donne au roy ce monde plantureux :
Je donne au monde ung tel prince d'eslite,
Affin que l'un vive en paix bien heureux,
Et que l'autre ayt l'estrene qu'il merite.
XXIII
De la prise du Chasteau de Hedin
C'est à Françoys en armes tressavant
De faire prendre aux ennemys carriere,
C'est à Françoys de marcher plus avant,
C'est à Cesar de retourner arriere :
Car mieulx que luy Françoys rompt la barriere,
Laquelle nuyst à plus oultre entreprendre.
Va donc Cesar, va patience prendre :
Prendre ne peulx aussy bien ung fort lieu.
Tu rends Hedin : nous ne voulons entendre
A rendre rien, synon grâces à Dieu.
XXIV
Sonnet de la difference du Roy et de l'Empereur
L'un s'est veu pris, non plusieurs fois, mais une,
En plain conflict, faisant aspres effortz.
L'autre deux foys n'a eu courage, fors
Fuyr de nuyct, sans craindre honte aucune.
L'un fut en camp, exemple de fortune,
L'autre ung patron de vrays actes tres ords.
L'un par sa prise a perdu des tresors,
L'autre l'honneur, trop plus cher que pecune.
L'un a fort bras : du pied l'autre est expert.
L'un veult user de puissance en appert :
L'autre en secret maulx infiniz conspire.
Quant tout est dit (pour ce qu'il vault, et sert) :
D'estre chez luy à croppir il dessert,
Et cestuy cy deust manier l'empire.
XXV
Sur la devise de l'empereur, plus oultre
La devise de l'empereur
D'ambition le fait noter,
Et si est foible conquereur
Pour ceulx à qui se veult frotter
Son «plus oultre» luy fault oster,
Si aultrement ne s'en acoustre :
Car qui reculle doit porter
«Plus arriere», non pas «plus oultre».
XXVI
Contre Sagon
Si je fais parler ung vallet,
Sagon fera parler ung page :
Si je pains le premier fueillet,
Sagon painct la premiere page :
Si je postille mon ouvraige,
Sagon tout ainsy vouldra faire.
Quant tout est dit, veu son affaire,
Je trouve que le babouyn
Ne fait rien, sinon contrefaire,
Comme vray singe, ou sagouyn.
XXVII
Cinquain
Janeton a du teton,
Et Cathin a du tetin,
Martin de la tetine,
Et Oudette de la tette,
Thomasse de la tetasse.
XXVIII
Pour le Perron de Monseigneur le Daulphin, au tourney des
Chevaliers errans, pres Chatelerault. en l'An I54I
Icy est le Perron,
D'amour loyalle, et bonne :
Ou maint coup d'esperon
Et de glaive se donne.
Ung Chevalier Royal
Y a dressé sa tente :
Et sert de cueur loyal
Une Dame excellente.
Dont le nom gracieux
N'est jà besoing d'escrire :
Il est escript aux cieulx,
Et de nuyct se peult lire.
Cest endroict, et forest,
Nul Chevalier ne passe,
Sans confesser qu'elle est
Des Dames l'oultrepasse.
S'il en doubte, ou debat,
Point ne fault qu'il presume
S'en aller sans combat.
C'est du lieu la coustume.
XXIX
Pour le Perron de Monseigneur d'Orleans
Voicy le Val des constans amoureux,
Où tient le parc l'Amant chevalereux,
Qui n'ayma onc, n'ayme, et n'aymera qu'une.
D'icy passer n'aura licence aucune
Nul Chevalier, tant soit preux, et vaillant,
Si Ferme amour est en luy deffaillant.
S'il est loyal, et veult que tel se treuve,
Il luy convient lever, pour son espreuve
Ce Marbre noir : et si pour luy trop poise,
Chercher ailleurs son advanture voise.
XXX
Quatre epigrammes du mesme autheur faictz pour les Perrons de la
forest de Chasteleraud, au tournoy et triumphe de la reception du
duc de Cleves
I
Pour le Perron de Monsieur de Vendosme
Tous chevaliers de queste avantureuse,
Qui de venir au sejour vous hastez,
Où loyauté tient sa cour plantureuse,
Et y depart ses guerdons souhaitez,
Ne passez outre, et si vous arestez :
Jouster vous fault, et monstrer la vaillance
Qui est en vous, et d'espée et de lance,
Ou franchement que vous me consentez
Que celle à qui j'ay voué mon service
Non seulement n'a macule ne vice,
Ne rien en elle, ou tout honneur n'abonde,
Mais est la plus parfaite de ce monde.
II
Pour le Perron de Monsieur d'Anguien dont la superscription estoit
telle : pour le Perron d'un chevalier qui ne se nomme
point
Le Chevalier sans peur, et sans reproche,
Se tient icy : qu'aucun ne s'en aproche,
S'il n'est en point de jouster à oultrance
Pour soustenir la plusbelle de France.
Qui de passer aura cueur, ou envie,
Conte de mort peu face, et moins de vie.
