CHAPITRE 8

Sanglante soirée de télé avec Lappy…

Wachovia Center, Philadelphie, le 27 novembre 2009

 

Ce soir, les Sabres de Buffalo sont en ville. Je regarde le match sur la passerelle en raison d’une suspension de deux matchs que m’a décernée le Département de la sécurité des joueurs de la LNH. La raison: quelques jours auparavant, j’ai servi une mise en échec tardive à Scott Hannan, de l’Avalanche du Colorado, alors qu’il venait d’inscrire un but.

Il reste un peu plus de deux minutes à écouler à la première période. Les Sabres, qui mènent 1 à 0, profitent d’un avantage numérique et tentent de doubler leur avance.

Posté à la pointe, mon ancien compagnon de trio Jason Pominville, des Sabres, reçoit une passe et tire immédiatement sur réception. Sous la force du tir frappé, la rondelle s’élève anormalement et heurte mon coéquipier Ian Laperrière en plein visage. L’impact est retentissant. Lappy s’écroule et le sang gicle sur la patinoire. Notre thérapeute athlétique, Jim McCrossin, se précipite à son secours, lui recouvre rapidement le visage d’une serviette et le dirige illico vers la clinique.

Ce n’est pas beau à voir. Il s’agit clairement d’une blessure sérieuse. Je descends alors au vestiaire pour voir de quoi il en retourne et, surtout, pour tenter de réconforter Ian et l’aider à passer à travers ce mauvais moment.

C’est la première saison de Ian Laperrière dans l’organisation des Flyers de Philadelphie. Âgé de 35 ans, il est reconnu comme l’un des joueurs les plus combatifs de la LNH.

Après un séjour de quatre ans au Colorado, Ian s’est retrouvé sur le marché des joueurs autonomes et, durant l’été, je suis personnellement intervenu auprès de lui dans l’espoir de le convaincre de se joindre à notre équipe. Quand il a accepté le contrat de trois ans que lui proposait notre directeur général Paul Holmgren, je l’ai aidé à s’installer dans la région de Philadelphie avec sa famille.

Ian et moi sommes tous les deux issus de la même équipe de la LHJMQ, les Voltigeurs de Drummondville. Je n’ai toutefois jamais eu la chance de jouer à ses côtés: quand je suis arrivé à Drummondville à l’automne 1994, il venait de faire le saut chez les professionnels, mais sa réputation le précédait. Les membres de l’organisation et tous les amateurs du Centre-du-Québec le considéraient comme l’un des meilleurs joueurs à avoir défendu les couleurs des Voltigeurs.

Quand j’ouvre la porte de la clinique, la scène me donne instantanément des haut-le-cœur. Mon regard croise celui de Lappy. Ses yeux et la partie supérieure de son visage sont intacts, mais le reste ressemble à une pièce de steak haché ou à une sorte de ragoût sanguinolent. À l’avant de sa bouche, la plupart de ses dents sont cassées et sa lèvre supérieure a littéralement explosé. Il y a du sang partout. Il est impossible de discerner si toutes les pièces de son visage se trouvent encore au bon endroit.

C’est horrible.

Je m’installe à ses côtés et Ian me serre spontanément la main pour tenter de chasser la terrible douleur qui le tenaille. Puis, peu à peu, même si Lappy reste agité, la souffrance semble légèrement s’estomper.

Nous sommes assis devant un téléviseur et nous nous tenons toujours par la main. Nous nous mettons alors à discuter et à tenter de comprendre ce qui vient de se produire.

Il est littéralement défiguré et je suis incapable de le regarder. Je lui fais donc la conversation comme si de rien n’était, en détournant le regard et en faisant semblant de surtout m’intéresser à ce qui se déroule à la télé. C’est surréaliste. Parce qu’il a perdu tellement de dents et que sa lèvre supérieure est en lambeaux, j’ai énormément de difficulté à comprendre ce qu’il dit. Au lieu de prononcer les mots, il les siffle tout en crachant du sang. Ça sort de tous les côtés. C’est une vraie boucherie.

À l’arrière, les médecins de l’équipe préparent leurs instruments. Ils vont bientôt essayer de lui replacer le visage et de réparer les dégâts. Ils demandent sans cesse à Ian de se calmer et de cesser de parler parce qu’il perd constamment du sang. Mais il en est incapable.

Pour me rendre utile, j’essaie de contrôler la conversation et de lui laisser le moins d’occasions possible de répondre. Après quelques minutes de ce manège, Ian me serre la main pour attirer mon attention.

— Heille, au moins, regarde-moi quand tu me parles!

Il faut que je prenne mon courage à deux mains. Ce qu’il est en train de vivre est mille fois pire que d’avoir à le regarder. Je me tourne donc vers Ian et je le fixe dans le front en essayant de me convaincre que tout est normal et qu’il n’est pas horriblement blessé.

Avant de tenter de lui refaire le visage, les médecins de l’équipe finissent par dresser l’inventaire des dégâts. En plus de ses sept dents cassées, Ian a le nez, l’os de la gencive et une joue fracturés.

Pendant que Lappy regarde le match à la télé, Guy Lanzi, l’un des médecins des Flyers, s’installe pour essayer de le rapiécer. La séance de couture semble interminable et le sang ne cesse de pisser de partout. En tout, il faudra quelque 80 points externes et internes pour recoller tous les morceaux du puzzle.

Même si on dirait qu’un camion est passé sur le visage de Lappy, le résultat final est un véritable chef-d’œuvre. Le travail du docteur Lanzi est franchement impressionnant. Je croyais mon coéquipier dévisagé à jamais. Ce qu’il vient de vivre est complètement ahurissant.

Cependant, aussi incroyable que cela puisse paraître, je ne suis pas au bout de mes surprises ce soir.

Le temps file et nous sommes en troisième période quand le docteur Lanzi finit de recoudre le visage de mon équipier. L’aiguille du médecin n’est pas encore déposée que Lappy enfile un casque muni d’une grille complète puis retourne en découdre sur la patinoire avec les Sabres!

J’ai côtoyé des joueurs extrêmement durs et courageux au cours de ma carrière. Mais depuis ce jour, le nom de Ian Laperrière vient au sommet de cette liste.

CHAPITRE 7

Harvard ou Drummondville?

J’ai passé l’été 1993 à me jurer que j’allais un jour faire mentir les recruteurs. Et j’ai eu de la chance: les astres se sont alignés pour me faciliter la tâche.

En vue de la saison 1993-1994, le nombre d’équipes composant la Ligue midget AAA a été porté de huit à dix. À mon grand bonheur, les deux villes désignées pour accueillir les nouvelles formations étaient Trois-Rivières et… Gatineau.

Pour sa première année d’existence, l’Intrépide de Gatineau a été confié à Mario Carrière, le même entraîneur qui avait eu l’audace de me sélectionner au niveau bantam AA. Derrière le banc, Mario était secondé par Guy Lalonde, qui a ensuite été entraîneur pendant de longues années dans la LHJMQ. Cette équipe était superbement dirigée.

Dès que je me suis présenté au camp, il m’est apparu clairement que notre équipe d’expansion n’allait pas se contenter de faire de la figuration. Nous étions notamment sept Gatinois à avoir vécu la difficile saison de six victoires des Forestiers d’Abitibi-Témiscamingue l’année précédente: Daniel Payette, Martin Lacaille, Mario Dumais, Yan Coulombe, Martin Dicaire, le gardien Éric Patry et moi. La Ligue midget AAA étant à cette époque surtout composée de joueurs de 16 ans, notre équipe démarrait donc avec un intéressant noyau de vétérans. En plus, nous étions tous sincèrement fiers de pouvoir enfin représenter notre région dans ce prestigieux circuit provincial.

La cohorte de joueurs de l’Outaouais nés en 1977 et en 1978 était particulièrement talentueuse. Parmi les 50 meilleurs espoirs québécois, une bonne dizaine portaient les couleurs de notre nouvelle formation. Nous avions donc de la profondeur à toutes les positions.

Cette situation faisait mon affaire. Je m’intéressais désormais au hockey universitaire américain et je me disais qu’une bonne saison de mon équipe allait sans doute accroître mes chances de me faire remarquer.

Avant le début de la saison, Mario Carrière m’a par ailleurs fait l’honneur de me nommer capitaine de l’équipe. Ses enseignements et la confiance qu’il m’a toujours témoignée ont été des facteurs déterminants de mon ascension au sein du système de hockey mineur québécois. Vingt-cinq ans plus tard, l’Intrépide existe toujours et je demeure fier d’avoir été le tout premier joueur à arborer le «C» sur son chandail.

L’engouement des gens de l’Outaouais était palpable quand nous avons entrepris la saison. Le quotidien Le Droit suivait attentivement nos activités et les amateurs étaient heureusement surpris de découvrir le calibre de jeu de la ligue. Ils étaient aussi heureux que les meilleurs espoirs de la région n’aient plus à quitter leur famille et leur milieu de vie pour continuer à cheminer au sein du hockey mineur.

Au mois d’août 1993, je me rappelle avoir marqué sept buts durant un week-end du calendrier préparatoire, alors que nous rendions visite aux Canadiens de Montréal-Bourassa et aux Régents de Laval-Laurentides-Lanaudière. Je me suis alors dit que cette saison allait probablement me fournir l’occasion de remettre les pendules à l’heure.

Après les 16 premiers matchs du calendrier régulier, j’avais déjà 25 buts et 13 mentions d’aide au compteur, et l’Intrépide de Gatineau figurait parmi les deux ou trois meilleures équipes de la ligue. Vers la mi-novembre, quand les entraîneurs des programmes universitaires américains ont commencé leurs tournées de recrutement, les offres se sont mises à pleuvoir.

«Daniel Brière a rapidement donné de la crédibilité à notre programme. Les gens sont venus en grand nombre pour le voir jouer et ils ont en même temps découvert que nous avons une bonne équipe», avait déclaré Mario Carrière à un journaliste du Droit, alors que bon nombre d’observateurs s’étonnaient de nos succès.

Quelques mois après le début de la saison, mes parents et moi avons ainsi été contactés par des représentants de l’Université du Vermont, l’Université Clarkson, l’Université du Michigan, l’Université Michigan State, l’Université Northeastern, l’Université Brown, Boston College, l’Université de Boston, l’Université Ohio State, l’Université Saint Lawrence, l’Institut Polytechnique Rensselaer (RPI), l’Université Cornell et nulle autre que… Harvard.

Après avoir été ignoré par toutes les équipes de la LHJMQ, cette attention était extrêmement flatteuse. Mes parents n’étant pas familiers avec le système de sports-études universitaire américain, chacune de ces offres ou de ces marques d’intérêt provoquait son lot de questions et nécessitait des recherches. Nous avons alors commencé à aller visiter certaines de ces universités, et j’ai eu le coup de foudre pour Harvard.

«Je me souviens très bien de cette période, raconte Guylaine Brière. À la maison, lorsqu’ils discutaient entre eux, nos parents soupesaient constamment l’option des universités américaines par rapport à celle de la LHJMQ. Ils tentaient aussi de départager les différents avantages (encadrement, bourse d’études, etc.) et inconvénients (distance de Gatineau, etc.) que présentait chaque université. Tous ces enjeux étaient très importants pour la famille.

«Le discours de nos parents était toutefois très constant. Après ce qui s’était passé lors du repêchage de l’été 1993, il était clair pour eux que mon frère n’allait pas faire carrière dans la LNH. Et ils lui répétaient constamment: “Daniel, tes études, c’est ça qui est le plus important. C’est correct de jouer au hockey, tu es bon, mais ce sont tes études qui sont la priorité.”»

C’est dans cet esprit que nos discussions avec la prestigieuse Université Harvard se sont approfondies. Par contre, je ne parlais pas anglais et cette barrière me faisait peur. En plus, je n’étais qu’en secondaire 4 durant la saison 1993-1994. Pour faciliter mon adaptation et me laisser suffisamment de temps pour compléter mes études secondaires, les représentants de Harvard proposaient de me faire fréquenter une école préparatoire (prep school) pendant 12 mois avant d’entrer à l’université.

L’idée de poursuivre des études supérieures tout en jouant au hockey me plaisait de plus en plus.

Parallèlement à ces démarches, les recruteurs de la LHJMQ changeaient leur fusil d’épaule à mon égard. Dans l’uniforme de l’Intrépide, j’ai notamment marqué 7 buts gagnants, réussi 5 tours du chapeau ainsi qu’un match de 7 buts et 1 passe, en plus de connaître une séquence de 13 matchs consécutifs avec au moins un but. Plus le temps passait, plus les observateurs se demandaient comment les 13 équipes de la LHJMQ avaient pu m’ignorer au repêchage la saison précédente.

Par ailleurs, à compter de la saison 1994-1995, une nouvelle expansion allait permettre à une quatorzième organisation, celle des Mooseheads de Halifax, de se greffer à la LHJMQ. C’était la première fois qu’une équipe des Provinces maritimes était admise au sein du circuit junior majeur québécois. En raison des distances à parcourir et des frais à encourir pour aller jouer dans cette région, l’arrivée des Mooseheads ne faisait pas l’unanimité au sein du bureau des gouverneurs de la ligue. Et elle a suscité de vives réactions au sein de ma famille.

Quand les recruteurs d’Halifax ont commencé à déclarer publiquement leur intention de me sélectionner au tout premier rang du repêchage de 1994, mes parents ont fait une croix sur la LHJMQ. Ils avaient jusque-là entretenu de vagues espoirs que je puisse être repêché par les Olympiques de Gatineau ou le Titan de Laval, ce qui m’aurait permis de rester à distance raisonnable de la maison. Mais comme Halifax détenait le premier choix au repêchage, ces scénarios ne tenaient plus.

«Quand notre mère a appris qu’Halifax s’intéressait à Daniel, se souvient Guylaine, son côté mère poule a pris le dessus. Elle a tout de suite statué qu’il n’était pas question qu’il reparte vivre au loin. S’il devait absolument partir, elle voulait que ce soit pour étudier.»

La vie est toutefois pleine de surprises. En décembre 1993, un événement inattendu a forcé notre famille à remettre en question les démarches entreprises auprès de Harvard et de quelques autres universités.

Mon père a reçu un coup de fil des dirigeants du Titan de Laval, qui souhaitaient nous rencontrer pour discuter d’avenir. Un rendez-vous a alors été fixé dans un chic restaurant du centre-ville d’Ottawa. Quand nous nous sommes présentés à ce rendez-vous, le directeur général et copropriétaire du Titan, Jean-Claude Morissette, était présent avec son recruteur en chef, Richard Lafrenière.

«Nous convoitions énormément Daniel Brière, raconte Lafrenière. Nous étions passés à un cheveu de le réclamer au repêchage de 1993 mais, comme les autres, nous avions finalement passé notre tour. Le style de jeu de Daniel s’apparentait à celui de notre attaquant Yanick Dubé, qui en était à sa dernière saison dans les rangs junior et qui dominait le classement des marqueurs de la LHJMQ.

«Outre Yanick Dubé, l’histoire du hockey junior à Laval avait été marquée par plusieurs talentueux centres de petit gabarit comme Michel Mongeau (chez les Voisins de Laval) et Denis Chalifoux (avec le Titan), qui s’étaient nettement démarqués grâce à leur vitesse et leurs grandes habiletés. Brière correspondait parfaitement à cette description.»

Le Titan de Laval était à cette époque une puissance de la LHJMQ. Sous la gouverne des légendaires frères Morrissette, cette organisation avait remporté trois des cinq derniers championnats de la ligue. Leur équipe évoluait dans le vieux Colisée de Laval, qui avait été baptisé The House of Pain. Les joueurs talentueux de cette équipe pouvaient s’exprimer à loisir parce qu’ils étaient constamment protégés par quelques-uns des joueurs les plus durs du hockey junior majeur canadien, notamment Gino Odjick et Sandy McCarthy.

Lorsque nous avons rencontré les dirigeants du Titan en décembre 1993, leur club était encore dans le haut du classement. Jean-Claude Morrissette et Richard Lafrenière étaient parfaitement conscients que leur rang de repêchage n’allait pas leur permettre de me sélectionner au repêchage. Ils nous ont donc fait part de leur plan…

«Nous leur avons expliqué que nous allions peut-être parvenir à choisir Daniel, raconte Lafrenière. Mais pour qu’il reste disponible jusqu’à notre rang de sélection, il fallait que la famille dissuade les autres équipes de s’intéresser à lui en claironnant haut et fort qu’il allait poursuivre ses études aux États-Unis. Aucune équipe ne souhaitait gaspiller un choix de première ronde en misant sur un joueur susceptible de s’expatrier.

