Au Lecteur François
Amy Lecteur, sois adverty,
Qu'au Latin n'a rien d'advantage
Que ce qui est icy verty
Par Marot, en nostre langage.
Colloque de la vierge mesprisant mariage
Interlocuteurs : Clement, et Catherine
Clement - Bien aise suis de voir la fin
Du soupper (Catherine), à fin
D'aller se pourmener ensemble :
Car, veu la saison, il me semble
Qu'il n'est chose plus delectable.
Catherine - Je vieillissois aussi à table :
Et si m'ennuyois d'estre assise.
Clement - Qu'il faict beau temps, quand je
m'advise :
Voyez, voyez, tout à la ronde,
Comment le monde rit au monde,
Aussi est il en sa jeunesse.
Catherine - Vous dictes vray.
Clement - Et pour quoy est-ce
Que vostre printemps, çà et là,
Ne rit aussi ?
Catherine - Pourquoy cela ?
Clement - Pource que vous n'estes pas bien gaye,
A mon gré.
Catherine - Paroist-il que j'aye
Autre visage que le mien
Accoustumé ?
Clement - Voulez vous bien,
Sans que vostre oeil soit esblouy,
Que je vous monstre à vous ?
Catherine - Ouy.
Clement - Voyez vous bien là ceste rose,
Qui s'est toute retraicte et close
Vers le soir ?
Catherine - Je la voy. Et puis :
Vous voulez dire que je suis
Ainsi decheue ?
Clement - Toute telle.
Catherine - La comparaison est plus belle
Que propre.
Clement - Si ne m'en croyez,
Mirez vous bien, et vous voyez
En ce ruisseau : mais dictes moy
Pourquoy avec si grand esmoy
Durant le souper souspiriez ?
Catherine - Il ne fault que vous enqueriez
De chose qui aucunement
Ne vous touche.
Clement - Mais grandement :
Car quand vous estes en soucy,
Je suis tout fasché : qu'est cecy ?
Vous souspirez encor, ma dame :
Comme il vient du profond de l'âme,
Ce souspir là !
Catherine - Sans point mentir,
J'ay qui au cueur se faict sentir :
Mais le dire n'est pas bien seur.
Clement - A moy qui vous tiens pour ma seur,
Non, non, Catherine m'amie,
N'ayez ne crainte, ne demye,
Dictes moy tout sans rien obmettre :
Car à seurté vous povez mettre
Vostre secret en ces oreilles,
Tant soit il grand.
Catherine - Voicy merveilles.
Peult estre quand vous le sçaurez,
Aucune puissance n'aurez
De m'y servir.
Clement - On vous orra.
Et qui par effect ne pourra
Vous secourir, peult estre, au fort,
Qu'on vous servira de confort
Ou de conseil.
Catherine - J'ay la pepie.
Clement - D'où vient cecy ? suis je une
espie ?
Ou ne m'aymez vous point autant
Que vous souliez ?
Catherine - Je vous hay tant
Que j'ay moins cher mon propre frere :
Et toutesfois mon cueur differe
D'en dire rien.
Clement - Vous estes fine,
Venez çà, si je le devine,
Le confesserez vous adonc ?
Vous reculez, promettez donc :
Ou j'importuneray sans fin.
Catherine - C'est vous mesme qui estes fin.
Or sus, puis que promettre fault.
Clement - Tout premier, rien ne vous deffault,
Que je voy, en felicité.
Catherine - Pleust à dieu que la verité
Vous en dissiez.
Clement - Quant à vostre age,
Vous estes en la fleur, et gage :
Que le plus de voz ans ne monte
Qu'à dix et sept.
Catherine - Non.
Clement - A ce compte,
Je croy que la peur de vieillesse
Ne vous met pas en grand tristesse ?
Catherine - Nenny.
Clement - On voit de tous costez
En vous cent parfaictes beaultez,
Grands dons de dieu.
Catherine - Je vous affie,
Que ne me plains, ny glorifie
De beauté, quelle qu'elle soit.