III
Pour le Perron de Monsieur de Nevers
Vous chevaliers errans, qui desirez honneur,
Voyez le mien Perron où maintiens loyauté
De tous parfaitz amans, et soustiens le bon heur
De celle qui conserve en vertu sa beauté :
Parquoy je veux blasmer de grand'desloyauté
Celuy qui ne vouldra donner ceste asseurance,
Qu'au demourant du monde on peult trouver bonté
Qu'on deust autant priser que sa moindre science.
IV
Pour le Perron de Monsieur d'Aumale qui estoit semé des lettres L
et F
C'est pour la souvenance d'une
Que je porte ceste devise,
Disant que nulle est souz la Lune
Où tant de valeur soit comprise.
A bon droit telle je la prise,
Et de tous doit estre estimée
Qu'il n'en est point, tant soit exquise,
Qui soit si digne d'estre aymée.
Si quelqu'un d'audace importune
Le contraire me veult debatre,
Fault qu'il essaye la fortune
Avecques moy de se combatre.
XXXI
De Monsieur du Val, Tresorier de l'espargne
Toy noble esprit qui veulx chercher les Muses,
En Parnasus (croy moy) tu monteras :
De les trouver sur le mont tu t'amuses,
Dont, si m'en croys, au Val t'arresteras :
Là d'Helicon la fontaine verras,
Et les neuf soeurs Muses bien entendues,
Qui, puis un peu (ainsi le trouveras)
Du Mont Parnase, au Val sont descendues.
XXXII
Responce de du Val
Toy noble esprit, qui vouldras t'arrester
Et aucun Val, pour les neuf Muses veoir,
Et tous tes sens de nature apprester,
Pour aucun fruict de leur science avoir,
Ne pense pas un tel bien recevoir
D'un Val en friche, où ces Soeurs ont trouvé
Nouveau Vassal : mais s'il est abreuvé
De la liqueur qui par Marot distille
De Parnasus, lors sera esprouvé
Combien tel Mont peult un Val faire utile.
XXXIV
De Madame de l'Estrange
Celle qui porte un front cler et serain,
Semblant un Ciel, où deux Planetes luysent :
En entretien, grâce, et port souverain,
Les autres passe autant qu'argent l'erain,
Et tous ces poinctz à l'honorer m'induysent.
Les escrivains qui ses vertus deduysent
La nomment tous ma Dame de l'Estrange :
Mais veu la forme, et la beauté qu'elle a,
Je vous supply, compaignons, nommez la
Doresnavant ma Dame qui est Ange.
XXXV
A l'Empereur
Lors que (Cesar) Paris il te pleut veoir,
Et que pour toy la Ville estoit ornée,
Un jour devant il ne feit que pleuvoir,
Et l'endemain claire fut la journée :
Si donc faveur du Ciel te fut donnée,
Cela, Cesar, ne nous est admirable :
Car le Ciel est, comme par destinée,
Tout coustumier de t'estre favorable.
XXXVI
De Viscontin, et de la Calendre du Roy
Incontinent que Viscontin mourut,
Son âme entra au corps d'une Calendre :
Puis de plein vol vers le Roy s'en courut,
Encor un coup son service reprendre :
Et pour mieulx faire à son maistre comprendre
Que c'est luy mesme, et qu'il est revenu,
Comme on l'ouyt parler gros, et menu,
Contrefaisant d'hommes geste et faconde,
Ores qu'il est Calendre devenu,
Il contrefaict tous les Oyseaulx du monde.
XXXVII
D'un gros Prieur
Un gros Prieur son petit fils baisoit,
Et mignardoit au matin en sa couche,
Tandis rostir sa Perdrix on faisoit :
Se leve, crache, esmeutit, et se mouche :
La Perdrix vire : Au sel de broque en bouche
La devora, bien sçavoit la science :
Puis quand il eut prins sur sa conscience
Broc de vin blanc, du meilleur qu'on eslise :
Mon Dieu, dit il, donne moy patience,
Qu'on a de maulx, pour servir saincte Eglise !
XXXVIII
De la Ville de Lyon
On dira ce que l'on voudra
Du Lyon, et de sa cruauté :
Tousjours, ou le sens me fauldra,
J'estimeray sa privaulté :
J'ay trouvé plus d'honnesteté,
Et de noblesse en ce Lyon,
Que n'ay pour avoir frequenté
D'autres bestes un million.
XXXIX
A une, dont il ne povoit oster son cueur
Puis qu'il convient pour le pardon gaingner
De tous pechez faire confession,
Et pour d'enfer l'esprit esloingner
Avoir au cueur ferme contrition,
Je te supply fais satisfa[c]tion
Du povre cueur qu'en peine tu retiens,
Ou si le veulx en ta possession,
Confesse donc mes pechez et les tiens.