«C’était une pratique courante à l’époque, et d’ailleurs, elle l’est encore de nos jours. Nous avions déjà utilisé cette tactique pour obtenir plusieurs autres joueurs de talent. Pour que la démarche soit crédible, il fallait aussi que le joueur convoité affiche son désintérêt envers la LHJMQ jusqu’à la toute dernière minute, en évitant même de se présenter à la séance de repêchage.»

Après m’avoir sélectionné au repêchage (advenant que leur audacieux plan se réalise), les représentants du Titan s’engageaient à me verser une bourse d’études au terme de mon stage junior. Cette bourse allait m’être versée dans l’éventualité où je ne parviendrais pas à jouer dans les rangs professionnels.

Il était difficile de ne pas être tenté par une telle offre! Mes parents n’étaient pas du genre à mentir pour arriver à leurs fins. Mais justement, l’offre du Titan de Laval ne les obligeait pas à le faire puisque nous avions déjà entrepris des démarches sérieuses du côté américain. Rien ne garantissait que le plan de Jean-Claude Morrissette et Richard Lafrenière allait se réaliser. Mais si jamais c’était le cas, j’allais simplement disposer d’une autre très intéressante option pour poursuivre mon cheminement dans le monde du hockey.

La saison de l’Intrépide a suivi son cours et elle s’est avérée magique à tous les points de vue.

En février 1994, à la surprise générale, nous avons bouclé le calendrier au premier rang de la division Ouest avec une fiche de 30 victoires, 11 défaites et 3 revers en prolongation. Au point de vue individuel, j’ai complété ma dernière saison dans les rangs midget AAA avec 56 buts et 103 points, participant ainsi à presque la moitié des 207 buts de notre équipe.

L’expérience de notre groupe de vétérans s’est avérée très précieuse au cours des séries éliminatoires. Après nous être débarrassés de tous les rivaux de notre division, nous nous sommes retrouvés en grande finale contre les Cantonniers de Magog. Il s’agissait d’une série extrêmement relevée. Les Cantonniers possédaient une attaque aussi dévastatrice que la nôtre, et la défensive des deux formations s’équivalait.

Nous avons finalement remporté le titre, qui s’est d’ailleurs avéré être le seul championnat de l’histoire de l’Intrépide. Cette conquête nous a directement propulsés sur la scène nationale puisqu’elle nous donnait le privilège de représenter le Québec au tournoi de la Coupe Air Canada (le Championnat canadien). Cette prestigieuse compétition était disputée à Brandon, au Manitoba.

Nous y avons fait bonne figure, compte tenu du fait que les équipes des autres régions canadiennes alignaient des joueurs de 17 ans alors que nous n’en comptions aucun. Nous nous sommes finalement inclinés en demi-finale (au compte de 3 à 1) contre les éventuels champions nationaux, les Pats Canadians de Regina. Tous les gars de l’équipe étaient profondément déçus de n’avoir pu rapporter le titre national à Gatineau. Nous y avions tellement cru! Mais tout de même, nous avons fait preuve de caractère et nous nous sommes ressaisis à temps pour le match de la «petite finale»: une victoire de 5 à 1 contre Sudbury nous a valu la médaille de bronze.

À l’occasion des cérémonies de clôture de la Coupe Air Canada, on a souligné que j’avais décroché le titre de meilleur marqueur du tournoi. Ce haut fait d’arme rivait une fois pour toutes le dernier clou à ceux qui m’avaient ignoré au repêchage quelque onze mois auparavant.

La saison de rêve de l’Intrépide de Gatineau m’a enseigné à quel point les choses peuvent rapidement changer dans le monde du hockey. En l’espace de douze mois, j’étais passé d’une équipe ayant remporté seulement six victoires à une formation aspirant au titre national. Et au lieu de me demander si j’allais être choisi au repêchage, j’étais désormais en contrôle (ou presque) de mon destin.

Le temps était enfin venu de me concentrer sur l’avenir.

Durant les derniers mois de la saison, mes parents et moi nous en étions prudemment tenus à notre plan initial. Je me préparais à faire le saut du côté américain et nous étions en train de finaliser nos démarches avec Harvard. C’est d’ailleurs le message que nous avions systématiquement transmis aux équipes de la LHJMQ. En plus, j’avais été honoré à titre de joueur-étudiant par excellence de la Ligue midget AAA lors du gala de fin d’année. Ce titre avait probablement refroidi certaines équipes de la LHJMQ, qui avaient cru à un bluff lorsque nous avions insisté sur l’importance des études.

Cela dit, même si la décision d’aller étudier aux États-Unis était prise, je dois avouer que cette perspective m’angoissait de plus en plus.

Ne maîtrisant pas l’anglais, je ne voyais pas comment j’allais éventuellement parvenir à maintenir les standards d’excellence de l’une des universités les plus réputées au monde. Lorsque je regarde en arrière, je me dis que je serais sans doute parvenu à passer au travers. Mais dans ma tête d’adolescent francophone de 16 ans, c’était un peu comme si l’Everest se dressait devant moi.

Secrètement, la peur de l’inconnu me faisait souhaiter que le plan échafaudé par le Titan de Laval se réalise. Et puis un beau jour, j’ai appris que le directeur général et recruteur en chef des Voltigeurs de Drummondville, Charles Marier, remuait ciel et terre pour s’assurer de ne jamais me voir porter le chandail de Laval.

«Quand nous avons su qu’une délégation des Voltigeurs s’était rendue à Gatineau pour rencontrer la famille Brière, se souvient Richard Lafrenière, nous nous sommes dit que notre plan allait probablement tomber à l’eau.»

Originaire de Québec, Charles Marier venait à peine d’être nommé directeur général des Voltigeurs, mais il avait une vaste expérience en matière de recrutement. Il avait vu neiger et il se doutait fortement des démarches entreprises par le Titan. Comme Drummondville détenait le sixième rang au repêchage (alors que Laval possédait le treizième), Marier trouvait inconcevable de se tasser pour laisser le Titan me cueillir à la toute fin de la première ronde. Contrairement aux autres directeurs généraux de la ligue, il était prêt à risquer son premier choix pour me sélectionner.

«Dans les semaines précédant le repêchage, se souvient Charles Marier, nous nous sommes rendus à Gatineau trois ou quatre fois pour rencontrer Daniel et son père.

«Nous discutions surtout avec le père, tandis que Daniel écoutait attentivement. On voyait tout de suite que monsieur Brière était quelqu’un de bien. Nos échanges étaient cordiaux, mais ils se terminaient toujours de la même façon. Il nous disait: “Si vous repêchez mon fils, soyez conscients que ce n’est pas certain qu’il ira jouer chez vous.” Et lorsqu’on questionnait Daniel, il répondait exactement la même chose. Mais au lieu d’être découragé, je me disais que les Brière ne fermaient pas complètement la porte.»

Le repêchage de 1994 avait lieu le samedi 4 juin à Chicoutimi. Quarante-huit heures avant la séance, les Voltigeurs ne savaient toujours pas sur quel joueur miser.

Blair Mackasey, un anglophone de l’ouest de Montréal, venait tout juste d’être nommé entraîneur en chef des Voltigeurs. Il assistait aux dernières réunions préparatoires du groupe de dépisteurs et il se souvient des vifs échanges me concernant.

«Je n’avais pas vu jouer les espoirs midget durant la saison et je ne pouvais me prononcer, raconte-t-il. Mais autour de la table, ça parlait sans cesse de Daniel Brière. Certains recruteurs disaient: “Brière est talentueux mais il n’est pas bien gros… En plus, on va perdre notre premier choix s’il décide de partir aux États-Unis.” De son côté, Charles ne cessait de pousser pour qu’on le sélectionne. Il disait: “Brière est un joueur de concession. On va le prendre et on négociera après.”»

Charles Marier a fini par convaincre les propriétaires des Voltigeurs que le risque en valait la chandelle. Le jeudi 2 juin, ils ont décidé que j’allais être leur choix. Le président du conseil d’administration de l’équipe, Roland Janelle, a alors été mandaté pour négocier avec mes parents.

Le 4 juin, quand le moment de vérité est arrivé, Charles Marier s’est emparé du micro et a confirmé ma sélection.

«Je n’étais pas nerveux parce que j’étais appuyé par les propriétaires des Voltigeurs, raconte l’ancien DG drummondvillois. En même temps, c’était bizarre. Les Voltigeurs dévoilaient un tout nouveau chandail cette journée-là, et nous n’avions personne pour le porter.»

Par souci de cohérence, notre famille n’était pas à Chicoutimi le jour du repêchage. Nous avons plutôt passé la fin de semaine au Château Montebello. Et ce n’est qu’en fin de journée, après avoir disputé une ronde de golf, que j’ai appris que les Voltigeurs m’avaient réclamé. Mais ça ne changeait pas grand-chose pour mes parents, qui semblaient tenir pour acquis que j’allais poursuivre mes études aux États-Unis. Les discussions avec Harvard se sont d’ailleurs poursuivies dans la semaine suivant le repêchage de la LHJMQ.

Pressé de négocier, le président Janelle a tenté de contacter mes parents durant le week-end. Mais comme nous nous trouvions à Montebello, il lui a fallu attendre au début de la semaine avant qu’on réponde à l’un de ses coups de fil. Monsieur Janelle et Charles Marier sont ensuite revenus nous rencontrer à Gatineau, et c’est à ce moment que les discussions sérieuses ont commencé.

Les études constituaient toujours ma priorité, et les Voltigeurs présentaient des arguments intéressants à cet égard. La situation géographique de Drummondville faisait en sorte que les voyages de cette équipe étaient la plupart du temps très courts et favorisaient l’assiduité en classe. Charles Marier étant lui-même un enseignant, il a clairement expliqué les moyens qu’allait prendre l’organisation pour m’aider à exceller en classe. Je le trouvais convaincant.

«Lorsqu’on repense à cette saga, explique Guylaine Brière, on se dit que les gens ne peuvent imaginer à quel point les jeux de coulisses influencent le monde du hockey junior. Alors que des équipes comme Laval et Drummondville faisaient des pieds et des mains pour acquérir Daniel, les préoccupations de notre famille se résumaient à l’importance de ses études et à ce qu’il ne soit pas à plus de deux heures de route de la maison!

«Après leur première visite, les dirigeants des Voltigeurs nous ont invités à Drummondville. Et quand notre mère a constaté que le trajet se faisait bien, sa position s’est adoucie.»

Plus les discussions progressaient, plus je me revoyais, enfant, assis dans les gradins du vieil aréna Robert-Guertin en train de regarder des matchs des Olympiques de Hull. J’avais assisté à de nombreux matchs de la LHJMQ et j’avais toujours rêvé d’y jouer. Maintenant qu’on m’offrait enfin la chance d’y faire mes preuves, ça me semblait de plus en plus incohérent de partir à l’étranger.

«Il a fallu trois semaines de négociations avant de conclure l’affaire. Ça s’est réglé autour de la Saint-Jean-Baptiste. La décision de sélectionner Daniel a probablement été la meilleure de toute ma carrière!», déclare fièrement Charles Marier.

À la mi-août, toute la famille m’a accompagné à Drummondville à l’occasion de la première journée du camp d’entraînement. Dès notre arrivée sur place, quelques centaines de mètres après avoir quitté l’autoroute 20, nous nous sommes arrêtés dans un petit restaurant familial. Pendant que nous nous dirigions vers notre table, mon père s’est emparé d’une copie du journal local. La une de la première page se lisait comme suit: BRIÈRE AURA DE GRANDS SOULIERS À CHAUSSER.

Bienvenue dans la LHJMQ! En lisant l’article je me suis rendu compte que, sans le savoir, j’avais commis une sorte d’impair au cours de l’été.

Peu après la conclusion de notre entente avec les Voltigeurs, un employé de l’équipe avait téléphoné à la maison pour me demander quel numéro j’avais l’intention de porter.

— J’aimerais avoir le 14.

Il y avait alors eu un silence au bout du fil.

— Donne-moi quelques heures pour vérifier et je te rappelle, avait finalement répondu mon interlocuteur.

Je n’avais pas compris ce qui venait de se passer. Mais toujours est-il qu’on m’avait rappelé un peu plus tard pour confirmer que j’allais effectivement pouvoir arborer le numéro 14.

À la lecture du journal, j’ai compris que le numéro 14 avait appartenu à nul autre que Ian Laperrière, qui venait tout juste de compléter un époustouflant stage de quatre ans à Drummondville. Auteur de 132 buts et 378 points en 257 matchs, Laperrière avait en plus amassé 615 minutes de punition durant cette période… Bref, il était une légende aux yeux des partisans de l’équipe. L’auteur de l’article me trouvait donc un peu effronté d’avoir demandé à porter ce numéro quelques semaines après son départ!

Je me sentais mal. Je n’avais voulu manquer de respect à personne. Et je me demandais s’il n’était pas préférable de demander aux dirigeants de l’équipe de me donner n’importe quel autre numéro.

D’autant plus que je n’étais pas particulièrement attaché au numéro 14. Je l’avais demandé aux Voltigeurs pour faire un clin d’œil à l’un de mes amis, Robert Frenette, qui venait de terminer sa carrière junior. Sinon, le seul attachement que je pouvais avoir pour ce numéro, c’est que j’avais toujours été un fervent admirateur de Mario Tremblay.

Toujours est-il que je me suis présenté au Centre Marcel-Dionne une heure plus tard. Le camp s’est mis en branle, et cette soi-disant controverse concernant mon numéro s’est aussitôt évaporée.

Le temps a finalement bien fait les choses. Les numéros des joueurs qui ont le plus marqué l’histoire des Voltigeurs de Drummondville ont été retirés et sont à jamais accrochés dans les hauteurs du Centre Marcel-Dionne. Et au sein de ce groupe sélect, les amateurs s’étonnent souvent de constater qu’on retrouve deux numéros 14.

Quand Blair Mackasey m’a croisé pour la première fois dans le vestiaire, il est presque tombé à la renverse.

«Daniel ne faisait pas tout à fait 5 pieds 7 pouces et il pesait 141 livres. Il avait l’air d’un enfant d’âge bantam. Étant donné tous les efforts qui avaient été faits pour l’obtenir, nous l’avons placé dans des situations favorables durant tout le camp d’entraînement. Et quand les matchs préparatoires ont pris fin, je me suis dit: “Brière va être correct. Il sera un bon joueur à 19 ans et il sera peut-être même l’un des très bons joueurs de la ligue lorsqu’il aura 20 ans.” Honnêtement, il était très ordinaire. Je ne le voyais pas comme un joueur dominant à 17 ans. Il essayait de trouver son rythme et il avait de la difficulté à composer avec l’aspect physique du hockey junior.

«Quelques jours plus tard, la saison a commencé et la switch s’est mise à on tout d’un coup! Daniel a récolté au moins un point (24 buts et 21 aides) lors des 24 premiers matchs de la saison et il a bouclé le calendrier avec 51 buts et 123 points. Je n’avais jamais vu une chose pareille de toute ma vie!»

Franchement, je ne me souviens pas du genre de camp que j’avais connu, mais je n’avais pas ressenti de «choc culturel» en arrivant au sein de ma nouvelle équipe. Par contre, je me rappelle que les choses avaient tout de suite «cliqué» entre les vétérans et moi, et que je m’étais senti à l’aise dès mon arrivée. Plusieurs de ces vétérans m’ont pris sous leur aile, dont le capitaine Paolo Derubertis et ses assistants, Martin Latulippe et Denis Gauthier.

Dès le début, Blair Mackasey a aussi inséré un attaquant de 20 ans, Stéphane St-Amour, au sein de mon trio. Nous avons passé toute la saison ensemble. Stéphane traînait une réputation de joueur un peu rebelle. Pourtant, il s’est montré très généreux à mon endroit. Il est en quelque sorte devenu mon grand frère. Une belle chimie existait entre nous sur la patinoire et il a tout fait pour faciliter mon adaptation au niveau junior majeur. Il s’assurait aussi que personne ne prenne avantage de mon statut de recrue, tant sur la patinoire que dans notre propre vestiaire.

Le sentiment d’inclusion que je ressentais chez les Voltigeurs s’est confirmé dès l’un des premiers matchs de la saison 1994-1995. J’étais en train de célébrer après avoir inscrit un but lorsqu’un joueur adverse est sournoisement venu me frapper. En une fraction de seconde, le banc de mon équipe s’est pratiquement vidé et un grand nombre de mes coéquipiers se sont battus! Je regardais cette scène et je n’en revenais pas! Dès le départ, j’ai clairement su que les gars allaient toujours être là pour me soutenir.

