CHAPITRE 5
Après notre spectaculaire parcours des séries éliminatoires du printemps 2006, les attentes étaient extrêmement élevées à Buffalo. Les partisans – à juste titre – nous considéraient comme de sérieux aspirants à la conquête de la coupe Stanley. Durant l’été, le niveau d’optimisme était à ce point élevé que l’organisation était parvenue à porter à 14 500 le nombre de détenteurs d’abonnements saisonniers en vue de la campagne 2006-2007, soit le double de la saison précédente.
Même si les coffres de l’organisation s’étaient remplis, le directeur général Darcy Regier et les autres dirigeants de l’équipe n’en avaient pas moins connu un été fort difficile.
En l’espace de quelques mois, le nombre de joueurs des Sabres commandant un salaire supérieur à 2 millions était passé de 3 à… 11! Et la masse salariale de l’équipe, qui s’était modestement chiffrée à 29 millions en 2005-2006, frôlait désormais le plafond de 44 millions fixé par la ligue.
Au final, cette inflation des coûts de main-d’œuvre a entraîné le départ de trois joueurs importants. L’attaquant Mike Grier a profité de son autonomie pour signer une entente avec les Sharks de San Jose. Notre pilier défensif Jay McKee a fait la même chose et s’est joint aux Blues de Saint Louis. À cause des contraintes budgétaires des Sabres, mon précieux compagnon de trio Jean-Pierre Dumont s’est lui aussi retrouvé libre de négocier avec la formation de son choix.
Comme plusieurs autres joueurs de l’équipe, Jean-Pierre a vu ses négociations avec la direction des Sabres atteindre une impasse. Forcé de recourir à l’arbitrage salarial, il s’est alors fait octroyer un salaire de 2,9 millions. Mais l’organisation s’est ensuite désistée du verdict de l’arbitre. Cette décision des Sabres a immédiatement valu à Jean-Pierre le droit de se prévaloir de son autonomie. La décision arbitrale est toutefois survenue au début d’août 2006, soit plus d’un mois après l’ouverture du marché des joueurs autonomes. La plupart des équipes avaient alors déjà complété leur alignement et le marché était évidemment moins favorable, même pour un joueur de cette qualité. Jean-Pierre a finalement pris le chemin de Nashville, où il a obtenu un contrat de deux saisons totalisant 4,5 millions.
«Nous avions tous eu beaucoup de difficulté à accepter notre élimination en finale de conférence face aux Hurricanes de la Caroline, se souvient Jean-Pierre. Mais dès le lendemain, nous pensions déjà au succès que nous allions avoir en 2006-2007. Daniel et moi pensions signer des prolongations de contrat et retrouver essentiellement la même équipe.
«Mais les Sabres ont mis plus de temps que prévu à prendre des décisions. Une douzaine de joueurs ont été contraints de s’inscrire au processus d’arbitrage salarial. Et quelques-uns, dont Daniel et moi, ont dû se rendre jusqu’au bout de cette démarche et patienter jusqu’à ce qu’un arbitre détermine leur salaire. Nous nous sommes alors mis à nous questionner. L’arbitre a accordé à Daniel un salaire de 5 millions (une augmentation de plus de 3 millions) tandis que j’ai obtenu 2,9 millions. À ce moment-là, nous nous sommes rendu compte que ce serait impossible pour la direction de nous garder tous les deux. Le hockey n’est pas toujours un business agréable», ajoute-t-il.
«Lorsqu’on analyse ce qui s’est passé chez les Sabres cet été-là, raconte Martin Biron, on comprend que les fondations sur lesquelles reposaient l’équipe ont commencé à faiblir quand Jean-Pierre Dumont et Jay McKee sont partis. L’exode a commencé avec eux. Il s’est poursuivi au cours des saisons suivantes et l’organisation n’a jamais été capable de retrouver des piliers aussi solides.»
Tous les hockeyeurs de la LNH savent, comprennent et acceptent que leur sport est avant tout régi par une logique économique. Malgré cela, le départ de Jean-Pierre m’attristait beaucoup. Je m’en attribuais même une part de responsabilité. Je me sentais mal parce que ma propre victoire en arbitrage avait contribué à restreindre la marge de manœuvre financière des Sabres.
En tant que coéquipier et ami, Jean-Pierre était tout simplement de l’or en barre. Il était (et est encore!) une bonne personne et un bon vivant que tout le monde voulait fréquenter. Il était toujours de bonne humeur et tous les gars de l’équipe l’adoraient. Tous les membres de ma famille aussi. Jean-Pierre était devenu l’idole de mes trois fils, avec lesquels il s’amusait à chaque occasion. Plusieurs années après que Jean-Pierre et moi avons cessé d’être coéquipiers, Cameron répondait encore systématiquement «Jean-Pierre Dumont!» lorsque quelqu’un lui demandait qui était son joueur préféré dans la LNH.
Jean-Pierre figure toujours parmi mes meilleurs amis et je m’estime privilégié qu’il en soit ainsi. Il a eu une grande influence sur le déroulement de ma carrière.
En bout de ligne, malgré ces difficiles choix budgétaires, la profondeur de l’organisation maintenait les Sabres parmi la poignée de formations favorites pour tout rafler en 2006-2007. La pression ambiante était cependant très forte pour que l’équipe réalise ses promesses à très court terme.
Plusieurs leaders offensifs de l’organisation, dont Derek Roy, Chris Drury et moi, allaient devoir négocier de nouvelles ententes contractuelles à la fin de la saison. Et cette fois, les Sabres n’allaient pas pouvoir s’en tirer avec des contrats d’un an ou en recourant à l’arbitrage, puisque Drury et moi allions aussi obtenir le droit à l’autonomie.
Dans le vestiaire, ces sujets n’étaient toutefois pas des préoccupations quand la saison s’est mise en branle. Nous avions tous vu l’ombre de la coupe Stanley surgir à la fin de notre parcours éliminatoire du printemps 2006 et nous savions que les blessures nous avaient empêchés de la remporter. Nous étions donc résolus à nous reprendre et à corriger cette erreur de parcours.
Jean-Pierre étant parti, c’est Jason Pominville qui s’est joint à Jochen Hecht et moi pour compléter notre trio. Âgé de 23 ans, Jason amorçait seulement sa deuxième campagne dans la LNH. Il avait toutefois fait grande impression à son année recrue en inscrivant 18 buts. Il était davantage un tireur qu’un fabricant de jeu. En ce sens, son style de jeu était donc différent de celui de Jean-Pierre. Néanmoins, Jason possédait un flair exceptionnel pour trouver les espaces libres sur la patinoire et se rendre disponible pour marquer.
Nous nous sommes tout de suite entendus à merveille. Et ensemble, nous avons tous deux connu notre meilleure saison en carrière!
Par ailleurs, le départ de Jean-Pierre Dumont vers Nashville signifiait pour moi un autre changement important. Au cours des saisons précédentes, Martin Biron avait été le cochambreur de Jean-Pierre lorsque l’équipe jouait à l’étranger. Ce dernier étant parti, c’est moi qui me suis retrouvé à partager la chambre d’hôtel de Martin.
C’était une situation assez particulière parce que, dans certaines organisations, les directeurs généraux refusaient de jumeler des co-chambreurs à leurs gardiens. Les joueurs occupant cette position étant souvent considérés comme des «originaux», des êtres bizarres vivant dans une bulle qui leur est particulière, certains dirigeants estimaient qu’il valait mieux les laisser en paix. Il y avait aussi une justification plus pragmatique à cet «isolement» des hommes masqués: les gardiens étant plus difficiles à remplacer quand une équipe se trouve au beau milieu d’un voyage, on voulait limiter au maximum les risques qu’ils soient contaminés par un coéquipier ayant contracté un quelconque virus.
Toutes sortes de choses peuvent survenir lorsqu’on hérite d’un nouveau compagnon de voyage.
L’une des premières fois où j’ai été rappelé dans la LNH, alors que j’évoluais dans l’organisation des Coyotes de Phoenix, on m’avait jumelé avec un certain Landon Wilson.