XL
A Pierre Marrel, le merciant d'un Cousteau
Ton vieil Cousteau, Pierre Marrel, rouillé,
Semble ton Vit, jà retraict et mouillé :
Et le Fourreau tant laid où tu l'engaines,
C'est que tousjours a aymé vieilles Gaines :
Quant à la corde à quoy il est lyé,
C'est qu'attaché seras, et maryé :
Au Manche aussi de Corne congnoit on
Que tu seras cornu comme un Mouton :
Voylà le sens, voylà la prophetie
De ton Cousteau, dont je te remercie.
XLI
De Alix, et de Martin
Martin estoit dedans un boys taillis
Avec Alix, qui par bonne maniere
Dit à Martin : le long de ces Pallis
T'amye Alix d'amour te faict priere :
Martin dit lors, s'il venoit par derriere
Quelque lourdault, ce seroit grand vergongne :
Du cul (dit elle) vous ferez signe : Arriere,
Passez chemin, laissez faire besongne.
XLII
D'un Cheval, et d'une Dame
Si j'ay comptant un beau Cheval payé,
Il m'est permis de dire qu'il est mien :
Qu'il ha beau trot, que je l'ay essayé :
En ce faisant cela me faict grand bien.
Donques si j'ay payé comptant et bien
Celle qui tant soubz moy le cul leva,
Il m'est permis de vous dire combien
Elle me couste, et quel emble elle a.
XLIII
D'une Dame desirant veoir Marot
Ains que me veoir en lisant mes escripts
Elle m'ayma, puis voulut veoir ma face.
Si m'a veu noyr, et par la barbe gris,
Mais pour cela ne suis moins en sa grâce.
O gentil cueur, Nymphe de bonne race,
Raison avez : car ce corps jà grison
Ce n'est pas moy, ce n'est que ma prison.
Et aux escripts dont lecture vous feistes,
Vostre bel oeil (à parler par raison)
Me veit trop mieulx, qu'à l'heure que me veistes.
XLIV
A une Dame de Lyon
Sus lettres faictes la petite à la brunette Marguerite
Si le loysir tu as, avec l'envie
De faire un tour icy pres seulement,
Je te rendray bon compte de ma vie,
Depuis le soir qu'euz à toy parlement :
Ce soir fut court : mais je sçay seurement
Que tu en peulx donner un par pitié,
Qui dureroit dix fois plus longuement,
Et sembleroit plus court de la moytié.
XLV
Responce par ladicte Dame
Lettres saluez humblement, de Maro le seul filz Clement
Quant tu vouldras, le loysir et l'envie
Dont me requiers sera bien tost venue,
Et de plaisir seray toute ravie
Lors me voyant de toy entretenue :
Le souvenir de ta grâce congneue
Du soir auquel j'euz à toy parlement,
Souvent me faict par amour continue
A voir desir de recommencement.
XLVI
A Monsieur Crassus, qui luy vouloit amasser deux mil escuz
Cesse, Crassus, de fortune contraindre,
Qui grand tresor ne veult m'estre ordonné :
Suffise toy qu'elle ne peult estaindre
Ce nom, ce bruit, que vertu m'a donné.
C'est à Françoys, ce grand Roy couronné
A m'enrichir. Quant aux escus deux mille
Que m'assembler ne trouves difficile
D'autant d'amys, en vérité je tien
Qu'il n'y a chose au Monde plus facile,
Si tous avoient semblable cueur au tien.
XLVII
D'un mauvais Poete
Sans fin (paovre sot) tu t'amuses
A vouloir complaire aux Neuf muses :
Mais tu es si lourd, et si neuf,
Que tu en fasches plus de neuf.
XLVIII
Mommerie de quatre jeunes Damoyselles, faicte de Madame de Rohan à
Alençon
La premiere portant des esles
Prenez en gré, Princesse, les bons zelles
De l'entreprise aux quarte damoyselles :
Dont je me tien des plus petites l'une.
Mais toutefois entendez par ces esles
Qu'à ung besoin pour vous, avecques elles,
J'entreprendroys voller jusqu'à la Lune.
La premiere vestuë de blanc
Pour resjouyr vostre innocent,
Avons prins habit d'innocence.
Vous pourriez dire qu'il ne sent
Rien encor de resjouyssance.
Mais (Madame) s'il a puissance
De sentir mal quand mal avez :
Pourquoy n'aura il jouyssance
Des plaisirs que vous recevez ?
La seconde portant des esles
Madame, [c]es esles icy
Ne monstrent faulte de soucy,
Ne trop de jeunesse frivolle.
Elles vous declarent pour moy
Que quand vous estes hors d'esmoy,
Je voy, je vien, mon cueur s'envolle.
La seconde vestuë de blanc
L'habit est blanc, le cueur noir ne fut oncques,
Prenez en bien (noble Princesse) doncques
Ce passetemps de nostre invention :
Car n'en deplaise à la melancholie,
Soy resjouyr n'est peché ny follye,
Sinon à gent de malle intention.
Pour la jeune.
Recevez en gré la boursette,
Ouvrée de mainte couleur :
Voluntiers en don de fillette
On ne regarde en la valeur.
J'auray grand plaisir, avecq'heur,
S'il est prins de volunté bonne.
