Au lecteur
Qui le sçavoir d'Erasme vouldra veoir,
Et de Marot la ryme ensemble avoir,
Lise cestuy colloque tant bien faict,
Car c'est d'Erasme de Marot le faict.
Entendz (Lecteur) que ce colloque,
Qui est d'un Abbé ignorant,
Duquel une femme se moque,
Religion ne met à neant :
Mais l'abus un peu descouvrant,
Des gens sçavants l'honneur ne touche.
Ainsi l'entends en le lisant.
Si sera morveux si se mouche.
Colloque de l'Abbé et de la femme sçavante
Interlocuteurs :
L'Abbé, et Ysabeau
L'Abbé - Quel mesnage, dame Usabeau,
Voy-je ceans ?
Ysabeau - N'est-il pas beau ?
L'Abbé - Je ne sçay quel beau, mais vraiment
Il ne sied pas fort proprement
A fille ne femme.
Ysabeau - Pouquoy ?
L'Abbé - Pource qu'en ce lieu de requoy
Tout est plein de livres.
Ysabeau - Tant mieulx :
Et dea, vous qui estes si vieux,
Abbé nourry en seigneurie,
Veistes vous jamais librarie
Chés les grands dames ?
L'Abbé - Si ay si,
Tout en beau François : mais ceux cy
Ce sont livres Latins, et Grecz.
Ysabeau - J'entends bien, ilz vous sont aigretz :
Mais dictes moy en conscience,
N'apprend on sagesse, ou science,
Qu'en livres François seulement ?
L'Abbé - Cela n'appartient nullement
Qu'à princesse de hault affaire :
Quand elles ne sçavent que faire,
Pour recreer un peu leurs âmes.
Ysabeau - Et n'appartient il qu'aux grands dames
De sçavoir, et de vivre à l'aise ?
L'Abbé - Or escoutons, ne vous desplaise,
C'est mal accouplé, ce me semble,
Vivre à l'aise, et sçavoir ensemble.
Aux femmes n'appartient sçavoir,
Et est aux princesses d'avoir
Leur plaisir, et à l'aise vivre.
Ysabeau - Il fault que l'assault je vous livre.
Dictes moy, n'appartien il point
A chascun de venir au poinct
De bien vivre ?
L'Abbé - Je croy qu'ouy.
Ysabeau - Et venez çà, povre esblouy,
Doy-je dire aveugle, qui est ce
Qui peult vivre en aise et liesse
Sans vivre bien ?
L'Abbé - Mais je demande
Qui peult vivre en liesse grande
En vivant bien ?
Ysabeau - Par ainsi doncques,
Vous approuvez tous ceux quiconques
Vivent d'une vie mauvaise,
Pourveu qu'ilz vivent à leur aise :
Ne faictes pas ?
L'Abbé - Je cuyde moy,
Que ceux qui vivent sans esmoy,
Et à plaisir vivent tresbien.
Ysabeau - Mais ce tant grand plaisir, ou bien,
Vient il des choses de dehors,
Ou de l'esprit ?
L'Abbé - Il ne vient, fors
De ce que je sens et saveure,
Ou que je voy.
Ysabeau - Je vous asseure
Que ne vous estes destourbé :
Et estes un subtil Abbé,
Mais un treslourdault philosophe.
Respondez moy, de quel estophe
Est le grand aise ? à vostre advis,
Où le prenez vous ?
L'Abbé - En convis,
A boire et dormir tant qu'on peult,
A faire tout ce que l'on veult,
En argent, honneur, tout cela.
Ysabeau - Et si dieu en ces chose là
D'adventure avoit mis science,
Et ce beau don de sapience,
En vivriez vous moins plaisamment ?
L'Abbé - Qu'appelez vous premierement
Sapience ? à fin qu'on le sçache.
Ysabeau - Chose dont vous ne tenez tache :
C'est à sçavoir cognoistre en somme
Que la felicité de l'homme
Ne gist fors qu'aux biens de l'esprit,
Et que tout le bien qui perit,
Comme argent, honneur, noble race,
Ne le rend (sauve vostre grâce)
Plus heureux, ne meilleur aussi.
L'Abbé - C'est le moindre de mon soucy
Que ceste sapience.
Ysabeau - Voire :
Or ça, pourriez vous jamais croire,
Que je sens plus d'aise, et grand heur,
A lire quelque bon autheur
Moral, naturel, ou divin,
Que vous à boire de bon vin,
Ou jouer quand on a disné ?