Peu après notre arrivée à l’hôtel de l’équipe à Saint Louis, Wilson m’avait demandé une faveur:
— Il y a quelqu’un qui s’en vient me faire un massage. Crois-tu que tu pourrais me laisser la chambre pour une petite heure?
— Parfait! lui avais-je répondu.
J’étais allé souper avec les gars de l’équipe et nous étions revenus à l’hôtel vers 20 heures. Mais quand j’avais regagné notre chambre, la masseuse était toujours présente. Beau joueur, j’avais à nouveau viré les talons.
— Je vais te donner un peu plus de temps et je vais revenir, avais-je prévenu Wilson.
À mon retour, vers 21 heures, toutes les lumières étaient éteintes. Il faisait noir comme chez le loup et Wilson s’était endormi. En faisant attention pour ne pas le réveiller, j’étais entré dans la chambre à tâtons et je m’étais dirigé vers la salle de bain. Or, il y avait environ un pouce d’eau sur le plancher! La salle de bain était inondée! Wilson avait visiblement utilisé la douche et je ne sais trop quel genre de catastrophe était survenu par la suite. Pour tenter de réparer les dégâts, mon co-chambreur avait brillamment étendu toutes nos serviettes dans la mare couvrant le plancher.
Mes bas et mon pantalon étaient trempés, et je ne pouvais pas me laver.
Disons que je n’avais pas été trop impressionné par Landon Wilson. Heureusement, je n’ai plus jamais partagé de chambre avec lui par la suite.
Avec Martin Biron, c’était une tout autre histoire. D’abord, il n’était pas un gardien comme les autres. À la blague, je dis souvent qu’il a été le gardien le plus «normal» avec lequel j’ai joué. Il ne vivait pas en marge du reste de l’équipe et il était un cochambreur exceptionnel.
Lorsqu’il était question de technologie, Martin était extrêmement ingénieux. Dès que nous arrivions à l’hôtel, il sortait son ordinateur portable. Parfois, il apportait même sa console Playstation. Sans trop qu’on sache comment, il avait réussi à faire brancher sa résidence de Buffalo par un câblodistributeur canadien. Il possédait aussi un appareil qui compressait les signaux de télévision qu’il recevait à la maison et qui les redirigeait vers son ordinateur. Aux quatre coins de l’Amérique du Nord, bien installés dans notre chambre d’hôtel, nous pouvions donc regarder tous les matchs de hockey imaginables et même toutes les émissions québécoises auxquelles participait notre ami comédien, Patrice Bélanger.
Durant nos voyages, Martin Biron était un véritable tourbillon! Il pouvait faire trois ou quatre choses en même temps. Il parlait au téléphone en pitonnant sur son ordinateur tout en regardant un match de hockey à la télévision. Il nous commandait des desserts après le souper et préparait notre horaire du lendemain. Confortablement assis sur mon lit, je le regardais aller et il était vraiment impressionnant.
«Daniel était un cochambreur très tranquille, raconte Martin Biron. C’était facile de voyager avec lui. Si je lui suggérais que c’était le moment d’aller souper, nous allions souper. Si je lui proposais de regarder la télé, il me répondait que j’étais en charge de la programmation. J’étais en contrôle de tout, y compris de fixer l’heure du réveille-matin! Je l’emmenais même visiter les sites historiques des villes où nous séjournions. Daniel m’avait surnommé le “guide touristique”. »
En une occasion, alors que nous étions à Miami avant un match contre les Panthers, Martin s’est toutefois rendu compte que les apparences sont parfois trompeuses et que je n’étais pas toujours un compagnon de chambre aussi paisible qu’il le croyait.
Ce soir-là, l’heure du couvre-feu approchait à grands pas et Martin n’était toujours pas rentré à l’hôtel. Il s’agissait d’une situation très inhabituelle, au point où je m’inquiétais même un peu de son absence.
Quelques coéquipiers, dont Jason Pominville, s’étaient arrêtés à notre chambre pour discuter un peu. Et à force de l’attendre, nous avons fini par décider qu’il fallait lui imposer une sanction pour cet écart de conduite. Tout le monde s’est donc mis à l’ouvrage, et nous avons déménagé son lit, sa table de chevet et le radio-réveil dans le corridor! Tout était impeccablement installé, et le message était clair: tu rentres en retard, tu couches dehors.
Après le départ de mes complices, tout juste avant que sonne l’heure du couvre-feu et que son carrosse se transforme en citrouille, Martin est réapparu. Il a éclaté de rire en constatant qu’il avait été expulsé sans même bénéficier de la présomption d’innocence.
Puisqu’il était sagement revenu à temps, je lui ai tout de même donné un coup de main pour replacer les meubles à leur place…
Avant le début de la saison, Darcy Regier avait déclaré aux journalistes que la saison 2006-2007 s’annonçait bien différente pour l’organisation des Sabres, «parce que cette fois, nous nous attendons à gagner», avait-il souligné.
Et c’est exactement ce que nous avons fait.
Nous avons entrepris le calendrier régulier en remportant nos dix premiers matchs. Après 17 rencontres, soit presque le quart de la saison, nous affichions un dossier de 15-1-1. En décembre, nous avions déjà franchi la barre des 40 points au classement et nous occupions le deuxième rang de la LNH (derrière les Ducks d’Anaheim) en vertu d’une fiche de 19-3-2.
Durant cette période d’allégresse et de domination totale, Lindy Ruff m’a cependant fait vivre un événement que je n’oublierai jamais.
Dans la soirée du 4 novembre, à Toronto, nous avions disputé un mauvais match et subi notre première défaite en temps réglementaire de la saison, au compte de 4 à 1. Il s’agissait d’une séquence de deux rencontres en 24 heures et nous devions affronter les Rangers au Madison Square Garden le lendemain.
Le matin de ce match contre les «Blueshirts», Ruff a annoncé que l’entraînement sur glace prévu au MSG était annulé et qu’il allait plutôt tenir une séance de visionnement à notre hôtel. J’ignorais, par contre, que j’allais être la vedette du film présenté par notre entraîneur…
En mettant particulièrement l’accent sur les mauvais jeux que j’avais réalisés la veille, Ruff m’a alors savonné devant toute l’équipe. Il m’a ramassé solidement, sans faire de nuance et en répétant sans cesse à quel point la façon dont nous avions joué face aux Maple Leafs était inacceptable.
En serrant les dents, je ne cessais de me répéter que j’allais lui faire ravaler ses paroles. J’étais cocapitaine de cette équipe et j’étais profondément blessé dans mon orgueil. Il n’était pas question que cette affaire en reste là sans que je réponde!
D’un autre côté, même si j’étais furieux, je comprenais la démarche de notre entraîneur. En s’attaquant à l’un des leaders de l’équipe pour transmettre son message, Ruff établissait clairement que tout le monde était susceptible de recevoir un tel traitement. L’entraîneur savait aussi que son intervention aurait eu l’effet d’un coup d’épée dans l’eau s’il avait plutôt visé un joueur de quatrième trio.
Quand la rondelle est tombée au centre de la patinoire du mythique amphithéâtre newyorkais quelques heures plus tard, je n’avais qu’une idée en tête: régler mes comptes avec Lindy Ruff.
Nous traînions de l’arrière au compte de 1-3 dans la seconde portion du deuxième engagement quand je suis parvenu à tromper la vigilance d’Henrik Lundqvist en avantage numérique. Puis, en milieu de troisième, Jason Pominville a créé l’égalité sur une pièce de jeu orchestrée par Nathan Paetsch et moi. Jason connaissait un début de saison absolument extraordinaire. Il y avait à peine un mois d’écoulé au calendrier et il s’agissait déjà de son neuvième but. À Buffalo, le propriétaire d’un resto-bar sportif avait nommé une section de son établissement en son honneur et il vendait des t-shirts sur lesquels on pouvait lire Welcome to Pominville.
Nous nous sommes alors retrouvés en prolongation. Et juste avant que s’amorce la dernière minute de jeu, j’ai inscrit le but de la victoire avec l’aide de Toni Lydman et de Drew Stafford.