Car je le donne de bon cueur,
Et le cueur mesme je vous donne.
Pour l'aisnée
C'est ung don faict d'un cueur pour vous tout né,
C'est de la main à vous toute adonnée :
Brief c'est ung don lequel vous est donné
De celle là que l'on vous a donné :
Voyre donné d'Amour bien ordonnée :
Parquoy mieux prins sera comme je pense.
Si le don plaist, me voylà guerdonnée :
Amour ne veult meilleure recompense.
XLIX
D'Ysabeau
Ysabeau, ceste fine mousche,
Clavier (tu entens bien Clément)
Je sçay que tu sçayz qu'elle est lousche,
Mais je te veulx dire comment :
Elle l'est si horriblement,
Et de ses yeux si mal s'acoustre,
Qu'il vauldroit mieulx, par mon serment,
Qu'elle feust aveugle tout oultre.
L
Huictain
J'ay une lettre entre toutes eslite.
J'ayme ung pais, et ayme une chanson :
N est la lettre, en mon cueur bien escripte,
Et le païs est celuy d'Alençon.
La chanson est (sans en dire le son) :
Alegez moy, doulce, plaisant brunette.
Elle se chante à la vieille façon :
Mais c'est tout ung, la brunette est jeunette.
LI
Dixain
Une dame du temps passé
Vey n'agueres entretenuë
D'ung vieil gentilhomme cassé
Qui avoit la barbe chenuë :
Alors la souhaytastes nuë
Entre ses braz : mais puis qu'il tremble,
Et puis que morte elle resemble,
Monsieur, si pitié vous remord,
Ne les faictes coucher ensemble,
De peur qu'ilz n'engendrent la Mort.
LII
Du retour de Tallart à la Court
Puis que voyons à la Court revenuë
Tallard, la fille à nulle autre seconde,
Confesser fault, par sa seule venue,
Qu[e] les Espritz reviennent en ce
monde :
Car rien qu'Esprit n'est la petite blonde.
Esprit qui point aux autres ne ressemble,
Veu que de peur, s'ilz reviennent, on tremble.
Mais cestuy cy n'espovente ne nuyt.
O esprit donc, bon feroit, ce me semble,
Avecques toy rabaster toute nuict.
LIII
Huictain
Plus ne suis ce que j'ay esté,
Et ne le sçaurois jamais estre.
Mon beau printemps, et mon esté,
Ont faict le sault par la fenestre.
Amour, tu as esté mon maistre,
Je t'ay servy sur tous les Dieux.
O, si je povois deux fois naistre,
Comment je te serviroys mieulx !
LIV
Responce au huictain precedent
Ne menez plus tel desconfort,
Jeunes ans sont petites pertes.
Vostre eage est plus meur, et plus fort,
Que ces jeunesses mal expertes.
Boutons serrez, Roses ouvertes,
Se passent trop legierement.
Mais du Rosier les fueilles vertes
Durent beaucoup plus longuement.
LV
Sur le mesme propos
Pourquoy voulez tant durer,
Ou renaistre en florissant eage ?
Pour aymer, et pour endurer,
Y trouvez vous tant d'advantage ?
Certes, celuy n'est pas bien sage,
Qui quiert deux fois estre frappé,
Et veult repasser ung passage
Dont il est à peine eschappé.
LVI
A Anne
Le cler Soleil par sa presence efface,
Et faict fuyr les tenebreuses nuyctz.
Ainsi pour moy (Anne) devant ta face
S'en vont fuyant mes langoureux ennuictz.
Quant je te voy, je suis bien d'autre sorte.
Dont vient cela ? savoir je ne le puis,
Si n'est d'Amour, Anne, que je te porte.
LVII
Dizain
Malheureux suis, ou à malheureux maistre,
Qui tant de fois sur moy a desiré
Qu'aupres de luy sa Deesse peust estre,
Par qui long temps Amour l'a martyré.
Or elle y est. Mais ce Dieu a tiré
Dedans son cueur autre flesche nouvelle.
Mon maistre (helas) voyez chose cruelle :
Car d'un costé vostre desir m'advient,
De l'autre non. Car je porte avec elle
Ung autre amy qui vostre place tient.
LVIII
Dizain au Roy, envoyé de Savoye. 1543
Lorsque la peur aux talons met des esles,
L'homme ne sçait où s'en fuyr, ne courre :
Si en Enfer il sçait quelques nouvelles
De sa seurté, au fin font il se fourre :
Puis peu à peu sa peur vient à escourre,
Ailleurs s'en va. Syre, j'ay faict ainsi :
Et vous requiers de permettre qu'icy,
A seurté, service je vous face.
Puny assez, je seray en soucy
De ne plus voir vostre Royalle face.
LIX
A ung jeune Escolier docte, griefvement malade
Charles, mon fils, prenez courage,
Le beau temps vient apres l'orage,
Apres maladie santé.
Dieu a trop bien en vous planté
Pour perdre ainsi son labourage.
