Stephanus Doletus in Librum Primum Metamorphoseos Ovidii
Gallicvm Factum à Clemente Maroto
Mirum fuit, quae narrat Ouidius, corpora
Alia in alia tam mirificè
Mutata : sed nihilo minus mirum est, Librum
Ovidij tam mirificè
Versum ingenio Maroti, ut aequet Gallico
Sermone sermonem Latium :
Aequet ? superest potius Poëtam principem
Longè omnium Versu facili,
Venaque diuite, seu canat Amoris iocos,
Seu quidpiam aliud gravius.
Au tresillustre, et treschrestien Roy des Françoys, premier de
ce nom, Clem. Marot de Cahors en Quercy, treshumble salut, et deuë
obeissance
Long temps avant, que vostre liberalité Royalle m'eust faict
successeur de l'estat de mon pere, le mien plus affectionné (et non
petit) desir avoit tous jours esté (Sire) de pouvoir faire oeuvre
en mon labeur Poëtique, qui tant vous aggreast, que par là je
peusse devenir (au fort) le moindre de voz domesticques. Et pource
faire, mis en avant (comme pour mon Roy) tout ce, que je peus, et
tant importunay les Muses, qu'elles (en fin) offrirent à ma plume
inventions nouvelles, et antiques, luy donnant le choys ou de
tourner en nostre langue aulcune chose de la Latine, ou d'escrire
oeuvre nouvelle par cy devant non jamais veuë. Lors je consideray,
qu'à prince de hault Esprit hautes choses affierent : et tant
ne me fiay en mes propres inventions, que pour vous trop basses ne
les sentisse. Parquoy (les laissant reposer) jectay l'oeil sur les
livres Latins : dont la gravité des sentences, et le plaisir
de la lecture (si peu, que j'y comprins) m'ont esprins mes Esprits,
mené ma main, et amusé ma Muse. Que dy je, amusée ? Mais
incitée à renouveller (pour vous en faire l'offre) l'une des plus
Latines antiquités, et des plus antiques Latinités. Entre
lesquelles celle de la Metamorphose d'Ovide me sembla la plus
belle, tant pour la grande doulceur du stile, que pour le grand
nombre des propos tombants de l'ung en l'aultre par lyaisons si
artificielles, qu'il semble, que tout ne soit, qu'ung. Et
toutesfoys aiséement (et peult estre, point) ne se trouvera Livre,
qui tant de diversités de choses racompte. Parquoy (Sire) si la
nature en la diversité se resjouyst, là ne se debvra elle
melencolier. Pour ces raisons, et aultres maintes, deliberay mectre
la main à la besongne : et de tout mon pouvoir suyvre, et
contrefaire la veine du noble Poëte Ovide : pour mieulx faire
entendre; et sçavoir à ceulx, qui n'ont la langue Latine, de quelle
sorte il escripvoyt : et quelle difference peult estre entre
les Anciens, et les Modernes. Oultre plus, tel lit en maint passage
les noms d'Apollo, Daphné, Pyramus, et Tisbée, qui a l'Histoyre
aussi loing de l'esprit, que les noms pres de la bouche : ce
que pas ainsi n'yroit, si en facille vulgaire estoit mise ceste
belle Metamorphose. Laquelle aux Poëtes vulgaires, et aux Painctres
seroit tresproffitable : et aussi decoration grande en nostre
langue : veu mesmement, que l'arrogance Grecque l'a bien voulu
mectre en la sienne. Or est ainsi, que Metamorphose est une diction
Grecque, vulgairement signifiant transformation. Et a voulu Ovide
ainsi intituler son Livre, contenant quinze Volumes, pource qu'en
icelluy il transforme les ungs en arbres, les aultres en pierres,
les aultres en bestes, et les aultres en aultres formes. Et pour
ceste mesme cause, je me suis pensé trop entreprendre de vouloir
transmuer celluy, qui les aultres transmue. Et apres j'ay
contrepensé, que double louange peult venir de transmuer ung
transmueur, comme d'assaillir ung assailleur, de tromper ung
trompeur, et mocquer ung mocqueur. Mais pour rendre l'oeuvre
presentable à si grande majesté, fauldroit premierement, que vostre
plus que humaine puissance transmuast la Muse de Marot en celle de
Maro. Toutesfoys telle qu'elle est, soubs la confiance de vostre
accoustumé bon recueil, elle a (par maniere d'essay) traduict, et
parachevé de ses quinze Livres le premier : dont au Chasteau
d'Amboyse vous en pleut ouyr, quelcque commencement. Si
l'Eschantillon vous plaist, par temps aurez la Piece entiere :
car la plume, du petit ouvrier ne desire voller, sinon là, où le
vent de vostre royalle bouche la vouldra poulser. Et à tant me
tairay. Ovide veut parler.
L'intention du Poete
Ardant desir d'escrire ung hault Ouvrage
M'a vifvement incité la courage
A reciter maintes choses formées
En aultres Corps touts nouveaulx transformées.
Dieux souverains, qui tout faire sçavez,
Puis qu'en ce poinct changées les avez,
Donnez faveur à mon commencement,
Et deduysez mes propos doulcement,
A commencer depuis le premier naistre
du Monde rond, jusqu'au temps de mon estre.
Chaos mué en quatre Elemens
Avant la Mer, la Terre, et le grand Oeuvre
Du Ciel treshault, qui toutes choses coeuvre,
Il y avoit en tout ce Monde enorme
Tant seullement de Nature une forme,
Dicte Chaos, ung monceau amassé
Gros, grand, et lourd, nullement compassé.
Brief, ce n'estoit qu'une pesanteur vile
Sans aulcun art, une masse immobile :
Là, où gisoyent les semences encloses,
Desquelles sont produictes toutes choses :
Qui lors estoyent ensemble mal couplées,
Et l'une en l'aultre en grand discord troublées.
Aulcun Soleil encores au bas Monde
N'eslargissoyt lumiere claire, et munde :
La Lune aussi ne se renouvelloit,
Et ramener ses cornes ne souloit
Par chascun moys. La terre compassée
En l'air espars ne pendoit balancée
Soubs son droit poix. La grand'fille immortelle
De l'Ocean, Amphitrite la belle,
N'estendoit pas ses bras marins encores
Aux longues fins de la terre, ainsi qu'ores :
Et quelcque part où fust la terre, illec
Estoit le feu, l'air, et la mer avec.
Ainsi pour lors estoit la terre instable,
L'air sans clarté, la mer non navigable,
Rien n'avoit forme, office, ne puissance :
Ainçoys faisoit l'ung aux aultres nuysance,
Car froid au chauld menoit guerre, et discords :
Sec à l'humide, et le tout en ung corps.
Avec le dur le mol se combattoit :
Et le pesant le legier debattoit.
Mais Dieu, qui est la nature excellente,
Appaisa bien leur noyse violente :
Car terre adoncq du Ciel desempara,
De terre aussi les eaues il separa,
Et mist à part, pour mieulx faire leur paix,
Le Ciel tout pur d'avecques l'air espais.
Puis quand il eut desmelés, et hors mys
De l'orde masse iceulx quatre ennemys,
Il va lyer en concorde paisible
Chascun à part, en sa place duysible.
Le feu sans poix du Ciel courbe, et tout rond,
Fut à monter naturellement prompt,
Et occupa le degré plus haultain.
L'air le suyvit, qui n'en est pas lointain,
Ains du cler feu approche grandement
D'agilité, de lieu semblablement.
En espoisseur la terre les surpasse,
Et emporta la matiere plus crasse
Du lourd monceau : dont en bas s'avalla
Par pesanteur. Puis la mer s'en alla
Aux derniers lieux sa demourance querre
Environnant de tous costés la terre.
En tel'façon (quiconques ayt esté
Celluy des Dieux) quand il eut projecté
Ce grand ouvrage (et en membres dressée
La grosse masse en ce point despecée)
Il arrondit, et feit la terre au moule,
Forme, et façon d'une bien grande boule,
A celle fin qu'en son poix juste, et droict,
Esgalle fust par ung chascun endroit.
Puis çà, et là les grands mers espendit,
Et par grands ventz enflées les rendit,
Leur commandant faire flotter leur unde
Tout à l'entour des fins de terre ronde :
Parmy laquelle adjousta grands estangs,
Lacz, et marestz, et fontaines sortants :
Et puis de bors, et rives tournoyantes,
Ceinctures feit aux rivieres courantes,
Qui d'une part en la terre se boyvent :
Aultres plusieurs en la mer se reçoyvent.
Et là au lieu de rives, et de bors,
Ne batent plus, que grands havres, et ports.
Aux champs apres commanda de s'estendre :
Et aux forestz, rameaulx, et fueilles prendre :
Ung chascun val en pendant feit baisser,
Et contre hault les montaignes dresser.
La Terre divisée en cinq zones, comme le Ciel
Et tout ainsi que l'ouvrier advisé
Feit le hault ciel par cercle divisé,
Deux à la dextre, et sur senestre deux,
Dont le cinquiesme est le plus ardant d'eulx,
Par tel'façon, et en semblable nombre,
Il divisa terre pesante, et sombre :
Et en cela le hault ciel ne l'excede,
Car comme luy cinq Regions possede,
Dont la moyenne habiter on ne peult
Par le grand chault, qui en elle se meut :
Puis elle en a deux couvertes de neige :
Et au milieu de ces deux est le siege
De deux encor, que Dieu, qui tout ouvroit,
Amodera par chault meslé de froit.
Sur tout cela, l'air il voulut renger :
Lequel d'aultant comme il est plus leger
Que terre, et l'eau, d'aultant est il pesant
Plus que le feu tant subtil, et luysant.
En celluy Air les nuës, et nuées
Commanda estre ensemble situées,
Et le Tonnerre, et tempestes soubdaines
Espouventants les pensées humaines :
Semblablement avec la fouldre ardante
Les ventz causant froidure morfondante.