Lindy Ruff avait obtenu sa réponse. Nous avions renoué avec la victoire et j’avais au passage récolté deux buts, une passe et conclu la soirée avec un différentiel de +2. Le souvenir de l’un de ces deux buts est d’ailleurs encore très clair dans ma tête. J’ai reçu une passe alors que j’étais posté sur le flanc gauche, dans la partie supérieure du cercle de mise au jeu, et j’ai décoché sur réception. Je ne possédais pas le tir le plus puissant de la LNH, mais j’ai mis toute la gomme sur celui-là. Disons qu’il y avait du «Lindy Ruff» dans mon bâton quand j’ai fait contact avec le disque, qui est passé juste au-dessus de l’épaule de Lundqvist sans qu’il ait même le temps de penser à réagir.
J’étais content d’avoir cloué le bec de l’entraîneur et d’avoir démontré à mes coéquipiers de quel bois j’étais fait. Mais je savais que Lindy Ruff était tout aussi heureux de la tournure des événements. J’ai d’ailleurs récolté 14 points dans les 10 matchs suivant cette séance de visionnement à New York. Son intervention a sonné chez moi une sorte de réveil.
Lindy et moi nous sommes rencontrés seul à seul quelques jours après sa blessante sortie. Il m’a confié qu’il avait agi ainsi parce qu’il savait que j’étais un athlète orgueilleux et que, au lieu de me mettre à bouder, j’allais tout mettre en œuvre pour le faire mentir.
Il m’a réservé ce genre de «traitement de faveur» deux ou trois fois durant mon séjour chez les Sabres. Être reconnu comme un joueur répondant systématiquement à ce genre de tactique peut devenir une sorte de couteau à deux tranchants. Parce que lorsqu’il cherche une cible, l’entraîneur peut être tenté de vous viser plus souvent que les autres. À tout prendre, je préférais être reconnu comme celui qui répondait par la bouche de son bâton au lieu de faire partie de ceux qui faisaient la baboune et qui se recroquevillaient dans leur coin. C’était l’une des précieuses leçons que Gary Mack m’avait apprises.
Certains entraîneurs de la LNH utilisent constamment ce genre de tactique et finissent par se mettre tous leurs joueurs à dos. Ce n’était pas le cas avec Lindy Ruff, qui était un excellent communicateur et qui ne craignait pas les rencontres en tête en tête pour s’expliquer. Par ailleurs, il ne blâmait jamais l’un de ses joueurs durant ses rencontres avec les journalistes. Ses interventions n’étaient jamais gratuites. Elles visaient plutôt à améliorer l’équipe.
À Buffalo, notre phénoménal début de saison et nos succès en séries éliminatoires du printemps 2006 faisaient en sorte que les Sabres étaient rois et maîtres des lieux. Tout le monde ne parlait que de notre équipe de hockey.
Dans la plupart des grandes villes américaines, on trouve une sorte de star system (composé de personnalités du monde du spectacle et de vedettes des équipes de baseball, de football, de basketball et de hockey) qui attire l’attention des gens et des médias. Mais cette diversité n’était pas aussi grande à Buffalo, où il n’y en avait que pour les joueurs des Sabres et des Bills, de la NFL. Étant donné les succès que connaissait notre équipe, nous occupions donc une place encore plus prépondérante dans l’actualité et il nous était à peu près impossible de sortir en ville et d’espérer passer inaperçus.
Les partisans n’étaient pas désagréables ou mal intentionnés, loin de là. Ils étaient tout simplement passionnés, et certains étaient prêts à aller loin pour nous le faire savoir. Quand nous allions manger au restaurant, il n’était d’ailleurs pas rare que des gens insistent pour payer notre repas. Ce qui était plus inquiétant, toutefois, c’est qu’après ou à la veille de matchs importants, particulièrement en séries éliminatoires, des partisans passaient régulièrement devant la maison en klaxonnant ou en criant des encouragements, souvent jusqu’aux petites heures du matin.
Avant chaque match local, la plupart des joueurs de l’équipe se retrouvaient dans un sympathique restaurant familial. Nous aimions bien prendre le repas d’avant-match en équipe. Les clients de cet établissement savaient que nous étions des habitués et que ce n’était pas le moment idéal pour prendre des photos ou obtenir des autographes. Mais pour le reste, à Buffalo plus que dans n’importe quelle autre ville où j’ai joué, j’ai dû avoir recours à divers stratagèmes afin de pouvoir sortir en famille tout en préservant un certain degré d’intimité.
Les gérants de certains restaurants étaient particulièrement coopératifs. Ils nous faisaient entrer par la porte arrière et nous installaient dans des coins isolés. Pour cette raison, j’allais souvent chez Falletta’s, un resto italien d’East Amherst, et chez Hutch’s, un steakhouse de la rue Delaware.
Les Sabres et leurs partisans vivaient donc une relation particulièrement intense à cette époque. Il y avait beaucoup de vrai dans cette boutade voulant que Buffalo soit en réalité la «huitième ville canadienne de la LNH».
Lindy Ruff pouvait devenir un entraîneur extrêmement rigide quand l’équipe perdait. Mais comme nous remportions presque tous nos matchs cette saison-là, Lindy était souvent très détendu. Quand nous étions à l’étranger, il lui arrivait d’annuler les entraînements matinaux afin de gérer le niveau d’énergie des joueurs. Et il profitait de ces moments libres pour organiser toutes sortes d’activités.
Par exemple, nous allions visiter des mémoriaux quand nous passions par Washington. Nous allions à la plage quand nous étions en Californie, et nous marchions le long du canal Rideau à Ottawa. Au fil d’une longue saison, ces sorties permettent aux joueurs de briser leur routine et elles sont souvent plus bénéfiques qu’une énième séance d’entraînement.
Le 1er janvier 2007, nous avons vaincu les Islanders de New York au compte de 3-1 à Buffalo, couronnant ainsi une poussée de quatre victoires consécutives et concrétisant une récolte de 11 points en six matchs. Après 39 parties, nous présentions un dossier de 29-7-3 (61 points) et accusions seulement un point de retard sur les Ducks d’Anaheim, qui détenaient toujours le premier rang du classement général. Nous avions toutefois deux matchs en main sur Anaheim.
À travers la LNH, c’était surtout notre force de frappe offensive qui retenait l’attention. Nous maintenions jusque-là le rythme d’une campagne de 325 buts, un exploit qui n’avait été réalisé que trois fois au cours des dix saisons précédentes.
Pour la direction des Sabres, le 1er janvier était une date significative. C’est à ce moment que s’ouvrait la fenêtre permettant aux équipes de négocier des prolongations de contrats avec leurs joueurs dont les ententes venaient à échéance à la fin de la saison.
Dès le début de janvier, Darcy Regier a entrepris des pourparlers avec l’agent de Chris Drury. Et peu de temps après, Chris est venu me voir pour me demander mon avis.
Ma relation avec Chris Drury différait beaucoup de celle que j’entretenais avec Jean-Pierre Dumont et Martin Biron. Chris était plus discret et plus introverti. De ce fait, lorsqu’il quittait l’aréna, il faisait une nette séparation entre sa vie de hockeyeur et sa vie familiale. Il préférait passer le plus de temps possible seul avec sa famille, et tous les membres de l’équipe respectaient son choix.
Mais même si nous ne nous fréquentions pas et que nos vies privées ne se mêlaient pratiquement jamais, le lien qui nous unissait était aussi fort que celui qui me liait à Jean-Pierre ou à Martin.
En plus d’être un leader exceptionnel, Chris Drury était un coéquipier à la fois intense et fascinant. À ses yeux, la seule option existant dans la vie était la victoire. Et tout ce qu’il faisait était orienté vers l’atteinte de cet objectif. Ensemble, nous avons discuté pendant des heures et des heures autour de thèmes comme: Qu’est-ce qui démarque les gagnants des autres? Et comment faut-il s’y prendre pour faire la différence?