LX
Epigramme à la louange du Roy
Si mon Seigneur, mon Prince, et plus que Pere,
Qui des François FRANCOYS premier se nomme,
N'estoit point Roy de sa France prospere,
Ne Prince avec, mais simple Gentil-homme :
J'irois avant dix fois par delà Rome,
Que j'en suis loing, cercher son accointance,
Pour sa vertu qui plus fort le couronne
Que sa forune et Royalle prestance.
Mais souhaiter cas de telle importance
Seroit vouloir mon bien particulier,
A luy dommage, et tort faict à la France,
Qui a besoing d'ung Roy tant singulier.
LXI
Contre l'inique. A Antoine du Moulin, Masconnois, et Claude
Galland
Fuyez, fuyez (ce conseil je vous donne)
Fuyez le fol qui à tout mal s'adonne,
Et dont la mere en mal jour fut enceinte.
Fuyez l'infame, inhumaine personne,
De qui le nom si mal cymbale et sonne
Qu'abhorré est de toute oreille sainte.
Fuyez celuy qui, sans honte ne crainte,
Compte tout hault ses vices hors d'usance,
Et en faict gloire (et y prend sa plaisance) :
Qui s'aymera, ne le frequente donq.
O malheureux, de perverse naissance :
Bienheureux est qui fuit ta congnoissance,
Et plus heureux, qui ne te congneut onq.
LXII
A Marot, de Galland
Pour l'interest de mon premier Dizain,
Par ce second, rien autre ne demande
Que recevoir un quatrain ou sizain
Forgé par vous. Si je fais ma demande,
En jugement j'en auray telle amende,
Que le tarder vous sera dommageable.
A mon advis, il n'est pas raisonnable
Que pour tel cas en proces l'on procede :
Pource vous pri'faire change semblable
Que feit Glaucus avec Diomede.
LXIII
Response par Clement Marot à maistre Claude Galland
Quand devers moy tes escritz sont venuz,
Gentil d'esprit, et Galland de nature,
Je les ay prins de la main de Venus
Comme forgez, et livrez par Mercure.
J'ay reveré doucement ta facture,
Et ce qu'as sceu de ton sens inventer.
Or tu te peux en mon endroit vanter
Que de rythmer tu triomphes, et fais rage
Et mon esprit s'en doit bien contenter,
Veu que content serois du seul message.
LXIV
Audit Galland
Pensant en moy trouver l'or souverain
De rimasser, bien coucher, bien escrire,
Tu trouveras ce qu'est plus bas qu'erain,
Si bon vouloir pour or ne peult souffire.
Certes, c'est toy qui ne peux esconduire
Les beaux thresors des Muses, et des Dieux :
Tes vers latins font resonner les cieux,
Et en rythmant ce que ta plume couche,
Sera veu or luysant et precieux,
Si l'on en croit à ma naïve touche.
LXV
Dizain, sur le Thucydide de Claude de Seyssel
Voyez l'histoire (ô vous, nobles espritz)
Par laquelle est toute aultre precellée,
Avec la fleur, le fruict y est compris
D'antiquité, toute renouvellée,
Qui par trop d'ans vous eust esté celée,
Si le franc Roy ne vous en eust fait part.
Riches sont ceulx à qui leur Roy depart
Plus beaulx tresors qu'argent à grosses sommes :
Et bien merite avoir histoire apart
Qui telle histoire offre aux yeulx de ses hommes.
LXVI
Sur l'Esleu Macault, translateur des apophthegmes, tant Grecz que
Latin. Aux Lecteurs
Si sçavoir veulx les rencontres plaisantes
Des saiges vieulx, faittes en devysant,
O tu, qui n'as lettres à ce duysantes,
Grâces ne peulx rendre assez suffisantes
Au tien Macault, ce gentil traduysant.
Car en ta langue orras (icy Lysant)
Mille bons motz propres à oindre, et poindre,
Ditz par les Grecz, et Latins. T'advisant,
Si bonne grâce eurent en bien disant,
Qu'en escryvant Macault ne l'a pas moindre.
LXVII
Du mesme, aux Lecteurs
Des bons propoz cy dedans contenuz,
Rends à Plutarque (ô Grec) ung grand mercy.
Soyez (Latins) à Erasme tenuz,
Qui vous a tout traduit et esclercy.
Tous les Françoys en doivent faire ainsi
Au translateur. Car en ce livre aprenent
De bon sçavoir autant, quant à cecy,
Que les Latins, et les Grecz en comprenent.
LXVIII
Au Roy, pour estre remis en son estat
Si le Roy seul, sans aucun y commettre,
Met tout l'estat de sa maison à poinct :
Le cueur me dict que luy, qui m'y fit mettre,
M'y remettra, et ne m'ostera point.
Crainte d'obli pourtant au cueur me poingt,
Combien qu'il ayt la memoire excellente :
Et n'ay pas tort. Car si je perds ce poinct,
A Dieu command le plus beau de ma rente.