A iceulx ventz Dieu n'a permis d'aller
Confusement par la voye de l'aer :
Et nonobstant, que chascun d'eulx exerce
Ses soufflemens en region diverse,
Encor à peine on peult (quand s'esvertuent)
Y resister, qu'ilz ne rompent, et ruent
Le monde jus par bouffemens austeres :
Tant terrible est la discorde des freres.
Les Regions des quatre Vents
Le vent Eurus tout premier s'en volla
Vers Orient, et occuper alla
Nabathe, et Perse, et les monts, qui s'eslevent
Soubs les rayons, qui au matin se levent.
Zephyrus fut soubs. Vesper resident,
Pres des ruisseaulx tiedys de l'Occident.
Boreas froid envahyt la partie
Septentrionne, avecques la Scithie.
Et vers Midy, qui est tout au contraire,
Auster moyteux jecta pluye ordinaire.
Sur tout cela, que j'ay cy declairé,
Le grand ouvrier mist le Ciel etheré,
Cler, pur, sans poix, et qui ne tient en rien
De l'espesseur, et brouas terrien.
A peine avoit touts ces oeuvres haultains
Ainsi assis en lieux seurs, et certains,
Que tout autour du Ciel, claires, et nettes,
Vont commencer à luyre les planettes,
Qui de tous temps pressées, et tachées,
Soubs celle masse avoyent esté cachées.
Aussi affin que region aulcune
Vuyde ne fust d'animaulx à chascune
Propres, et duictz, les estoilles, et signes,
Et des haultz Dieux les formes tresinsignes
Tindrent le Ciel. Les poissons netz, et beaulx,
Eurent en part (pour leur manoir) les eaux.
La terre apres print les bestes saulvages,
Et l'air subtil oyseaulx de touts plumages.
L'origine de l'homme, et comment Prometheus le feit de
terre
La trop plus saincte, et noble Creature
Capable de plus hault sens par nature,
Et qui sur tout pouvoir avoit puissance,
Restoit encor. Or print l'homme naissance,
Où l'ouvrier grand de touts biens origine
Le composa de semence divine.
Où terre adonc (qui estoit separée
Tout freschement de la part etherée)
Retint en soy semence supernelle
Du ciel, qui print sa facture avec elle :
Laquelle apres Prometheus mesla
En eaue de fleuve, et puis formée l'a
Au propre ymage, et semblable effigie
Des Dieux, par qui toute chose est regie.
Et neantmoins, que tout aultre animal
Jecte tousjours son regard principal
Encontre bas, Dieu à l'homme a donné
La face haulte, et luy a ordonné
De regarder l'excellence des cieulx,
Et d'eslever aux estoilles ses yeulx.
La terre doncq n'agueres desnuée
D'art, et d'ymage ainsi fut transmuée,
Et se couvrit d'hommes d'elle venuz,
Qui luy estoyent nouveaulx, et incongneuz.
Description des quatre Eages. Et premierement de l'eage
doré
L'eage doré sur touts resplendissant,
Fut le premier au monde fleurissant :
Auquel chascun sans correcteur, et loy,
De son bon gré gardoit justice, et foy.
En peine, et peur aulcun ne souloit vivre :
Loix menaçants ne se gravoyent en cuyvre
Fiché en murs : paovres gens sans refuge
Ne redoubtoyent la face de leur juge :
Mais en seurté se sçavoyent accointer,
Sans qu'il faillust juge à les appointer.
L'arbre du Pin charpenté, et fendu,
N'estoit encor des haultz monts descendu
Sur les grands eaux, pour flotter, et nager,
Et en pays estrange voyager.
Hommes mortelz ne congnoissoient à l'heure
Fors seullement le lieu de leur demeure.
Fossés profonds, et murs de grands efforts
N'environnoyent encor villes, et forts.
Trompes, clerons d'Aerain droit, ou tortu,
L'armet, la lance, et le glaive poinctu
N'estoit encor. Sans usage, et alarmes
De chevaliers, de pietons, et gensd'armes,
Les gens alors seurement en touts cas
Accomplissoyent leurs plaisirs delicats.
La terre aussi, non froissée, et serve
(Par homme aulcun) du soc de la charrue,
Donnoit de soy touts biens à grand'planté :
Sans qu'on y eust ne semé, ne planté :
Et les vivants, contents de la pasture
Produicte alors sans labeur, ne culture,
Cueilloyent le fruict des saulvages Pommiers,
Fraises aux montz, les cormes aux Cormiers,
Pareillment les meures, qui sont joinctes
Contre buyssons pleins d'espineuses poinctes,
Avec le gland, qui leur tomboit à gré
Du large Chesne à Juppiter sacré.
Printemps le verd regnoit incessamment,
Et Zephyrus souspirant doulcement
Souefves rendoit par tiedes alenées
Les belles fleurs sans semence bien nées.
Terre portoit les fruicts tost, et à poinct,
Sans cultiver. Le champ, sans estre point
Renouvellé, par tout devenoit blanc
Par force espis plein de grain bel, et franc,
Prests à cueillir. Fleuves de laicts couloyent,
Fleuves de vin aussi couler souloyent,
Et le doulx miel, dont lors chascun goustoit,
Des arbres verds tout jaulne desgoustoit.
L'Eage d'Argent
Puis quand Saturne hors du beau Regne mys,
Fut au profond des Tenebres transmys,
Soubs Juppiter estoit l'humaine Gent :
Et en ce temps survint l'Eage d'Argent,
Qui est plus bas, que l'Or tres souverain,
Aussi plus hault, et riche, que l'Aerain.
Ce Juppiter abbaissa la vertu
Du beau Printemps, qui tousjours avoit heu
Son cours entier, et soubs luy fut l'Année
En quatre parts reduicte, et ordonnée,
En froid Yver, et en Esté, qui tonne,
En court Printemps, et variable Autonne.
Lors commença blanche, et vifve splendeur
Reluyre en l'Air espris de seiche ardeur.
D'aultre costé survint la Glace froyde,
Par Vents d'Yver pendue, estraincte, et royde.
Lors on se print à mucer soubs maisons :
Maysons estoyent Cavernes, et Cloisons,
Arbres espais, fresche Ramée à force,
Et verds Osiers joincts avecques Escorce.
Lors de Ceres les bons grains secourables
Soubs longs Seillons de terre labourables
Sont enterrés : et furent Boeufz puissants
Pressés du joug, au labeur mugissants.
L'Eage d'Aerain
Apres cestuy troisiesme succeda
L'eage d'Aerain, qui les deux exceda.
D'engin maulvais, et plus audacieux
Aux armes fut, non pourtant vicieux.
L'Eage de Fer
Le dernier est de Fer, dur, et rouillé :
Où tout soubdain chascun vice brouillé
Se vint fourrer, comme en l'eage total
Accomparé au plus meschant Metal.
Honneste Honte, et Verité certaine
Avecques Foy prindrent fuyte loingtaine :
Au lieu desquelz entrarent Flaterie,
Deception, Trahyson, Menterie,
Et folle Amour, Desir, et Violence
D'acquerir gloyre, et mondaine opulence.
Telle avarice adoncq le plus souvent
Pour praticquer mectoit Voyles au vent,
Lors mal congneu du Nautonnier, et maistre :
Et mainte Nef, dont le boys souloit estre
Planté debout sur montaignes cornues,
Nageoit, saultoit par vagues incongneues
Mesme la terre (avant aussi commune
Que la clarté du Soleil, Air, et Lune)
Fut divisée en bornes, et partis
Par mesureurs fins, caultz, et deceptifs.
Ne seullement humaines creatures
Chercharent bleds, et aultres nourritures :
Mais jusqu'au fond des entrailles allarent
De terre basse, où prindrent, et fouillarent
Les grands thresors, et les richesses vaines,
Qu'elle cachoit en ses profondes veines :
Comme Metaulx, et pierres de valeurs,
Incitements à tous maulx, et malheurs.
Jà hors de terre estoit le Fer nuysant
Avecques l'Or trop plus que Fer cuysant :
Lors Guerre sort, qui par ces deux Metaulx
Faict des combats inhumains, et brutaulx,
Et casse, et rompt de main sanguinolente
Armes clicquants soubs force violente.
On vit desjà de ce qu'on emble, et oste :
Chés l'hostelier n'est point asseuré l'hoste :
Ne le beaupere avecques le sien gendre :
Petite amour entre freres s'engendre :
Le mary s'offre à la mort de sa femme :
Femme au mary faict semblable diffame :
Par mal talent les marastres terribles
Meslent souvent venins froids, et horribles :
Le filz, affin qu'en biens mondains prospere,
Souhaitte mort (avant ses jours) son pere.
Dame pitié gist vaincue, et oultrée :
Justice aussi la noble vierge Astrée,
Seulle, et derniere apres touts Dieux sublimes,
Terre laissa taincte de sang, et crimes.
Le sang des geants transmué en homme cruelz
Aussi affin que le Ciel etheré
Ne fust de soy plus, que terre, asseuré,
Les fiers Geants (comme on dit) affectarent
Regner aux cieulx, et contremont dressarent
(Pour y monter) mainte montaigne mise
L'une sur l'aultre. Adoncques par transmise
Fouldre du ciel, l'omnipotent facteur
Du mont Olympe abbatit la haulteur :
Et desbrisa en ruyne fort grosse
Pellion mont assis sur celluy d'Osse.
Quand par son poix ces corps faulx, et cruelz
Furent gisants desrompuz, et tués,
La terre fut mouillée en façon telle
De moult de sang de Geants enfants d'elle,
Que (comme on dit) trempée s'enyvra,
Puis en ce sang tout chault âme livra :
Et pour garder enseigne de la race
En feit des corps portant humaine face
Mais ceste gent fut aspre, et despiteuse,
Blasmant les Dieux, de meurdres convoiteuse :
Si qu'à la veoir, bien l'eussiez devinée
Du cruel sang des Geants estre née.