«Lorsqu’ils analysaient le jeu de Daniel, la plupart des gens parlaient de ses habiletés et de sa vitesse, explique Blair Mackasey, qui est aujourd’hui directeur du personnel des joueurs du Wild du Minnesota. À mes yeux, c’était sa grande compétitivité qui faisait la différence. Il n’était pas un adolescent comme les autres. Il possédait une force intérieure difficile à expliquer. Il avait toujours vécu entouré de gens qui lui prédisaient l’échec, et c’était comme si sa carapace s’était forgée en termes de fierté et de compétitivité.

«Je me souviens que durant le calendrier préparatoire, je le faisais jouer avec Paolo Derubertis, qui n’était pas un poids lourd mais qui était un dur. Derubertis n’avait pas les habiletés pour jouer avec Daniel, mais je voulais qu’il le protège. Daniel est ensuite venu me voir, très poliment, pour me demander s’il était possible d’oublier la protection et de l’entourer de joueurs offensifs. Il avait raison! J’ai ensuite modifié son trio et il a connu énormément de succès.»

De ma saison recrue à Drummondville, je me souviens d’un match particulièrement déterminant.

On se rappellera que les activités de la LNH étaient paralysées par un lock-out à l’automne 1994. Pour garder la forme, les joueurs de la LNH âgés de 18 ou 19 ans étaient donc forcés de retourner jouer pour leur équipe junior majeur puisqu’ils étaient trop jeunes pour être admis dans la Ligue américaine. Au Québec, cette situation faisait le délice des amateurs puisque, après avoir passé une saison complète dans la LNH, Alexandre Daigle (Victoriaville) et Jocelyn Thibault (Sherbrooke) réintégraient les rangs de la LHJMQ.

Daigle avait été sélectionné par les Sénateurs d’Ottawa au tout premier rang du repêchage de 1993. Les Nordiques de Québec avaient quant à eux choisi le gardien Jocelyn Thibault au 10e rang lors de ce même repêchage.

Le 1er novembre, les Tigres de Victoriaville étaient de passage au Centre Marcel-Dionne. Et le réseau TSN a décidé de télédiffuser cette rencontre d’un océan à l’autre. Daigle s’apprêtait à disputer son quatrième match avec les Tigres, et les dirigeants de TSN trouvaient intéressant de présenter cet affrontement entre un tout premier choix de la LNH et une recrue connaissant un départ canon au hockey junior majeur (en l’occurrence, moi).

C’était une grosse affaire!

Quand je me suis présenté à l’aréna pour cette rencontre hautement médiatisée, j’étais plutôt anxieux. Et je le suis devenu encore plus lorsqu’on m’a annoncé que j’allais être interviewé à la télévision après la première période. Moi qui étais incapable de supporter la pression d’une présentation orale à l’école, on me demandait de parler en anglais à la télé!

Je ne pensais qu’à cette damnée entrevue. Incapable de me concentrer pour le match, j’ai demandé à ce qu’on me soumette au moins les questions par écrit pour limiter les cafouillages. Ça n’a toutefois rien donné. Chaque fois que je rentrais au banc durant la première période, je regardais le temps s’écouler au tableau indicateur et je redoutais le moment où j’allais me retrouver devant la caméra. J’avais bien plus peur de TSN que d’Alexandre Daigle!

Heureusement, le match s’est très bien déroulé. L’entrevue aussi.

Nous avons vaincu les Tigres au compte de 6 à 3. Daigle a participé aux trois buts de son équipe, récoltant deux buts et une aide. Sa performance lui a valu la troisième étoile de la rencontre.

Notre trio s’est particulièrement bien comporté ce soir-là. J’ai ouvert la marque après seulement 67 secondes de jeu, ce qui a eu pour effet de me mettre en confiance. Et avec la complicité de Stéphane St-Amour, j’ai bouclé la soirée avec le premier tour du chapeau de ma carrière junior. Stéphane a pour sa part récolté un but et deux passes, ce qui nous a valu les deux premières étoiles.

Pour moi, ce match s’est avéré un important jalon. Il m’a clairement fait réaliser que je pouvais rivaliser avec les meilleurs et que, désormais, je ne devais avoir peur de personne.

Mon passage dans l’uniforme des Voltigeurs s’est avéré extrêmement enrichissant sur le plan sportif, et encore davantage au niveau des relations humaines. Mes trois saisons passées dans cette ville m’ont permis de connaître des personnes extraordinaires qui font, depuis, partie de ma vie.

Lorsque je suis arrivé chez les Voltigeurs, j’ai été accueilli en pension par Jean et Manon Voyer, qui m’ont immédiatement traité comme l’un de leurs propres enfants.

Jean et Manon avaient un fils d’une dizaine d’années, Serge, ainsi que deux filles, Caroline et Sophie, qui avaient à peine trois ou quatre ans. Ils formaient une très belle famille.

Serge traversait une espèce de crise de pré-adolescence. Il donnait un peu de fil à retordre à ses parents quand je suis arrivé dans la famille. Mais lui et moi entretenions tout de même une relation empreinte de respect. Quant à Caroline et Sophie, elles m’ont rapidement adopté. En fait, nous nous sommes rapidement adoptés, et elles sont devenues mes deuxième et troisième petites sœurs.

Manon était à l’emploi d’une banque, tandis que Jean occupait un poste de cadre chez Hydro-Québec. Il semblait avoir des responsabilités assez importantes. À ma deuxième saison, il avait quitté la maison pendant trois ou quatre mois pour participer à l’installation d’un réseau électrique en Afrique.

La famille Voyer vivait tout près de la polyvalente Marie-Rivier, ce qui était très pratique durant mon année recrue puisque je n’étais encore qu’en secondaire 5.

Je n’ai pas tardé à me rendre compte que j’étais privilégié de vivre sous leur toit. Manon et Jean étaient des bons vivants, et tous les gars de mon équipe adoraient venir chez eux pour jouer une partie de cartes. La porte de leur maison était toujours ouverte et, à leurs yeux, il n’y avait jamais de mauvais moment pour célébrer. Pour eux, il n’y avait aucune différence entre un lundi, un mardi ou un samedi soir! Moi qui provenais d’une famille beaucoup plus tranquille, je les regardais mordre dans la vie avec fascination… et je suivais parfois la parade.

Toutes ces années plus tard, les Voyer occupent toujours une place privilégiée dans mon cœur. Et nous restons toujours en contact. Quand j’ai été admis au panthéon de la LHJMQ en avril 2016, les Voyer faisaient partie de mes invités au même titre que les membres de ma véritable famille. Étant donné le rôle important qu’ils ont joué lors de mon passage chez les Voltigeurs, il était important pour moi qu’ils soient présents.

Le soir de mon entrée au Temple de la renommée du hockey junior majeur québécois, je tenais aussi à ce qu’André Ruel et sa femme, France, soient à mes côtés.

Ma deuxième saison chez les Voltigeurs (1995-1996) a été celle où je suis devenu éligible au repêchage de la LNH. Elle coïncidait avec l’embauche d’André Ruel à titre d’entraîneur adjoint. Rapidement, j’ai été en mesure de constater qu’André n’était pas issu du même moule que la plupart des autres entraîneurs. Il est l’un des cerveaux les plus innovateurs qu’il m’ait été donné de rencontrer dans le monde du hockey. Il m’a conseillé, soutenu et encouragé jusqu’à mon dernier match dans la LNH.

Dans la confrérie des entraîneurs de hockey du milieu des années 1990, les techniciens/tacticiens n’avaient pas vraiment la cote. Les dirigeants d’équipes préféraient embaucher des préfets de discipline ou des motivateurs dont les plans de match se dessinaient à gros traits. André Ruel, lui, s’intéressait surtout aux mille petits détails qui, lorsqu’on les additionne, finissent par complètement transformer l’allure d’un match.

Professeur d’éducation physique de formation, André Ruel avait à peu près tout fait dans le petit univers du hockey québécois. Il avait été le premier entraîneur-chef de l’histoire des Voltigeurs et avait fortement contribué aux succès des Bisons de Granby (dans un rôle d’adjoint) à la fin des années 1980. Il avait aussi, notamment, passé pas mal de temps en Russie afin de corédiger un livre sur le système de hockey de ce pays. Avec des hommes de hockey visionnaires comme Clément Jodoin, il avait aussi participé à la naissance de la Ligue de hockey collégiale AAA dans les années 1980.

«J’ai connu Daniel à sa saison recrue chez les Voltigeurs parce que j’enseignais l’éducation physique à l’école Marie-Rivier, raconte André Ruel. Tous les jeunes joueurs de l’équipe allaient compléter leur secondaire à cette école. Daniel était un adolescent assez tranquille. Il faisait sa petite affaire et il prenait ses études au sérieux. Sa vivacité d’esprit ne faisait aucun doute: il a remporté le titre de joueur-étudiant par excellence dans deux ligues. Tout le monde à Marie-Rivier était très fier lorsqu’il a remporté le titre de joueur-étudiant par excellence de la LHJMQ.»

Blair Mackasey était un entraîneur humain et sympathique. Je m’estimais chanceux d’être dirigé par lui. Il savait communiquer avec ses joueurs et il gérait son banc de main de maître durant les matchs. Blair, et c’est tout à son honneur, avait aussi l’ouverture d’esprit nécessaire pour exploiter les forces de son nouvel adjoint.

André Ruel s’occupait notamment de l’avantage numérique des Voltigeurs et de différents aspects stratégiques. Et il me faisait constamment travailler sur mes habiletés individuelles afin de maximiser mon rendement et faire en sorte que je sois repêché le plus tôt possible par une équipe de la LNH.

Notre unité d’avantage numérique a inscrit pas moins de 132 buts à sa première saison, soit plus que toutes les autres équipes de la ligue. Notre attaque à cinq produisait à un excellent rythme de 24,2 %. André s’arrangeait pour que je passe les deux minutes complètes sur la patinoire, me faisant constamment alterner entre la pointe et une position d’attaquant pour me laisser reprendre mon souffle.

«Lorsqu’il n’y avait pas suffisamment d’espace pour lui, nous nous arrangions pour que Daniel en crée pour notre défenseur Denis Gauthier, qui possédait un tir-canon, souligne André Ruel. Gauthier avait inscrit 10 buts en trois ans avant la campagne 1995-1996. Il en a marqué 25 cette année-là!»

Je me souviens qu’en cette saison de repêchage, sans trop qu’on sache pourquoi, les recruteurs de plusieurs équipes de la LNH s’étaient mis à exprimer des doutes sur ma vitesse. Je n’en revenais pas.

«Je le sais que tu es rapide, m’avait dit André, je te vois aller dans les séances d’entraînement. Il y a sans doute des dépisteurs qui ne se rendent pas compte que ta force durant les matchs, c’est justement ta décélération. Tu accélères, tu décélères et tu crées de l’espace pour tes coéquipiers. Tu sèmes le doute chez les défenseurs et tu évites de nombreuses mises en échec. Ça ne te donnerait rien de patiner sans cesse à plein régime.»

Pour régler la question, il m’avait bien fait comprendre l’importance de mettre toute la gomme au concours de vitesse organisé à l’occasion d’un match regroupant les meilleurs espoirs du hockey junior majeur canadien, à Toronto.

«La veille du match des espoirs, se souvient André, Daniel a clairement terminé au premier rang lors des tests de vitesse. Bien des recruteurs se demandaient comment il avait pu réussir un tel chrono. Personne n’a remis en question son coup de patin par la suite.»

À ma deuxième saison dans la LHJMQ, les équipes adverses m’attendaient avec une brique et un fanal à chaque match. La plupart du temps, un trio défensif était spécifiquement chargé de surveiller le mien… ou de l’intimider.

J’avais marqué 15 buts au mois de septembre. Mais en octobre, l’étau s’était considérablement resserré. Je ne revendiquais qu’un but après huit matchs. Dès que je m’approchais de l’enclave, les défenseurs se jetaient sur moi avant même que j’aie eu le temps de maîtriser la rondelle et de repérer le filet. Avec un ou deux joueurs constamment sur le dos, j’avais moins de temps et d’espace pour agir. André, qui avait vu venir la tempête, avait déjà commencé à me préparer à faire face à cette nouvelle adversité.

Au milieu des années 1990, l’influence de Patrick Roy s’était répandue partout dans le monde du hockey et tous les gardiens étaient devenus des adeptes du style papillon. Pour les battre, il fallait être capable d’atteindre les coins supérieurs du filet à volonté.

«Tu n’as pas besoin de regarder le filet et de viser l’ouverture. Tu n’as qu’à savoir où se trouve le filet», me répétait sans cesse André.

Dans mon for intérieur, je me disais que c’était pas mal plus facile à dire qu’à faire! Mais André m’a enseigné à exploiter la géométrie de la zone offensive. Nous allions sur la patinoire tous les deux et il m’apprenait à m’orienter en identifiant des points de repère sur la surface glacée. Rapidement, les lectures de jeu sont devenues beaucoup plus faciles et mon jeu en a été transformé.

Dans certaines situations, je savais très précisément où se trouvait le filet sans même avoir à y jeter un coup d’œil. Par exemple, j’étais conscient que lorsque je me situais un pied à l’intérieur des «oreilles» (les petites lignes à l’extérieur des cercles de mise au jeu), il y avait une ligne de tir perpendiculaire me permettant, sans regarder, d’atteindre l’intérieur du poteau. Comme je détenais déjà cette précieuse information, je pouvais me concentrer sur le développement du jeu en périphérie. Je voyais d’avance les défenseurs adverses qui se précipitaient sur moi, et je repérais facilement mes coéquipiers qui se faufilaient dans l’angle mort du gardien. J’avais plus d’options et je contrôlais davantage le jeu.

André m’a aussi beaucoup aidé à améliorer la qualité de mes tirs. Il ne cherchait pas à me faire tirer plus fort; il voulait simplement que je m’exécute plus rapidement, une chose primordiale à ses yeux. Il installait donc des poches minuscules dans les coins d’un filet, et il me servait ensuite des passes que je devais tirer sur réception tout en atteignant les cibles.

«À un certain moment, raconte André Ruel, je me suis mis à accroître le niveau de difficulté. Nous nous rendions à l’aréna très tôt le matin quand il n’y avait presque personne. Daniel se postait dans sa zone de tir et je lui plaçais un bandeau sur les yeux. Je lui servais des passes sur la palette et je lui disais en même temps quelle cible il devait atteindre.»

Chaque fois que je tirais, André me disait si j’avais visé juste ou non. Et incroyablement, de fil en aiguille, je me suis mis à pouvoir atteindre chacune des poches, presque à volonté, sans rien voir! Je suis convaincu que ces exercices m’ont permis de raffiner mon instinct de marqueur, de devenir plus rapide et de développer davantage mes quatre autres sens.

Le 25 octobre, ma disette a pris fin avec un tour du chapeau contre Granby. Et j’ai inscrit cinq buts lors du match suivant face à Sherbrooke. Il n’y a pas eu d’autre période creuse par la suite.

Au bout du compte, les faits ont parlé d’eux-mêmes: en étant nettement plus surveillé que la saison précédente, j’ai tout de même amassé 163 points (dont 67 buts) en 67 matchs.

Il m’est arrivé souvent de faire les manchettes durant cette saison 1995-1996. Pour moi, le refrain était connu, et même usé à la corde: un peu tout le monde se prononçait sur mes chances d’être sélectionné en première ronde au repêchage de la LNH malgré ma petite taille.

Il m’est cependant arrivé de craindre de voir apparaître mon nom dans les journaux de Drummondville pour de mauvaises raisons.

Manon et Jean Voyer, le couple qui m’accueillait en pension, avaient des amis, Sophie et Normand, qui étaient eux aussi de très bons vivants. Les deux familles habitaient le même quartier et elles se fréquentaient assidûment.

Normand était un indomptable joueur de tours. Rien ne l’arrêtait! Quand Manon et Jean s’étaient mariés à l’été 1995, Normand était parvenu à s’emparer d’une clé de la chambre nuptiale de l’hôtel et, pendant que les mariés et leurs invités festoyaient dans une salle de réception, il avait rendu la pièce totalement inhabitable. J’étais présent durant son méfait, mais je préfère ne pas élaborer sur mon rôle dans cette affaire…

Normand s’en était donné à cœur joie! Il avait tendu une pellicule plastique invisible au-dessus de la cuvette des toilettes et retiré toutes les ampoules censées éclairer la chambre. Il avait aussi versé un plein seau de glaçons au milieu du lit et il avait répandu le contenu d’une grosse boîte de Rice Krispies par-dessus avant de replacer soigneusement les draps, sans que rien n’y paraisse. Et puisque les mariés étaient censés partir en voyage de noces à la première heure le lendemain matin, Normand était sorti dans le stationnement et avait démonté les quatre pneus de leur voiture… avant de verser une bonne quantité de poudre d’ail dans les conduits de ventilation!