Clement - Apres, assez on aperçoit
Que n'avez maladie aucune,
Si non qu'il y en eust quelqu'une
Qu'on ne voit point.
Catherine - Là, dieu mercy,
Je n'ay rien eu jusques icy
De mal caché.
Clement - Quant au renom,
Il n'est point mal.
Catherine - Je croy que non.
Clement - Puis vous avez, je suis records,
Un esprit digne de ce corps :
Voire tel, sur ma conscience,
Que pour moy, en toute science,
Je le vouldrois.
Catherine - S'il y en a,
Il vient de dieu, qui le donna :
Et en loue sa bonté haulte.
Clement - Au reste, vous n'avez point faulte
De ceste bonne grâce exquise,
Laquelle est tousjours tant requise
En la beaulté.
Catherine - Je vous asseure
Que je vouldrois bien estre seure
D'avoir bonnes meurs.
Clement - Au surplus,
Il n'est rien qui abaisse plus
Beaucoup de cueurs, que povre race.
Mais dieu vous a fait cette grâce
D'estre issue de bons parens,
Bien nais, riches et apparens,
Et qui vous aiment.
Catherine - Je n'en doubte.
Clement - Que diray plus ? voyez qu'en toute
Ceste ville, je ne voy point
Fille qui me vient mieulx à poinct,
Ne que pour moy si tost j'esleusse,
S'il plaisoit à dieu que je l'eusse
Pour femme.
Catherine - Aussi pour espoux
Je n'en vouldrois autre que vous,
Si c'estoit à moy à choisir :
Et que j'eusse quelque desir
De mariage.
Clement - Il fault bien dire
Que le regret qui vous martyre
Soit un grand cas.
Catherine - Pour abreger,
Il n'est pas du tout si leger
Comme l'on diroit bien.
Clement - Or sus,
Si je vous metz le doigt dessus,
Ne vous en fascherez jà ?
Catherine - Je vous l'ay accordé desjà :
Besongnez.
Clement - Sans mentir, je sçay,
Et de faict j'en ay faict l'essay,
Combien le mal d'amour tourmente :
C'est vostre douleur vehemente,
Confessez, vous l'avez promis.
Catherine - Je confesse qu'amour a mis
En mon cueur l'ennuy que je porte :
Mais non pas amour de la sorte
De celle que vous entendez.
Clement - Si plus grand clerc ne me rendez,
Garde n'ay que plus en devine.
Quelle amour est-ce ?
Catherine - Amour divine.
Clement - Brief, quand dix ans je penserois,
Plus deviner je ne sçaurois :
Mais vostre bouche le dira,
Ou ceste main ne partira
Jamais de la mienne.
Catherine - Quel homme :
Vous me pressez si fort, comme
S'il vous touchoit.
Clement - Or quelque chose
Qui soit en vostre cueur enclose,
Mettez la hardiment icy.
Catherine - Puis que vous m'efforcez ainsi,
Je la diray. Quasi de l'age
D'enfance me vint en courage
Une affection si tres grande.
Clement - Et de quoy ?
Catherine - D'estre de la bande
Des vierges sacrées.
Clement - Comment,
D'estre moinesse ?
Catherine - Justement.
Clement - Hem, c'est prendre bran pour farine.
Catherine - Que dictes vous ?
Clement - Rien, Catherine,
Je toussois : dictes à loisir.
Catherine - Mes parens, à ce mien desir,
N'ont jamais faict que resister.
Clement - Et vous ?
Catherine : - Et moy de persister.
Et de prieres et de larmes
Leur donnois souvent force alarmes
Pour les gaigner.
Clement - Et eux que feirent ?
Catherine - Finablement, apres qu'ilz veirent
Que je ne cessois de prier,
De requerir, pleurer, crier,
Ilz s'amollirent, promettans :
Des que j'aurois dix et sept ans,
De faire à mon intention,
Pourveu que ma devotion
Continuast : or suis je au terme
Et mon vouloir est tousjours ferme.
Toutesfois parens et amis,
Contre tout ce que m'ont promis,
Me refusent cela que tant
Jour et nuict me va contristant.