Cecy voyant des haultz cieulx Juppiter
Crie, gemyt, se prend à despiter,
Et sur le champs par luy fust allegué
Ung aultre faict, non encor divulgué,
Des banquetz pleins d'horreur espouventable,
Que Lycaon preparoit à sa table :
Dont en son cueur ire va concevoir
Telle, qu'ung Roy (comme luy) peult avoir :
Et son conseil appella haultement,
Dont les mandés vindrent subitement.
Description du Cercle laicté
Or d'icy bas, là sus au lieu celeste
Est une voye aux humains manifeste,
Semblable à laict, dont laictée on l'appelle,
Aisée à veoir, pour sa blancheur tant belle :
Et par icelle est le chemin des Dieux
Pour droit aller au throsne radieux
Du grand Tonnant, et sa maison Royalle.
En ce lieu blanc, des nobles Dieux la salle
Fut frequentée alors par tout son estre
A huys ouverts sur dextre, et à senestre.
Les moindres Dieux en divers lieux s'assirent,
Et les puissants leurs riches sieges mirent
Vers le hault bout : brief, telle est ceste place,
Que se j'avoys de tout dire l'audace,
Je ne craindroys dire, que c'est là mesme
Qu'est du hault ciel le grand palays supresme.
Doncq quand les Dieux furent en ordre assis
Aux sieges bas faictz de marbres massifz,
Juppiter mys au plus hault lieu de gloire,
Et appuyé sur son sceptre d'yvoire
(Comme indigné) par troys foys, voyre quatre,
De son grand chef feit bransler, et debatre
l'horrible poil : duquel par son pouvoir
Feit terre, et mer, et estoilles mouvoir.
Puis tout despit devant touts il desbouche
En tel'façon son indignée bouche.
Harengue de Juppiter aux aultres Dieux, en laquelle il racompte,
comment il transforma Lycaon en loup
Je ne fus oncq pour le regne mondain
Plus triste en cueur de l'orage soubdain,
Auquel Geants, qui ont serpentins piedz,
Furent touts prestz, quand fusmes espiez,
De tendre, et mectre au ciel recreatif
Chascun cent bras, pour le rendre captif.
Car neantmoins que l'ennemy fust tant
Cruel, et fier, celle guerre pourtant
Ne dependoit que d'une seulle suyte,
Et d'une ligne en fin par moy destruicte :
Mais maintenant, en toute voye, et trasse
Par où la mer le monde entier embrasse,
Perdre, et tuer me fault (pour son injure)
Le mortel genre : et qu'ainsi soit, j'en jure
Des bas enfers les eaux noyres, et creuse,
Coulants soubs terre aux forestz tenebreuses :
Quoy que devant fault toute chose vraye
Bien esprouver : mais l'incurable playe
Par glaive fault tousjours coupper à haste,
Que la part saine elle n'infecte, et gaste.
J'ay en forestz, et sur fleuves antiques
Mes Demidieux, et mes Faunes rustiques,
Satyres gays, Nymphes nobles compaignes,
Et mes Silvains residents aux montaignes,
Lesquelz d'aultant que ne les sentons dignes
D'avoir encor les gloyres celestines,
Souffrons (au moins) que seurement, et bien,
Ilz puissent vivre en terre, que du mien
Leur ay donnée. O dieux intercesseurs,
Les pensez vous en bas estre assez seurs,
Quand Lycaon, noté de felonnie,
A conspiré mortelle vilanie
Encontre moy, qui par puissance eterne
La fouldre, et vous çà hault tiens, et
gouverne ?
Lors touts ensemble en fremissant murmurent,
Et Juppiter (d'ardant desir, qu'ilz eurent)
Vont suppliant, qu'en leurs mains vueille mectre
Cil, qui osa telles choses commectre.
Ainsi au temps que la cruelle main
D'aulcuns voulut ternir le nom Rommain
Tendant au sang Cesarien espandre,
Pour la terreur d'ung tant subit esclandre
Fut l'humain genre asprement estonné,
Et tout le monde à horreur addonné.
Et la pitié des tiens (ô preux Auguste)
Ne te fut pas moins aggreable, et juste,
Que ceste cy à Juppiter insigne :
Lequel apres avoir par voix, et signe
Refrainct leur bruyt, chascun d'eulx feit silence.
Le bruyt cessé par la grave excellence
Du hault regent, de rechef tout despit
D'ung tel propos le silence rompit.
Les peines a (ne vous chaille) souffertes :
Mais quoy qu'il ayt receu telles dessertes,
Si vous diray je en resolution,
Quel est le crime, et la punition.
De ce dur temps l'infamie à merveilles
Venoit souvent jusques à noz oreilles :
Lequel rapport desirant estre faulx
Subit descends des Cieulx luysants, et haults,
Et circuy le terrestre dommaine,
Estant vray Dieu dessoubz figure humaine.
Fort long seroit vous dire (ô Dieux sublimes)
Combien par tout il fut trouvé de crimes :
Car l'infamie, et le bruyt plein d'opprobre
Bien moindre fut, que la verité propre.
De Menalus traversay les passages
Craints pour les trous des grands bestes saulvages,
Et les haults Pins du froid mont Lyceus,
Et Cillene. Quand cele passé heus,
Du Roy d'Archade es lieux me viens renger,
Et en sa Court dangereuse à loger
Entre tout droict, au poinct que la serée
Tire la nuict d'ung peu de jour parée.
Par signes lors monstray, que j'estoys Dieu
Venu en terre, et le Peuple du lieu
A m'adorer jà commence, et m'invocque :
Mais Lycaon (d'entrée) raille, et mocque
Leurs doulx priers, en disant : par un grief
Et cler peril, j'esprouveray de brief
Si mortel est ce Dieu cy, qu'on redoubte,
Et n'en sera la verité en doubte.
Puis quand seroys la nuict en pesant somme,
A me tuer s'appreste ce faulx homme
De mort subite : icelle experience
De verité luy plaist d'impatience.
Et non content est de si griefve coulpe,
Mais d'ung Poignal la gorge il ouvre, et couppe
A ung, qui là fut en hostage mys
De par les gens de Molosse transmys.
Et l'une part des membres de ce corps
Va faire cuyre ainsi à demy morts
En eaue bouillant, rendant l'aultre partie
Sus ardant feu, de gros charbons rostie :
Lesquelz sur table ensemble mect, et pose :
Dont par grand feu, qui vengea telle chose,
Sur le Seigneur tombay la maculée
Orde maison, digne d'estre bruslée.
Adonc s'enfuyt troublé de peur terrible :
Et aussi tost, qu'il sentit l'air paisible
Des champs, et boys, de hurler luy fut force,
Car pour neant à parler il s'efforce.
Son museau prend la fureur du premier,
Et du desir de meurtres coustumier,
Sur les aigneaulx or en use, et jouyt,
Et de veoir sang encores s'esjouyt.
Ses vestemens poil de beste devindrent,
Et ses deux bras façon de cuisses prindrent
Il fut faict Loup, et la marcque conforme
Retient encor de sa premiere forme :
Tel poil vieillard, et tel frayeur de vis
Encores a : semblables yeulx touts vifs
Ardent en luy. Brief, tel'figure porte
De cruaulté, comme en premiere sorte.
Parachevement de la Harengue de Juppiter avec la description du
Deluge
Or est tombé ung manoir en ruine,
Mais ung manoir tout seul n'a esté digne
D'estre pery : par tout, où paroist terre,
Regne Erinnys aymant peché, et guerre.
Et si diriez, que touts ilz ont juré
De maintenir vice desmesuré.
Touts doncques soyent par peine meritée
Punys acoup, c'est sentence arrestée :
Alors de bouche aulcuns des Dieux approuvent
L'arrest donné par Juppiter, et mouvent
Plus son courroux. Les aultres rien ne dirent
Mais (sans parler) par signe y
consentirent[.]
Ce neantmoins du genre humain la perte
A touts ensemble est douleur tresapperte :
Et demander vont à Juppiter, quelle
Forme adviendra sur la terre, apres qu'elle
Sera privée ainsi d'hommes mortelz,
Qui portera l'encens sur les Autelz,
Et si la terre aux bestes veult bailler
Pour la destruire, et du tout despouiller.
Alors deffend Juppiter, et commande
A ung chascun, qui tel'chose demande,
De n'avoir peur, disant, qu'à ce besoing
De toute chose il a cure, et soing,
Et leur promect lignée non semblable
Au premier peuple en naissance admirable.
Soubdain devoit pour mectre humains en pouldre
Par toute terre espandre ardante fouldre :
Mais il craignit, que du ciel la facture
Par tant de feuz ne conceut d'adventure
Quelcque grand'flamme, et que soubdainement
Bruslé ne fust tout le hault firmament.
Puis luy souvint, qu'il est predestiné
Qu'advenir doibt ung temps determiné,
Que mer, que terre, et la maison prisée
Du ciel luysant ardra toute embrasée,
Et qu'on doibt veoir le tresgrand edifice
Du monde rond en labeur, et supplice.
Lors on cacha les dardz de feu chargés
Des propres mains des Cyclopes forgés,
Et d'une peine au feu toute contraire
Luy plaist user : car soubs eaues veult deffaire
Le mortel genre, et sur les terres toutes
De tout le ciel jecter pluyes, et goutes.
Incontinent aux cavernes d'Eole
Enclost le vent Aquilon, qui tost volle :
Semblablement en ces fosses estuye
Touts vents chassants la nue apportant pluye :
Et seullement mist Notus hors d'icelles.
Lors Notus volle avec ses moytes aesles,
Son vis terrible est couvert ceste foys
D'obscurité noyre, comme la poix :
Par force d'eaues sa barbe poyse toute,
De ses cheveulx touts chenuz eaue degoute,
Dessus son front moyteurs coulent, et filent
Son sein par tout, et ses plumes distillent.