Partout où il était passé auparavant, Chris était parvenu à faire la différence entre la victoire et la défaite. Au baseball, lorsqu’il était enfant, il avait lancé lors de la grande finale de la Série mondiale des petites ligues. Devant des dizaines de milliers de spectateurs et des millions de téléspectateurs, il avait limité l’équipe de Taïwan à cinq coups sûrs en plus de produire deux points dans la victoire des États-Unis. La même année, son équipe de hockey pee-wee avait remporté le championnat national américain!
Plus tard, dans les rangs universitaires, il avait remporté dès son année recrue le championnat de la NCAA avec Boston University. Les Terriers de Boston University avaient d’ailleurs remporté le prestigieux tournoi du Beanpot (une très populaire classique hivernale) les quatre années où Drury avait porté leur uniforme. Au passage, Chris avait aussi remporté le trophée Hobey Baker à titre de joueur par excellence de la NCAA, après avoir été finaliste pour l’obtention de ce trophée l’année précédente.
Depuis que Drury avait accédé à la LNH, la victoire et le succès continuaient de lui coller à la peau. Il revendiquait notamment un trophée Calder et une coupe Stanley. Et il était désormais cocapitaine de la formation de l’heure dans la ligue! À cette époque, Chris avait aussi à son actif trois buts gagnants en prolongation en séries éliminatoires, et cette statistique très significative avait particulièrement capté mon attention.
— Comment parviens-tu à accomplir tout ça? lui ai-je un jour demandé.
— Il y a beaucoup de gars qui se retrouvent dans des situations décisives et qui ont peur de commettre une erreur. Pour moi, c’est exactement le contraire. Quand je me retrouve dans ces moments importants, je veux avoir la chance de faire le gros jeu. Ça ne fonctionnera peut-être pas à tous les coups. Mais même si ça ne fonctionne pas, c’est positif. Parce que si je ne parviens pas à inscrire le but gagnant aujourd’hui, ça signifie que mes chances de réussir la prochaine fois viennent d’augmenter.
Chris Drury ne laissait jamais rien au hasard. En ce sens, nous partagions la même vision de la jungle de la LNH. À nos yeux, le niveau de préparation constituait l’élément principal démarquant les vrais athlètes professionnels des autres.
Je m’étais beaucoup réjoui de l’arrivée de Chris Drury dans l’organisation des Sabres en 2005. Mais depuis que lui et moi étions devenus coleaders de l’équipe, je l’appréciais encore davantage. Nous étions toujours sur la même longueur d’ondes et un immense respect existait entre nous. Il ne cherchait jamais à prendre le plancher ou à devenir celui des deux cocapitaines qui allait le mieux paraître aux yeux de l’entraîneur ou des joueurs.
Par exemple, si Chris ressentait le besoin d’aller rencontrer Lindy Ruff pour soulever un problème survenu durant la dernière séance d’entraînement, il prenait le temps de venir en discuter avec moi.
— Danny, je n’ai pas aimé ce que Lindy a fait durant la pratique et j’estime important d’aller lui en parler. Veux-tu m’accompagner ou préfères-tu que j’y aille seul?
Cet esprit de concertation faisait en sorte qu’aucun d’entre nous n’apprenait deux ou trois jours plus tard une initiative ou une décision que l’autre cocapitaine aurait pu prendre. Chris plaçait toujours les intérêts de l’équipe au-dessus de tout, ce qui est un trait de caractère assez rare chez les joueurs de son calibre. Il était en quelque sorte le professionnel ultime. C’est pourquoi il avait gagné aussi souvent à tous les niveaux, et dans différents sports.
Chris m’a donc mis au fait de l’état des négociations qui se déroulaient entre son agent et la direction des Sabres; l’offre soumise par l’organisation (un contrat de quatre ans d’une valeur de 20 millions) m’apparaissait intéressante. Toutefois, avant de s’avancer plus loin, Chris voulait s’assurer que la direction était disposée à investir suffisamment d’argent pour maintenir intact le noyau de l’équipe. Il ne voulait pas signer ce contrat pour ensuite voir les autres piliers de l’équipe s’éparpiller aux quatre coins de la ligue.
Mon point de vue sur la situation était on ne peut plus clair:
— Chris, j’espère que tu réussiras à t’entendre avec eux, parce qu’il n’est pas question que je reste à Buffalo si tu t’en vas ailleurs, lui ai-je confié.
— Je pense exactement la même chose! Si les Sabres ne te gardent pas, je m’en irai aussi, a-t-il rétorqué.
À ce moment-là, il nous semblait carrément impensable de ne pas être tous deux de retour chez les Sabres pour la saison 2007-2008. Nous étions les cocapitaines de la meilleure équipe de la ligue et le meilleur était à venir.
Convaincu que j’allais aussi recevoir une offre de la part de la direction, Chris Drury a répliqué avec une contre-proposition en demandant 23 millions pour quatre ans. Selon le vétéran journaliste Bucky Gleason, du Buffalo News, Darcy Regier et l’agent de Chris Drury se sont ensuite entendus pour couper la poire en deux: 21,5 millions pour quatre ans.
Regier est reparti avec cette entente verbale, et il n’est jamais revenu avec la version papier par la suite. En juillet 2017, Gleason a écrit que l’entente conclue par le directeur général des Sabres avait été répudiée par le propriétaire Tom Golisano. C’était une partie de l’histoire que j’ignorais.
Quoi qu’il en soit, le reste de la saison s’est ensuite écoulé sans que Chris ou moi réentendions parler de quoi que ce soit de la part de la direction des Sabres.
Cette façon de faire m’a beaucoup étonné. Puisque nous étions co-capitaines de l’équipe, je m’étais attendu à ce que l’organisation nous soumette une sorte d’offre conjointe. On aurait pu nous dire: «Écoutez, voici le montant qu’on pourrait dépenser pour vous garder tous les deux et maintenir en place une équipe gagnante. Est-ce qu’on peut travailler autour de ces paramètres?»
Chris Drury et moi étions tout à fait prêts à accepter moins d’argent pour continuer à jouer ensemble et nous assurer que les Sabres puissent aspirer aux grands honneurs pendant encore plusieurs années. Mais cette discussion tripartite n’a jamais eu lieu. La direction des Sabres s’est concentrée sur Chris en premier, et je suis resté dans le noir.
Le 27 février 2007, peu avant la date limite des transactions, les Sabres ont échangé Martin Biron aux Flyers de Philadelphie en retour d’un choix de deuxième ronde. Sélectionné par Buffalo en première ronde au repêchage de 1995, Martin était à ce moment le joueur comptant le plus d’ancienneté au sein de l’organisation.
Pour combler le poste de Martin, Darcy Regier a immédiatement acquis le réserviste Ty Conklin des Blue Jackets de Columbus, en retour d’un choix de cinquième ronde.
Cette transaction n’était pas du tout surprenante. À Buffalo, Martin avait perdu son poste de gardien numéro un aux mains du jeune Ryan Miller et il écoulait la dernière année d’un contrat lui rapportant 2,1 millions, comparativement à quelque 525 000 dollars pour Conklin.
«J’étais déçu de quitter les Sabres parce que nous avions une excellente équipe, se souvient Martin Biron. Par contre, je savais très bien que mon avenir se trouvait ailleurs. Ryan Miller et moi formions un excellent duo mais, quand la transaction a été faite, on retrouvait pas moins de huit blessés chez les Sabres. La direction cherchait à se créer une marge de manœuvre financière pour acquérir du renfort en vue du dernier droit de la saison et des séries.»
Après le départ de Martin pour Philadelphie, Darcy Regier a cédé le jeune attaquant Jiri Novotny et un choix de première ronde aux Capitals de Washington pour faire l’acquisition de l’attaquant Dainius Zubrus, qui comptait déjà 20 buts à sa fiche chez les Capitals.
Une récolte de 19 points à nos 13 derniers matchs (fiche de 9-3-1) nous a permis de boucler le calendrier régulier avec 113 points en banque et de remporter le trophée du Président. Au classement général de la LNH, les échelons 2 à 4 étaient détenus par trois équipes de la conférence de l’Ouest: les Red Wings de Detroit (qui avaient aussi amassé 113 points, mais en remportant trois victoires de moins que nous en temps réglementaire), les Predators de Nashville (110 points) et les Ducks d’Anaheim (110 points).