Je vous ay dict ma maladie :
Si povez, faictes que je die
Que j'ay trouvé un medecin.
Clement - Vierge plus blonde qu'un bassin,
Tout premier conseillier vous veux
Que voz affections et voeux
Vous moderez : et si contente
L'on ne vous faict de vostre attente,
D'en prendre ennuy ne vous jouez :
Mais vouez ce que vous pouvez
Pour le plus seur.
Catherine - Morte je suis,
Si je n'ay ce que je poursuis,
Voire bien tost.
Clement - Mais voirement,
D'où prinstes vous premierement
Ce mortel desir ?
Catherine - Une fois
Que guere d'age je n'avois,
En un couvent on nous mena
De nonnains : on nous pourmena,
On nous monstra là toutes choses.
Ces nonnains, fresches comme roses,
Me plaisoient, et me sembloient anges.
Tout reluisoit jusques aux franges
En leur eglise : leurs preaux
Et jardins estoient si tres beaux :
Quand tout est dit, en tous les lieux
Où je voulois tourner les yeux
Tout me rioit : sur ce venoyent
Mille propos, que nous tenoyent
Ces nonnains en leur doulx langage.
J'en trouvay là deux de mon age :
Et avec qui je m'esbatois,
Du temps que petite j'estois.
De ce temps là, sans point mentir,
Commença mon cueur à sentir
Le desir d'une telle vie.
Clement - De rien condemner n'ay envie :
Si est ce qu'à toutes personnes
Toutes choses ne sont pas bonnes.
Et veu la gentille nature,
Laquelle en vous je conjecture
Tant par les meurs que par la face,
Il me semble, sauf vostre grâce,
Que devriez prendre pour espoux
Quelque beau filz, pareil à vous :
Et instituer bien et beau
Chez vous un couvent tout nouveau
Dont vous serez la mere abbesse,
Et luy l'Abbé.
Catherine - Quoy ? que je laisse
Le propos de virginité ?
Plustost mourir.
Clement - En verité,
Virginité grand chose vault,
Pourveu qu'elle soit comme il fault.
Mais pour cela n'est jà mestier
Qu'entriez en cloistre ne monstier,
D'où ne puissiez sortir apres.
Vous pouvez vivre vierge, au pres
De pere et mere.
Catherine - Il est ainsi.
Mais non trop seurement aussi.
Clement - Dictes vous ? mais le plus souvent
Plus a seurté qu'en un couvent :
Parmy ces diables de porceaux
De moines, remplis de morceaux.
Il fault que tant de moy tenez,
Qu'ils ne sont chatrez, ne sanez,
Et tous nuds ressemblent un homme.
Tout par tout pere on les nomme :
Et, de faict, plusieurs fois advient
Que ce nom tresbien leur convient.
Les vierges de cueur pur et munde,
Au temps passé, en lieu du monde
Plus honnestement ne vivoyent
Qu'avec leurs parens : et n'avoyent
Que l'evesque pour leur beau pere.
Mais nommez moy le monastere,
Je vous pry, que vous voulez prendre
Pour en servitude vous rendre
A jamais ?
Catherine - Celuy de Tempert.
Clement - N'est ce pas celuy qui appert
Sur la montaigne, par delà
Le bois de vostre pere ?
Catherine - Là.
Clement - Je cognois toute la mesnie
De leans : quelle compagnie !
Elle merite bien, pensez,
Que pour elle vous delaissez
Voz parens si bons et honnestes.
Quant au prieur, sur toutes bestes
Je la vous plevy la plus sotte :
Il y a six ans qu'il radotte
D'age, et d'ivrongnerie extreme :
Et a deux compagnons de mesme,
Frere Jehan, et frere Gervais :
Frere Jehan n'est pas trop mauvais,
Mais au reste il n'y a rien d'homme,
Fors seulement la barbe : somme,
Il n'a sçavoir ne cerveau.
Et frere Gervais est si beau,
De contenance si badine,
Que sans le froc sacré, et digne
Qui couvre tout, il troteroit
Parmy la ville, et porteroit
Le beau chaperon à oreilles,
Et les deux sonnettes pareilles,
Publiquement.