Puis quand il eut çà, et là nues mainctes
Pendants en l'air dedans sa main estrainctes,
Gros bruyt se faict, esclers en terre abondent,
Et du hault ciel pluyes espesses fondent.
Iris aussi de Juno messagere
Vestant couleurs de façon estrangere
Tire, et conçoit grandes eaues, et menues,
En apportant nourrissement aux nues,
Dont renversés sont les bleds à oultrance,
Morts sont, et vains les voeuz, et l'esperance
Des laboureurs, et fut perdu adonc
Tout le labeur de l'an, qui est si long.
Encor (pour vray) l'ire ouverte, et patente
De Juppiter ne fut assez contente
Des grandes eaues, que de son ciel jecta :
Mais Neptunus son frere s'appresta
De promptement à son ayde envoyer
Grand renfort d'eaues pour le monde noyer,
Et à l'instant touts ses Fleuves il mande :
Lesquelz entrés dedans la maison grande
De leur Seigneur, en brief dire leur vient.
Pour le present user ne nous convient
De long propos : voz forces descouvrez,
Ainsi le fault, et voz maisons ouvrez :
Puis en ostant voz obstacles, et bondes,
Laschez la bride à voz eaues furibondes.
Ce commandé, s'en revont à grands courses :
Touts les ruisseaulx l'entrée de leurs sourses
Laschent à plein, et d'ung cours effrené
Tout à l'entour des grands mers ont tourné.
Neptune adoncq'de son Sceptre massif
Frappa la terre, et du coup excessif
Elle trembla, si que du mouvement
Elle feit voye aux eaues appertement.
Si vont courant touts fleuves espandus
Parmy les champs ouverts, et estendus,
En ravissant avec le fruict les arbres,
Bestes, humains, maisons, palays de marbres,
Sans espargner Temples painctz, et dorés,
Ne leurs grands Dieux sacrés, et adorés.
Et s'ainsi est, qu'aulcun logis debout.
Soit demouré en resistant du tout
A si grand mal, toutesfoys l'eaue plus haulte
Coeuvre le fest, et par dessus luy saulte.
Que diray plus ? grandes tours submergées
Cachées sont soubs les eaues desgorgées :
Et n'y avoit (tant soit peu) d'apparence,
Qu'entre la mer, et terre eust difference.
Tout estoit mer, en la mer, qui tout baigne,
N'a aulcuns borts. L'ung pour se saulver gaigne
Quelcque hault mont. L'aultre tout destourbé
Se siet dedans ung navire courbé :
Et droit au lieu il tire l'aviron,
Où labouroit nagueres environ.
L'ung sur les bleds conduyt nefz, et bateaulx,
Ou sur le hault des villes, et chasteaulx,
Qui sont noyés. L'aultre sur les grands Ormes
Prend à la main poissons de maintes formes.
L'ancre de mer se fiche au pré tout vert :
Fortune ainsi l'a voulu, et souffert.
Bateaulx courbés couvrent les beaulx vignobles
Gisants soubz l'eau, et plusieurs terres nobles :
Et au lieu propre, où Chevres, et Moutons
Broustoyent nagueres herbes, fleurs, et boutons,
Là maintenant Balaines monstrueuses
Posent leurs corps. Les Nymphes vertueuses
Regnants en mer, et belles Nereides
S'estonnent fort de veoir soubs eaues liquides
Forestz, maisons, villages, et cités.
Par les Daulphins les boys sont habités,
Et en courant parmy les haultz rameaulx
Hurtent maint tronc agité des grands eaux.
Entre Brebis nagent Loups ravissants :
La mer soustient les roux Lyons puissants :
Tigres legers porte l'eau undoyante :
De rien ne sert la force fouldroyante
Au dur Sanglier : ne les jambes agiles
Au Cerf ravy par les undes mobiles.
Et quand l'Oyseau vagant a bien cherché
Terres, ou arbre, où puisse estre branché,
A la fin tombe en la mer amassée,
Tant a du vol chascune aesle lassée.
Jà de la mer la fureur à grands brasses
Avoit couvert et mottes, et tarrasses :
Vagues aussi, qui de nouveau flotoyent,
Les haultz sommets des montaignes batoyent.
Brief, la pluspart gist engloutie, et morte
Dedans la mer. Ceulx, que la mer n'emporte,
Le long jeusner de tel'façon les mine,
Qu'à la parfin tombent morts de famine.
Or separés sont les champs tresantiques
Aoniens d'avecques les Attiques
De par Phocis, terre grasse, j'entends,
Quand terre estoit : mais en icelluy temps
La plus grand'part n'estoit que mer comblée,
Et ung grand champ d'eaue subit assemblée.
En ce pays Parnassus le hault mont
Tendant au ciel se dresse contre mont
A double croppe, et les nues surpasse
De sa haulteur. Sur ceste haulte place
(Pource que mer couvroit le demourant)
Deucalion aborda tout courant
En une nef, qui grande n'estoit mye,
Avec Pyrrha sa compaigne, et amye,
Les Dieux du mont, et Nymphes Corycides
Là adoroyent, priants à leurs subsides,
Themys disant les choses advenir,
Qui lors souloit des oracles tenir
Le temple Sainct : oncques ne fut vivant
Meilleur, que luy, ne de plus ensuyvant
Vraye equité, et n'eut oncq au monde âme,
Plus honnorant les Dieux, qu'icelle Dame.
Quand Juppiter veit par l'eaue continue.
Que terre estoit ung estang devenue,
Et ne rester de tant de milliers d'hommes
Maintenant qu'ung sur la terre, où nous sommes,
Et ne rester de tant de femmes, qu'une :
Voyant aussi, que sans malice aulcune
Touts deux estoyent, et touts deux amateurs
De son Sainct nom, et vrays adorateurs :
Cela voyant, les nues, qui tant plurent,
Rompt, et separe. Et quand les pluyes furent
Par Aquilon chassées en maints lieux,
Aux cieulx la terre, à la terre les cieulx
Il va monstrer : aussi l'ire, et tempeste
De la marine illec plus ne s'arreste.
Puis Neptunus sur la mer president,
En mectant jus son grand spectre, et trident
Les eaues appaise, et huche sans chommer
Le verd Triton flotant dessus la mer,
Le dos couvert de pourpre faicte expres
Sans artifice : et luy commande apres
Souffler dedans la resonnant buccine,
Et rappeller, apres avoir faict signe,
Fleuves, et flots. Lors Triton prend, et charge
Sa trompe creuse entortillée en large,
Et qui du bas vers le hault croist ainsi
Qu'ung turbillon : laquelle trompe aussi
Apres qu'elle a prins aer tout au milieu
De la grand mer, chascun rivage, et lieu
Gisant soubs l'ung, et soubs l'aultre soleil,
Elle remplit de son bruyt non pareil.
Laquelle aussi, quand elle fut joignante
Contre la bouche à Triton degoutante,
Pour la moyteur de sa barbe chargée,
Et qu'en soufflant la retraicte enchargée
Elle eut sonnée, par tout fut entendue
Des eaues de terre, et de mer estendue,
Tant que les eaux, qui l'ouyrent corner,
Contraignit lors toutes s'en retourner.
Desjà la mer prend borts, et rives neufves,
Chascun canal se remplit de ses fleuves,
Fleuves on voyt baisser, et departir,
Et hors de l'eau les montaignes sortir :
Terre s'esleve, et les cieulx, qui paroissent,
Croissent ainsi, comme les eaues decroissent.
Longs jours apres, boys, et forestz mouillées
Manifestoyent leurs testes despouillées
De fueille, et fruict : au lieu de quoy retindrent
Les gras lymons, qui aux branches se prindrent :
Restably fut tout pays despourveu :
Lequel estant par Deucalion veu
Large, et ouvert, et que terrestre voye
Mise en desert faisoit silence coye,
La larme à l'oeil adonc il souspira,
Parlant ainsi à sa femme Pyrrha.
Oraison de Deucalion à Pyrrha sa femme
O chere Espouse, ô ma soeur honnorée,
O femme seulle au monde demourée,
Que commun sang, puis parente germaine,
Puis mariage ont joincte à moy prochaine,
Et à present joincte à moy de rechef
Par ce peril, et dangereux meschef
De toute terre, et pays evident
De l'Orient, et de tout l'Occident,
Nous deux seullets sommes tourbe du monde :
Le residu possede mer profonde :
Et n'est encor la fiance, et durée
De nostre vie assez bien asseurée :
Et d'aultre part les nues, qui cy hantent,
Nostre pensée asprement espouventent.
Si par fortune eschappée sans moy
Fusses des eaulx, quel courage or en toy
Fust demeuré ? O chetive, et dolente,
Comme eusses tu tel'crainte violente
Seulle souffert ? qui te fust consoleur,
Pour supporter maintenant ta douleur ?
Certes croy moy, si l'eaue t'avoyt ravye,
Je te suyvroys, et l'eau auroit ma vie.
Que pleust aux Dieu, qu'ung si grand pouvoir j'eusse
Que par les arts de mon pere je peusse
Renouveller toute gent consommée,
Et mectre esprit dedans terre formée.
Le genre humain reste en nous deux : et pource
Doibt en nous deux prendre fin, ou resource,
Et des humains demourons la semblance :
Telle a esté des haults Dieux l'ordonnance.
Apres ces motz, apres pleur, et crier,
Bon leur sembla devotement prier
Themis celeste, et soubs divins miracles
Chercher secours en ses sacrés oracles.
Lors n'ont tardé : touts deux s'en vont aux undes
De Cephysis, non bien cleres, et mundes
Encor du tout : mais bien jà retirées
Au droict vaisseau, duquel s'estoyent tirées.
