Cette année-là, les parents d’Aurore avaient dû payer très cher le ravalement de leur immeuble et il ne leur restait plus d’argent pour payer des vacances pour cinq personnes, comme ils le faisaient habituellement.
Ce n’était pas très grave, et les trois enfants étaient tout à fait disposés à se passer de partir : après tout, Paris en été est une ville très agréable. Mais pour les parents d’Aurore, il fallait à tout prix que leurs enfants échappent, au moins un peu, à la pollution de la ville.
Ils se mirent d’accord avec Ernestine, la grande sœur du papa d’Aurore, pour qu’elle accueille les trois enfants à la campagne.
Aurore, Camille et Thomas ne connaissaient pas très bien Ernestine, qui ne se déplaçait pas souvent pour participer aux grandes réunions de famille. Ils étaient déjà allés chez elle, à la campagne, mais jamais plus qu’un ou deux jours, et toujours avec leurs parents.
C’était la première fois que les trois enfants prenaient le train tout seuls. Aurore avait un peu peur, mais elle n’osait pas le dire à sa grande sœur ou à son grand frère, parce qu’elle se rendait bien compte que l’un comme l’autre était persuadé qu’elle avait une confiance totale en eux et qu’elle savait que rien ne pourrait lui arriver si elle était avec eux.
Aurore masqua son inquiétude du mieux qu’elle put, mais elle fut incapable de ne pas se ronger les ongles, ce que Camille, qui était une grande sœur très attentionnée, remarqua tout de suite. Camille ne dit rien, parce qu’elle savait par expérience que, quand on commence à attirer l’attention de quelqu’un sur un geste nerveux qu’il fait machinalement, cela lui donne encore plus envie de le faire. Alors, au lieu de faire la morale à sa petite sœur sur ses ongles qu’elle ne devait pas ronger, Camille lui proposa de jouer à pierre, ciseaux, puits, papier, de telle sorte que les mains d’Aurore furent bien occupées. Son esprit le fut par la même occasion, et sa peur disparut.
Thomas, de son côté, était complètement absorbé par la console de jeu qu’il venait, après plusieurs années d’économie, de pouvoir se payer, et si Camille et Aurore ne l’avaient pas prévenu, il aurait pu laisser passer la station.
Ernestine les attendait sur le quai de la gare.
Ce fut le premier signe que quelque chose d’étrange était en route : au lieu d’embrasser Aurore en premier, et de déclarer qu’elle était vraiment adorable et qu’elle avait beaucoup grandi, Ernestine commença par Camille, à qui elle fit des compliments sur ses cheveux blonds.
C’était une chose qui ennuyait un peu Aurore : Camille avait d’immenses cheveux blonds, tout à fait comparables aux cheveux de la Belle au Bois dormant dans le film de Walt Disney, tandis que les cheveux d’Aurore, s’ils étaient magnifiques, ressemblaient plus à ceux de Belle par leur couleur et leur texture.
Mais la plupart du temps, Aurore n’avait aucune raison d’y penser, puisque de toute façon les gens la chouchoutaient.
Ernestine était venue chercher les enfants avec ce qu’elle appelait sa bétaillère, une sorte de camionnette ouverte à l’arrière dans laquelle elle transportait parfois des animaux. Aurore trouva cela vraiment très amusant de s’asseoir à l’arrière avec Thomas.
Elle trouva cela vraiment très amusant, mais en même temps, elle trouva un tout petit peu bizarre que ce soit Camille, avec ses grands cheveux de Belle au Bois dormant, qui se soit installée dans la cabine avec tante Ernestine.
Heureusement, Thomas avait accepté de ranger sa console pour s’occuper de sa petite sœur. Il lui montrait successivement tous les animaux qu’ils dépassaient et qui paîssaient dans les champs. Il y avait là surtout des vaches et des moutons, mais on voyait aussi de très jeunes veaux, et de tout petits agneaux qui semblaient tellement adorables que le cœur d’Aurore se soulevait de bonheur en pensant au moment où elle pourrait leur donner à manger, les caresser… et en devenir la chouchoute.