Collectivement, l’attaque des Sabres a bouclé la saison 2006-2007 avec 308 buts au compteur (filets gagnants en tirs de barrage inclus), ce qui était loin d’être banal. Au cours des dix saisons suivantes, seuls les Capitals de Washington (en 2009-2010) sont parvenus à rééditer cette marque.
Pour ma part, cette quatrième saison dans l’uniforme des Sabres s’était avérée celle de la grande éclosion. Mes 95 points (32 buts et 63 passes) constituaient un sommet en carrière et me valaient le dixième rang des marqueurs de la LNH.
J’étais aussi extrêmement fier du rendement de notre trio. Jason Pominville s’était littéralement moqué de la guigne de la deuxième année en inscrivant 34 buts et 34 mentions d’aide, tandis que le «joueur défensif» de notre unité, Jochen Hecht, avait fermé les livres avec 19 buts et 37 passes. Jason, Jochen et moi sommes donc parvenus à connaître la meilleure saison de notre carrière en même temps. Chris Drury a fait de même, marquant pas moins de 37 buts.
Quand les séries éliminatoires se sont mises en branle, nous étions donc confiants et gonflés à bloc.
Le premier tour nous opposait aux Islanders de New York, qui faisaient figure de miraculés au tableau du grand tournoi printanier. Avec seulement quatre matchs à disputer en saison régulière, les Isles occupaient le 11e rang dans l’Est et semblaient hors de la course. Ils étaient toutefois parvenus à remporter quatre victoires de suite, dont deux en tirs de barrage, pour coiffer au poteau les Hurricanes de la Caroline, les Canadiens de Montréal et les Maple Leafs de Toronto.
Notre duel avec les Islanders s’est toutefois révélé inégal: nous les avons liquidés en cinq matchs pour ensuite nous retrouver face aux Rangers de New York.
Les deux premiers affrontements avaient lieu à Buffalo, où nous avons entrepris ce deuxième tour par une victoire relativement facile de 5 à 2. Dans le match suivant, les Rangers nous ont totalement dominés. Leur gardien Henrik Lundqvist nous a cependant accordé trois buts sur seulement 18 tirs, et nous nous en sommes tirés avec un gain chanceux de 3 à 2.
Nous avions beau détenir une avance de 2-0, les Rangers n’en avaient pas fini avec nous. Et la série a pris une tout autre allure lorsqu’elle s’est transportée au Madison Square Garden et que Lundqvist s’est littéralement mis à stopper tout ce que nous tirions vers lui. Lors des matchs 3 et 4, le gardien suédois n’a cédé que deux fois sur 69 tirs, et les Rangers en ont profité pour nous vaincre deux fois de suite au compte de 2 à 1. Soudainement, notre redoutable attaque n’était plus capable de s’exprimer. Les chances de marquer se faisaient de plus en plus rares et Lundqvist fermait la porte chaque fois que nous en obtenions une.
Quand nous sommes revenus à Buffalo pour la cinquième rencontre, nous avons sérieusement malmené les Rangers. Bombardé de tous les côtés, Lundqvist ne voulait toutefois rien savoir. Alors que nous n’avions jamais été blanchis au cours du calendrier régulier, le King Henrik était sur le point de nous infliger un revers de 1 à 0 quand, à 7,7 secondes de la fin du troisième engagement, Chris Drury est parvenu à le déjouer en complétant une manœuvre orchestrée par Tim Connolly et moi.
Maxim Afinogenov nous a ensuite procuré la victoire (et une avance de 3-2 dans la série) en marquant au début de la première période de prolongation. Ce revers crève-cœur a semblé souffler la flamme des joueurs des Rangers. «C’est ma défaite la plus dure à avaler depuis que je joue dans la LNH», a confié Lundqvist après cette rencontre. Ce soir-là, les Blueshirts auraient aussi bien pu célébrer notre élimination en cinq parties. Mais en lieu et place, ils se retrouvaient acculés au pied du mur.
Lors du sixième match, les deux équipes se sont échangé neuf buts. Notre trio a récolté six points et marqué trois fois. Jochen Hecht a choisi le moment parfait pour inscrire ses deux premiers filets des séries (dont le but gagnant), nous permettant d’envoyer les Rangers en vacances. J’ai eu le bonheur de contribuer à cette victoire en récoltant trois mentions d’aide. Mais au-delà des points, ce match est à jamais resté gravé dans ma mémoire comme l’un des meilleurs – dans toutes les facettes du jeu – de ma vie entière.
Tout ce que nous avions imaginé depuis le camp d’entraînement s’était jusque-là matérialisé. Il ne nous restait plus qu’à écarter les Sénateurs d’Ottawa de notre chemin pour accéder, enfin, à la finale de la coupe Stanley.
La difficile série que nous avaient livrée les Rangers avait toutefois laissé des traces. Arrivés au troisième tour, nous étions moins explosifs, moins dynamiques et notre attaque avait perdu de sa superbe.
De leur côté, les Sénateurs nous avaient vaincus cinq fois en huit matchs durant la saison régulière. Aucune autre formation n’avait remporté la majorité de ses affrontements contre nous. Les Sens étaient de plus farouchement déterminés à venger l’élimination que nous leur avions fait subir la saison précédente.
Dès le premier match, Ottawa nous a limités à 20 tirs et nous a infligé un décisif revers de 5-2 devant nos partisans. Quand nous sommes arrivés dans la capitale canadienne pour le troisième match, nous tirions de l’arrière 0-2 dans la série. Les Sénateurs en ont remis en nous infligeant finalement notre premier blanchissage de la saison, une amère défaite de 1 à 0 durant laquelle nous avons été limités à 15 maigres tirs en direction de Ray Emery.
Nous sommes parvenus à sauver les meubles et à éviter le balayage lors du quatrième match en l’emportant 3-2. Nous avons ensuite tout donné à notre retour à Buffalo, où le cinquième match s’est rendu en prolongation sur une impasse de 2-2.
Après dix minutes de surtemps, Daniel Alfredsson a attaqué notre défenseur Brian Campbell par l’extérieur en pénétrant dans notre zone, puis il a décoché un tir bas qui a surpris Ryan Miller du côté de la mitaine.
C’était fini.
Le HSBC Arena a semblé se vider de son air. Et les Sénateurs se sont rués vers leur capitaine pour célébrer leur toute première participation à la grande finale.
Bien des minutes plus tard, de retour au vestiaire, il était encore difficile de réaliser ce qui venait de se passer. «C’est très difficile à avaler. Je pensais vraiment que c’était notre année. Nous avons juste été incapables de maintenir le rythme», ai-je murmuré au groupe de journalistes rassemblés devant mon casier.
Tout près de moi, les yeux pleins d’eau, Jason Pominville discutait avec des journalistes québécois. Dorénavant, l’avenir de notre équipe apparaissait beaucoup plus incertain.
Nous avons été éliminés le 19 mai. À quelque 40 jours de l’ouverture du marché des joueurs autonomes, les dossiers urgents s’accumulaient sur le bureau de Darcy Regier. Mais il n’avait plus vraiment le pouvoir de les régler parce que son propre contrat venait à échéance. Celui de Lindy Ruff aussi d’ailleurs.
Ce n’est que le 14 juin, deux semaines avant l’ouverture du marché, que l’actionnaire responsable de la gestion de l’organisation, Larry Quinn, a annoncé le renouvellement des contrats de Regier (pour deux ans) et de Ruff (pour trois ans plus une année d’option). Quinn a alors remercié son directeur général et son entraîneur d’avoir accepté des ententes «substantiellement plus basses que celles qu’ils auraient obtenues n’importe où ailleurs dans la LNH».
«Ceux qui cherchent à encaisser jusqu’au dernier dollar ne sont probablement pas des gens que vous souhaitez avoir au sein de votre organisation», a ajouté Quinn.
Les journalistes ont estimé que ces déclarations nous visaient, Chris Drury et moi. Ils n’avaient aucune idée du silence radio total qui régnait entre nos agents et l’organisation.