Et quand jecté eurent de l'eau benie
Sur leurs habits en grand'ceremonie,
Et sur leurs chefz, ilz prindrent leur addresse
Droict vers le Temple à la sacrée Déesse,
Dont les sommetz, et voultes se gastoyent
De layde mousse. Et les autelz estoyent
Sans sacrifice. Et les Lampes estainctes.
Puis quand du Temple ont les marches attainctes,
Ung chascun d'eulx s'encline contre terre,
Et tout craintif baise la froide pierre,
Disant ainsi : Si en tristes saisons
Les Dieux vaincuz par justes oraisons
Sont amollys : et si courroux, et ire
Fleschist en eulx, helas vueilles nous dire,
Dame Themis, par quel art, ou sçavoir,
Reparable est la perte, que peulx veoir
De nostre genre : et aux choses noyées
Tes aydes soyent par doulceur octroyées.
Adonc s'esmeut ce divin simulacre,
Et leur respond : Partez du Temple sacre,
Couvrez vos chefz en devotions sainctes,
Et desliez voz robbes, qui sont ceinctes :
Apres jectez souvent par sur le dos
De vostre antique, et grand'mere les os.
Lors esbahys demeurent longuement,
Et puis Pyrrha parlant premierement
Rompt le silence, et d'obeir refuse
Aux motz, et dicts, dont celle Déesse use,
En la priant (avec craintive face)
Devotement, qu'en ce pardon luy fasse :
Et d'offenser craint de sa mere l'âme,
Jectant ses os, et de luy faire blasme.
Tandis entre eulx revolvent, et remirent
Les motz obscurs de l'Oracle, qu'ouyrent
Soubs couverture ambigue donné.
Deucalion (comme moins estonné)
R'asseure apres, et doulcement consolle
La femme simple, avec telle parolle :
Croy moy, Pyrrha, que les Dieux pour nous
veillent :
Ilz sont touts bons, et jamais ne conseillent
Rien de maulvais, et si trop fort je n'erre,
Nostre grand'mere antique, c'est la terre.
Ses ossements (selon le mien recors)
Les pierres sont, qu'elle a dedans son corps :
Et commandé nous est de les lancer
Derriere nous. Combien qu'en bon penser
Pyrrha fut meuë à cause de l'augure,
Que son mary bien expose, et figure,
Ce nonobstant, son espoir est doubteux,
Et moult encor se deffient touts deux
De cest oracle : en apres vont disant,
Mais que nuyra l'espreuve ce faisant ?
Sur ce s'en vont du Temple, où s'humilient,
Couvrent leurs chefz, et leurs robbes deslient,
Et derriere eulx (à toutes adventures)
Comme on leur dit, jectent les pierres dures.
Les pierres converties en hommes, et femmes
Les pierres lors vindrent à delaisser
Leur dureté, et rudesse abaisser,
A s'amollir, et en amollissant
Figure humaine en elles fut yssant :
Mais qui croyra, que ce soit verité,
Si pour tesmoing n'en est l'antiquité ?
Bien tost apres, que croissance leur vint,
Et que nature en icelles devint
Plus doulce, et tendre, aulcune forme d'homme
On y peult veoir, non pas entiere, comme
Celle de nous, mais ainsi, qu'esbauchée
D'ung marbre dur, non assez bien touchée :
Et ressembloit du tout à ces ymages
Mal rabotés, et rudes en ouvrages.
Ce neantmoins des pierres la partie
Qui fut terreuse, ou molle, et amoytie
D'aulcun humeur, elle fut transformée
En chair, et sang d'homme, ou femme formée :
Ce qui est dur, et point ne fleschissoyt,
En ossement tout se convertissoyt :
Ce qui estoit veine de pierre à l'heure,
Fut veine d'homme, et soubs son nom demeure.
Si qu'en brief temps les pierres amassées,
Qui par les mains de l'homme sont lancées,
Des hommes ont (par le pouvoir des Dieux)
Prins la figure en corps, en face, et yeulx :
Aussi du ject de la femme esgarée
La femme fut refaicte, et reparée.
Et de là vient, que sommes (comme appert)
Un genre dur, aux gros labeurs expert :
Et bien donnons entiere congnoissance,
D'où nous sortons, et de quelle naissance.
La terre transformée en diverses figures d'Animaulx
Quand l'humeur vieille alors des eaues laissée
Fut par l'ardeur du cler Soleil pressée
D'eschauffoison, et que paludz, et fanges
Furent enflés soubs ces chaleurs estranges,
Terre engendra touts aultres animaulx
De son vueil propre en formes inegaulx.
Pareillement les semences des choses
(Concepvants fruict, nourries, et encloses
En terre grasse à produire propice,
Comme au giron de leur mere, et nourrice)
Vindrent à croistre, et demourance y tindrent
Si longuement, qu'aulcune forme prindrent.
Qu'il soit ainsi, quand l'eaue du Nil, qui court
Par sept tuyaulx, a delaissé tout court
Les champs mouillés, et chascun sien ruisseau
Rendu dedans son antique vaisseau :
Apres aussi, que le lymon tout frays
Est eschauffé du Soleil, et ses rays,
Les Paysans plusieurs animaulx trouvent
Faicts, et créés de motes, où se couvent :
Et en peult on en elles veoir assez
Qui seullement ne sont, que commencés
Pour le brief temps de leur tout nouveau naistre.
Semblablement d'aultres y voyt on estre
Touts imparfaicts, qui à demy sont nés,
D'espaule, teste, ou jambes trançonnés :
Et du corps mesme imparfaict l'une part
Bien souvent vit : l'aultre est terre sans art.
Certes apres qu'humeur de froid esprinse,
Et chaleur aspre ont attrempance prinse,
Produisants sont, et conçoyvent, et portent,
Et de ces deux toutes les choses sortent.
Et quoy, que feu à l'eaue contraire soit,
Humide chault toutes choses conçoit :
Et par ainsi concorde discordante
A geniture est apte, et concordante.
La mort du serpent Phyton, dont vindrent les jeuz nommés les
Phyties
Doncques apres, que la terre mouillée,
Et du nouveau deluge fort souillée,
Vint à sentir de rechef le grand chault
De l'air prochain, et du Soleil treshault,
Elle mist hors cent mille especes siennes :
Et d'une part les formes anciennes
Restitua jadis mortes des eaux :
De l'aultre part feit monstres touts nouveaux
O grand Phyton, monstre horrible, et infect,
Terre vouldroit (certes) ne t'avoir faict :
Mais toutesfoys elle (dont [s]e repent)
T'engendra lors : ô incongneu serpent
Au peuple neuf ! aussi crainte donnoys,
Tant large lieu de montaigne tenoys.
Or Apollo tenant (pour faire alarmes)
L'arc, et la flesche, et qui de telles armes
Par cy devant n'usoit jamais, que contre.
Chevres fuyants, ou Dains : à sa rencontre,
Ce gros serpent rua mort estendu
Par coups noyrcis du venin espandu,
Soubs tant de traicts tirés à tel'secousse,
Que toute vuyde en fut quasi sa trousse.
Et puis affin, que vieil temps advenir
Ne sceust du faict la memoire te[r]nir,
Il establit sacrés jeuz, et esbats
Solennisés par triumphants combats,
Phyties dicts du nom du grand Phyton
Serpent vaincu : pour cela les feit on.
En celluy pris quiconque jeune enfant
A lucte, à course, ou à char triumphant
Estoit vainqueur, par honneur singulier,
Prenoit chappeau de fueilles de meslier,
Car le Laurier encores ne regnoit,
Et en ce temps Phebus environnoit
Sa blonde teste à long poil bien seante
De chascun arbre, et fueille verdoyante.
Daphné transformée en Laurier, avec description des Sagettes de
Cupido
L'Amour premiere au cueur de Phebus née
Ce fut Daphné, fille au fleuve Penée :
Laquelle Amour d'aulcun cas d'adventure
Ne luy survint : mais de l'ire, et poincture
De Cupido. Phebus tout glorieux
D'avoir vaincu le serpent furieux,
Veit Cupido, qui de corde nerveuse
Bendoit son arc de corne sumptueuse :
Si luy a dit, dy moy, pourquoy tu portes
(Enfant lascif) ces riches armes fortes ?
Ce noble port, qui sur ton col s'assiet,
Mieulx en escharpe à mes espaules siet,
Qui bien en sçay donner playes certaines
Aux ennemys, aux bestes inhumaines :
Qui puis ung peu par sagettes sans nombre
Ay rué jus le serpent plein d'encombre
Phyton l'enflé, dont la mortelle panse
Fouloit de terre incredible distance.
Tien toy content d'esmouvoir en clamours
Par ton brandon ne sçay quelles Amours :
Et desormais n'approprie à toymesmes
Ainsi à tort noz louanges supresmes.
Lors luy respond de Venus le filz cher,
Fiche ton arc, ce qu'il pourra ficher,
O Dieu Phebus, le mien te fichera :
Ainsi ton bruyt du mien est, et sera
Moindre d'aultant, que bestes en tout lieu
Plus foibles sont, et plus basses, qu'ung Dieu.
Ainsi disoit : et quand en ses vollées
Eut tranché l'air des aesles esbranlées,
Il se planta prompt, et legier dessus
L'obscur sommet du hault mont Parnassus,
Et de sa trousse (où mect ses dards pervers)
Tira deux traictz d'ouvrages touts divers :
L'ung chasse Amour, et l'aultre Amour crée :
Tout doré est celluy, qui la procrée,
Et a ferrure ague, clere, et coincte :
Cil, qui la chasse, est rebouché de poincte,
Et a du plomb tout confict en amer
Soubs l'empennon. Cupido Dieu d'aymer
Ficha ce traict, qui est de mercy vuyde,
Contre Daphné la nymphe Peneyde,
Et du doré les os il traversa
Du blond Phebus, et au cueur le blessa.