Manon et Jean, qui connaissaient bien le moineau, l’avaient trouvé bien bonne. Et je suis certain qu’ils ont éventuellement remis à Normand la monnaie de sa pièce, et avec intérêts…

C’est dans cet esprit que, par un bel après-midi de l’automne 1995, mon coéquipier Mario Dumais et moi avons décidé de faire une farce à Sophie et Normand. Mario et moi avions déjà été coéquipiers à Gatineau. Il venait d’arriver chez les Voltigeurs après avoir amorcé sa carrière junior à Victoriaville.

Nous tournions un peu en rond cette journée-là. Il n’y avait rien à faire. Alors que nous passions près de la maison de Sophie et Normand, Mario a suggéré que l’on enrubanne les poignées de porte de leur maison, histoire de leur donner un peu de fil à retordre à leur retour du travail. Nous avions dans la voiture quatre ou cinq grosses rondelles de ruban gommé, dont nous nous servions normalement pour enrubanner nos bâtons et nos jambières. Nous nous sommes dit: «Pourquoi pas?» Et comme deux beaux innocents, nous sommes passés de la parole aux actes.

Nous nous sommes tellement dévoués à la tâche que, lorsque nous sommes repartis, la maison semblait presque emprisonnée au milieu d’une toile d’araignée! La scène était vraiment comique. Et pour laisser savoir à Sophie et Normand que nous étions les artisans de leur malheur, nous avons signé en grosses lettres sur la porte d’entrée, avec du ruban noir: Boomer and Doomer. Nous nous disions qu’ils allaient tout de suite faire le lien avec Brière et Dumais.

Mario et moi nous sommes ensuite séparés, rentrant chacun chez notre famille de pension respective.

Sophie et Normand travaillaient comme distributeurs dans l’industrie de la viande. Professionnellement, ils traversaient à ce moment-là une période pénible, éprouvant des difficultés avec certains de leurs fournisseurs. Il semble que ça jouait vraiment dur, à un point tel que quelques-uns d’entre eux les avaient clairement menacés.

Au début de la soirée, j’avais presque oublié ce que Mario Dumais et moi avions fait durant l’après-midi. Je me reposais au sous-sol chez les Voyer et, quand je suis monté à la cuisine, j’y ai trouvé Manon et Sophie. Cette dernière tremblait comme une feuille et ne cessait de sangloter. Manon essayait tant bien que mal de la réconforter.

— Qu’est-ce qui se passe? leur ai-je demandé.

— Des gens sont venus attaquer notre maison! a répondu Sophie, les yeux rougis. Je ne sais pas s’ils ont placé une bombe. Je ne comprends pas! Il y a du tape partout! J’ai peur d’ouvrir la porte!

— Ah.

Pris de panique, j’ai aussitôt tourné les talons et je suis allé m’asseoir dans l’escalier menant au sous-sol pour réfléchir.

Comment allais-je faire pour me sortir de ce pétrin? Je me disais: «Si je ne dis rien, ils vont finir par découvrir que c’était nous autres et on aura l’air de deux épais.» Penaud, je suis donc remonté à la cuisine.

— Sophie, il faut que je t’avoue: c’est Mario et moi qui avons fait ça aujourd’hui. On voulait vous faire une blague…

— Quoi?

— La maison recouverte de tape, les mots Boomer and Doomer sur la porte, c’était nous…

À ma grande surprise, Sophie ne s’est pas fâchée. Au contraire, j’avais l’impression de lui avoir enlevé une tonne de briques des épaules.

— T’es pas sérieux! Merci de me l’avoir dit! a-t-elle lancé.

Croyant l’affaire réglée, je m’apprêtais à retourner au sous-sol lorsque Sophie m’a fait réaliser que mon cauchemar ne faisait que commencer.

— Daniel, il faut prévenir Normand et Jean! Ils sont à la maison avec les policiers. Je pense qu’ils viennent d’appeler les artificiers de la Sûreté du Québec pour faire une inspection. Prends ta voiture et va leur dire!

Là, j’étais vraiment dans le trouble. Comment la situation avait-elle pu dégénérer de la sorte? Comment allais-je pouvoir expliquer ça à la police?

La mort dans l’âme, je me suis dirigé vers les lieux du crime. Quand je suis arrivé à proximité de leur maison, la rue était bloquée. Il y avait huit ou neuf auto-patrouilles, tous gyrophares allumés. Des curieux s’étaient rassemblés pour voir ce qui se passait. Quand j’ai tenté de franchir le périmètre de sécurité, un policier m’en a empêché.

— J’ai quelque chose d’important… J’ai de l’information que je dois partager avec le propriétaire de la maison, ai-je plaidé.

Le policier m’a escorté jusqu’à Normand. Il était en train de discuter avec Jean Voyer et ils affichaient tous deux une mine déconfite. J’aurais voulu rentrer sous terre.

— Norm, je m’excuse. C’est Mario et moi… On est venus vous jouer un tour aujourd’hui. On n’est pas entrés dans la maison. On a juste mis du tape à l’extérieur…

— C’est vous autres qui avez fait ça?

— Oui, je m’excuse, je me sens tellement mal, t’as pas idée…

Comme si je lui avais annoncé qu’il venait de remporter un million à la loterie, Normand s’est alors mis à sauter, à danser et à gesticuler dans la rue en criant aux policiers: «Arrêtez, c’est correct! Tout est beau! Allez-vous-en!» Pour lui, la situation s’était instantanément transformée en une occasion de célébrer. Parce qu’il était lui-même un as des tours pendables, je me demandais même s’il n’appréciait pas le côté surréaliste de la situation.

Sa réaction m’a considérablement soulagé. Mais je restais quand même ébranlé. Je venais de commettre la plus grosse gaffe de ma vie. Et dire que pendant tout ce temps, Mario Dumais était chez lui et n’avait aucune idée de ce qui se passait! Je lui en voulais un peu de ne pas avoir vécu ces longues minutes d’angoisse avec moi. Quelle histoire…

Quelques semaines plus tard, la direction des Voltigeurs a libéré Mario. Ça n’avait rien à voir avec les remous que nous avions causés en ville. Il s’agissait d’une simple décision sportive.

J’étais vraiment triste de la tournure des événements. Mario était mon meilleur chum au sein de l’équipe, et j’avais joué avec lui depuis mes débuts au hockey mineur dans l’Outaouais.

C’était un mardi soir gris et morose. J’avais l’impression que notre histoire prenait fin en queue de poisson. Mario devait quitter Drummondville dès le lendemain matin pour se rapporter à une équipe junior AAA.

Mes «parents adoptifs» sont alors intervenus.

— C’est notre dernière soirée avec Mario, alors on va en profiter et on va fêter ça! ont décrété Manon et Jean.

Jean est allé acheter une caisse de bière. Quelques joueurs de l’équipe sont venus nous rejoindre et nous avons finalement passé une superbe soirée.

On ne s’ennuyait jamais chez la famille Voyer.

Quand le mois de décembre 1995 a pris fin, j’avais 46 buts et 110 points à ma fiche. Pourtant, les recruteurs de la LNH semblaient encore divisés à mon sujet.

Peut-être avaient-ils raison de se poser des questions. La LNH vivait alors une période que les historiens du hockey ont baptisée «l’ère de la rondelle morte». L’accrochage faisait littéralement partie du jeu, il se marquait de moins en moins de buts et le style qu’on y pratiquait était beaucoup plus favorable aux joueurs dotés d’un gros gabarit.

Dans son bureau situé près du vestiaire des Voltigeurs, Blair Mackasey recevait toutefois de plus en plus souvent la visite des recruteurs des Jets de Winnipeg, dont la franchise était sur le point d’être transférée à Phoenix, en Arizona.

«Plusieurs équipes de la LNH faisaient leurs devoirs au sujet de Daniel, raconte Mackasey. Mais les recruteurs de Winnipeg/Phoenix déployaient plus d’efforts que les autres. Ils assistaient à presque tous nos matchs et descendaient ensuite à mon bureau pour poser des questions.

«L’un des deux recruteurs de Winnipeg qui assistait le plus souvent à nos matchs était Vaughn Karpan, un gars qui connaissait bien son affaire. C’était visiblement lui qui appréciait le plus les qualités de Daniel et qui poussait la note afin de pouvoir le sélectionner.»

Blair jouissait, et c’est toujours le cas, d’une réputation enviable dans le monde du hockey. Cette saison-là, il avait d’ailleurs été choisi comme entraîneur adjoint d’Équipe Canada Junior. Souvent, les entraîneurs dans le junior en beurrent plus que nécessaire lorsque les recruteurs de la LNH les questionnent sur leurs joueurs. Mais Blair ne jouait pas cette carte. Son avis était donc pris au sérieux.

«Je disais aux recruteurs que je croyais Brière capable de jouer dans la LNH. Mais il y avait quand même un risque. Dans ce temps-là, il était difficile de prédire comment un joueur de petite taille allait parvenir à se démarquer. Or la concession de Winnipeg/Phoenix pouvait plus que d’autres se permettre de parier sur lui parce qu’elle détenait deux choix de première ronde. C’était un pari moins risqué…

«J’aimais beaucoup Daniel en tant que hockeyeur et je disais aux recruteurs que j’aimais encore plus l’individu. Souvent, les joueurs qui discutent avec leur entraîneur cherchent surtout à améliorer leur propre sort. Les interventions de Daniel étaient toujours orientées vers le bien de l’équipe. Il me demandait, par exemple: “Qu’est-ce qu’on va faire pour améliorer tel aspect de notre jeu?” Il ne parlait jamais contre un coéquipier. Je n’ai jamais eu le moindre problème avec lui.»

Collectivement, notre équipe n’a pas connu les succès escomptés en 1995-1996. Nous avons bouclé le calendrier régulier au huitième rang du classement général en vertu d’une récolte de 69 points en 70 rencontres.

Le premier tour des séries éliminatoires prenait la forme d’un tournoi à la ronde au cours duquel les équipes de chaque division s’affrontaient. Nous avions six matchs à disputer dans ce tournoi. Et après les quatre premiers, nous étions dans les câbles en vertu d’une fiche de 1-3. Avant la cinquième rencontre, face aux Olympiques de Hull, André Ruel est venu me voir en insistant sur le fait qu’il s’agissait peut-être d’une de mes dernières chances d’impressionner les recruteurs.

— Il n’y a qu’un seul match dans toute la LHJMQ ce soir, et c’est le nôtre. Tous les dépisteurs vont être à Drummondville. Il faudrait que tu connaisses une grosse partie, m’a-t-il suggéré.

Cet affrontement contre les Olympiques s’est avéré un véritable festival offensif. Le genre de match qu’on voit seulement dans les rangs junior. Nous nous dirigions vers un gain de 9 à 8 quand nos adversaires sont parvenus à créer l’égalité à seulement six secondes de la fin.

Le match s’est finalement réglé en deuxième période de prolongation, sur le 101e tir de la soirée. Martin Ménard, un ami de Gatineau avec lequel j’entretenais une belle rivalité, a alors complété un tour du chapeau pour procurer une victoire de 10 à 9 aux Olympiques. Pour ma part, j’ai récolté deux buts et six mentions d’aide dans cette folle rencontre. Malgré la défaite, j’espérais au moins être parvenu à convaincre quelqu’un en vue du repêchage.

Les Voltigeurs ont bouclé cette étape avec une fiche de 1-5, et c’est sur cette note décevante que notre saison a pris fin.

Après notre élimination, les Voltigeurs ont procédé à des changements au sein du personnel d’entraîneurs, et Blair Mackasey a quitté ses fonctions. Peu de temps après, nous avons appris avec stupéfaction qu’il se joignait à l’équipe de recruteurs des… Coyotes de Phoenix! Le déménagement des Jets de Winnipeg avait été officialisé quelques mois auparavant.

«J’étais un employé des Coyotes quand le repêchage a eu lieu, mais je n’ai pas participé aux décisions concernant les choix de la séance de 1996. Je n’avais pas fait de dépistage durant la saison», explique Blair Mackasey.

Le 22 juin 1996, le repêchage de la LNH avait lieu à Saint Louis.

Ce fut une belle journée pour le hockey québécois. Jean-Pierre Dumont (Val-d’Or) a été sélectionné troisième au total. Détenteur du 17e choix, le Lightning de Tampa Bay a misé sur le défenseur Mario Larocque des Olympiques de Gatineau. Puis au 19e rang, le défenseur Matthieu Descoteaux (Cataractes de Shawinigan) a été appelé par les Oilers d’Edmonton.

Et à la fin du premier tour, au 24e rang, alors qu’il ne restait plus que trois joueurs à sélectionner, les Coyotes se sont servis de leur second choix pour me réclamer.

«Ce qui est ironique dans cette histoire, rappelle Blair Mackasey, c’est que les Coyotes détenaient le 11e choix dans ce repêchage et qu’ils s’en sont servis pour repêcher un défenseur de 6 pieds 6 pouces du nom de Dan Focht, qui n’a finalement joué que quelques matchs dans la LNH. Et c’est le gars qui mesurait à peu près un pied de moins qui est devenu un joueur étoile.»

CHAPITRE 9

La déprime… et l’apogée

Avec le recul, l’extraordinaire démonstration de ténacité offerte par Ian Laperrière dans ce match de novembre 2009 constitue un parfait exemple du type d’équipe que nous formions et du genre de saison que nous avons connue.

Les Flyers de 2009-2010 étaient à la fois pugnaces et expérimentés. Notre alignement comptait bon nombre de joueurs talentueux et, contrairement à d’autres équipes de la LNH, notre sort ne dépendait pas d’une ou deux supervedettes. Le caractère était la denrée la plus abondante dans notre vestiaire. Plus notre position était précaire – et elle l’a souvent été – plus nous devenions difficiles à vaincre. Nous nous serrions les coudes et n’abandonnions jamais.

Une dizaine de jours après la mésaventure de Lappy, le 4 décembre, Paul Holmgren a décidé de congédier notre entraîneur John Stevens et de le remplacer par Peter Laviolette.

Cette saison-là, les attentes étaient extrêmement élevées envers les Flyers, et notre DG jugeait que notre fiche de 13-11-1 après 25 matchs était inacceptable. Quand le changement de garde est survenu, nous venions de subir deux blanchissages consécutifs et nous figurions sur la liste des équipes exclues des séries.

Après le dernier match dirigé par John Stevens (le 3 décembre, un revers de 3-0 aux mains des Canucks de Vancouver), notre capitaine Mike Richards avait convoqué une réunion d’équipe afin de laver un peu de linge sale en famille. Peine perdue: aux yeux de Holmgren, le mal était déjà fait.

Stevens était un excellent entraîneur, et même un homme de hockey impressionnant, mais nous semblions pris dans une sorte de cercle vicieux. Ni les entraîneurs, ni les joueurs n’étaient capables de provoquer une étincelle et de nous remettre sur les rails. Nous étions à la fois perdus et tout croches.

Nommé directeur général des Flyers peu après le début de la saison 2006-2007 (une saison qu’ils avaient bouclée au dernier rang de la LNH en vertu d’une récolte de 56 points), Paul Holmgren avait totalement reconstruit la formation dès l’été suivant. C’est à ce moment qu’il m’avait convaincu de me joindre à son organisation.

En 2007-2008, nous avions enchaîné avec une campagne de 95 points (une amélioration de 49 points en l’espace d’un an, ce qui était exceptionnel) et nous nous étions inclinés en finale de la conférence de l’Est face aux Penguins de Pittsburgh. Puis, en 2008-2009, nous avions bouclé le calendrier régulier au cinquième rang dans l’Est en vertu d’une récolte de 99 points. Nous avions toutefois été évincés au premier tour éliminatoire, encore contre les Penguins, qui allaient finir par remporter la coupe Stanley.

C’est à ce moment que Holmgren avait décidé d’ajouter une pièce maîtresse à notre alignement. Le 26 juin 2009, il avait complété une méga transaction avec les Ducks d’Anaheim, cédant au passage l’attaquant Joffrey Lupul, le défenseur Luca Sbisa et deux choix de première ronde pour obtenir les services du défenseur Chris Pronger et de Ryan Dingle, un attaquant des ligues mineures.

Le lendemain de la transaction, Pronger avait paraphé avec les Flyers un contrat de sept ans d’une valeur de 34,9 millions.

Cette acquisition avait fait grand bruit dans le petit univers de la LNH. L’ajout d’un défenseur aussi dominant que Pronger était perçu, tant chez les joueurs que dans les médias, comme la pièce manquante au puzzle de notre équipe.