Catherine - Ilz sont tant doux.
Clement - Si les congnois-je mieux que vous.
Mais ilz sont, j'entends bien le cas,
Vers vos parens voz advocats,
Pour vous faire estre leur novice.
Catherine - Frere Jehan m'y faict du service :
Et est mon grand solliciteur,
Je le sçay bien.
Clement - Quel serviteur !
Or prenons qu'ilz soyent maintenant
Doctes, et bons à l'advenant
Pour cest affaire : des demain,
En moins que de tourner la main,
Sotz, et mauvais se trouveront :
Et telz que baillez vous seront
Vous les fault recevoir et prendre
Pour tout jamais.
Catherine - Il fault entendre
Que souvent on faict des banquetz
Chés nous, où l'on tient des caquetz
Qui m'offensent, et scandalisent :
Car tousjours les propos que disent
Ces mariez par vanité
Ne sentent pas virginité :
Et par fois, dont faschée suis,
Le baiser refuser ne puis
Honnestement.
Clement - Qui fuir veult
Tout ce qui offenser le peult,
Quant et quant se face inhumer.
L'oreille doibt s'accoustumer
A ouyr toutes choses dire :
Prendre le bon, laisser le pire,
Pour le meilleur : et d'autre part,
Je croy que vous avez à part
Vostre chambre chés vostre pere.
Catherine - Ouy dea.
Clement - Si on delibere
De faire quelque gros banquet,
Tandis qu'ilz tiendront leur caquet,
Tenez vous en vostre chambrette,
Et en devotion secrette
Avec dieu là devisez,
Psalmodiez, priez, lisez,
Louez sa bonté eternelle.
Ainsi la maison paternelle
Ne vous fera brin de souilleure,
Mais bien vous la rendrez meilleure
Et plus nette, ma bonne seur.
Catherine - Si est-il toutesfois plus seur
Parmy les vierges se trouver.
Clement - Je ne veux certes reprouver
La compagnie chaste, et honneste,
Mais gardez bien qu'en vostre teste
Vous n'ayez une impression
De faulse imagination :
Quand un temps y aurez esté,
Et bien veu d'un chascun costé,
Peult estre que toutes les choses
Entre les murailles encloses,
Et lesquelles vos yeulz y veirent,
Ne vous riront comme elles feirent.
Toutes celles qui voiles ont,
Et m'en croyez, vierges ne sont.
Catherine - Voilà bons motz !
Clement - Bons et notables
Sont les motz qui sont veritables :
Sinon qu'à maintes du chapitre
Soit permis de prendre le tiltre
De Marie, mere pucelle :
A celle fin qu'on les appelle
Vierges apres l'enfantement.
Catherine - Vous parleriez bien autrement
Si vous vouliez.
Clement - Propos final :
Souvent tout n'est pas virginal
Parmy ces Vierges.
Catherine - Non, beau sire,
Et pourquoy ?
Clement - Je le vous voys dire :
Pource que parmy ces pucelles
Se trouvent grand nombre de celles
Qui de meurs resemblent Sapho,
Plus que d'entendement.
Catherine - Ho, ho,
Quel jargon, je ne l'entends point.
Clement - Aussi l'ay je dit tout à poinct,
A fin que ne fut entendu.
Catherine - Or voilà, mon cueur est rendu
A ce desir : il fault bien dire
Que l'esprit qu'à ce me tire
Vient de dieu, puis qu'il continue
Depuis tant d'ans que m'a tenue :
Et ne faict que croistre et m'attraire
De jour en jour.
Clement - Mais au contraire,
Cest esprit là suspect me semble :
Veu que tous voz parens ensemble
Fuyent à ce que vous desirez.
Et eussent esté inspirez,
Si vostre desir fust de dieu.