Que vous en semble, Dominé ?
Ne vis-ja pas en grands esbas ?
L'Abbé - Quant à moy, je n'en voy pas,
Sans mentir.
Ysabeau - Je ne m'enquiers point
Qui vous delecte, ou qui vous point,
Mais de ce qui doibt delecter.
L'Abbé - Je ne vouldrois pour alecter
Mes moines dispos et delivres
Ordinairement en ces livres :
C'est bien livré.
Ysabeau - Et mon mary,
Tant s'en fault qu'il en soit marry,
Qu'il m'en aime mille fois mieulx :
Pourquoy, en voz religieux,
Les livres doncques n'aprovez ?
L'Abbé - Je les en ay tousjours trouvez
Moins obeissans la moitié,
Et si hardis que c'est pitié
A me respondre : ils me repliquent
D'un tas de decrets,qu'ilz expliquent :
De sainct Pierre et sainct Matthieu
Et de sainct Paul.
Ysabeau - Ho de par Dieu :
Vous leur commandez donc de lire
Choses qui peuvent contredire
A sainct Pierre et Paul l'Apostre ?
L'Abbé - Par mon âme, sauve la vostre,
Je ne sçay quelle doctrine ilz ont,
Mais je hay les moines qui sont
Repliquans, et vouldroye n'avoir
Moine qui eust plus de sçavoir
Que j'en ay.
Ysabeau - Pour y obvier,
Il ne fault rien qu'estudier
Si bien que soyez fort sçavant.
L'Abbé - Je n'ay loisir mettre en avant
Toutes ces choses.
Ysabeau - La raison ?
L'Abbé - Pour autant qu'en nulle saison
N'y puis vacquer.
Ysabeau - Quoy nostre maistre ?
Ne pouvez vous vacquer à estre
Prudent, et sage ?
L'Abbé - Ma foy non.
Ysabeau - Vous n'en aurez donc point le nom :
Et qui vous garde d'y entendre ?
L'Abbé - Tout plain de soing, qu'il me fault prendre
Pour ma maison, faire la court,
Mon service qui n'est pas court,
Chevaulx, chiens, oyseaulx, choses telles.
Ysabeau - Ces choses là vous semblent elles
Meilleures, que devenir sage ?
L'Abbé - Que voulez vous ? c'est un usage
Que nous avons.
Ysabeau - Je vous demande :
Si vous aviez vertu si grande
De muer les corps, et les testes,
De vous et voz moines en bestes,
Les feriez vous pas estre veaux,
Et vous cheval ?
L'Abbé - Quels motz nouveaux !
Non vrayement.
Ysabeau - Si seroit ce bien
Pour garder qu'ilz ne fussent rien
Plus que vous, en faisant ainsi.
L'Abbé - Je n'aurois pas trop grand soucy
Quelz animaux fussent les moynes,
Ne les curés, ne les chanoines,
Pourveu qu'homme je fusse.
Ysabeau - Somme,
Vous pensez donc celuy estre homme
Qui n'est sage, et n'y veult pourvoir.
L'Abbé - Je suis, si le voulez sçavoir,
Pour moy assez sage et heureux.
Ysabeau - Sy sont bien les pourceaux pour eux
En leur qualité.
L'Abbé - Par mon âme,
Vous estes une estrange Dame,
Et me semblez une sophiste.
Ysabeau - Par ma foy, monsieur le buliste,
Ce que me semblez ne diray :
Mais bien je vous demanderay
Pourquoy mes livres faschent tant
A vostre veue.
L'Abbé - Pour autant
Que la quenoille, et le fuseau,
Sont armes de femmes.
Ysabeau - Tout beau :
La femme ne doibt elle point
Gouverner sa maison à ponct,
Instruire ses enfants ?
L'Abbé - Si faict.
Ysabeau - Et pensez vous qu'un tel effect
Se puisse mener sans prudence ?
L'Abbé - Nenny vrayement, comme je pense.
Ysabeau - A fin qu'adverty en soyez
Les livres que vous me voyez
Me font telle chose cognoistre.
L'Abbé - On voit tous les jours en mon cloistre
Soixante et quatre moines vivre,
Toutesfois, au diable le livre
Qu'en leur chambre encor on a veu.
Ysabeau - A ce compte, c'est bien proveu
A voz moines de bonne sorte.
L'Abbé - Quant des livres, je vous supporte,
Mais non latiner.