Une fois sous contrat, Darcy Regier a recontacté l’agent de Drury pour tenter de conclure l’entente qui avait été laissée en suspens six mois auparavant. Nul besoin d’une longue enquête pour conclure que les circonstances avaient changé. Après avoir été ignoré durant tout ce temps, Chris n’était plus dans les mêmes dispositions, d’autant plus que le marché de l’autonomie allait lui être accessible dans quelques jours.
Les règles du marché avaient aussi considérablement évolué. Dans la LNH, les joueurs de centre de qualité constituent une denrée particulièrement difficile à dénicher. Mais durant la saison 2006-2007, quatre joueurs correspondant à ce profil étaient susceptibles de tenter leur chance sur le marché des joueurs autonomes: Chris Drury, moi, Scott Gomez et Pavel Datsyuk.
Mais au début d’avril, tout juste avant la fin du calendrier régulier, Datsyuk avait accepté une prolongation de contrat de sept ans totalisant 46,9 millions de la part des Red Wings. Cette décision de Datsyuk a eu pour effet de fixer une base de négociation et de rendre le marché encore plus favorable pour les trois centres restants.
Mais, très rapidement, les pourparlers entre Regier et l’agent de Chris Drury ont abouti dans une impasse. Sans compter le fait que Chris insistait pour obtenir l’assurance que les Sabres allaient aussi me garder.
«Si vous n’êtes pas capables de nous mettre sous contrat, Brière et moi, je ne suis pas intéressé à rester à Buffalo», a-t-il tranché.
J’étais tellement fier d’être membre des Sabres de Buffalo! Jusqu’à la toute dernière minute, j’ai cru que j’allais y passer le reste de ma carrière. Comme tous les gens de mon entourage, je voyais bien que le temps filait et que personne au sein de l’organisation ne me donnait signe de vie. Mais j’étais tellement convaincu qu’un dénouement positif allait survenir que j’inventais des excuses aux dirigeants des Sabres pour justifier leur silence.
Après avoir constaté qu’aucune entente n’était possible avec Chris Drury, les Sabres se sont finalement tournés dans ma direction pour me demander si j’étais intéressé à rester à Buffalo. Il ne restait qu’une semaine à écouler avant l’ouverture du marché. J’ai alors dû me rendre à l’évidence: je n’avais jamais fait partie de leurs plans et on voulait me soumettre une offre pour ne pas mal paraître.
La réponse de mon agent Pat Brisson a été la suivante:
— Faites-nous une offre. Mais nous allons aussi attendre les propositions des autres organisations, et on verra à ce moment-là.
Soixante-douze heures avant l’ouverture du marché, les Sabres ont alors déposé une proposition de cinq ans d’une valeur totale de 25 millions. Six mois auparavant, j’aurais signé ce contrat les yeux fermés pour m’assurer de rester à Buffalo. En fait, au début de l’année 2007, les Sabres auraient pu s’assurer des services de leurs deux cocapitaines pour une somme totalisant quelque 46,5 millions. Mais nous étions rendus à la fin de juin. Les circonstances avaient changé.
À mes yeux, ce n’était vraiment pas une question d’argent, mais plutôt une question de fierté et de respect. Durant les six mois précédents, le silence obstiné de l’organisation s’était avéré très éloquent.
«Daniel et moi nous entraînions ensemble cet été-là, raconte Martin Biron. Il venait chez moi trois fois par semaine et nous avions un préparateur physique qui nous supervisait dans ma cour. Au fil de ces séances, j’essayais de le questionner le plus subtilement possible. D’abord pour savoir comment les choses avançaient avec les Sabres, et ensuite, quand les ponts ont été coupés avec eux, pour tenter de déterminer avec quelle autre équipe il avait l’intention de s’engager.
«Je savais que les Flyers étaient intéressés à ses services. Ils avaient prolongé mon contrat peu après mon arrivée chez eux et, avant de signer, ma question avait été très claire: “Nous sommes au dernier rang de la ligue. Elle s’en va où, cette équipe-là?” Paul Holmgren m’avait expliqué son plan en déclarant: “On va faire d’autres acquisitions cet été, et on veut aller chercher un ou deux gros joueurs de centre sur le marché des joueurs autonomes.” Holmgren n’avait pas eu besoin de me donner des noms. J’avais tout de suite compris qu’il parlait de Daniel et de Chris Drury.»
Même s’il était désormais clair que nous n’allions plus porter l’uniforme des Sabres, Chris Drury et moi n’avions pas abandonné l’idée de continuer à jouer ensemble. Nous avons donc imaginé un scénario qui n’était encore jamais survenu dans la ligue et qui consistait à offrir conjointement nos services à certaines équipes. Nous voulions nous présenter comme une sorte de package deal, une occasion pour une organisation de mettre la main sur deux centres de qualité d’un seul coup.
«Daniel faisait minutieusement ses devoirs, précise Martin Biron. Il demandait à telle personne comment les choses se passaient au sein de l’organisation des Kings de Los Angeles. Il parlait avec un autre pour glaner des informations sur les Rangers de New York. Et il me demandait à quoi ressemblait mon expérience à Philadelphie.
«Je lui répondais que les dirigeants des Flyers ne s’assoyaient pas sur leurs mains et qu’ils déployaient énormément d’efforts pour redevenir très compétitifs dès la saison 2007-2008. Et je lui vantais l’organisation en général, qui était dirigée par des gagnants et qui était de première classe. Je lui parlais de la qualité du groupe de joueurs et des bons jeunes qui étaient sur le point d’émerger au sein de l’organisation. Je lui faisais mon pitch de vente comme je le faisais avec d’autres joueurs. Par contre, je me doutais que Philadelphie ne figurait pas au sommet de sa liste.»
Il est vrai que j’explorais d’autres options. Après tout, les Flyers venaient de terminer au dernier rang de la LNH avec une maigre récolte de 56 points. Et pour ajouter à leur malchance, les Flyers avaient été défavorisés lors du tirage au sort précédant le repêchage amateur, ce qui leur avait fait perdre l’occasion de sélectionner Patrick Kane au tout premier rang.
Néanmoins, il était clair que cette organisation allait émerger rapidement. Les Flyers comptaient dans leurs rangs des jeunes joueurs prometteurs comme Jeff Carter, Mike Richards et Scottie Upshall. Par voie de transaction, ils avaient mis la main sur Brayden Coburn, qui était perçu comme un jeune défenseur d’avenir. Et le 18 juin, quelques jours avant l’ouverture du marché des joueurs autonomes, ils avaient effectué un important échange avec les Predators de Nashville pour acquérir les services du défenseur étoile Kimmo Timonen et de l’attaquant de puissance Scott Hartnell. Tout cela sans compter le fait qu’on retrouvait déjà à Philadelphie des attaquants de grande qualité comme Simon Gagné et Mike Knuble.
Je gardais donc l’esprit ouvert en ce qui concernait les Flyers.
«Même après avoir réalisé toutes ces transactions, il nous restait encore une bonne marge de manœuvre sous le plafond salarial et nous avions la ferme intention de nous améliorer via le marché des joueurs autonomes», confie Paul Holmgren, qui était alors le directeur général des Flyers.
«Quand le marché s’est ouvert à midi le 1er juillet 2007, nous avions trois noms sur notre liste: Daniel Brière, Scott Gomez et Chris Drury. En raison de la haute considération que nous avions pour ces trois centres, chacun d’eux avait été épié très minutieusement par nos recruteurs au cours de la saison. Nous avions fait toutes les vérifications possibles et nous étions prêts à embaucher un des trois. Je dois préciser que Danny était le premier sur notre liste», d’ajouter Holmgren.
Les bureaux de mon agent Pat Brisson étant situés à Los Angeles, c’est à cet endroit que je me trouvais quand le grand jour est finalement arrivé. Lorsque les appels et les offres surgissent simultanément, il faut être en mesure de recevoir l’information en temps réel et d’évaluer rapidement toutes les options en compagnie de son agent pour prendre des décisions éclairées.