Subitement l'ung ayme, et l'aultre non,
Ains va fuyant d'amoureuse le nom,
Et jusqu'aux trous des boys chasser venoit :
Brief, la despouille aux bestes, que prenoit,
C'estoit sa grand'joye quotidiane,
En imitant la pucelle Diane.
D'ung seul bandeau ses cheveulx mal en ordre
Serroit au chef, sans les lyer, ne tordre.
Plusieurs l'ont quise à l'espouser tendants,
Mais tousjours feit reffus aux demandants.
Sans vouloir homme, et du plaisir exempte,
Va par les boys, qui n'ont chemin, ne sente,
Et ne luy chault sçavoir, que c'est de nopces,
N'aussi d'ung tas d'amoureuses negoces.
Son pere aussi luy a dit maintesfoys,
Ma chere fille, ung gendre tu me doibs :
Et luy a dit (cent foys blasmant ses voeuz)
Tu me doibs, fille, enfants, et beaulx nepveuz.
Elle abhorrant mariage aussi fort
Que si ce fust ung crime vil, et ord,
Entremesloit parmy sa face blonde
Une rougeur honteuse, et vereconde :
Puis en flatant son pere desolé,
Et le tenant doulcement accollé :
Mon trescher pere (helas ce disoit elle)
Fays moy ce bien, que j'use d'eternelle
Virginité. Juppiter immortel
Feit bien jadis à Diane ung don tel.
Lors (ô Daphné) vray est, qu'à ta demande
Ton pere entend : mais ceste beaulté grande
A ton vouloir ne donne aulcun adveu,
Et ta forme est repugnante à ton voeu.
Phebus, qui tant la veit bien composée,
L'ayme tousjours, la souhaitte espousée :
Ce qu'il souhaitte, espere, quoy que soit,
Mais son oracle à la fin le deçoit.
Et tout ainsi, que le chaulme sec ard,
Quand on a mys les espys à l'escart :
Comme buissons ardent par nuict obscure
D'aulcuns brandons, qu'ung passant d'adventure
(en s'esclerant) a approchés trop pres
D'iceulx buissons, ou les y laisse apres
Qu'il voit le jour : ainsi Phebus en flamme
S'en va reduit, et d'Amour, qui l'enflamme,
Par tout son coeur se brusle, et se destruict,
Et en espoir nourrist Amour, sans fruict.
Au long du col de Daphné voyt pendus
Ses cheveulx blonds, meslés, et espendus.
O Dieux (dit il) si peignée elle estoit,
Que pourroit ce estre ? En apres s'arrestoit
A contempler ses estincellants yeulx,
Qui ressembloient deux estoilles des cieulx.
Sa bouche voyt petite par compas,
Dont le seul veoir ne le satisfaict pas :
Prise ses mains, aussi blanches, que lys :
Prise ses doigts : prise ses bras polys :
Semblablement ses espaules charnues,
Plus qu'à demy descouvertes, et nues.
S'il y a rien caché dessoubs l'habit,
Meilleur le pense : elle court plus subit
Que vent legier, et ne prend pied la belle
Aux dicts de cil, qui en ce poinct l'appelle.
Priere de Phebus à Daphné
Je te pry Nymphe arreste ung peu tes pas.
Comme ennemy apres toy ne cours pas :
Nymphe demeure : ainsi la brebiette
S'enfuyt du Loup : et la Bische foyblette
Du fort Lyon : ainsi les colombelles
Vont fuyant l'Aigle avec fremissants aesles :
Ainsi chascun de ses haineux prend fuyte,
Mais vray amour est cause de ma suyte.
O que je crainds, que tombes, et qu'espines
Poignent tes pieds, et tes jambes non dignes
D'avoir blesseure ! ô pour moy grand
malheur,
Si j'estoys cause (en rien) de ta douleur !
Là où tu vas, sont lieux fascheux, et bestes :
Je te supply (non pas, que tu t'arrestes
Du tout sur pied) mais cours plus lentement,
Je te suivray aussi plus doulcement.
Enquiers (au moins) à qui tu plais amye.
D'une montaigne habitant ne suis mye,
Ne Pastoureau : point ne garde, et fais paistre
Trouppeaulx icy, comme ung vilain champestre.
Tu ne sçais point (sotte), tu ne sçais point,
Qui est celluy, que tu fuys en ce point :
Pource me fuys. La puissante isle Clare,
Delphe, Tenede, et aussi de Patare
Le grand Palays me sert, et obtempere :
Juppiter est mon geniteur, et Pere :
Tout ce, qui est, sera, et a esté,
Aux hommes est par moy manifesté.
Par moy encor maint beau vers Poëtique
Accorde au son des cordes de Musique :
Et ma sagette est pour vray bien certaine :
Mais une aultre est trop plus seure, et soubdaine,
Laquelle a faict playe en mon triste cueur,
Dont n'avoit onc amour esté vainqueur.
Medecine est de mon invention,
Et si suis dit par toute nation
Dieu de secours : et la grande puissance
Des herbes est soubs mon obeissance.
O moy chetif, ô moy trop miserable,
De ce, qu'amour n'est par herbes curable,
Et que les arts, qui ung chascun conservent,
A leur Seigneur ne proffitent, ne servent !
Alors Daphné craintifve se retire
Loing de Phebus, qui vouloit encor dire
Maints aultres motz, et laissa sur ces faicts
Avecques luy ses propos imparfaicts.
Lors en fuyant moult gente se monstroit :
Le vent par coups ses membres descouvroit,
Et volleter faisoit ses vestements,
Qui resistoyent contre les soufflements :
Puis l'air subtil repoulsoit en arriere
Ses beaulx cheveulx espanduz par derriere :
Dont sa fuyte a sa beaulté augmentée.
Mais le Dieu plein de jeunesse tentée
Plus endurer ne peult à ce besoing,
Perdre, et jecter son beau parler au loing :
Ains comme amour l'admoneste, et poursuyt,
D'ung pas legier les trasses d'elle suyt.
Et tout ainsi, que le Levrier agile,
Quand il a veu le Lievre moins habile
En ung champ vague, et qu'au pied l'ung conclud
Gaigner sa proye, et l'aultre son salut,
Le chien legier de pres le semble jöindre,
Et pense bien jà le tenir, et poindre :
Puis de ses dents (ouvrant sa gueule gloute)
Rase ses pieds : lors le Lievre est en doubte,
S'il est point prins : ceste morsure eschappe,
Et de la dent, qui coup sur coup le happe,
Il se desmesle, et fuyt tout estonné.
Ainsi est il de Phebus, et Daphné :
Espoir le rend fort legier à la suyte,
Crainte la rend fort legiere à la fuyte :
Mais le suyvant, qui des aesles d'amours
Est soulagé, va de plus soubdain cours,
Sans point donner de repos; ne d'arrest
A la fuyante : et si prochain il est
De ses talons, que jà de son alaine
Ses beaulx cheveulx touts espars il alaine.
Quand de Daphné la force fut estaincte,
Pasle devint : lors vaincue, et attaincte
Par le travail d'une si longue course,
Va regarder de Peneus la sourse,
Disant : Mon Pere, ayde à mon cueur tant las,
Si puissance est en vous, fleuves, et lacs.
Puis dit : O terre, or me perds, et efface
En transmuant ma figure, et ma face,
Par qui trop plais : ou la transgloutis vifve,
Elle, qui est de mon ennuy motifve.
Ceste priere ainsi finie à peine,
Grand'pasmoyson luy surprend membre, et veine.
De son cueur fut la subtile toillette
Tournée en tendre escorce verdelette :
En fueilles lors croissent ses cheveulx beaulx :
Et ses deux bras en branches, et rameaulx :
Le pied, qui fut tant prompt avec la plante,
En tige morne, et racine se plante.
D'ung arbre entier son chef la haulteur a,
Et sa verdeur (sans plus) luy demeura :
Parquoy Phebus l'arbre ayma desadonc.
Et quand eut mys sa dextre sur le tronc,
Encor sentoit le cueur de la pucelle
Se demener soubs l'escorce nouvelle.
En embrassant aussi ses rameaulx verds,
Comme eut bien faict ses membres descouverts :
Il baise l'arbre, et tout ce nonobstant,
A ses baisers l'arbre va resistant.
Au quel Phebus a dit : Puis qu'impossible
Est que tu soys mon espouse sensible,
Certainement mon arbre approprié
Seras du tout, et à moy dedié.
O verd Laurier tousjours t'aura ma harpe,
Ma clere teste, et ma trousse en escharpe :
Et si seras des Capitaines gloyre
Tous resjouys, quand triumphe, et victoyre
Chanteront hault les cleres voix, et trompes :
Et qu'on voyrra les grands, et longues pompes
Au Capitolle[s] aux consacrés pousteaulx,
Seras debout devant les grands porteaulx
Fealle garde, et au loz de ton regne
Entrelassé seras autour du Chesne :
Et tout ainsi, que mon beau chef doré
Est tousjours jeune, et de poil decoré,
Vueilles aussi porter en chascun eage
Perpetuel honneur de verd fueillage.
Ces mots finis, le Laurier s'y consent
En ses rameaulx, qui sont faictz de recent :
Et si sembloit bransler en sorte honneste
Sa sommité, comme on bransle la teste.
Description du beau lieu Tempé, et comment Yo fut transformée en
vache blanche, et baillée en garde à Argus
En Thessallie une haulte forest
Par tout enclost ung val, qui encor est
Nommé Tempé, temperé fleurissant :
Parmy lequel Peneus fleuve yssant
Du fons du pied de Pindus grand'montaigne
D'eaues escumants le pays tourne, et baigne,
D'ung roide cours les nues embrumées
Va conduisant, qui petites fumées
Semblent jecter : et va si roidement
Contre les rocz, que du redondement
Les boys arrouse : et de son bruyt, qui sonne,
Les lieux plus loing, que ses voisins, estonne.