Or doncques soit sa majesté contente
De m'y laisser en mon premier arroy,
Soit de sa chambre, ou sa loge, ou sa tente,
Ce m'est tout un, mais que je sois au Roy.
LXIX
De Frere Thibaud
Frere Thibaut, pour souper en quaresme,
Fait tous les jours sa Lamproye rostir,
Et puys, avec une couleur fort blesme,
En plaine chaire il nous vient avertir
Qu'il jeusne bien, pour sa chair amortir,
Tout le quaresme en grand devotion,
Et qu'autre chose il n'a, sans point mentir,
Qu'une rostie à sa colacion.
LXX
De l'an 1544.
Le cours du ciel qui domine icy bas
Semble vouloir, par estime commune,
Cest an present demonstrer maints debatz,
Faisant changer la couleur de la Lune,
Et du Soleil la vertu clere en brune.
Il semble aussi par monstres orgueilleux
Signifier cest an fort perilleux :
Mais il dev[r]oit, faisant tousjours de mesme,
Et rendant l'an encor'plus merveilleux,
Nous envoyer eclipse de quaresme.
LXXI
D'un usurier, pris du Latin
Un usurier à la teste pelée
D'un petit blanc acheta un cordeau
Pour s'estrangler, si par froide gelée
Le beau bourgeon de la vigne nouveau
N'estoit gasté. Apres ravine d'eau,
Selon son vueil, la gelée survint :
Dont fut joyeux : mais comme il s'en revint
En sa maison, se trouva esperdu
Voyant l'argent de son licol perdu
Sans profiter : sçavez vous bien qu'il fit ?
Ayant regret de son blanc, s'est pendu
Pour mettre mieulx son licol à profit.
LXXII
D'un advocat Jouant contre sa femme, et de son clerc
Un advocat jouoit contre sa femme
Pour un baiser, que nommer n'oserois.
Le jeu dist tant et si bien à la Dame
Que dessus luy gaigna des baisers troys.
Or ça, dist elle (amy), à ceste fois
Jouons le tout pendant qu'estes assis.
Quoy, respond il, le tout, ce seroient six,
Qui fourniroit à un si gros payement ?
Alors son clerc de bon entendement
Luy dist, ayant de sa perte pityé,
Ayez bon cueur, monsieur,certainement
Je suys content d'en estre de la moytié.
LXXIII
Du Lieutenant de B.
Un lieutenant vuidoit plus voluntiers
Flacons de vin, tasses, verres, bouteilles,
Qu'il ne voyoit procez, sacz ou papiers
De contreditz, ou cautelles pareilles :
Et je luy diz : Teste digne d'oreilles
De Pampre verd, pourquoy as fantasie
Plus à t'emplir de vin, et malvoysie,
Qu'en bien jugeant aquerir los, et gloire ?
D'espices (dist la face cramoysie)
Friant je suis, qui me causent le boyre.
LXXIV
D'un Moyne et d'une vieille
Le Moyne un jour jouant sus la riviere
Trouva la vieille en lavant ses drapeaux,
Qui luy monstra de sa cuisse heronniere
Un feu ardant où joignoient les deux peaux.
Le Moyne eut cueur, leve ses oripeaux :
Il prend son chose, et puis, s'aprochant d'elle,
Vieille, dist il, allumez ma chandelle !
La vieille lors, luy voulant donner bon,
Tourne son cul, et respond par cautelle :
Aprochez vous, et souflez au charbon.
LXXV
D'un orgueilleux emprisonné pris du Latin
T'esbahys tu dont point on ne souspire
Et qu'on rit tant ? qui se tiendroit de
rire ?
De voir par force à present estre doux
L'amy de nul, et l'ennemy de tous.
LXXVI
D'Annette et Marguerite, mal attribuée par cy devant à Marot
Ces jours passez, je fus chez la Normande,
Où je trouvay Annette et Marguerite.
Annette est grasse en bon poinct, belle et grande,
L'autre est plus jeune, et beaucoup plus petite.
Annette assez m'embrace, et solicite :
Mais Marguerite eut de moy son plaisir.
La grande en fut, ce croy je, bien despite :
Mais de deux maux le moindre on doit choisir.
LXXVII
A une vieille, pris sur ce vers : non gaudet veteri sanguine
mollis amor
Veux tu, vieille ridée, entendre
Pourquoy je ne te puis aymer ?
Amour, l'enfant mol, jeune, et tendre,
Tousjours le vieil sang trouve amer.
Le vin nouveau fait animer
Plus l'esprit que vieille boisson,
Et puis l'on n'oit bien estimer
Que jeune chair, et vieux poisson.
LXXVIII
Du Tetin de Cataut
Celuy qui dit bon ton tetin
N'est mensonger, mais veritable :
Car je t'asseure, ma Catin,
Qu'il m'est tresbon, et agreable.
Il est tel, et si profitable
Que si du nez hurtoit quelqu'un,
Contre iceluy (sans nulle fable)
Il ne se feroit mal aucun.