«J’étais joueur autonome cet été-là, se souvient Ian Laperrière. Daniel et moi étions tous deux représentés par Pat Brisson, et Daniel m’avait vanté l’organisation des Flyers pour m’inciter à me joindre à l’équipe. Mais je vais être très honnête. Il n’avait pas de grands efforts de persuasion à faire, compte tenu de la direction que les Flyers avaient prise. Quand ils sont allés chercher Pronger, il était clair qu’ils voulaient gagner. De mon côté, j’étais rendu à 35 ans. La décision était facile à prendre. En tant qu’athlète, tu veux gagner, un moment donné.»

Mais voilà: à l’approche des Fêtes, nous tardions encore à exploiter pleinement notre potentiel. Et les perspectives d’amélioration n’étaient certainement pas évidentes.

Et comme si la coupe n’était pas encore suffisamment pleine, au lieu de nous relancer sur une note positive, le premier match de Laviolette derrière notre banc s’est avéré catastrophique.

Pour les débuts de notre nouvel entraîneur, nous affrontions les Capitals de Washington à Philadelphie. Comme c’est toujours le cas dans ce genre de situation, tout le monde souhaitait faire bonne impression et profiter du vent de renouveau qui soufflait sur l’équipe.

Sauf qu’en première période, alors que le match était à égalité 1 à 1, notre coéquipier Dan Carcillo a frappé Matt Bradley par-derrière. Carcillo a ensuite asséné un coup de poing au visage de l’attaquant des Capitals, puis il a jeté les gants avant de lui sauter dessus!

Carcillo a donc raté sa chance de faire bonne impression, et de très loin. Les officiels lui ont décerné une inconduite de partie, dix minutes de mauvaise conduite, cinq pour s’être battu, deux pour avoir été l’agresseur et deux autres pour double-échec. Les Capitals se sont alors retrouvés avec un avantage numérique de neuf minutes! De toute ma vie, c’était la première fois que je voyais une chose pareille.

La suite était écrite dans le ciel: nous tirions de l’arrière par 4 à 1 quand les neuf minutes de pénalité ont pris fin, et notre soirée s’est terminée par un cinglant revers de 8 à 2. Ce n’était définitivement pas le genre de départ dont Peter Laviolette avait rêvé…

Les semaines suivantes n’ont pas été faciles non plus. Notre nouvel entraîneur-chef est arrivé avec de nouvelles idées et de nouveaux plans d’entraînement et l’adaptation à son système de jeu ne s’est pas faite instantanément.

Deux semaines après la nomination de Laviolette, notre glissade au classement ne s’était pas encore arrêtée. Le 22 décembre, juste avant la pause de Noël, nous croupissions au 14e rang parmi les 15 équipes de l’Est.

Est-ce que ça pouvait aller plus mal? Il semble que oui.

Au cours des premiers mois de cette saison 2009-2010, ma vie personnelle était encore plus troublée que celle de notre équipe. Et dans mon cas, la tourmente avait débuté dès le camp d’entraînement quand ma femme Sylvie m’avait annoncé une décision que je n’avais absolument pas vue venir:

— C’est terminé. Je veux divorcer.

Dire que cette annonce m’avait bouleversé serait un euphémisme.

Sylvie et moi avions trois petits garçons et nous avions commencé à nous fréquenter à l’école secondaire. Nous avions donc passé exactement la moitié de nos vies ensemble.

Par ailleurs, j’avais vécu toute mon enfance au sein d’une famille heureuse et unie. L’idée de voir un jour mes parents divorcer ne m’avait même jamais effleuré l’esprit. En tant que mari et père de famille, je concevais ma vie selon le modèle que j’avais connu. J’étais dévasté.

Comme n’importe quel autre couple, Sylvie et moi avions connu des périodes difficiles ici et là, et je croyais que nous étions simplement en train d’en vivre une autre. Dans mon esprit, il n’existait toutefois qu’une seule façon de corriger la situation et c’était d’affronter la tempête ensemble. Surtout après tout ce que nous avions vécu.

Nous venions tous les deux d’avoir 16 ans quand Sylvie était devenue ma blonde. Nous étions en secondaire 4.

Je portais les couleurs de l’Intrépide de Gatineau, dans la Ligue midget AAA, et nous fréquentions tous deux la polyvalente Nicolas-Gatineau. Pour des raisons logistiques, tous les joueurs de l’équipe étudiaient à cette école. À l’époque, nous nous entraînions et disputions nos matchs tout près de la polyvalente, juste en bas de la côte, à l’aréna Baribeau.

Sylvie était la sœur de Sébastien Lessard, un bon joueur de centre avec qui j’avais auparavant rivalisé pour l’obtention d’un poste dans le bantam AA.

Sylvie et moi avions formé un couple en novembre. À la fin de la saison, j’avais été repêché par les Voltigeurs de Drummondville. Et malgré la distance séparant l’Outaouais du Centre-du-Québec, nos fréquentations s’étaient poursuivies durant les trois années de mon stage junior.

Ma blonde accompagnait parfois mes parents à Drummondville pour assister aux matchs des Voltigeurs. En d’autres occasions, elle s’arrangeait pour faire le trajet avec des amis. Sylvie avait appris très tôt à se débrouiller dans la vie. Comme tous les ados et jeunes adultes, nous avions eu nos petites chicanes, mais nous étions quand même parvenus à passer au travers.

Puis, en 1997, une fois chez les professionnels, les Coyotes de Phoenix m’ont assigné à leur club-école de Springfield, au Massachusetts. Ces premiers pas dans la jungle du hockey professionnel et dans «la vraie vie» nécessitaient une adaptation et des ajustements importants. En fait, c’était la perspective de vivre seul qui me chicotait le plus.

Jusque-là, et je le reconnais sans gêne, j’avais toujours été extrêmement gâté. Je dirais même gâté-pourri, comme on dit par chez nous.

Je l’ai déjà dit: ma sœur Guylaine et moi avions grandi dans une sorte de bulle où notre lavage, nos lits, nos repas et nos lunchs pour l’école étaient toujours faits pour nous. En grandissant, mes deux seules occupations consistaient à étudier et à faire du sport. Je n’avais pour ainsi dire aucune responsabilité.

Ensuite, durant mon stage junior à Drummondville, j’avais été presque autant dorloté par Manon et Jean Voyer.

Imaginez alors le choc culturel quand je me suis retrouvé seul dans un appartement à Springfield! Avec le recul, je me rends bien compte que j’aurais fini par m’adapter et par m’organiser. Mais à 20 ans, la perspective de devoir vivre seul et de ne plus être entouré et supporté par une famille m’insécurisait. Sylvie et moi nous fréquentions depuis plusieurs années. Elle était prête à faire le saut et à venir me rejoindre aux États-Unis.

Elle a donc emménagé à Springfield quelques semaines après le début de la saison et elle est presque aussitôt tombée enceinte.

Ce n’était absolument pas planifié. Je n’avais encore aucune stabilité professionnelle et je n’avais pas prévu ou envisagé l’avenir de cette façon. Avoir un enfant à 20 ans, ça fait peur. C’est l’inconnu. Et ce sont de lourdes responsabilités. Mais en même temps, Sylvie et moi nous fréquentions depuis quatre ans et c’était du sérieux. Nous avons donc décidé d’aller de l’avant et de devenir parents.

C’est ainsi que, le 27 juillet 1998, Caelan Brière est entré dans la vie de jeunes parents un peu surpris par la vie, mais enthousiastes et déterminés à lui offrir ce qu’il y avait de mieux.

Au sein de notre couple, la naissance de ce premier enfant a ensuite soulevé l’importante question de la planification familiale.

Dans le passé, Sylvie et moi avions tous deux clairement établi notre intention d’avoir nos enfants à des dates rapprochées. Et puisque nous nous adaptions bien à notre rôle de parents depuis la naissance de Caelan, nous avons décidé que nous étions prêts à avoir immédiatement un autre enfant.

Notre second fils, Carson, a donc vu le jour un peu plus d’une année après notre aîné, le 23 septembre 1999.

Malgré la distance qui nous séparait de la maison, nos parents nous venaient en aide le plus souvent possible, mais disons qu’il y avait beaucoup d’action à la maison! À l’unanimité, une pause a donc été décrétée dans notre plan de vie. Allait-on choisir d’avoir un troisième enfant? Nous voulions laisser retomber la poussière et nous donner un peu de temps pour y réfléchir.

Mais un imprévu est si vite arrivé! Sylvie est à nouveau devenue enceinte l’année suivante et notre troisième fils, Cameron, a vu le jour à Phoenix le 23 avril 2001.

Après la naissance de Cameron, nous nous retrouvions, à 23 ans, avec trois enfants aux couches.

Ces années folles nous ont sans doute fait vieillir prématurément, mais je n’ai jamais regretté notre choix. Nous devions trouver une façon de tout faire fonctionner et Sylvie était excellente pour s’assurer que nous restions en contrôle. En plus, durant cette période où les enfants étaient encore très jeunes, elle a eu à organiser et à superviser plusieurs déménagements entre Springfield et Phoenix, puis vers Buffalo quand j’ai été échangé, en plus de devoir rapailler la famille à la fin de chaque saison pour passer l’été au Québec. Ouf!

Le fait d’avoir des enfants aussi jeunes a fait en sorte que j’ai vécu un début de carrière différent de celui des joueurs de mon âge. À mes premières années, mon rôle de père faisait en sorte que j’étais plus souvent à la maison que sur le party… Ce qui m’a certainement aidé à rester concentré sur l’essentiel alors que des embûches se dressaient constamment sur mon chemin.

Mais par-dessus tout, Caelan, Carson et Cameron sont rapidement devenus pour moi une puissante source de motivation. Le jour où l’on devient père, que cela survienne à 20 ans ou à 27 ans, la réalité est la même: on ne se bat plus simplement pour soi-même, mais d’abord et avant tout pour offrir ce qu’il y a de mieux à nos enfants.

Je me rappelle de longs trajets d’avion survenus entre mes rappels et mes renvois dans la Ligue américaine. Ces moments de réflexion m’ont constamment forcé à me remettre en question et à combattre la frustration, le découragement et souvent la peine immense de laisser les miens derrière moi. Mais le désir de réussir pour le bien de mes fils était chaque fois plus fort.

Lorsque Sylvie et moi nous sommes séparés, j’en étais à ma treizième année dans les rangs professionnels. Et durant cette longue période, j’avais seulement vu deux de mes coéquipiers se retrouver en instance de divorce.

La saison 2009-2010 s’avérait toutefois assez particulière chez les Flyers, et pas seulement à cause de notre glissade au classement. Nous étions quatre joueurs de l’équipe à vivre une séparation en même temps: Scott Hartnell, Riley Cote, Aaron Asham et moi. Et, visiblement, nous ne traversions pas tous cette épreuve de la même manière.

Certains faisaient la fête presque tous les soirs et se faisaient voir dans toutes les boîtes à la mode de Philadelphie. Un autre se réfugiait dans son appartement, où il prenait un coup avec ses meilleurs amis sans causer de problème.

De mon côté, c’était le contraire. Je ne faisais que penser à ce divorce. J’étais complètement bloqué. Je n’avais le goût de rencontrer personne, ni d’aller où que ce soit. Je me terrais donc à la maison pour passer le plus de temps possible avec mes garçons.

Normalement, l’aréna et le vestiaire de l’équipe auraient dû être mes refuges et me permettre de me changer les idées. Mais durant les premiers mois, je ne pensais qu’à ce divorce – que je considérais comme un retentissant échec – et aux impacts qu’il allait avoir sur la vie de mes enfants et sur la mienne.

Je n’avais jamais vécu une chose pareille. J’étais ailleurs. Je traînais mes problèmes jusqu’aux séances d’entraînement, même en complétant des exercices avec mes compagnons de trio.

Et durant les matchs, les seuls moments où je me concentrais réellement sur le moment présent survenaient quand j’enjambais la rampe pour sauter sur la patinoire. À mon retour au banc, je replongeais dans mes pensées et la rencontre devenait une sorte de film qui jouait en arrière-plan. J’étais incapable de me concentrer!

Tout le monde dans l’organisation savait ce qui se passait. Cependant, peu de gens semblaient se rendre compte à quel point j’étais affecté.

«Danny n’est pas un gars qui jase beaucoup, se rappelle Ian Laperrière. Mais je me souviens d’une fois où l’équipe était à Tampa. Les trois “grenouilles” de l’équipe, Daniel, Simon Gagné et moi, avions décidé d’aller au cinéma. Daniel était tracassé par ses problèmes personnels et il avait fallu qu’il rentre seul à l’hôtel parce que ça le travaillait trop.

«Il était clair qu’il trouvait cette période difficile et c’était normal. Du jour au lendemain, celle qui était son amie, sa femme et la mère de ses enfants était sortie du décor. Mais de l’extérieur, je trouvais qu’il était très concentré sur la tâche à accomplir lorsqu’il sautait sur la patinoire. Il était capable de mettre tout ça de côté et de jouer au hockey. En le regardant jouer, personne ne se demandait ce qui pouvait bien se passer avec lui.»

Un bon après-midi, le téléphone sonne. C’est le propriétaire des Flyers, Ed Snider.

— Danny! Comment vas-tu?

— Ça va bien, monsieur Snider.

— Écoute, je voulais juste te dire que nous savons ce qui se passe dans ta vie. Ne t’en fais pas, le temps va arranger les choses. Crois-moi: j’ai divorcé trois fois au cours de ma vie et j’ai beaucoup d’expérience dans ce domaine! Alors si tu as le goût d’aller en jaser, tu me fais signe et on ira luncher ensemble. Entre-temps, si tu as besoin d’aide pour n’importe quoi, si on peut t’aider de quelque manière que ce soit, n’hésite pas. Si tu as besoin de voir un psychologue, si tu as besoin de support avec les enfants ou de n’importe quoi d’autre à la maison, tu me fais signe. Nous sommes là pour toi.

J’étais impressionné que le propriétaire des Flyers prenne le temps de m’offrir son aide et de me témoigner sa solidarité. Ça démontrait à quel point le bien de ses joueurs était important pour lui. Ed Snider était une personne authentique. Il avait un grand cœur et ses valeurs étaient partagées par les autres membres de la direction.

Pour ma part, j’étais un peu de retour à la case départ. Comme cela avait été le cas lors de mes débuts professionnels à Springfield, la perspective de devoir vivre en solitaire une semaine sur deux (quand les enfants se trouvaient avec leur mère) ne m’enchantait pas vraiment. Chaque minute de ma vie familiale était précieuse et cette séparation venait d’en faire disparaître la moitié. Et d’un point de vue plus pratique, j’étais carrément démuni. Je ne savais même pas comment faire fonctionner le lave-vaisselle, ni comment faire une brassée de lavage.

Quand la séparation est survenue, j’ai solidement broyé du noir pendant près d’une année. Sylvie et moi tentions de trouver une façon de nous partager la garde des enfants et celle des chiens et de faire en sorte que nos trois fils ne subissent pas trop de contrecoups.

Et lorsque j’avais le bonheur de retrouver mes fils, je ne profitais pas de leur présence à 100 %. Le divorce amenait son lot de soucis et je ne me trouvais pas toujours assez compétent ou organisé pour répondre à tous leurs besoins. J’avais beaucoup à apprendre en même temps.

En décembre, alors que je broyais encore du noir dans mon coin, un ami de Philadelphie m’a demandé si j’accepterais de rencontrer une jeune femme qu’il qualifiait d’exceptionnelle. Elle s’appelait Misha Harrell et elle était en train de compléter sa quatrième année d’études en médecine à Philadelphie. Je me suis donné un coup de pied au derrière et j’ai accepté de la rencontrer, sans trop nourrir d’attentes.

Misha était alors âgée de 26 ans et elle traversait une période de déprime en tous points semblable à la mienne. Elle venait tout juste de sortir d’une relation sérieuse qui, avait-elle cru, était censée déboucher sur un mariage. Nous étions en quelque sorte dans le même bateau. Et c’était la première fois qu’elle et moi avions un rendez-vous galant depuis la fin de nos unions précédentes.

«Je vivais de mes prêts étudiants, raconte Misha. Je n’avais pas d’argent et j’habitais un modeste et minuscule appartement. Daniel est venu me chercher, puis il m’a emmenée souper au Ruth’s Chris Steakhouse, l’un des meilleurs restaurants de Philadelphie. Le repas était merveilleux, mais nous avons passé la soirée à ressasser nos malheurs. C’était un peu comme une séance de thérapie. À la fin de la soirée, Daniel en savait plus sur mon ex, et moi sur la sienne, que sur n’importe quoi d’autre.»