Ysabeau - Voicy rage :
Pourquoy ?
L'Abbé - Pource que tel langage
Aux femmes n'est pas bien seant.
Ysabeau - Ne respondez point pour neant :
Raison ?
L'Abbé - A tout bien regarder,
Cela sert bien peu à garder
Leur chasteté.
Ysabeau - Doncques les songes,
Les fables, et sottes mensonges
Des romans ont proprieté
De garder nostre chasteté :
N'ont pas ?
L'Abbé - Ce n'est pas tout.
Ysabeau - Là donc,
Dictes hardiment tout du long,
Sans rien obmettre.
L'Abbé - Toutes femmes
Qui craignent tomber en diffames,
En si grand danger ne seront
Des prestres, quand point ne sçauront
Parler Latin.
Ysabeau - En bonne foy
Le moindre danger que j'y voy,
C'est cestuy là : car du Latin
Vous travaillez soir et matin
A rien n'en sçavoir, dieu mercy.
L'Abbé - La commune l'estime ainsi
Que je le vous ay recité,
Par ce qu'il n'est pas usité,
Ne commun, qu'une femme ou fille
Sçaiche tant, ne qu'elle babille
Latin, ne gros, ny elegant.
Ysabeau - Pourquoy m'allez vous allegant
La commune, qui est le pire
Autheur que vous me sçauriez dire
Pour faire bien ? et d'advantage,
Pourquoy m'alleguez vous l'usage,
Et la coustume qui s'oppose
Tousjours à faire bonne chose ?
Aux bonnes choses conviendroit
S'accoustumer : lors adviendroit
Qu'on verroit la chose en usance,
Qui estoit hors d'accoustumance,
Ce qui estoit amer à tous,
Seroit d'un chascun trouvé doux :
Ce qui semble laid si long temps
Seroit fort beau.
L'Abbé - Je vous entends.
Ysabeau - Par vostre foy, je vous demande :
Siet il mal à une Allemande
Sçavoir François ?
L'Abbé - Non.
Ysabeau - Raison quelle ?
L'Abbé - Et que sçay-je, moy, à fin qu'elle
Parle aux François, ou leur responde.
Di-je pas bien ?
Ysabeau - Le mieux du monde.
Pourquoy donc me venez reprendre
Si le Latin je veux apprendre,
Pour parler avec tant d'autheurs
Sages, sçavans, consolateurs,
Tant bien disans, tant bien vueillans,
Et en tout si bien conseillans
Ceux qui les lisent ?
L'Abbé - Je vous jure
Que de ces livres la lecture
Diminue merveilleusement
A la femme l'entendement :
Avec ce qu'elles n'en ont gueres,
Et qu'elles sont un peu legieres
Du cerveau.
Ysabeau - De dire combien
Vous en avez, je n'en sçay rien :
Si peu que j'en ay toutesfois,
J'aimerois mieulx cent mille fois
L'user en quelque bonne estude,
Qu'en une grande multitude
D'oraisons, sans cueur barbotées,
Qu'en jambons ou en tostées
Toutes nuictz apres qu'estes yvres.
L'Abbé - La frequentation des livres,
Pour vray engendre frenaisie.
Ysabeau - Voicy estrange fantasie,
Les propos de tous ces beuveurs
Que vous avez, buffons, baveurs,
Vous font ilz frenatique ?
L'Abbé - Moy ?
Mais bien me mettent hors d'esmoy,
Et d'ennuy, c'est bien le contraire.
Ysabeau - Comment donc se pourroit il faire
Que si honnestes deviseurs
Que mes livres, tant beaux diseurs,
Me feissent nuysance ?
L'Abbé - On le dict.
Ysabeau - Ce qu'on en voit y contredict :
Combien des vostres voit on plus,
A qui le jeu des detz, ou flus,
Le long veiller, les beuveries,
Ont engendré des resveries,
Et des fureurs ?
L'Abbé - Ma foy, ma dame,
Si ne vouldrois je point de femme
Qui de sçavoir eust le degré.
Ysabeau - Et je me sçay un tresbon gré
D'avoir un homme pour espoux
Qui est tout different à vous :
Car la science qu'ay apprise
Faict que d'advantage il me prise,
Et que je l'ayme beaucoup mieux.
L'Abbé - Quand j'y pense, je deviens vieux.
Ysabeau - A quoy ?
L'Abbé - A la peine qu'on prend,
Quand les sciences on apprend.
Puis fault mourir.