Là la Maison : là le siege l'on treuve,
Et lieu secret de Peneus grand fleuve :
Là comme Roy residant en ses terres,
En sa caverne estant faicte de pierres
Gardoit justice aux undes là courantes :
Pareillement aux Nymphes demourantes
En celles eaux. Premier sont là venuz
Touts les prochains fleuves à luy tenuz,
Non bien sachants, si chere luy feront,
Ou pour sa fille ilz le consoleront,
Que perdue a : Sperche y vint à propos
Pourtant Peupliers, Enyphe sans repos,
Le doulx Amphrise, et le vieil Apidain,
Avec Eas : d'aultres fleuves soubdain
Y sont venuz, qui, de quelcque costé
Où soyent portés d'impetuosité,
En la mer font leurs undes retourner,
Quand lassés sont de courir, et tourner.
Le fleuve Inache à par soy tout fasché
Seul est absent, et au profond caché
De son grand creux : l'eaue par larmes augmente,
Et tout chetif sa fille Yo lamente
Comme perdue : il ne sçait, si en vie
Elle est au monde, ou aux enfers ravie :
Mais pour aultant que point ne l'apperçoit
En aulcun lieu, cuide qu'elle ne soit
En aulcun lieu, et craint en ses Esprits
Que pirement encores luy soit pris.
Or quelcque foys Juppiter eternel
La veit venir du fleuve paternel,
Si luy a dit : O vierge bien formée,
De Juppiter tresdigne d'estre aymée,
Et qui doibs faire ung jour par grand delict
Je ne sçay qui bienheureux en ton lict :
Ce temps pendant, que le Soleil treshault
Est au milieu du monde ardant, et chault,
Vien à l'umbrage en ce boys de grand'monstre,
Ou en cestuy : et touts deux les luy monstre.
Et si tu craints entrer seullette aux creuses
Fosses, et trouz des bestes dangereuses,
Croy, qu'à seurté iras d'orenavant
Soubs les secrets des forestz moy devant,
Qui suis ung Dieu, non point des moindres Dieux,
Mais qui en main le grand sceptre des cieulx
Tiens, et possede, et qui darde, et envoye
La fouldre esparse en mainte place, et voye.
Ne me fuy point : or fuyoit elle fort,
Et jà de Lerne avoit par son effort
Oultrepassé les pastiz, et les plains,
Et les beaulx champs Lircées d'arbres pleins,
Quand Juppiter couvrit terre estendue
D'obscurité parmy l'air espandue,
Retint la fuyte à Yo jeune d'eage,
Et par ardeur ravit son pucellage.
Ce temps pendant, Juno, des Courts haultaines
Regard[e] en bas au milieu des grands
plaines :
Si s'esbahit, dont les nues subites
Soubs le jour cler avoyent aux bas limites
Faict, et formé la face de la nuict,
Et bien jugea, que d'aulcun fleuve induict
A grands moyteurs ne sont faictes ces nues,
Ne de l'humeur de terre en l'air venues.
Puis çà, et là regarde d'oeil marry
Où estre peult Juppiter son mary,
Comme sachant les emblées secrettes
Du sien espoux tant de foys en cachettes
D'elle surprins : et apres qu'apperceu
Ne l'a au ciel : Ou mon cueur est deceu
(Dit elle alors) ou je suis offensée.
Puis du hault ciel soubdainement baissée
Se plante en terre, et commande aux nuées
Loing s'en aller d'obscurité desnuées.
Mais Juppiter, qui bon temps se donnoit,
Preveoyt bien que sa femme venoit
Et jà avoit de Yo fille d'Inache
Mué la forme en une blanche vache
Belle de corps, comme Yo fut en vis.
Adonc Juno (quoy que ce fust envis)
En estima la forme, et le poil beau,
Et si s'enquiert, à qui, de quel trouppeau,
Et d'où elle est, comme non congnoissant
La verité. Juppiter Dieu puissant
Dit (en mentant) qu'elle est née de terre,
A celle fin que l'on cesse d'enquerre,
S'il l'a point faicte : et lors Juno la grande
Icelle vache en pur don luy demande.
Que pourra il or faire, ou devenir ?
C'est cruaulté, ses amours forbannyr.
Ne luy donnant, la faict soupeçonner :
Honte en apres l'incite à luy donner.
Puis Amour est à l'en divertir prompte.
Et en effect Amour eust vaincu honte :
Mais si la vache (ung don, qui peu montoit)
Eust reffusée à celle qui estoit
Sa femme, et soeur, sembler eust peu adoncques
Visiblement, que vache ne fust oncques.
Quand Juno eut en don son ennemye,
Du premier coup elle ne laisse mye
Toute sa peur, et craignit grandement
Que Juppiter luy print furtivement,
Jusques à tant, qu'es mains d'Argus l'eust mise,
Filz d'Aristot, pour en garde estre prise.
Or tout le chef avoit cestuy Argus
Environné de cent yeulx bien agus,
Qui deux à deux à leur tour sommeillants
Prenoyent repos : touts les aultres veillants
Gardoyent Yo, et en faisant bon guet
Demouroyent touts arrestés en aguet :
En quelcque lieu, où fust Yo la belle,
Incessamment regardoit devers elle.
Devant ses yeulx Yo tousjours il voyt,
Quoy que sa face ailleurs tournée avoit.
Quand le jour luyst il souffre qu'elle paisse :
Quand le Soleil est soubs la terre espaisse,
L'enferme, et clost : et d'ung rude chevestre
Lye son col, qui n'a merité d'estre
Ainsi traicté : de fueille d'arbre dure,
Et d'herbe amere elle prend sa pasture :
Puis la paovrette en lieu de molle couche
Toute la nuict dessus la terre couche,
N'ayant tousjours de la paille, qu'à peine,
Et boyt de l'eau de bourbier toute pleine.
Quand elle aussi, qui si fort se douloit,
Devers Argus ses bras tendre vouloit,
S'humiliant, las la doulcette, et tendre,
N'a aulcun bras, qu'à Argus puisse tendre :
Et s'efforçant lamenter de sa gorge
Ung cry de Vache, et mugissant desgorge,
Tant que du son en crainte se bouta,
Et de sa voix propre s'espouventa.
Apres s'en vint aux rives de son Pere
Le fleuve Inache, où en soulas prospere
Souloit jouer souvent avec pucelles.
Et quand en l'eaue veit ses cornes nouvelles,
Eut grand peur, et de la crainte extreme
S'effarouchoit, et se fuyoit soy mesme.
Ignorants sont les Naiades encore :
Voyre Inachus le fleuve mesme ignore
Qui elle soit : mais pour les rendre seurs,
Suyvoit son Pere, et si suyvoit ses soeurs :
Estre touchée assez elle souffroit,
Et à iceulx (touts esbahys) s'offroit.
Le bon vieillard Inachus à jonchées
Luy presenta des herbes arrachées.
Soubdain ses mains elle luy vint lescher,
Baisant la paulme à son Pere trescher,
Et retenir onc ses larmes ne sceust :
Et s'orendroit de parler la grâce eust,
Elle eust requis secours, et ayde aulcune,
Et recité son nom, et sa fortune.
En lieu de motz, la lettre, qu'imprima
Son pied en terre, adoncques exprima
Parfaictement, et mist en descouvrance
Du corps mué la triste demonstrance.
O moy chetif (cria lors esperdu
Son pere Inache, et aux cornes pendu,
Aussi au col de la Vache luysante
En son poil blanc, et en dueil gemissante)
O moy chetif (dist il par plusieurs foys)
N'est ce pas toy, ma fille, que je voys
Cherchant par tout ? Or est chose esprouvée
Qu'en te trouvant, je ne t'ay point trouvée.
Et mes douleurs plus, que devant sont grandes :
Las tu te tays, et aux miennes demandes
Tu ne rends point responses reciproques :
Tant seullement aigres souspirs evoques
Du cueur profond : et ce que faire peulx,
A mon parler mugis, comme les Boeufz.
Las je paovret ignorant tout ce mal,
Te preparoys cierge, et lict nuptial :
D'ung gendre fut l'espoir premier de moy,
Et le second de veoir enfants de toy.
Or d'ung trouppeau mary te fault avoir,
Et d'ung trouppeau lignée concepvoir :
Et n'est possible à moy, que finir fasse
Tant de douleurs par mort, qui tout efface :
Ains estre Dieu, ce m'est nuysante chose,
Et de la mort la porte, qui m'est close,
Prolonge, et faict le mien regret durable
En eage, et temps eterne, et perdurable.
Comme Inachus disoit son desconfort,
Argus se leve, et en le poulsant fort,
Maine par force en pasturages maints
La paovre fille arrachée des mains
De son cher Pere : et puis occupe, et gaigne
Legerement le hault d'une montaigne
Assez loingtaine, où se sied, et acule,
Et la seant, en toutes parts specule.
Lors Juppiter Roy de touts les celestes
Plus endurer ne peult tant de molestes
A celle Yo, du bon Pherone extraicte.
Si appella son filz, qu'une parfaicte
Clere Pleiade eut en enfantement :
Mercure eut nom : luy feit commandement
D'occire Argus. Si ne demoura gueres
Mercure à prendre aux pieds aesles legieres :
En main puissante aussi sa verge preste
D'endormir gens, et son chappeau en teste.
Tantost apres que celluy Dieu Mercure
Eut disposé tout cela par grand'cure,
Du hault manoir de son Pere saulta
Jusques en terre, où son chappeau osta :
Semblablement des aesles se desnue,
Et seullement sa verge a retenue.
D'icelle verge (en s'en allant) convoye
Brebis en trouppe à travers champs sans voye,
Comme ung Pasteur chantant de chalumeaulx
Faicts, et construicts de pailles, ou roseaulx.