Mais la plaisance de ce lieu,
Que vous vistes petite fille,
Des nonnains la doulce babille,
Leur habit sainct, le chant d'icelles,
Leurs ceremonies tant belles,
Voilà l'esprit qui attira
Vostre cueur, et qui l'inspira :
Avec les caphardes parolles
De ces moines à testes folles,
Qui vous chevalent pour leur bien,
Et pour dringuer, ilz sçavent bien
Que vostre pere est homme large :
A soupper l'auront, à la charge
Qu'il portera du vin assez
Pour dix buveurs maistres passez :
Ou bien chés luy en iront boire.
Parquoy, si vous m'en voulez croire,
Rien contre le gré ne ferez
De pere et mere : et penserez
Que dieu veult que soubz leur puissance
Demouriez en obeissance.
Songez y bien.
Catherine - En tel affaire
C'est chose saincte de ne faire
Compte de ses parens.
Clement - Sans faincte,
Pour Jesus Christ c'est chose saincte
N'obeir à pere ne mere.
Au contraire, c'est chose amere
Les mespriser, en autre endroict :
Car un filz chretien qui vouldroit
De malle fain laisser mourir
(J'entends si le peult secourir)
Son pere idolâtre ou ethnicque,
Il seroit un vray filz inique.
Mais si vous n'avez le baptesme,
Et la mere ou le pere mesme
Vous veulent garder de le prendre,
Lors à eulx ne devez entendre :
Ou s'ilz vous vouloient mettre en teste
De faire chose deshonneste,
Alors pourriez, en verité,
Contemner leur authorité.
Mais qu'a besoin tout ce mistere
De couvent ne de monastere ?
Vous avez en toute saison
Jesus Christ en vostre maison.
D'avantage, ainsi que je trouve,
Nature dict, et Dieu approuve,
Sainct Paul remonstre fort et ferme,
Et la loy humaine conferme,
Qu'enfans obeir sont tenus
Aux peres dont ilz sont venuz.
Voulez vous de dessoubz les mains
De vos parens doux et humains
Vous retirer et faire change
D'un vray pere à un pere estrange ?
Et la propre mere tant chere
Permuter à une estrangere ?
Ou, pour mieulx dire, voulez vous
Pour des parens benings, et doulx,
Des maistres, et maistresses rudes ?
Et acheter les servitudes,
Vous qui meritez qu'on vous serve ?
Certes, charité Chrestienne
Rompt toute coustume ancienne :
D'esclaves, et serfs qu'on avoit,
Fors que les marques on en voit
Encor en quelque region.
Mais soubz nom de religion,
Ce monde fol, en son cerveau,
A trouvé un genre nouveau
De servitude : on n'y permet
Sinon ce que la reigle y met.
Quelque bien qu'on vous donne, et baille,
C'est au prouffit de la canaille.
Trois pas allez vous pourmener,
Soudain vous feront retourner,
Comme si la fuite aviez prise
Pour avoir vostre mere occise.
Et, afin qu'on congnoisse mieulx
La servitude desdictz lieux :
Il fault qu'elle soit despouillée,
La robbe des parens baillée :
Et à la mode qu'on traictoit
Jadis les serfz qu'on achetoit,
Ilz changent, qui est grand mespris,
Le nom qu'au baptesme on a pris :
De sorte que pour Pierre ou Blaise,
Fault avoir nom Jehan, ou Nicaise.
Jacqus aura des qu'il fut né
A Jesus Christ son nom donné,
Et quand cordelier se rendra,
Le nom de François il prendra.
Souldard qui laisse la livrée
Que son seigneur luy a livrée
Semble renoncer à son maistre.
Et sainct homme nous pensons estre,
Celuy qui une robbe vest,
Laquelle Jesus Christ, qui est
Seigneur de tout, point ne luy donne :
Et s'il despouille et abandonne
L'habit que d'ailleurs il a pris,
Il en sera plus fort repris
Que s'il laissoit, par griefve offense,
La blanche robbe d'innocence
Qu'il eut de Jesus Christ, son Roy
Catherine - Certes on dict, et je le croy,
Que c'est chose de grand merite,
Si quelqu'un sa liberté quitte,
Et en tel servage se boute
De son gré.
