L'Epistre de Barquin
Dieu tout puissant en repos te maintienne
De par delà, gentille âme chrestienne.
Si en mes vers ores je ramentoy
Le trop honteulx et dur trespas de toy,
Certainement ce n'est point t'offencer,
Ainçois plus tost pour ta joye avancer :
Car le record du passé qui tourmente
Du temps serain le grand plaisir augmente.
Puys, de jadis la vie tant honneste
Et amytié m'incite, et admoneste
De te mander ce que de toy fut dict
Apres que mort eust faict ce grand credit
De te gecter hors de ce corps charnel
Pour t'en aller en repos eternel.
Au paravant on m'a bien annoncé.
Comment jadis il te fut prononcé
Mourir par feu, dont depuis peu de temps
Tu feuz absoulz, ainsi comme j'entens.
Mais sur le champ, et sur cause nouvelle,
Nouvelle peine, helas ! on te revelle,
Te condemnant en amende honnorable
Et à languir en prison pardurable.
Puis tellement ton cas on demena
Que ton appel à la mort te mena :
Et quand deseur tu fleschiz les genoulx,
Disant ainsi : Jhesus, sauveur de nous,
Tu as pour moy souffert la mort tresdure,
C'est bien raison que pour toy je l'endure.
Et là dessus prononças maint beau traict
Consolatif, de l'Evangille extraict,
Qui tant de foy et d'espoir lors te livre
Qu'allant mourir te sembloit aller vivre.
Lors le bourreau, la main sur toy boutée,
A de ton col la chesne d'or ostée,
Et en son lieu subit sa propre main
Mit le cordeau cruel et inhumain,
Non pas cruel, mais plustost gracieulx,
Car par luy es hors du val soucieulx
De ce vil monde. Adonc on te desplace
De la prison, et t'en vas en la place
Où ce dur peuple on voit souvent courir
Pour voir son frere estrangler, et mourir,
Et en est aise, et si ne scet pourquoy :
Et s'on atainct quelqu'un qui ayt de quoy,
Tous font tel chere à sa mort qui aproche,
Comme allans veoir ung jeu de la bazoche :
Dames y vont, hommes chambres leur louent,
Et là Dieu scet les beaulx jeulx qui s'y jouent :
Ce temps pendant que confesser on faict
Le pauvre corps, qu'on va rendre deffaict.
Croy, cher amy, qu'on ne feit pas telle feste
Quand tu nasquis, que quand ta mort fut preste.
Las ! tu mourus comme herese en publicque,
Plain toutesfoys de la foy catholicque,
Sans soustenir contre la loy de Dieu
Ung seul propos. Qu'ainsi soit, sur le lieu,
Apres ta mort, Merlin, ton confesseur,
Crya tout hault : Peuple, je te fays seur
Que cent ans a, or ainsi le maintien,
Il ne mourut homme meilleur chrestien.
Et sans cella, mon frere en Jhesus Crist,
N'eusse voulu t'envoyer cest escript :
Car il n'affiert christiane presye
Louer aucun qui meurt en heresie.
Si rendz à Dieu louenges immortelles
De ta grand mort. On blasme les morts telles :
Mais je supply ceulx de ton parentaige
Ne le voulloir prendre au desadvantaige
De leur honneur, et penser en eulx mesmes
Que ceulx qui ont eternelz dyadesmes
Lassus au ciel ont bien passé le pas
D'infame, dur et publicque trespas :
Infame, dis je, quant au monde esgaré,
Onquel tel homme en son lict bien paré
Pourra mourir, et avoir couverture
En terre saincte, et riche sepulture,
En grand danger peult estre de descendre
Plus bas que ceulx par bourreaulx mys en cendre.