«Nous savions que Danny allait être à Los Angeles cette journée-là, rappelle Paul Holmgren. Et comme nous savions que les Kings étaient dans la course, nous nous disions que cette proximité leur procurait sans doute un avantage. Ça rendait alors la situation encore plus intéressante.»
Dès l’ouverture du marché, pas moins de 16 dirigeants d’équipes ont communiqué avec Pat pour lui faire savoir qu’ils étaient intéressés à mes services. Un représentant du Canadien de Montréal, le secrétaire de route Alain Gagnon, a d’ailleurs rapidement et clairement annoncé les intentions de ses patrons en frappant à la porte du bureau à midi et une seconde.
Le Tricolore n’avait pas eu la chance de miser sur une vedette offensive francophone depuis Vincent Damphousse et Pierre Turgeon, au milieu des années 1990. Et la direction de Tricolore prenait visiblement cette opportunité très au sérieux.
Gagnon s’est présenté les bras remplis de cadeaux; le Canadien avait préparé une impressionnante présentation pour me convaincre de rentrer au bercail.
Après avoir remis des chandails bleu-blanc-rouge à chaque membre de la famille, le représentant du Canadien nous a invités à regarder une vidéo que l’organisation avait spécialement fait préparer à mon intention.
Le document commençait par une intervention de Kiefer Sutherland, qui s’adressait à moi en français et qui disait souhaiter me voir porter l’uniforme du Canadien. Déjà, cette introduction faisait grande impression. Sutherland était à l’époque la vedette de la série américaine 24, qui était la plus regardée à travers le monde et dont j’étais un grand fan.
L’intervention de Sutherland était suivie par une présentation de la ville de Montréal et de ses attraits ainsi que par un survol de l’histoire de l’équipe, que je connaissais déjà par cœur depuis mon enfance. La présentation du CH se terminait par une image, cadrée assez serrée, de mon chandail numéro 48 accroché dans le vestiaire de l’équipe. Puis, lentement, un zoom arrière faisait apparaître trois petits chandails identifiés au nom de Brière, représentant mes trois fils, accrochés à côté du mien.
Cette présentation m’a atteint droit au cœur. J’avais passé mon enfance à suivre et à encourager le Canadien. Il était extrêmement difficile de rester insensible à leur démarche.
Pendant que nous regardions la vidéo du Canadien, c’était la frénésie dans le reste du bureau. Le téléphone ne cessait de sonner et les équipes ayant soumis des offres ou démontré leur intérêt pour négocier avaient besoin d’obtenir rapidement des réponses.
Pat et moi avons donc passé en revue les 16 organisations qui nous avaient contactés et nous en avons éliminé 11 afin de pouvoir nous concentrer sur les 5 qui m’intéressaient le plus: les Blues de Saint Louis, les Kings de Los Angeles, les Rangers de New York, les Flyers de Philadelphie et, bien sûr, le Canadien.
Peu après avoir dressé cette courte liste, le nom des Blues de Saint Louis a été écarté des discussions: parmi les cinq équipes, cette organisation était celle qui répondait au plus petit nombre de priorités que j’avais établies pour faciliter ma décision.
Par contre, les Kings de Los Angeles avaient fortement attiré notre attention en déposant dès le départ une offre visant à nous embaucher simultanément, Chris Drury et moi. Étant donné le pacte que nous avions fait à Buffalo, c’est sur cette offre que nous nous sommes penchés en premier.
Pendant ce temps, à Philadelphie, les Flyers colligeaient de l’information et leur cible se précisait davantage.
«Nous avons rapidement établi le contact avec les agents de Danny, Gomez et Drury, se souvient Paul Holmgren. Mais dès le départ, Drury nous a fait savoir que les Flyers ne figuraient pas sur sa liste. Il ne nous restait alors que Danny et Scott Gomez à pourchasser.»
Chris et moi étions très intéressés par l’offre des Kings. Ils tentaient le grand coup et leur démarche était on ne peut plus sérieuse. Malgré le fait que nous n’étions pas représentés par le même agent, Chris et moi restions constamment en contact dans l’espoir de faire avancer le dossier. Mais plus cette négociation tripartite progressait, plus il était clair que des détails accrochaient d’un côté comme de l’autre, qu’il s’agisse du nombre d’années pour lesquelles les Kings étaient prêts à s’engager ou tout simplement des salaires proposés.
Après avoir exploré toutes les possibilités avec les Kings, nous avons constaté qu’il allait être impossible de satisfaire tout le monde. L’idée de nous réunir à Los Angeles est donc tombée à l’eau.
— Danny, si ça ne fonctionne pas pour nous deux à Los Angeles, m’a alors annoncé Chris, j’aimerais bien aller jouer à New York. J’ai grandi tout près de là et j’ai passé toute mon enfance à regarder jouer les Rangers.
Je comprenais parfaitement ce qu’il ressentait. Je lui ai donc souhaité bonne chance. Les Rangers figuraient aussi sur la courte liste d’équipes pour lesquelles j’étais intéressé à jouer. Mais pour accroître les chances de Chris de réaliser son rêve, j’ai décidé de faire un pas de côté.
— Pat, j’aimerais que tu appelles les Rangers pour leur dire que nous ne sommes plus dans le portrait et que je laisse ma place à Chris Drury.
Cette réaction a eu pour effet de restreindre ma liste finale à deux équipes: le Canadien et les Flyers. Le temps était venu de prendre la décision la plus importante de ma vie.
Alors que nous passions en revue tous les facteurs susceptibles d’influencer mon choix, les Rangers ont annoncé qu’ils venaient de s’entendre avec Chris (35,25 millions pour cinq ans) et Scott Gomez (51,5 millions sur sept ans). J’étais extrêmement heureux pour Chris. En même temps, cette nouvelle constituait pour moi une énorme surprise. Durant nos discussions préliminaires, les dirigeants des Rangers n’avaient jamais mentionné qu’ils étaient à la recherche de deux centres. Si nous avions eu cette information, ma carrière aurait pu prendre une tout autre trajectoire. Mais bon, qui sait, Scott Gomez était peut-être mieux placé que moi sur leur liste.
Durant toutes ces tractations, Montréal est une fois de plus intervenu pour faire pencher la balance en sa faveur. Mon téléphone a sonné. Et quand j’ai entendu la voix de l’interlocuteur, je suis presque tombé à la renverse.
— Bonjour Daniel, c’est Jean Béliveau…
Sur le ton posé et assuré qu’on lui connaissait, le légendaire ex-capitaine du Canadien m’a fait savoir à quel point il était enthousiaste à l’idée de s’asseoir derrière le banc des joueurs (où il détenait des billets de saison) et de me regarder défendre les couleurs de son équipe. Et il a souligné que c’était une opportunité à saisir.
— On aimerait vraiment ça t’avoir à Montréal, a-t-il renchéri, avant que nous raccrochions.
Après cet appel, j’étais encore plus ébranlé. Le Canadien déployait vraiment l’artillerie lourde. Le propriétaire du club, George Gillett, et le directeur général, Bob Gainey, mettaient tout en œuvre pour me rapatrier au Québec. Aucun détail n’était laissé au hasard.
Même d’un point de vue financier, la manière dont les dirigeants du Canadien avaient présenté leur offre contractuelle les assurait de surpasser celles de tous leurs concurrents.
— Faites-nous savoir ce que ça prend pour venir à Montréal. Nous allons battre n’importe quelle autre offre, avait assuré la direction du Canadien.
Ce qui s’est produit ce jour-là m’a fait réaliser à quel point il est important de se préparer avant de se présenter sur le marché des joueurs autonomes. D’heure en heure, de très cruels dilemmes surgissaient et la journée était fertile en émotions fortes.
En revenant à la base et en passant mes priorités en revue, le portrait final m’est toutefois apparu plus clair.
Je comptais neuf saisons d’expérience dans la LNH et je venais de quitter une organisation ayant participé à deux finales de conférence consécutives. Très clairement – il n’y avait aucun doute là-dessus –, ma priorité ultime consistait à trouver un environnement qui allait me donner une chance de franchir un pas de plus et de participer à la finale de la coupe Stanley.