Clement - Cela vient sans doubte
De Pharisaïque doctrine :
Sainct Paul, au rebours, endoctrine
Que qui est franc s'y doibt tenir,
Sans point vouloir serf devenir :
Mais plustot qu'on se delibere
De devenir franc et libere.
Et ce qui rend plus malheureuse
Ceste servitude fascheuse,
Il vous fault servir plusieur maistres,
Souvent grosses bestes champestres,
Bien souvent trop long temps tenuz :
Aucunesfois nouveaux venuz.
Or çà, est-il loy ny usance
Qui vous mettre hors la puissance
Eh hors des droictz de pere et mere ?
Catherine - Nenny.
Clement - Et venez çà, commere,
Povez vous donc, oultre leur gré,
Vendre ou acheter champ ou pré
Qui soit de leur bien ?
Catherine - Rien quelconques.
Clement - Qui vous baille ceste loy doncques
De vous livrer en main estrange ?
Veu que pere et mere à ce change
Ne veulent consentir à rien.
N'estes vous pas leur propre bien
Et leur chere possession ?
Catherine - La foy et la devotion
Font cesser toute loy humaine.
Clement - Le faict de la loy se demaine
Ailleurs, et principalement
Au baptesme : icy seulement
N'est question que de changer
D'accoustremens, et se ranger
Par une extraordinaire envie
A ne sçay quel genre de vie,
Qui n'est bon ne mauvais de soy.
Je suis marry quand j'apperçoy
Combien avec la liberté
Vous perdrez de commodité.
Maintenant il vous est licite,
Dedans vostre chambre petite,
Lire à part vous, estudier,
Faire oraison, psalmodier,
Quant, et autant qu'il vous plaira :
Et des qu'il vous y faschera,
Vous pouvez ouyr les cantiques,
Et hymnes ecclesiastiques :
Au service divin aller,
De Dieu en chaire ouyr parler,
Ou bien si quelque fille ou dame
Qui soit bonne de corps et d'âme
Vous trouvez, ou homme sçavant,
Ilz vous pourront mettre en avant
Cent bons propos, desquelz à l'heure
Vous pourrez devenir meilleure
Et pourrez eslire, ou chercher,
Homme qui sçache bien prescher
Jesus Christ sans capharderie.
Si une fois en moynerie
Vous entrez, perdre vous convient
Ces choses là, desquelles vient
Un grand prouffit quant à la foy.
Catherine - Mais tandis à ce que je voy,
Je ne seray point nonnain.
Clement - Non ?
Et si serez, puis que ce nom
Vous plaist si fort, et audience.
Elles s'enflent d'obedience :
Et vous n'avez, vous, pas cest heur
D'obeir à vostre pasteur,
Et aux parens, comme est escript
En la reigle de Jesus Christ ?
Quant à pouvreté qu'elles vouent,
Et dont tant s'estiment, et louent,
Ne l'avez vous, quand tous voz biens,
Vos parens les ont, et vous rien ?
Toutesfois les vierges vouées,
Jadis estoyent sur tout louées
Des doctes, et des sainctes gens,
De subvenir aux indigens,
Selon la fortune et l'affaire,
Ce qu'elles n'eussent pas sceu faire
Si leur bien eussent rejecté.
Au reste, quant à chasteté,
La vôtre n'empirera point
A vostre maison : par ce point
Vous voilà nonnain, autant vault.
Dictes moy que c'est que s'en fault ?
Un certain voile, une chemise
Qui dessus la robbe soit mise,
En lieu que dessoubz on la porte,
Et des mines de mainte sorte,
Qui de soy ne font valoir mieulx
La personne, devant les yeulx
De Dieu, qui nostre cueur regarde ?
Catherine - Vous me comptez, quand j'y prends garde,
Choses estranges et nouvelles.
Clement - Je dy choses vrayes, et belles,
Et de raison.
Catherine - Certes : si est-ce
Qu'au cueur jamais n'auray liesse,
Si sans espoir on m'interdict
Religion.
Clement - Voilà bien dict :
Promistes vous pas au Baptesme
Religion ?