Ysabeau - He, grosse teste,
Aimeriez vous mieux mourir beste,
Si demain vous passiez le pas,
Que de mourir sçavant ?
L'Abbé - Non pas.
Pourveu que je n'eusse jamais.
Peine d'apprendre.
Ysabeau - Voire, mais
Sans peine au monde nul ne peult
Attaindre à rien de ce qu'il veult :
Encor tout ce qui est acquis,
Tant soit il à grand peine quis,
En mourrant il fault qu'on le lasche.
Pourquoy donc est ce qu'il vous fasche
De prendre quelque peu de peine,
Pour chose tant noble et certaine,
Et dont le fruict à l'autre vie
Nous accompaigne ?
L'Abbé - J'ay envie
De dire, qu'en commun langage
Nous disons une femme sage
Folle deux fois.
Ysabeau - Certainement,
Cela se dict communement
Par les folz : mais quoy, nostre
maistre ?
La bien sage ne le peult estre :
Et celle qui faict son arrest
D'estre bien sage et point ne l'est,
Est folle deux fois.
L'Abbé - Mais d'où vient
Qu'aux femmes aussi mal advient
Science, qu'un bast à un beuf ?
Ysabeau - Entendez vous un bast tout neuf ?
Croyez, dominé Abbaté,
Qu'au beuf sied mieux d'estre basté,
Qu'à un asne de porter mitre.
Que tient on en vostre chapitre
De la vierge mere ?
L'Abbé - J'en tien,
Quant à moy, ce qu'un bon chrestien
Doibt tenir.
Ysabeau - Elle ne lisoit
Donc jamais livres ?
L'Abbé - Si faisoit :
Mais sans doubte, elle ne leut oncques
En ces livres icy.
Ysabeau - En quoy doncques ?
Je ne l'ay encor apprins d'âme.
L'Abbé - En ses heures de nostre Dame,
Devotement.
Ysabeau - Voicy bon homme :
Et à quel usage ?
L'Abbé - De Rome,
Comme je croy.
Ysabeau - Paule, et Eustoche,
Femmes aimant Dieu, et leur proche,
Ne feurent elles pas expertes
En la saincte escripture ?
L'Abbé - Certes.
Aujourd'huy nous n'en voyons point,
Au moins bien peu.
Ysabeau - Tout en ce poinct,
C'estoit jadis chose bien rare,
Que de veoir un abbé ignare :
Aujourd'huy il est si commun,
Que cent mille, aussi bien comme un,
Se trouveront : jadis les princes,
Roys, Cesars, et chefz de provinces,
N'estoyent moins exquis en sçavoir
Qu'en armes, puissance, et avoir :
Et n'est encores ceste chose
Si rare comme l'on propose :
Aux Itales, et en Espaigne,
Aujourd'huy, voir [en] Allemaigne,
Force femmes se trouveront,
Qui au plus clercs disputeront :
En Angleterre sont encore
Les filles du chancelier More :
En France tenons pour Minerve
La seur du roy, que dieu conserve :
Et aux lettres fort on y prise
Les nobles filles de Soubize :
Et si garde à vous ne prenez,
Il adviendra qu'à vostre nez
Aux escolles presideront,
En pleine esglise prescheront,
Et auront voz mitres et crosses.
L'Abbé - Dieu nous gard de pertes si grosses,
Toutefois.
Ysabeau - Que dieu vous en garde ?
C'est à vous à y prendre garde :
Car si tenez tousjours ces voyes,
A prescher se mettront les oyes
Plustost qu'elles ne vous souffrent estre
Pasteurs, sans vos brebis repaistre.
Vous voyez quel est le danger
La force du monde changer :
Son personage quitter fault
Au beau milieu de l'eschaufault,
Ou que de faict, ou de parolle,
Chascun sçache jouer son rolle.
Le temps vient, l'affaire est pressé.
L'Abbé - Quel grand diable m'a adressé
A ceste femme ? en bonne foy,
Si jamais chez nous je vous voy,
Plus gracieux nous vous serons.
Ysabeau - Et comme quoy ?
L'Abbé - Nous danserons,
Banqueterons, irons chasser,
Pour vous faire le temps passer,
Et si jamais vous veistes rire,
Nous rirons bien.
Ysabeau - Vrayement, beau sire,
J'ay prou de quoy rire en ce lieu,
Sans allez là.
L'Abbé - Adieu.
Ysabeau - Adieu.
FIN.