Par ailleurs, étant donné les sommes en jeu, il était extrêmement important pour moi d’être entouré d’un groupe de joueurs qui allait me permettre de produire à la hauteur des attentes.
À Montréal, cette journée d’ouverture du marché de l’autonomie était très attentivement suivie par les partisans du Canadien. Le Tricolore avait été exclu des éliminatoires cinq fois au cours des huit printemps précédents et l’équipe n’avait remporté que deux séries durant cette longue période. Aux yeux d’un très grand nombre de partisans, et j’en étais parfaitement conscient, ma présence sur le marché constituait une occasion rêvée de rapatrier au Québec une vedette locale et de perpétuer l’une des plus belles traditions de tout le sport professionnel.
Au fil des ans, et à force de voir des vedettes québécoises tourner le dos au Canadien, énormément de gens en étaient venus à croire que l’attention exceptionnelle dont jouissait cette organisation était devenue un facteur négatif. «Les joueurs francophones ne veulent pas être étouffés par toute cette pression! Ils ne veulent pas que leurs enfants grandissent dans le zoo de Montréal», arguait-on souvent.
Je m’étais préparé très sérieusement pour cette journée déterminante et, pour chacune des équipes en lice, j’avais établi des listes de facteurs favorables et défavorables.
En ce qui concernait le marché de Montréal, la pression ne constituait certainement pas un obstacle pour moi. Au contraire! Le hockey était toute ma vie et je n’avais absolument aucun problème à jouer dans un environnement aussi passionné. La pression était à mes yeux un puissant stimulant, une sorte de carburant. Mes statistiques en séries éliminatoires peuvent d’ailleurs en témoigner.
Par rapport à ma famille, toutefois, toute l’attention générée par l’équipe constituait certainement un point d’interrogation. Je ne voulais pas que nos trois fils grandissent avec une sorte de statut de «mini-vedettes» à l’école ou au sein de leurs équipes de sport. Cette face de la médaille me faisait un peu peur, je l’avoue.
Par contre, dans la colonne des facteurs positifs, signer un contrat à Montréal constituait une excellente occasion de replonger nos enfants dans un environnement francophone et de leur permettre de passer davantage de temps avec leurs grands-parents, la famille et tous nos proches. Pour ma femme et moi, la chance de revenir à la maison et de voir nos enfants grandir près de leur monde s’avérait un solide argument en faveur d’une éventuelle signature à Montréal.
Au bout du compte, quand on faisait l’inventaire de tous ces facteurs secondaires en faveur ou en défaveur de Philadelphie et de Montréal, ils finissaient par s’annuler. Sans compter le fait que les offres monétaires du Canadien et des Flyers s’équivalaient. Après avoir tout soupesé, j’en suis revenu à ce qui me définissait comme athlète professionnel: la soif de gagner. J’ai donc choisi l’organisation qui, selon mon évaluation, m’offrait le plus de chances de remporter la coupe Stanley et de performer à la mesure du contrat qu’on m’offrait.
J’ai pris une décision sportive. C’est aussi simple que cela.
Durant notre dernière conversation avec les Flyers, Paul Holmgren nous a annoncé qu’il travaillait sur «une autre excellente nouvelle». Nous avons ensuite appris qu’il venait de transiger avec les Oilers d’Edmonton pour mettre la main sur le défenseur Jason Smith (qui allait ensuite devenir le capitaine des Flyers) et le jeune attaquant Joffrey Lupul. Ces deux acquisitions, sans compter mon arrivée, s’ajoutaient aux six noms (Carter, Richards, Timonen, Hartnell, Upshall et Coburn) qui allaient se greffer à l’alignement la saison suivante. Les Flyers formaient désormais l’une des équipes les plus prometteuses de la LNH.
«Nous étions convaincus que Daniel Brière était le meilleur joueur à greffer à notre équipe compte tenu de son caractère et de ses habiletés de marqueur, explique Paul Holmgren. Et nous savions quel genre de somme allait être nécessaire pour l’obtenir.
«J’ai probablement parlé deux fois à Pat Brisson cette journée-là. Les choses se sont passées très rapidement quand nous avons établi le montant total du contrat: 52 millions de dollars pour huit ans. Nous avons fixé le montant, et nous avons confirmé que nous avions une entente. C’était un excellent deal pour les deux parties. Quand j’ai raccroché le téléphone, le président des Flyers, Peter Lukko, était présent dans le bureau avec moi. Nous étions incroyablement excités d’avoir mis la main sur un joueur comme Danny. Comme des kids, nous nous sommes fait un high five et nous nous sommes sautés dans les bras. Pendant plusieurs saisons, nous avions vu Daniel Brière marquer des buts contre les Flyers. Et là, nous savions qu’il allait en marquer pour nous, et c’était pas mal cool », raconte Holmgren.
De toute ma vie, même dans mes rêves les plus fous, jamais je n’avais imaginé pouvoir toucher autant d’argent en jouant au hockey.
La vie vous réserve parfois de drôles de surprises. Moins de sept ans auparavant, toutes les équipes de la LNH m’avaient ignoré lorsque les Coyotes de Phoenix avaient inscrit mon nom au ballotage. Et voilà que, du jour au lendemain, les Flyers de Philadelphie venaient de faire de moi le plus haut salarié de la ligue.
Lorsque je repense aux circonstances qui m’ont mené chez les Flyers de Philadelphie, il m’est difficile de ne pas avoir une pensée pour les partisans des Sabres de Buffalo.
Le 6 juillet 2007, quelques jours après mon embauche chez les Flyers, les Oilers ont soumis une offre hostile de 50 millions pour sept ans à l’attaquant Tomas Vanek. Âgé de 23 ans, Vanek était alors joueur autonome avec restriction et il venait d’inscrire 43 buts dans l’uniforme des Sabres de Buffalo.
La direction des Sabres, qui venait de nous laisser partir, Chris Drury et moi, s’est alors retrouvée dans une très fâcheuse position. Ou bien les Sabres égalaient l’offre des Oilers pour garder Vanek, ou bien ils le laissaient partir pour Edmonton. Cette dernière option permettait toutefois aux Sabres d’empocher les choix de première ronde des Oilers pour les années 2008, 2009, 2010, 2011 et 2012 à titre de compensation.
Les Sabres ont choisi de verser 50 millions à Vanek.
Refaisons un peu l’histoire.
S’ils avaient bien géré la situation, les dirigeants des Sabres auraient pu renouveler le contrat de Drury et le mien pour une somme totale inférieure à 47 millions. Et quand l’offre hostile des Oilers d’Edmonton est survenue, ils auraient ensuite pu laisser partir Vanek et empocher les cinq choix de première ronde en guise de compensation.
Les choix de première ronde des Oilers auraient ainsi permis aux Sabres d’avoir accès à de jeunes talents comme Jordan Eberle ou John Carlson (2008), Ryan Ellis ou Kris Kreider (2009) ainsi qu’au tout premier choix (au total) lors des séances de sélection de 2010, 2011 et 2012.
Au lieu de se retrouver avec un seul joueur (Vanek) et une facture de 50 millions, les Sabres auraient donc eu la possibilité de garder leurs deux cocapitaines à moindre prix et d’ajouter cinq espoirs de premier plan à leur organisation.
Depuis ce fameux mois de juillet 2007 (cette biographie a été rédigée avant le début de la saison 2017-2018), les Sabres ont raté les éliminatoires huit fois sur dix et ils n’ont remporté aucune série. Il est immensément triste de constater à quel point des mauvaises décisions peuvent démolir une excellente équipe et faire disparaître tout espoir de succès.
Le 3 juillet 2017, le vétéran journaliste Bucky Gleason écrivait ce qui suit dans les pages du Buffalo News:
Après toutes ces années, laissez-moi vous dire ceci au sujet du fiasco ayant mené aux départs de Drury et Brière: je m’étais trompé quant à l’impact que ces événements allaient avoir sur l’organisation. À l’époque, j’écrivais que les Sabres allaient mettre cinq ans à s’en remettre. Or dix ans se sont écoulés depuis. Et durant cette longue période, en aucun moment Buffalo ne s’est même approché d’une telle grandeur.