Catherine - Si feis.
Clement - Et mesme
Tous ceux qui soubz Jesus Christ vivent
Et ses commandements ensuyvent,
Ne sont ils point religieux ?
Catherine - Si sont.
Clement - Je suis fort envieux
De sçavoir donc, comment s'appelle
Ceste religion nouvelle,
Qui rend ainsi de nul effect
Ce que loy de nature a faict,
Ce qu'enseigne la loy antique,
Et ce qu'apprend l'evangelique,
Et l'apostolque conferme.
Ce decret là, tant soit il ferme,
De dieu n'est faict, ny approuvé :
Mais par les moines controuvé.
A ce propos plusieurs se trouvent
Qui les mariages approuvent
Des jeunes gens, lesquels s'attachent
Sans que pere et mere le sçachent :
Voire malgré eulx plusieurs fois.
Raison humaine toutesfois,
Ne les loix les plus anciennes,
Ne Moïse dedans les siennes,
Ne l'evangile, ne canon,
Ne tient cela.
Catherine - Je croy que non.
Pource donc voulez proposer
Que je ne sçaurois espouser
Jesus Christ, s'il ne vient à plaire
A mes parens ?
Clement - Je vous declaire
Que desjà espousé l'avez
Quand tous par luy fusmes lavez
Au baptesme : et qui est l'espouse
Qui deux fois un mary espouse ?
Il n'est question seulement
Que du lieu, de l'habilement,
Des ceremonies ensemble.
Pour cela ne fault, ce me semble,
Pere et mere ainsi mespriser.
Et puis il fault bien adviser
Qu'en voulant encor entreprendre
De Jesus Christ pour mary prendre,
A d'autre ne vous mariez.
Catherine - A les ecouter vous diriez
Qu'on ne peult plus sainctement faire,
Que ne tenir à cest affaire
Conte de parens ne tuteurs.
Clement - Priez doncques ces beaux docteurs
Qu'aux saincts escriptz ils vous en treuvent
Quelque passage : et s'ils ne peuvent,
Commandez leur de boire un voirre
Du bon vin de Beaune, ou d'Auxerre,
Ilz pourront bien faire cela.
Quand ses parens on laisse là
Infideles, pour Jesus suyvre,
Cela c'est son salut poursuyvre.
Mais ses parens Chrestiens quitter,
Pour en moyenerie habiter
(Qui est souvent, et j'en responds,
Pour les mauvais laisser les bons : )
Quelle devotion peult ce estre ?
Encore ceux que le bon maistre
Jesus Christ aviot convertis
A la foy du temps des Gentilz,
Estoyent tenus par tous moyens
Servir à leur pere et parens,
Autant comme il se povoit faire,
Sans la loy Chrestienne forfaire.
Catherine - Vous tenez doncques pour mauvais
Cest ordre de vivre ?
Clement - Non fais.
Mais tout ainsi qu'aux enserrées,
Et qui du tout s'y sont fourrées,
Je ne vouldrois persuader
D'en sortir hors, ne d'evader :
Ainsi, sans scrupule ny doubte,
Puis conseiller à fille toute,
Mesme de gentille nature,
De n'entrer point à l'adventure
En lieu d'où ne puisse sortir.
De ce vous puis bien advertir :
Veu mesmes que le plus souvent
Virginité en un couvent
Plustot qu'ailleurs est en danger,
Et que sans vostre habit changer,
Povez faire autant d'oeuvres bonnes
Au logis, comme font les nonnes
En leur couvent.
Catherine - Voz argumens
Sont infinis et vehemens :
Toutesfois de ce mien desir
Ne se peult mon cueur dessaisir,
Et j'en suis là.
Clement - Et bien m'amie,
Si attirer je ne puis mie
Vostre volunté à la mienne,
A tout le moins qu'il vous souvienne
Des propos tenuz en ce lieu.
Ce temps pendant je prie à dieu
Que l'affection desireuse
Que vous avez, soit plus heureuse
Que mon conseil n'a pas esté :
De n'avoir sceu estre accepté.
Fin du Colloque.