LXXIX
De Messire Jan confessant Janne la simple
Messire Jan, confesseur de fillettes,
Confessoit Janne, assez belle, et jolye,
Qui, pour avoir de belles oreillettes,
Avec un moyne avoit fait la folie.
Entre autres points, messire Jan n'oublye
A remonstrer cest horible forfait :
Las, disoit il, m'amye qu'as tu fait ?
Regarde bien le poinct où je me fonde :
Cet homme, alors qu'il fut Moyne parfait,
Perdit la veuë, et mourut quant au monde.
N'a tu point peur que la terre ne fonde
D'avoir couché avec un homme mort ?
De cueur contrit, Janne ses levres mord :
Mort, ce dist elle, enda, je n'en croy rien.
Je l'ay veu vif depuis ne sçay combien,
Mesmes alors qu'il eut à moy affaire :
Il me bransloit, et baisoit aussi bien
En homme vif comme vous pourriez faire.
LXXX
D'un Cordelier
Un Cordelier d'une assez bonne mise
Avoit gaigné à je ne sçay quel jeu
Chausses, pourpoint, et la belle chemise.
En cest estat son hostesse l'a veu,
Qui luy a dit : vous rompez vostre veu.
Non, non, respond ce gracieux records,
Je l'ay gaigné au travail de mon corps,
Chausses, chemise, et pourpoint pourfilé.
Puis dist (tirant son grand tribard dehors) :
Ce beau fuzeau a tout fait et filé.
LXXXI
D'un amoureux et de s'amye
L'autre jour un amant disoit
A sa maistresse, en basse voix,
Que chascun coup qu'il luy faisoit
Luy coustoit deux escuz, ou troys :
Elle y contredist. Toutesfois,
Ne pouvant le cas denier,
Luy dist : faites le tant de foys
Qu'il ne vous couste qu'un denier.
LXXXII
A une Dame de Piemont, qui refusa six escuz de Marot pour coucher
avec elle et en vouloit avoir dix
Ma dame, je vous remercie
De m'avoir esté si rebourse.
Pensez vous que je m'en soucye,
Ne que tant soit peu m'en courrousse ?
Nanny, non. Et pourquoy ? et pour-ce
Que six escuz sauvez m'avez,
Qui sont aussi bien en ma bourse,
Que dans le trou que vous sçavez.
LXXXIII
Du petit Pierre et de son proces en matiere de mariage
Le petit Pierre eut du juge option
D'estre conjoint avec sa Damoyselle,
Ou de soufrir la condamnation
D'excommunie, et censure eternelle :
Mais mieux ayma, sans dire j'en appelle,
Excommunie et censure eslire,
Que d'espouser une telle femelle,
Pire trop plus qu'on ne pourroit escrire.
LXXXIV
De Nanny
Nanny desplaist, et cause grand soucy
Quand il est dit à l'amy rudement :
Mais quand il est de deux yeux adoucy
Pareilz à ceux qui causent mon tourment,
S'il ne raporte entier contentement,
Si monstre il bien que la langue pressée
Ne respond pas le plus communement
De ce qu'on dit avecques la pensée.
LXXXV
D'un Ouy
Un ouy mal acompagné
Ma triste langue profera,
Quand mon cueur, du corps eslongné,
Du tout à vous se retira.
Lors à ma langue demoura
Ce seul mot, comme triste, ouy.
Mais si mon cueur plus resjouy
Avoit sur vous ce point gaigné,
Croyez que dirois un ouy
Qui seroit mieux acompagné.
LXXXVI
Les souhaitz d'un Chanoine
Pour tous souhaitz ne desire en ce monde
Fors que santé, et tousjours mile escuz.
Si les avois, je veux que l'on me tonde,
Si visites oncq tant faire de coquz.
Et à ces culz frapez tost, à ces culz,
Donnez dedans qu'il semble que tout fonde :
Mais en suyvant la compagne à Bachus,
Ne noyez pas, car la mer est profonde.
LXXXVII
De Robin et Catin
Un jour d'yver, Robin tout esperdu
Vint à Catin presenter sa requeste
Pour desgeler son chose morfondu,
Qui ne pouvoit quasi lever la teste.
Incontinent Catin fut toute preste.
Robin aussi prend courage, et s'acroche.
On se remue, on se joue, on se hoche :
Puys quand ce vint au naturel devoir,
Ha, dist Catin, le grand desgel s'approche.
Voyre, dist il : car il s'en va pleuvoir.
LXXXVIII
A Anne
L'heur ou malheur de vostre cognoissance
Est si douteux en mon entendement,
Que je ne sçay s'il est en la puissance
De mon esprit en faire jugement :
Car, si c'est heur, je sçay certainement
Qu'un bien est mal quand il n'est point durable.
Si c'est malheur, ce m'est contentement
De l'endurer pour chose si louable.
LXXXIX
D'une, qui alla voir les beaux peres
Une Catin, sans frapper à la porte
Des Cordeliers, jusqu'en la court entra.
Long temps apres on atend qu'elle sorte :
Mais au sortir on ne la rencontra.