Argus vacher de Juno tout esprins,
Du son de l'art nouvellement apprins,
Luy dit ainsi : quiconques soys, approche :
Tu pourras bien te seoir sur ceste Roche
Avecques moy. En aultre lieu du monde
L'herbe n'est point (pour certain) plus feconde
Pour le bestail : tu voys aussi l'umbrage
Bon aux Pasteurs en cestuy pasturage.
Mercure adoncq s'assit aupres d'Argus,
Tint, et passa en propos, et argus,
Le jour coulant, parlant de plusieurs poincts :
Et en chantant de ses chalumeaulx joincts
L'ung avec l'aultre, à surmonter il tasche
Les yeulx d'Argus gardants Yo la vache :
Et toutesfoys Argus vaincre s'efforce
Le doulx sommeil amollissant sa force.
Voyre, et combien, que jusques au demy
De touts ses yeulx se trouvast endormy,
Ce nonobstant veille de l'aultre part :
S'enquiert aussi pourquoy, et par quel art
Trouvée fut la fluste, dont chantoit,
Car puis ung peu inventée elle estoit.
Syringue convertie en roseau, la mort d'Argus, et ses yeulx mys
sur la queuë du Paon
Lors dit Mercure. Aux monts gelés d'Arcade
En Nonacris sur toute Hamadriade
Une Naiade y eut tresrenommée :
Syringue estoit par les Nymphes nommée.
Non une foys, mais par diverses tires
Avoit mocqué grand nombre de Satyres
Qui la suyvoient, et touts les Dieux avecques
Du boys umbreux, et champ fertil d'illecques.
En venerie, et virginal'noblesse
Elle ensuyvoit Diane la Déesse
De l'Isle Ortige : et accoustrée, et ceincte
A la façon de ceste noble saincte,
Maints eust deceu : et pour Diane aussi,
Prendre on l'eust peu, ne fust, que ceste cy
Avoit ung Arc de corne decoré,
Et ceste là en avoit ung doré :
Encor ainsi maintes gens decevoyt.
Or le Dieu Pan ung jour venir la voyt
Du mont Lycée, et ayant sur sa teste
Chappeau de Pin, luy feit telle requeste.
O noble Nymphe, obtempere au plaisir
D'ung Dieu, qui a grand vouloir, et desir
De t'espouser. Brief, mainte aultre adventure
Restoit encor à dire par Mercure,
C'est assçavoir (tel'priere ennuyante
Mise à despris) La Nymphe estre fuyante
Par boys espaiz, tant que de grand randon
Vint jusqu'au bort du sablonneux Ladon,
Fleuve arresté : et comment à la suyte,
Lors que les eaues empescharent sa fuyte,
Ses cleres soeurs pria illecques pres
De la muer : aussi comment apres
Que Pan cuyda Syringue par luy prise,
En lieu du corps de la Nymphe requise,
Tint en ses mains des cannes, et roseaux
Croissants au tour des paludz, et des eaux.
Comment aussi, quand dedans anhela,
Le vent esmeu dedans ces cannes là
Y feit ung son delicat en voix faincte
Semblable à cil d'ung cueur, qui faict sa plaincte.
Et comment Pan surpris du son predict,
Et du doulx art tout nouveau luy a dit :
Cestuy parler, et chant, en qui te deulx,
Sera commun tousjours entre nous deux.
Aussi comment, pour eternel renom,
Deslors retint, et donna le droit nom
De la pucelle à ces flustes rurales,
Joinctes de cyre en grandeur inegalles.
Ainsi (pour vray) que Mercure debvoit
Dire telz mots, les yeulx d'Argus il voit
Touts succumber, et sa lumiere forte
De grand sommeil enveloppée, et morte.
Soubdain sa voix refraignit, et cessa,
Et puis d'Argus le dormir renforça,
Adoulcissant de la verge charmée
Les yeulx foiblets de sa teste assommée.
Lors tout subit d'ung glaive renversé
Baissant le chef, en dormant l'a blessé
Au propre endroit, auquel est joincte, et proche
La teste au col : puis du hault de la roche
Le jecte à val : et le mont hault, et droit
Souille du sang. Ainsi es orendroit
Gisant par terre, ô Argus, qui vivoys,
Et la clarté, qu'en cent yeulx tu avoys,
Est or estaincte : et la seulle obscurté
De mort surprent cent yeulx, et leur clarté.
Adonc Juno prent ces yeulx, et les fiche
Dessus la Plume au Paon son oyseau riche,
Et luy emplit toute la queue d'yeulx
Clers, et luysants comme estoilles des cieulx.
Yo vache retourne en forme humaine
Soubdain Juno en ire ardante brusle,
Et du courroux le temps ne dissimule :
Car Erynnis la Déesse de rage
Mist au devant des yeulx, et du courage
D'icelle Yo : et cacha l'insensée
Maint aiguillon secret en sa pensée,
Espouventant par rage furibonde
La paovre Yo fuyant par tout le monde.
O fleuve Nil ! en grand labeur, et plaindre
Tu luy restoys le dernier à attaindre :
Auquel pourtant à la fin elle arrive,
Et en posant tout au bout de la rive
Ses deux genoulx, se veaultra en la place :
Et en levant sa telle quelle face
Vers le hault ciel, renversant en arriere
Son col de vache en piteuse priere,
En larmes d'oeil, et en gemissements,
Et en plaintifz, et gros mugissements
Elle sembloit à Juppiter crier
Et de ses maulx fin final'luy prier.
Lors Juppiter de ses deux bras embrasse
Sa femme au col, la priant, que de grâce
Vueille de Yo finablement finir
La grande peine. Et quant à l'advenir,
De moy (dist il) toute crainte demects :
Car ceste cy ne te sera jamais
Cause de dueil. Et aux Stygieux fleuves
Commanda ouyr cestuy serment pour preuves.
Quand Juno eut appaisé sa poincture,
Yo reprint sa premiere stature,
Et faicte fut ce, que devant estoit.
Du corps s'enfuyt le poil, qu'elle vestoit :
Lors luy decroist des cornes la grandeur :
Moindre devient de ses yeulx la rondeur :
Gueulle, et museau plus petits luy deviennent :
Espaules, bras, et les mains luy reviennent :
L'ongle de vache en nouveaux piedz, et mains,
Fut divisée en cinq ongles humains.
Brief, rien n'y eut de la vache sur elle,
Fors seullement la blancheur naturelle.
Et tout debout fut la Nymphe plantée,
Du cheminer de deux piedz contentée :
N'osant parler, que de la gorge n'ysse
Mugissement, comme d'une junisse.
Et avec crainte essayoit à redire
Ce qu'aultresfoys elle avoit bien sceu dire.
Le debat de Phaeton, et d'Epaphus
Or maintenant en Déesse honnorée
Elle est du peuple en Egypte adorée.
Parquoy en elle Epaphus on pourpense
Estre engendré de la noble semence
De Juppiter : et brief, en lieux certains
Cestuy Epaphe a ses temples haultains
Faictz à l'honneur de son pere, et de luy.
Or en ce temps vray est, qu'à icelluy
Estoit esgal de cueur, d'eage, et puissance
Ung, qui avoit du Soleil prins naissance
Dict Phaeton, qui jadis devisant
De ses grands faicts, et honneur non faisant
A Epaphus, en gloire se mectoit,
Dont le Soleil son propre pere estoit.
Ce qu'Epaphus ne peult pas bonnement
Lors endurer, et luy dit plainement
O paovre sot, tu mectz foy, et credit
A tout cela, que ta mere te dit :
Et te tiens fier, et louanges retiens
D'ung pere fainct, qui (pour vray) ne t'est riens.
Lors Phaeton rougit d'ouyr ce dire,
Et refraignit de vergongne son ire.
Puis s'en courut à Clymene sa mere
Luy rapporter l'injure tant amere,
Et si luy dit. Chere mere, au surplus
Cela dequoy tu te doibs douloir plus,
C'est que rien n'ay replicqué sur l'injure :
Car quant à moy je suis de ma nature
Doulx, et courtoys : et l'aultre insupportant
Et oultrageux : mais j'ay honte (pourtant)
Dont tel opprobre on m'a peu imputer,
Et que sur champ ne l'ay sceu confuter.
Dont si créé suis de ligne celeste,
Monstre à present le signe manifeste
D'ung genre tel tant digne, et precieux,
En maintenant, que je suis des haultz cieulx.
Ces motz finys, ses deux bras advança,
Et de sa mere au col les enlassa,
La suppliant par son chef tant chery,
Et par celluy de Merops son mary,
Et en l'honneur des nopces de ses soeurs,
De luy donner signes certains, et seurs
De son vray Pere. En effect à grand'peine
Sçait on, lequel a plus esmeu Clymene,
Ou le prier par son filz proposé,
Ou le despit du reproche imposé.
Les bras au ciel lors tendit, et leva,
Et regardant le Soleil, elle va
Dire ces motz : Par la lumiere saincte
Des luysants rays environnée, et ceincte,
Qui nous voyt bien, et qui entend noz voix,
Je jure, filz, que ce Soleil, que voys,
Et qui le monde illumine, et tempere,
T'a engendré, et que c'est ton vray Pere.
Si menterie en mes propos je mects,
Je me consents, qu'il face, que jamais
Je ne le voye, et que ceste lumiere
Soit maintenant à mes yeulx la derniere.
Or tu n'as pas grand'affaire à congnoistre
La demourance à ton Pere, et son estre :
Car la maison, dont il se leve, et part,
Est fort voysine à nostre terre, et part.
Si aller là tu desires, et quiers,
Pars de ceste heure, et à luy t'en enquiers.
Quand Phaeton de sa mere eut ouy
Ung tel propos, soubdain fut resjouy,
Tressault de joye, et se promect soy mesmes
Les plus haultz dons des regions supresmes.
Brief, son pays d'Ethiope il traverse,
Et les Indoys, gisants soubs la diverse
Chaleur du Ciel : et promptement de là
En la maison de son cler Pere alla.
FIN DU PREMIER LIVRE