Au début de la soirée, Misha m’a demandé ce que je faisais dans la vie.

— Je joue au hockey, ai-je répondu.

— Oui, mais ton emploi? Que fais-tu pour gagner ta vie?

«Il m’a expliqué qu’il était un hockeyeur professionnel. Comme je venais d’une famille où personne ne s’intéressait au sport professionnel, je n’avais jamais entendu parler de lui. Intérieurement, je me disais: “Je vais être médecin, et ce gars-là est un loser!” », ajoute Misha en riant.

Même si ce n’était pas le moment idéal, de part et d’autre, pour rencontrer quelqu’un, il est devenu clair au fil de la conversation que le courant passait vraiment bien entre Misha et moi. L’ami commun ayant provoqué notre rencontre n’avait pas exagéré: elle était effectivement exceptionnelle et il était facile d’échanger avec elle.

«Après le repas, Daniel m’a raccompagnée chez moi. Il m’a fait une accolade et il m’a dit au revoir. Le hall d’entrée menant à ma résidence était défraîchi. Et pour rendre les choses encore plus sinistres, il y avait un écureuil mort par terre! Je me disais que tout était en place pour faire une mauvaise première impression. J’avais apprécié mon premier contact avec lui. Mais en le regardant partir, je me suis dit: “Je ne reverrai jamais ce gars-là…”»

Après la période des Fêtes, les arénas et l’entourage de l’équipe sont graduellement redevenus mes refuges. Quand je m’isolais dans cet environnement, je redevenais capable de faire le vide et de me concentrer totalement sur mon métier.

Le système de jeu implanté par Peter Laviolette – beaucoup plus axé sur l’attaque et les relances rapides – était de mieux en mieux maîtrisé par les joueurs et nous commencions à remporter des matchs sur une base régulière. C’était une période extrêmement intense parce que le retard au classement accumulé en première moitié de calendrier nous donnait très peu de marge de manœuvre pour nous qualifier pour les séries.

Mais étrangement, même si l’équipe progressait et qu’une routine s’installait tranquillement à la maison, mon corps ne semblait pas suivre la même voie que mon état d’esprit. Je maigrissais à un rythme inquiétant.

Depuis le début de ma carrière, j’avais pourtant toujours été très constant de ce côté-là. Après un intense été d’entraînement, je me présentais au camp d’entraînement en faisant osciller l’aiguille du pèse-personne à exactement 180 livres. Puis quand le rythme effréné de la saison était lancé, je retombais à 170-172 livres jusqu’à la fin des séries éliminatoires. C’était à ce point précis que cette routine semblait inscrite quelque part dans mon code génétique.

Il était donc clair que quelque chose n’allait pas, un matin de février 2010, quand le pèse-personne m’a indiqué que je pesais… 161 livres! On aurait dit qu’il ne me restait que la peau et les os. Cette situation a tout de suite été prise au sérieux par le personnel des Flyers. Les thérapeutes me faisaient manger et me préparaient constamment des cocktails nutritifs pour tenter de me ramener à mon poids normal. Les progrès se faisaient toutefois attendre.

Cet épisode correspondait par ailleurs à une panne sèche sur la patinoire.

À la fin de janvier, malgré tout ce qui s’était produit depuis le camp d’entraînement, j’affichais au compteur 18 buts et 16 mentions d’aide. Même en étant utilisé à l’aile (alors que ma position naturelle était celle de centre), je maintenais jusque-là le rythme d’une campagne de 32 filets, soit le même total que lors des deux saisons les plus productives de ma carrière.

Sauf qu’en février, les buts ne venaient plus aussi facilement.

En raison de la présentation des Jeux olympiques de Vancouver, il était prévu que le calendrier de la LNH allait être interrompu pendant deux semaines, à compter du 14 février. Pour les Flyers, les deux derniers matchs précédant la pause olympique se déclinaient en une série de deux matchs en 24 heures face au Canadien de Montréal, les vendredi 12 et samedi 13 février.

Avant cette série aller-retour, je n’avais toujours pas secoué les cordages en cinq matchs au mois de février. Et je ne revendiquais qu’un seul but à mes 11 dernières rencontres. J’étais en panne sèche.

Le premier de ces deux duels Canadien-Flyers a été disputé à Philadelphie. Nous l’avons emporté par la marque de 3-2 et le trio que je formais avec Scott Hartnell et Jeff Carter a connu une très bonne soirée. Carter, qui jouait au centre, avait notamment inscrit deux des trois buts de l’équipe.

Après cette rencontre, à bord de l’avion qui nous transportait vers Montréal, j’étais fébrile. Le match du samedi soir au Centre Bell s’annonçait spécial puisque ma mère allait y assister.

Ça faisait alors près de trois ans que j’avais préféré l’offre contractuelle des Flyers à celle du Canadien. Depuis cette décision très médiatisée (et très controversée à Montréal), j’étais en quelque sorte devenu l’ennemi numéro un des partisans du Tricolore.

Les commentaires entendus dans un amphithéâtre durant le déroulement d’un match de hockey ne sont pas toujours du meilleur goût. Ma mère étant une femme sensible, je m’étais subtilement arrangé depuis tout ce temps pour l’empêcher de venir me voir jouer à Montréal.

Chaque fois que les Flyers disputaient un match au Centre Bell, je m’arrangeais pour que la présence de ma mère soit requise à Philadelphie. Je prétendais que nous avions besoin d’une gardienne, ou bien je lui soulignais que ses trois petits-fils réclamaient sa présence.

Toutefois, durant la deuxième moitié de la saison 2009-2010, je me disais que bien de l’eau avait coulé sous les ponts depuis cette signature de contrat et que le temps était venu de passer à autre chose. J’avais donc invité mes parents au match, tout en étant conscient que l’hostilité de la foule montréalaise rendait ma mère plutôt anxieuse.

Le jour du match, mes parents ont fait le trajet Gatineau-Montréal beaucoup plus tôt qu’à l’habitude. Ils ont alors fait un petit détour vers l’hôtel où séjournait notre équipe. Cette visite inhabituelle visait probablement à permettre à ma mère d’évaluer comment j’allais. Toute cette histoire de divorce l’inquiétait beaucoup.

En sortant de l’ascenseur menant au lobby, je les ai aperçus et je suis resté surpris.

— Daniel, es-tu correct? T’es pas malade? As-tu quelque chose? Tu as le visage tout amaigri…

— Ben non, tout va bien maman, tout est beau.

Mes parents et moi avons ensuite bavardé un peu. Puis ma mère m’a serré dans ses bras en me chuchotant à l’oreille:

— Je sais que je ne t’ai jamais demandé ça, mais je suis vraiment nerveuse. Est-ce que tu pourrais me marquer un but ce soir?

J’ai ri et la conversation s’est poursuivie sur un autre sujet. Mais en y repensant par la suite, je me suis dit que cette requête devait être importante parce que de toute ma vie, que ce soit au hockey mineur, au hockey junior ou dans la LNH, jamais ma mère ne m’avait demandé de lui marquer un but.

Ce soir-là, nous sommes tombés sur le Canadien comme la misère sur le pauvre monde, en les varlopant au compte de 6 à 2.

La veille, malgré notre victoire à Philadelphie, notre troisième période avait été lamentable. Dans l’enceinte du Centre Bell, Ian Laperrière a donné le ton dès la quatrième seconde de jeu en servant une sévère correction au défenseur Ryan O’Byrne.

Après le premier vingt, nous avions déjà une avance de 3-0. J’avais ouvert la marque et exaucé le vœu de ma mère dès la cinquième minute de jeu en m’emparant du retour d’un tir d’Oskars Bartulis.

Puis en fin de deuxième, alors que nous profitions d’un avantage numérique et qu’il ne restait que six secondes au cadran, je suis parvenu à faufiler la rondelle entre la jambière gauche de Jaroslav Halak et son poteau. Ce but a porté notre avance à 5-1 et chassé le gardien slovaque de la rencontre.

En milieu de troisième, je me suis retrouvé en échappée face à Carey Price, mais O’Byrne m’a fait trébucher avant que je puisse décocher un tir. Les officiels m’ont donc accordé un tir de pénalité.

Alors que je me tenais seul au centre de la patinoire et que l’annonceur-maison prononçait mon nom, je me suis dit que ma mère entendait sans doute le genre d’horreurs que j’avais voulu lui éviter au cours des trois années précédentes.

Sous un assourdissant concert de huées, je me suis alors élancé vers Price. Je tenais absolument à quitter l’édifice avec un tour du chapeau! Après avoir tiré, quand j’ai réalisé que la rondelle avait franchi la ligne des buts, j’ai tout de suite pensé à ma mère.

J’ai disputé des milliers de matchs de hockey au cours de ma vie, mais cette partie de saison régulière – sans enjeu particulier – est toujours restée gravée dans ma mémoire. Compte tenu de la demande très spéciale que ma mère m’avait faite, j’étais extrêmement fier d’avoir pu lui offrir ce genre de soirée au Centre Bell.

Je regrette qu’elle n’ait jamais eu la chance de me voir jouer dans cet édifice alors que je portais le chandail bleu-blanc-rouge. Elle nous a quittés sans avertissement deux ans et demi plus tard, le 19 août 2012.

Ces deux victoires consécutives contre le Canadien se sont plus tard avérées extrêmement précieuses pour nous. Elles couronnaient une poussée de sept victoires en neuf matchs qui nous avait fait bondir de huit places au classement. Alors que nous croupissions dans les bas-fonds avant Noël, nous occupions le sixième rang dans la conférence de l’Est quand la pause des Jeux de Vancouver a débuté.

Mais inexplicablement, après les Olympiques, nous avons éprouvé énormément de difficulté à retrouver notre erre d’aller.

Quand les activités de la LNH ont redémarré, il nous restait 22 matchs à disputer. Mais nous avons presque complètement saboté notre saison lors des 21 premières rencontres en ne remportant que huit victoires. Entre le 20 mars et le 2 avril, alors que nous étions engagés dans le dernier droit du calendrier et que nous luttions pour notre survie, nous avons même trouvé le moyen d’encaisser sept revers (dont un en prolongation) en huit matchs!

Après 81 parties, nous nous sommes alors retrouvés dans l’obligation de disputer une sorte de duel-suicide face aux Rangers de New York. Pour compléter la saison, les Blueshirts nous rendaient visite à Philadelphie dans l’après-midi du dimanche 11 avril. Les deux équipes affichaient 86 points au classement et il en fallait 88 pour s’emparer de la dernière place donnant accès au tournoi printanier.

Bref, c’était gagne ou meurs.

L’histoire de ce 82e match de la saison 2009-2010 est fascinante parce qu’elle illustre à quel point rien n’est laissé au hasard dans la LNH.

Les Rangers, qui étaient alors dirigés par John Tortorella, possédaient une attaque assez moyenne. Mais ils formaient l’une des meilleures équipes de la ligue en défense. Leur gardien Henrik Lundqvist avait aussi la réputation – méritée – d’exceller sous pression.

La veille du match, nos entraîneurs avaient donc déterminé que les chances étaient fortes que notre destinée se joue en tirs de barrage.

Pour parer à cette éventualité, nos gardiens avaient été invités à une séance de visionnement mettant en vedette les cinq ou six joueurs les plus souvent utilisés par les Rangers en tirs de barrage. On voulait que les gardiens puissent ainsi identifier les tendances de chacun et minimiser l’effet de surprise dans le feu de l’action.

Parallèlement, cinq de nos attaquants avaient été conviés à une séance vidéo pour étudier le style de Lundqvist et tenter d’identifier ses points faibles. Avec l’aide de l’entraîneur Joe Mullen, chacun d’entre nous devait aussi choisir la feinte qu’il comptait utiliser contre Lundqvist.

Par la suite, à la fin de notre séance d’entraînement, les entraîneurs ont mis le gardien auxiliaire à notre disposition et nous avons été invités à répéter notre feinte jusqu’à ce que nous soyons certains de bien la maîtriser.

Le lendemain, nous avons eu exactement ce à quoi nous nous attendions: un match serré et une grande performance de Lundqvist. Et une surprise aussi: dès la quatrième minute de jeu, Jody Shelley, un dur à cuire, a lancé les Rangers en avant 1-0 en inscrivant son… deuxième filet de la saison.

Nous tirions de l’arrière 1 à 0 après 20 minutes de jeu, et ça nous semblait incroyable parce que nous avions malmené les Rangers 18 à 4 au chapitre des tirs au but. Nous passions 80 % du temps de jeu dans leur zone, sauf que Lundqvist multipliait les arrêts impossibles.

Après deux périodes, nous avions déjà dirigé 30 tirs vers le gardien des Blueshirts alors que Brian Boucher n’en avait reçu que 13 de notre côté. Mais les Rangers détenaient toujours une avance de 1-0.

Il a fallu attendre un avantage numérique en début de troisième pour que notre défenseur Matt Carle finisse par tromper la vigilance de Lundqvist. Malgré notre constante domination, le troisième engagement a pris fin sur cette impasse de 1 à 1. Les cinq minutes de prolongation aussi.

En générant 47 tirs au filet (contre 25 pour les Rangers) et en contrôlant cette rencontre de bout en bout, nous aurions amplement mérité de l’emporter. Mais les dieux du hockey ne nous avaient pas été favorables et, exactement comme nos entraîneurs l’avaient anticipé, nous nous retrouvions en tirs de barrage pour déterminer laquelle des deux équipes allait participer aux séries.

Surtout à cause de l’excellence d’Henrik Lundqvist, j’estimais que les Rangers avaient l’avantage dans ce concours individuel. Quoique cette saison-là, nos gardiens avaient cumulé exactement le même pourcentage d’efficacité que celui des gardiens new-yorkais en tirs de barrage. Et puis, peu importe si les probabilités penchaient en faveur de nos adversaires, Peter Laviolette nous avait très bien préparés pour ce moment déterminant.

J’ai été désigné pour tirer le premier et je me suis lentement dirigé vers le point central de mise au jeu. La foule du Wachovia Center était déchaînée. Six mois d’efforts collectifs reposaient désormais sur les palettes des bâtons d’une poignée de joueurs. Malgré l’importance du moment, j’étais calme et serein. La veille, j’avais répété ma feinte une dizaine de fois à l’entraînement et j’étais extrêmement confiant de pouvoir déjouer Lundqvist.

En arrivant à la hauteur du gardien des Rangers, sans même réfléchir, j’ai simulé une manœuvre du revers. Et dès que Lundqvist a amorcé son déplacement, je suis rapidement revenu sur mon côté droit pour le battre à ras la glace sur le côté de la mitaine. Nous venions de prendre les devants.

Après avoir vu Pierre-Alexandre Parenteau créer l’égalité sur la seconde tentative des Rangers, c’est Claude Giroux qui s’est présenté au centre de la patinoire pour effectuer notre troisième essai. Comme les autres tireurs identifiés la veille par nos entraîneurs, Claude avait préparé et répété une feinte avec laquelle il se sentait à l’aise. Sauf que lorsqu’il s’est lentement présenté devant Lundqvist, il s’est figé. Apercevant une ouverture entre les jambes du Suédois, il a aussitôt dégainé: 2 à 1 Flyers!

Brian Boucher a ensuite confirmé notre participation aux séries en stoppant Olli Jokinen sur la dernière tentative des Rangers.

Dans les gradins, Ed Snider échangeait joyeusement des high fives avec les partisans qui l’entouraient. Et sur la patinoire, nous ressentions exactement la même chose que le propriétaire des Flyers. D’un seul coup, cette qualification in extremis venait d’effacer nos récents déboires. Nous étions littéralement galvanisés!

À la fin des courses, ce gain face aux Rangers nous plaçait à égalité avec le Canadien au classement de l’Est, avec 88 points. Mais comme nous avions remporté plus de victoires que Montréal, nous avons finalement hérité du septième rang, ce qui signifiait un affrontement contre les Devils du New Jersey au premier tour.

Même si nous avions assuré notre place en séries à minuit moins une seconde, nous étions convaincus de faire partie de l’élite de la LNH et de posséder les atouts nécessaires pour remporter la coupe Stanley.

Notre saison avait parfois eu des allures de montagnes russes, mais nous étions quand même conscients d’avoir compilé la neuvième meilleure fiche de la LNH depuis l’arrivée de Laviolette au poste d’entraîneur. Nous n’avions absolument aucun complexe.

Pour ma part, je venais de connaître une saison «correcte» de 26 buts et 27 passes en jouant à l’aile durant la quasi-totalité de la saison. Au poste de centre, l’équipe avait misé sur Jeff Carter et Mike Richards pour pivoter les deux premiers trios, tandis que Claude Giroux s’était fait confier la troisième unité.