Or au portier cecy on remonstra,
Lequel juroit jamais ne l'avoir veuë.
Sans arguer le pro, ou le contra,
A vostre avis, qu'est elle devenuë ?
XC
D'un escolier, et d'une fillete
Comme un escolier se jouoit
Avec une belle pucelle,
Pour luy plaire, bien fort louoit
Sa grâce, et beauté naturelle,
Les tetons mignards de la belle,
Et son petit cas, qui tant vaut.
Ha monsieur, adoncq'ce dist elle,
Dieu y mette ce qu'il y faut.
XCI
De sa maistresse
Quand je voy ma maistresse,
Le cler soleil me luyt.
S'ailleurs mon cueur s'adresse,
Ce m'est obscure nuit.
Et croy que sans chandelle
A son lit à minuyt
Je verroys avec elle.
XCII
Du jeu d'Amours
Pour un seul coup, sans y faire retour,
C'est proprement d'un malade le tour.
Deux bonnes fois à son ayse le faire,
C'est d'homme sain suffisant ordinaire.
L'homme galland donne jusqu'à trois fois,
Quatre le Moyne, et cinq aucunesfois.
Six et sept fois, ce n'est point le mestier
D'homme d'honneur, c'est pour un mulletier.
XCIII
Aux Lecteurs, sur ung livre proposant remedes contre la peste
Ceux qui attaintz estoyent de Pestilence
Du medecin ont requis la presence,
Et il respond : Chiers freres, et amys,
Si Dieu avoit en moy le povoir mys
De servir tous, de bon cueur le feroye :
Mais advis m'est que par trop mesferoye
De frequenter ceux de peste frappez,
Et puis ceux là qui n'en sont attrapez.
Pourtant vous donne et conseille de prendre
Ce present livre, auquel pourrez apprendre
Remede maint pour la Peste eviter,
Et servir ceux que Dieu vient visiter.
Faictes que çà, et là, ce livre coure,
Et qu'en ma place au besoing vous secoure.
Ainsi aura chascun en sa maison
Ung medecin, qui en ceste saison
Par bon conseil leurs demandes souldra
A peu de coust à l'heure qu'on vouldra.
Et cil qui mieux le sçaura lire, et veoir,
Plus de service en pourra recevoir.
XCIV
Huictain à M. Malingre
L'Epistre, et l'Epigramme
M'ont pleu en les lisant,
Et sont pleins de la flamme
D'Apollo, clair luysant.
De responce vous faire,
Fault que vous me quittés,
Pour celuy mesme affaire
Dont me sollicités.
XCV
Dizain, au mesme
Je ne suis pas tout seul qui s'esmerveille
De ton savoir, bonté, croix et constance,
Et des sermons, où grandement traveille :
Mais aussi font les plus sages de France,
Et à bon droit, car tu es l'excellence
Et le premier des Jacobins de Bloys,
Qui tous estatz à Jesus assemblois
Par tes sermons et ta vie angelique :
En quoy faisant, à saint Paul resemblois
Cent fois plus qu'à saint Dominique.
XCVI
A Madame de la Barme, pres de Necy en Genevois
Adieu ce bel oeil tant humain,
Bouche de bon propos armée,
D'ivoyre la gorge, et la main,
Taille sur toutes bien formée.
Adieu, douceur tant estimée,
Vertu à l'Ambre ressemblant :
Adieu, de celuy mieux aymée
Qui moins en monstra de semblant.
XCVII
Salutation du camp de Monsieur d'Anguien à Sirisolle
Soit en ce camp paix pour mieux faire guerre.
Dieu doint au chef suite de son bon heur,
Aux chevaliers desir de loz acquerre,
Aux piëtons proufit joint à l'honneur,
Tout aux despens, et au grand deshonneur
De l'ennemy. S'il se jette en la plaine,
Soit son cueur bas, son entreprise vaine,
Pouvoir en vous de le vaincre et tuer,
Et à Marot occasion et veine
De par escrit voz noms perpetuer.
XCVIII
Clement Marot, aux amateurs de la saincte Escripture
Bien peu d'enfans on treuve qui ne gardent
Le testament que leur pere a laissé,
Et qui dedans de bien pres ne regardent
Pour veoir comment il l'a faict, et dressé.
O vous, enfans, à qui est adressé
Ce Testament de Dieu, nostre bon pere,
Affin qu'à l'oeil son vouloir vous appere,
Voulez vous point le lire voulentiers ?
C'est pour le moins, et plus de vous j'espere,
Comme de vrays celestes heritiers.
XCIX
Dizain, ou non, de Marot
Madame, est il pas deshonneste
De m'avoir mis dedans le poing
Son chose gros comme la teste,
Disant qu'il me faisoit besoin ?
J'eusse voulu estre bien loin,
Tant j'estois en grand[e] destresse.
Alors luy respond la maistresse :
Ne celez rien, et dites tout.
Ce grand vilain me fit, quoy ? qu'est
ce ?
Loger cela de quoy l'on fout.
Fin du troisiesme livre.