Nous étions quatre joueurs de centre offensifs et il n’y avait que trois places disponibles. J’avais donc été désigné pour jouer à l’aile au sein du deuxième trio. Je n’étais pas entièrement satisfait de mon jeu, mais j’estimais m’être tiré d’affaire convenablement compte tenu de tout ce qui s’était produit depuis le camp d’entraînement.

Par ailleurs, malgré toutes les potions concoctées par le personnel de l’équipe au cours des semaines précédentes, ma perte de poids subsistait. Je me suis donc résigné à entreprendre les séries à 163 livres. C’était une sorte de couteau à deux tranchants: je me sentais plus rapide mais, en même temps, je me disais qu’il valait mieux ne pas me faire pincer par un adversaire…

Les séries éliminatoires se sont mises en branle et notre auto-évaluation s’est avérée assez juste parce que nous avons liquidé les Devils (deuxièmes dans l’Est) en seulement cinq matchs au premier tour.

Deux faits saillants sont survenus dans cette série contre New Jersey.

Dans le cinquième et dernier match, alors que nous détenions une avance de 3 à 0 en troisième période et que nous étions en voie d’éliminer les Devils, Ian Laperrière s’est jeté sur la patinoire pour bloquer un tir du défenseur Paul Martin. La rondelle l’a de nouveau atteint directement au visage, cette fois-ci juste au-dessus de l’œil droit.

Encore une fois, le sang s’est mis à gicler sur la glace et Lappy a été rapidement escorté hors de la patinoire. Cette blessure a toutefois eu des conséquences beaucoup plus sérieuses que celle qui était survenue quelques mois plus tôt à Buffalo.

Face aux Devils, le choc a été si violent que Lappy a subi une sérieuse commotion cérébrale ainsi qu’un hématome au cerveau. Le nerf optique a par ailleurs été atteint. Ian a une fois de plus démontré son incroyable courage en revenant au jeu un mois plus tard pour nous aider à compléter notre parcours en séries. Mais au camp d’entraînement suivant, des symptômes post-commotion ainsi que des problèmes de vision l’ont contraint à accrocher définitivement ses patins.

Par ailleurs, Jeff Carter a subi une fracture à un pied durant le quatrième match de la série, et cette absence prolongée a forcé Peter Laviolette à remanier ses trios. Il m’a donc replacé à ma position naturelle de centre, entre Scott Hartnell et le finlandais Ville Leino.

À ce moment-là, l’insertion de Leino dans l’alignement – et au sein du second trio, en plus – ressemblait davantage à une mesure d’urgence qu’autre chose. Leino était un réserviste que Paul Holmgren avait acquis deux mois plus tôt dans une transaction mineure avec les Red Wings de Detroit. Depuis son arrivée à Philadelphie, Leino avait tellement peu joué (13 matchs) que je ne le connaissais à peu près pas.

Aussi incroyable que cela puisse paraître, une très forte chimie s’est instantanément créée entre nous. Et à compter de ce moment, jusqu’à la finale de la coupe Stanley, c’est aux côtés de Hartnell et Leino que j’ai disputé le meilleur hockey de toute ma vie.

Notre deuxième tour éliminatoire, face aux Bruins, a donné lieu au plus spectaculaire revirement de l’histoire de la LNH. Rien de moins!

Les deux premiers matchs avaient été disputés à Boston, où nous nous étions inclinés par des marques de 5 à 4 (en prolongation) et de 3 à 2. Puis, quand la série s’était transportée à Philadelphie, nous avions clairement eu le dessus sur les Bruins (35 à 20 au chapitre des tirs au but, notamment), mais nous étions quand même ressortis du troisième match les mains vides, avec une défaite de 4 à 1.

Après avoir sué sang et eau pendant six mois, et après avoir mérité notre place en séries dans les toutes dernières secondes du calendrier régulier, nous étions donc de retour à un endroit assez familier: au bord du précipice.

Paul Holmgren se souvient très bien de l’esprit qui régnait au sein de l’organisation à ce moment:

«Nous tirions de l’arrière par 0-3 et, malgré le fait que nous nous retrouvions acculés au pied du mur, nous nous disions que les trois premiers matchs avaient été extrêmement serrés et qu’ils auraient aussi bien pu être remportés par notre équipe.

«Aussi, un fait marquant était survenu durant la troisième rencontre. Mike Richards avait solidement frappé David Krejci, qui avait été totalement knock-outé sous la force de l’impact. L’un de ses poignets s’était même disloqué. Nous nous étions à nouveau inclinés dans ce match-là, mais les Bruins aussi avaient encaissé une lourde perte. L’un de leurs joueurs-clés venait de sortir de l’alignement.»

Dans le vestiaire, notre analyse était exactement la même. Nous n’en revenions pas de tirer de l’arrière 0-3. Dans le passé, j’avais fait partie d’équipes qui s’étaient fait dominer et qui accusaient de grands déficits en séries éliminatoires. Dans ces circonstances, quand nous nous rassemblions entre coéquipiers, nous nous disions simplement: «OK, on va essayer d’en remporter une, ne serait-ce que pour sauver la face…»

Mais ce n’était pas du tout l’état d’esprit dans lequel nous étions après avoir perdu trois fois de suite face aux Bruins. Je nous revois encore après le troisième match. Nous étions une douzaine de gars, assis sur les divans du salon attenant au vestiaire, et les commentaires allaient tous dans le même sens:

— Quelqu’un peut-il m’expliquer comment il se fait qu’on tire de l’arrière par trois matchs? On les domine royalement, on forme la meilleure équipe!

— Ça n’a pas de sens. On devrait au moins mener cette série par 2 à 1.

— On peut gagner cette série-là!

La psychologie d’une équipe de gagnants est fascinante.

Nous nous sommes alors mis à analyser la suite des choses et c’était comme si les astres étaient totalement alignés en notre faveur. Nous nous disions: «OK, on va gagner le prochain match à domicile et ça portera à série à 1-3. Le gros match de la série sera le cinquième, parce que si on remporte ce match-là, les Bruins vont tout à coup se mettre à paniquer. Et le match six? C’est sûr qu’on ne le perdra pas à domicile parce que nous aurons le vent dans les voiles. Puis dans le septième match? On verra bien! Parce que tout peut arriver dans un septième match, d’autant plus que toute la pression sera sur les épaules des Bruins.»

C’est de cette façon que nous avons abordé la suite des choses. Et ce n’était pas de la frime.

Dans toute l’histoire de la LNH, seuls les Maple Leafs de Toronto de 1942 et les Islanders de New York de 1975 étaient parvenus à combler un retard de trois défaites pour remporter une série éliminatoire. Même si les probabilités étaient légèrement en notre défaveur, nous étions réellement convaincus de pouvoir remonter la pente et renverser les Bruins.

Alors que nous retroussions nos manches pour nous lancer à l’assaut des Bruins, notre trio Hartnell-Brière-Leino n’existait que depuis quatre matchs, durant lesquels j’avais déjà récolté trois buts et autant de mentions d’aide.

Je sentais que le fait d’être utilisé au centre et d’être davantage impliqué dans toutes les phases du jeu me rendait plus efficace. Et la complicité développée avec Hartnell et Leino était absolument incroyable. Entre autres, j’avais rapidement découvert que Leino était un passeur exceptionnel et j’essayais d’exploiter cette force au maximum.

Dans le passé, chez les Sabres de Buffalo, j’avais connu des saisons fantastiques en compagnie de mon ami Jean-Pierre Dumont sur le flanc droit. Jean-Pierre et moi étions à la fois de bons passeurs et de bons marqueurs. Personne ne pouvait nous accoler seulement l’une de ces étiquettes. Cette situation faisait en sorte que lorsque nous nous retrouvions ensemble dans un coin de patinoire, Jean-Pierre et moi avions l’habitude de travailler ensemble pour en ressortir avec le disque. Nous utilisions ensuite diverses tactiques pour que l’un de nous puisse se rendre au filet et obtenir une chance de marquer.

Quand Jean-Pierre avait quitté Buffalo, mon ailier droit était devenu Jason Pominville, qui était avant tout un tireur. Il avait alors fallu que je m’adapte au jeu de Jason en misant davantage sur mes habiletés de passeur. Jason avait un talent inné pour dénicher des espaces libres en zone offensive. Et comme nous interprétions le déroulement du jeu de la même manière, il était toujours facile à repérer.

Mais voilà, Ville Leino était un spécimen tout à fait différent. Il était très habile pour refiler la rondelle à ses partenaires et il voulait qu’on le laisse exploiter cet aspect dominant de son jeu. À ses côtés, il fallait donc que je cherche davantage à me démarquer. Il me disait:

— Daniel, même si j’ai trois gars sur le dos quand je suis en possession de la rondelle, je ne veux pas que tu viennes m’aider. Si j’ai trois joueurs adverses autour de moi, ça signifie qu’il y a des espaces libres quelque part autour du filet.

Cette adaptation s’est faite rapidement entre nous. Dès que Leino était impliqué dans une bataille pour la rondelle impliquant au moins deux joueurs adverses, c’était mon signal! C’est à ce moment que j’apparaissais sur une parcelle de patinoire laissée sans surveillance et que je recevais la passe. En jouant à ses côtés, j’ai marqué une grande quantité de buts alors que j’étais fin seul dans l’angle mort du gardien.

Souvent, les joueurs qui sont réunis avec de nouveaux compagnons de trio cherchent surtout à savoir comment leurs coéquipiers pourront les compléter et les aider à exploiter leurs propres forces. Mais l’autre face de la médaille est tout aussi importante. Il faut savoir s’adapter au style de ses partenaires pour leur permettre de connaître du succès.

Dans le quatrième match de cette étrange série face aux Bruins, nous avons vraiment frôlé l’élimination par balayage. C’est un but inscrit en prolongation par Simon Gagné qui nous a permis de l’emporter par la marque de 5 à 4.

Nous avons ensuite remporté la cinquième rencontre, celle que nous avions identifiée comme étant la plus cruciale, par la marque décisive de 4 à 0. Et alors que nous étions de retour à Philadelphie pour la sixième partie, nous avons continué de museler l’attaque des Bruins pendant les 59 premières minutes de jeu, ce qui nous a valu un gain de 2 à 1.

La série était désormais égale 3-3. Tout se déroulait exactement comme nous l’avions imaginé durant notre discussion dans le salon des joueurs, alors que nous étions tous encore sous le choc de tirer de l’arrière 0-3 dans la série.

Sauf que le plan a complètement déraillé quand nous sommes retournés à Boston pour disputer la septième rencontre.

Après seulement 14 minutes de jeu, les Bruins avaient déjà marqué deux fois en avantage numérique et ils détenaient une avance de 3-0. Notre jeu était mauvais et notre niveau d’intensité était absolument inacceptable. Je regardais les choses aller en me disant: «On ne peut pas se faire écraser comme ça dans un septième match! Pas après tous les efforts qu’on a faits pour remonter la pente!»

La frustration était tellement forte que j’ai complètement perdu la tête durant cette période initiale.

À la huitième minute, peu après que Michael Ryder ait ouvert la marque en avantage numérique, j’ai écopé une mauvaise pénalité alors que nous profitions à notre tour de l’avantage d’un joueur. Tuukka Rask a effectué un arrêt et j’ai servi un double-échec au défenseur Dennis Wideman, qui s’est toutefois penché au même moment. Mon bâton a atteint son casque, qui a aussitôt virevolté dans les airs, juste sous les yeux de l’arbitre Stephen Walkom.

Il n’y a rien que je n’ai pas dit à Walkom en me rendant au banc des punitions. À travers une longue série d’insultes, je l’ai aussi accusé de tout faire pour provoquer notre élimination.

Impassible, l’arbitre m’a laissé prendre place au banc des pénalités. Puis il y a eu une pause, durant laquelle j’ai pu me calmer un peu. Avant que le jeu reprenne, Walkom a ouvert la porte du banc des punitions et m’a lancé:

— Essaie de te calmer. Le match ne fait que commencer.

Puis il est reparti.

Les Bruins ont marqué leur deuxième but alors que j’étais au cachot. Et quand ils ont pris les devants 3 à 0, Peter Laviolette a demandé un temps d’arrêt pour calmer les esprits et nous permettre de nous ressaisir.

Heureusement, nous sommes parvenus à réduire l’écart à deux buts alors qu’il restait moins de trois minutes à faire en première. James Van Riemsdyk a profité d’un bond chanceux. Il est sorti d’un coin de la patinoire avec le disque et son tir a atteint un défenseur des Bruins avant de glisser derrière Tuukka Rask.

Personne ne disait un mot quand nous sommes rentrés au vestiaire. C’était mort. Nous étions tous extrêmement déçus de la façon dont nous avions abordé ce match crucial.

Mais quand on y repense, les joueurs des Bruins devaient aussi réfléchir assez fort de leur côté. Ils avaient détenu une avance de 3-0 dans la série et ils nous avaient vus revenir 3-1, 3-2 et 3-3. Et puis là, dans le septième match, nous venions exactement d’entreprendre le même genre de remontée: c’était 3 à 0 Bruins et nous venions de faire 3 à 1. Ils savaient parfaitement que deux périodes d’enfer s’en venaient. En plus, Boston avait été éliminé dans un septième match lors des deux saisons précédentes. Ce n’était rien pour donner confiance à nos adversaires.

Notre trio a marqué dès la troisième minute de jeu du second engagement. J’ai refilé la rondelle à Leino du côté gauche de l’enclave. Il a tiré. Hartnell, qui fonçait au filet du côté droit, s’est ensuite emparé du retour pour déjouer Rask.

À partir de là, le match a complètement changé. Je n’avais jamais été témoin d’une réaction collective semblable au cours d’un match. C’était comme si les Bruins avaient soudainement peur de se retrouver en possession de la rondelle. Je me rappelle particulièrement de bons joueurs comme Zdeno Chara et Dennis Wideman, pourtant reconnus pour gérer la rondelle efficacement, qui semblaient pris de panique et qui ne voulaient pas se retrouver en possession du disque.

C’était étrange. Malgré l’importance du match que nous étions en train de disputer, j’essayais de prendre des notes. Et je me disais que si je devais un jour me retrouver dans la même position que les Bruins, il me faudrait absolument réagir différemment. Ils étaient littéralement paralysés par la pression.

Six minutes après le but de Hartnell, nous avons égalisé la marque 3 à 3.

«Je revois encore Daniel contourner le filet des Bruins en deuxième période et battre Tuukka Rask de vitesse pour marquer sur un wrap-around», raconte Paul Holmgren.

«Les buts qu’il a marqués et les jeux qu’il a faits dans cette série, c’était franchement impressionnant. Daniel trouvait toujours le moyen de produire sous pression. Tu ne le voyais pas trop durant le match mais quand survenait le moment où l’équipe avait besoin d’un but, il ressortait du lot et pow! Que ce soit à cinq contre cinq ou en avantage numérique, il était toujours le joueur des grandes occasions. C’est l’image qui me revient tout de suite en tête quand je pense à Danny B», témoigne Ian Laperrière.

Pendant ce temps, c’était l’hystérie à Philadelphie.

La direction des Flyers avait invité les partisans de l’équipe à assister au match sur l’écran géant du Wachovia Center. Mais parce qu’on s’attendait à une foule de 3 000 à 5 000 personnes tout au plus, seulement une petite partie des employés de l’amphithéâtre avaient été appelés au travail.

Environ 16 000 personnes avaient cependant répondu à l’invitation et, dès la mise au jeu initiale, les dirigeants de l’amphithéâtre savaient qu’ils étaient en difficulté. Clairement, il n’y avait pas suffisamment de personnel pour encadrer et s’occuper de tous ces gens. À un certain moment, les placiers ont même été obligés de prendre place derrière les comptoirs pour servir de la bière. C’était le bordel dans l’édifice. Un joyeux bordel, toutefois.

J’ai encore des frissons quand je revois les images de cette soirée et la frénésie qui régnait dans notre amphithéâtre durant cette remontée. Les partisans célébraient tellement, dit-on, que l’édifice en tremblait!

Quand nous sommes rentrés au vestiaire après la deuxième, nous savions que les Bruins étaient finis. Nous les avions dans les câbles et il n’était pas question de leur permettre d’en ressortir.

Le dernier segment de la bataille a tout de même été difficile. Les deux équipes se sont échangées des tirs sur les poteaux et notre gardien Michael Leighton a dû accomplir quelques arrêts difficiles. Puis au milieu de la troisième, alors que nous avions l’avantage d’un homme, Simon Gagné a capté une passe de Mike Richards dans l’enclave. Il a enfoncé le dernier clou en déjouant Rask.

Pour seulement la troisième fois dans l’histoire de la LNH, une équipe venait de combler un retard de 0-3 en séries éliminatoires de la coupe Stanley.

Ce septième match face aux Bruins est l’un des plus enlevants auxquels j’ai participé. En l’espace de deux heures et demie, cette rencontre nous a fait passer à travers les plus vives émotions que des athlètes puissent ressentir: l’adrénaline et l’anticipation du début d’un match décisif, la profonde désolation d’avoir failli à la tâche puis une spectaculaire remontée jusqu’au sommet du monde.

À bord de l’avion qui nous ramenait de Boston vers Philadelphie, nous savions que nous allions affronter le Canadien en finale de l’Est. Mais notre niveau de confiance était tellement élevé que nous commencions déjà à nous dire que nos chances d’accéder à la grande finale de la coupe Stanley étaient excellentes.

Ce n’était pas un manque de respect envers le CH. Nous étions tout à fait conscients que Montréal venait d’éliminer, tour à tour, les récipiendaires du trophée du Président, les Capitals de Washington, et les champions en titre de la coupe Stanley, les Penguins de Pittsburgh.

Nous estimions par contre que notre équipe était construite différemment des Capitals et des Penguins parce que notre sort ne dépendait pas d’une ou deux supervedettes. Et nous croyions que ça compliquerait drôlement la tâche du Canadien. Lorsqu’ils avaient affronté les Capitals, les Montréalais avaient concentré leurs efforts défensifs sur Alex Ovechkin. Et quand ils s’étaient frottés aux Penguins, ils avaient tout mis en œuvre pour contrer Sidney Crosby.

Mais chez les Flyers, on retrouvait trois trios assez équilibrés. Aussi, parmi notre groupe de défenseurs, Chris Pronger était bon dans toutes les facettes du jeu, mais il n’était pas le genre d’arrière qui contrôlait une rencontre à lui seul. Le Canadien se retrouvait alors sans cible précise à surveiller en défense. Durant les tours éliminatoires précédents, Montréal avait pu assigner un trio défensif contre le meilleur trio adverse, mais le CH ne pouvait répéter cette tactique contre nous.

Par ailleurs, nous avions l’habitude de jouer avec confiance contre Montréal et nous avions connu du succès à leurs dépens en deuxième moitié de calendrier. Enfin, le Canadien ne misait pas sur une équipe costaude. J’avais le sentiment que la réputation de «durs» des Flyers, qui datait des années 1970, dérangeait le Canadien. L’époque des Broad Street Bullies était très lointaine mais clairement, certaines équipes réagissaient encore négativement lorsqu’elles débarquaient à Philadelphie.

Bref, après le tsunami d’émotions vécu face aux Bruins, nous avions l’impression que plus rien ne pouvait nous arrêter.

La série face au Canadien a été expéditive. Nous avons littéralement sorti le rouleau compresseur et mis un terme à ce que les partisans montréalais appelaient le «printemps Halak».

Lors des deux premiers tours éliminatoires, le gardien Jaroslav Halak était devenu un véritable héros à Montréal en maintenant des moyennes d’efficacité de ,976 face aux Capitals et de ,949 contre les Penguins. Il avait été tout simplement miraculeux.

La magie de Halak s’est toutefois arrêtée à Philadelphie, où étaient disputées les deux premières rencontres de la finale de l’Est. Nous avons complètement dominé ces deux matchs, qui se sont soldés par des scores sans équivoque de 6 à 0 et de 3 à 0.

De retour à Montréal pour le troisième match, le Canadien a répliqué avec une victoire de 5 à 1. Mais nous les avons blanchis pour une troisième fois lors du quatrième match, encore au compte de 3 à 0. Nous avons ensuite complété le travail (un gain de 4 à 2) quand la série s’est à nouveau transportée à Philadelphie pour la cinquième partie.

C’est ainsi que nous avons obtenu notre ticket pour la grande finale, face aux Blackhawks de Chicago.

Trois ingrédients sont essentiels pour qu’une équipe puisse remporter la coupe Stanley: il faut qu’elle soit bonne, qu’elle soit chanceuse et que la grille du tournoi éliminatoire lui procure des affrontements qui favorisent son style de jeu.

Lors des trois premiers tours des séries, les astres s’étaient parfaitement alignés pour les Flyers. Toutes les équipes que nous avions affrontées avant d’arriver en finale, les Devils, les Bruins et le Canadien, pratiquaient la trappe, un style de jeu défensif assez statique qui vise à occuper le plus possible la zone neutre.

De notre côté, depuis l’arrivée de Peter Laviolette aux commandes, notre système de jeu était davantage de type run and gun, donc beaucoup plus axé sur l’attaque et la capacité de surprendre l’adversaire en quittant rapidement notre territoire défensif.

Nous misions sur plusieurs défenseurs capables de bien faire circuler la rondelle, comme Kimmo Timonen, Matt Carle, Braydon Coburn et Chris Pronger. Dès que l’un de nos défenseurs récupérait la rondelle, nos attaquants avaient donc l’ordre de décamper à toute vitesse en direction de la zone adverse. Il y avait assez peu d’équipes qui jouaient de cette façon, et ce système nous avantageait dans l’Est.

Ce fut toutefois une autre paire de manches quand nous sommes arrivés en finale. Les Blackhawks misaient eux aussi sur un système run and gun. Et le fait de se lancer dans un concours offensif contre une équipe aussi bien nantie s’annonçait difficile.

De mon côté, cette finale me propulsait sous les réflecteurs puisque j’assumais des responsabilités offensives importantes chez les Flyers.

Les gens qui me connaissent savent à quel point je suis un homme discret qui souhaite passer inaperçu dans la vie quotidienne. Je n’aime pas recevoir d’attentions spéciales ou me faire honorer de quelque manière que ce soit.

Par contre, sur la patinoire, et je ne sais trop comment l’expliquer, je voulais être le joueur qui allait ressortir du lot dans les moments importants. Je voulais être celui qui allait faire la différence. En fait, je croyais fermement que j’étais destiné à être celui qui allait orchestrer le jeu-clé, marquer le gros but ou réussir la passe décisive. J’avais cette conviction profonde chaque fois que j’enfilais mon équipement.

De mon point de vue, donc, cet affrontement Blackhawks-Flyers en finale de la coupe Stanley constituait une occasion unique de démontrer que j’étais meilleur que Jonathan Toews et que Patrick Kane. Je voyais les choses de cette façon, le 29 mai 2010, quand cette série ultime s’est mise en branle à Chicago.

En plus, cette présence en finale survenait alors que je jouais le meilleur hockey de ma vie.

Selon ma sœur Guylaine, la qualité de mon jeu découlait du fait que j’étais parvenu à canaliser positivement une sorte de rage qui m’avait habité durant toute la saison. Mon ami, mentor et ancien entraîneur, André Ruel, interprétait quant à lui mes performances comme l’effort d’un père prêt à tout pour s’ancrer définitivement à Philadelphie afin de ne pas être éloigné de ses enfants.

Peu importe. Au final, j’avais réussi à optimiser toutes les composantes de mon jeu. J’avais 32 ans et, de toute ma carrière, j’avais la sensation de n’avoir jamais été aussi rapide et de n’avoir jamais aussi bien lu ce qui se passait sur la patinoire.

Durant toute cette période, je n’avais rien d’autre à faire que passer du temps à l’aréna. Les enfants partaient pour l’école à 8 heures et ils n’en revenaient pas avant 15 heures ou 15 heures 30. Je passais mes journées entières à notre complexe d’entraînement de Voorhees à décortiquer des films de match, m’entraîner et chercher le moindre avantage susceptible de nous aider à vaincre nos adversaires.

Notre première confrontation contre une équipe préconisant une attaque run and gun a confirmé que la finale allait être une série différente des autres. Le jeu était très ouvert. Nous nous sommes donc lancés dans un concours offensif avec les Blackhawks et nous en sommes ressortis avec une défaite de 6 à 5.

Le score était de 5 à 5 après quarante minutes de jeu! Et c’est l’ailier droit Tomas Kopecky qui a marqué le but décisif des Blackhawks en milieu de troisième période.

C’est difficile à dire, parce que c’est survenu un soir de défaite et qu’en tant qu’athlète on ne vit que pour la victoire, mais j’ai sans doute connu le meilleur match de ma vie ce soir-là. J’avais littéralement l’impression d’avoir des ailes. Les trois membres de notre trio ont trouvé le fond du filet dès la première période. Et à la fin de la soirée, j’avais récolté un but et trois passes à mon baptême de finale de la coupe Stanley.

«J’étais directeur du personnel des joueurs des Blackhawks à ce moment-là, se souvient Marc Bergevin, qui est devenu deux ans plus tard le directeur général du Canadien de Montréal. Dans cette finale, Daniel était impressionnant. Il jouait vraiment du gros hockey.»

Les entraîneurs des deux équipes avaient certainement pris des notes durant le premier match, parce que le jeu s’est considérablement resserré lors du deuxième.

Les Blackhawks ont cependant profité d’un court passage à vide de notre équipe pour inscrire deux buts en l’espace de 28 secondes à la toute fin de la deuxième période, et ça leur a suffi pour décrocher une victoire de 2 à 1 et se tailler une avance de 2-0 dans la série.

À notre retour à Philadelphie, Peter Laviolette m’a convoqué à son bureau et il m’a confié le difficile mandat d’affronter Jonathan Toews. C’était une marque de confiance dont je reste, encore aujourd’hui, extrêmement fier.

Quand la finale s’est mise en branle, Toews était probablement le meilleur joueur sur la planète. Il était en tête des marqueurs des séries de la LNH en vertu d’une fiche de 7 buts et 19 passes. Et quelques mois auparavant, à Vancouver, il avait été proclamé le meilleur attaquant du tournoi olympique. Équipe Canada avait remporté la médaille d’or et le capitaine des Blackhawks avait mené cette formation en totalisant le plus grand nombre de points (1-7-8) ainsi qu’en compilant le meilleur ratio de plus et de moins (+ 9).

En plus, Toews était flanqué de Marian Hossa, qui n’était pas un deux de pique, et il avait la réputation de pivoter le meilleur trio défensif de toute la LNH. D’ailleurs, Laviolette me demandait d’affronter Toews justement parce qu’il voulait soustraire le trio de Mike Richards de ce carcan.

Cette responsabilité était extrêmement importante à mes yeux.

Souvent, amateurs et observateurs résument ma carrière en disant: «Ah, Brière était bon en attaque, mais il n’excellait pas défensivement.» Et je ne cache pas que certains passages difficiles en défense soient survenus ici et là au fil de ma carrière. Pour un attaquant de petite taille, certains systèmes de jeu sont plus difficiles à mettre en application. Et lorsqu’on prend de l’âge, on perd un peu de vitesse et il devient plus difficile de suivre la cadence. Mais quand Peter Laviolette m’a demandé de remplir ce mandat crucial, j’étais à mon mieux.

Notre trio Hartnell-Brière-Leino a donc été jumelé à celui de Toews lors des matchs 3, 4 et 6, et nous avons continué à dominer exactement comme nous le faisions avant de recevoir cette assignation.

Juste à notre façon de jouer, il était assez clair que Toews et moi éprouvions du respect l’un pour l’autre. Il n’y avait ni insultes ni propos désobligeants. En fait, nous ne nous adressions jamais la parole sur la patinoire. Il n’y avait pas de coups salauds non plus. Nous nous contentions de jouer le plus solidement possible sans céder le moindre centimètre de patinoire. Si Toews avait la chance de terminer une mise en échec à mes dépens, il le faisait en y mettant toute la gomme. Et je faisais la même chose envers lui.

Dans cette série, j’ai totalement sacrifié mon corps pour empêcher Toews de nous battre.

Le capitaine des Blackhawks avait complété les trois premiers tours éliminatoires avec 26 points, mais il a été limité à seulement trois mentions d’aide durant l’ultime série.

Notre trio était tellement solide en possession de la rondelle que Toews et ses ailiers avaient énormément de difficulté à créer quoi que ce soit. Révélé par les éliminatoires, Leino s’avérait l’une des plus belles trouvailles à travers la ligue. Il était en effet l’un des meilleurs attaquants pour protéger la rondelle. De son côté, Hartnell était un gros attaquant de puissance capable de se camper à l’intérieur des points de mise au jeu en zone adverse. Pour ma part, je m’appliquais à créer du mouvement et de la vitesse.

C’est un peu de cette façon, en gardant la rondelle et en excellant offensivement (bien plus qu’en jouant défensivement), que nous sommes parvenus à neutraliser le gros trio des Blackhawks.

Aussi, c’est un peu ce qui explique comment je suis parvenu à récolter 12 points dans cette finale de la coupe Stanley (3 buts et 9 aides) et à m’approcher du record de 13 points détenu par Wayne Gretzky.

À Philadelphie, c’est dans cette série que ma réputation et mon surnom, «Mister Playoffs», se sont cristallisés.

«Quand la finale a pris fin, Danny avait amassé 30 points et il était en tête des marqueurs en séries, souligne Paul Holmgren. Il a connu des éliminatoires incroyables.

«Quelques années plus tôt, j’avais été très fier d’embaucher Daniel à titre de joueur autonome parce que je l’avais vu marquer un grand nombre de buts importants contre notre équipe. Il faisait exactement la même chose chez les Flyers. Il était celui qui prenait les choses en main parce qu’il était extrêmement compétitif. Vous regardiez ce petit joueur parmi tous les mastodontes sur la patinoire, et c’était lui qui trouvait le moyen d’inscrire les gros buts en se postant juste à la porte du filet. Combien de fois cela est-il arrivé?»

Après nous avoir vus remporter les troisième et quatrième matchs à Philadelphie et créer l’égalité 2-2 dans la série, les Blackhawks sont revenus en force sur la patinoire de leur United Center. Dans un autre match de style run and gun, ils nous ont infligé un revers de 7 à 4 dans le cinquième match.

Rendus au sixième match, les joueurs des Hawks voulaient visiblement en finir. Leur attaque a continué de générer des tirs (41) et des chances de marquer à la pelle. Notre gardien Michael Leighton a toutefois bien répondu en les limitant à trois buts dans les 60 premières minutes de jeu. Notre trio a assuré la réplique en marquant les trois buts de notre équipe. Alors qu’il restait moins de quatre minutes à jouer, c’est Scott Hartnell qui a inscrit son deuxième de la soirée pour forcer la tenue d’une prolongation.

La suite a donné lieu à l’une des plus étranges conclusions auxquelles on ait assisté en finale de la coupe Stanley.

Au début de la première période de prolongation, Patrick Kane est sorti du coin gauche de la patinoire en longeant notre ligne des buts. Et même s’il n’avait aucun angle, il a tiré en direction de Leighton. Notre gardien était appuyé sur son poteau mais le disque s’est faufilé entre ses jambières pour ensuite disparaître sous la bande de caoutchouc protégeant la partie inférieure du filet.

Le jeu est survenu si rapidement que Kane semblait être le seul dans l’amphithéâtre à réaliser qu’il venait de marquer le but décisif. Alors que la confusion régnait sur la patinoire et que les autres joueurs cherchaient toujours à récupérer la rondelle, Kane patinait en trombe en direction de la zone des Hawks et lançait son casque en célébrant.

C’est ainsi qu’a pris fin notre rêve de soulever la coupe Stanley. Nous y touchions presque. Malheureusement, par la suite, je n’ai plus jamais eu la chance de m’approcher aussi près du précieux trophée.

Les Blackhawks ont donc savouré leur première conquête en 49 ans. Et en toute honnêteté, il ne s’agissait pas d’une injustice. Leur équipe était légèrement supérieure à la nôtre. La profondeur de leur alignement était impressionnante. D’ailleurs, pendant que le premier trio de Chicago était muselé, Kane et Dustin Byfuglien nous ont particulièrement fait mal lors des deux derniers matchs de la série en marquant cinq buts.

Après la traditionnelle poignée de mains, Jonathan Toews s’est fait remettre le trophée Conn Smythe à titre de joueur par excellence des séries éliminatoires. Objectivement, on peut seulement conclure que cet honneur lui a été décerné en raison des succès qu’il avait connus avant de participer à la finale.

Cette confrontation mano a mano avec le capitaine des Blackhawks restera l’une de mes plus grandes fiertés.

La saison 2009-2010 a débuté et s’est terminée par deux des plus grandes déceptions de ma vie. Et entre les deux, sans trop savoir comment l’expliquer, j’ai atteint un véritable état de grâce. Sans le savoir, je venais de vivre mon apogée.