Chapitre 12

Un Canadien à jamais…

Cette séparation à l’amiable avec les Flyers m’attristait pour plusieurs raisons. J’adorais cette organisation ainsi que les gens qui y travaillaient. Je m’y sentais bien. Par-dessus tout, j’étais chaviré à l’idée que, n’étant plus en mesure de jouer à Philadelphie, j’allais devoir m’éloigner de mes trois fils.

Les garçons étudiaient et pratiquaient le hockey à Philadelphie. Ils y avaient tous leurs amis. Et Sylvie, leur mère, vivait dans la région. Je me considérais comme un citoyen de Philly et j’avais l’intention d’y conserver ma résidence principale. La stabilité des enfants constituait l’option la plus douloureuse pour moi, mais la plus souhaitable pour eux à ce stade de leur vie.

La fin de mon association avec les Flyers a été rendue publique vers le 20 juin 2013, quelques jours après ma rencontre avec Paul Holmgren. J’étais alors en période de réflexion quant à la suite de ma carrière. Rendu à 35 ans, j’espérais pouvoir disputer deux ou trois autres bonnes saisons. Nous n’étions qu’à une dizaine de jours de l’ouverture du marché de l’autonomie et j’étais curieux de voir quelles équipes allaient manifester de l’intérêt pour moi.

Finalement, 16 ou 17 clubs ont communiqué avec Pat Brisson et je me suis particulièrement concentré sur les offres faites par les Predators de Nashville, les Devils du New Jersey et le Canadien de Montréal.

Les Predators avaient une bonne organisation. Jean-Pierre Dumont m’en avait dit beaucoup de bien. Par ailleurs, je connaissais assez bien leur entraîneur Barry Trotz pour l’avoir côtoyé dans le passé au sein d’Équipe Canada. Les Devils constituaient aussi une option alléchante en raison de leur situation géographique. D’un point de vue familial, leur proximité avec Philadelphie constituait un gros avantage.

Du côté du Canadien, l’avenir semblait fort prometteur. Dès son arrivée à titre de directeur général du Tricolore, Marc Bergevin avait vu son équipe faire un phénoménal bond de 24 places au classement par rapport à la saison précédente. Le dynamisme du nouveau DG montréalais me rappelait l’effet qu’avait eu Paul Holmgren lorsqu’on lui avait confié les commandes des Flyers au milieu des années 2000.

Tous deux âgés de 23 ans, l’attaquant Max Pacioretty et le défenseur P.K. Subban étaient en train de se tailler une place parmi les meilleurs joueurs de la ligue. Subban était d’ailleurs sur le point de remporter le trophée Norris. Deux autres jeunes, Brendan Gallagher et Alex Galchenyuk, venaient aussi de faire belle impression à leur première saison dans la LNH.

Malgré tous ces signes encourageants, le Canadien manquait de profondeur à l’attaque. Je regardais la situation de cette équipe et j’étais convaincu de pouvoir y jouer un rôle utile.

«Quand les Flyers ont racheté le contrat de Daniel, j’ai eu une bonne conversation avec Paul Holmgren, raconte le directeur général du Canadien, Marc Bergevin. Et il avait une très haute opinion de lui, autant comme joueur de hockey que comme être humain.

«Holmgren m’a dit: “Tu ne peux trouver une meilleure personne que Danny Brière. Nous avons dû racheter son contrat parce que ses performances ne justifiaient plus la place qu’il occupait sur la masse salariale. Mais si tu peux ajuster son salaire, je pense qu’il va te rendre de bons services.”»

Pat Brisson a donc organisé une conférence téléphonique afin que nous puissions discuter avec Marc Bergevin et l’entraîneur en chef de l’équipe, Michel Therrien, qui en était à son deuxième séjour derrière le banc du Canadien. Therrien avait été embauché par Bergevin peu après sa nomination à titre de DG. Il était donc l’un des principaux responsables du spectaculaire redressement du Tricolore.

Nos premiers contacts avec les dirigeants montréalais se sont avérés très positifs. Marc Bergevin, qui menait la discussion, insistait sur le fait que le Canadien recherchait des joueurs de caractère et qu’il lui restait quelques postes importants à combler à l’attaque. Les directeurs généraux ne font jamais de promesses lorsqu’ils courtisent un joueur. Mais on me faisait clairement comprendre que j’allais avoir l’opportunité de jouer au sein d’un trio offensif ainsi qu’en avantage numérique de temps à autre. Lorsqu’il intervenait, Michel Therrien se montrait aussi très positif quant à la manière dont il songeait à m’utiliser au sein de son alignement.

Tout cela était donc extrêmement intéressant et enthousiasmant.

«Je voyais Dan comme un gars qui n’était plus à son apogée, mais qui pouvait aider notre unité de supériorité numérique, raconte Marc Bergevin. Et je me disais que nous allions pouvoir le faire graduer au sein de nos deux premiers trios de temps en temps. Je connaissais un peu Daniel personnellement et je voulais qu’il vienne à Montréal. Il était connu pour son leadership, et je croyais qu’il allait aussi pouvoir nous aider de ce côté.»

Après avoir discuté avec les Predators, les Devils et le Canadien, j’ai pris un peu de recul pour réfléchir à mon affaire. Il y avait en jeu d’importantes implications familiales.

Alors que je jonglais avec les trois options, j’ai repensé à la journée du 1er juillet 2007 et aux circonstances qui m’avaient incité à préférer les Flyers au Canadien. Et je me disais que le destin se montrait bien généreux envers moi. Je me rendais compte qu’il était assez exceptionnel d’accéder deux fois au marché de l’autonomie et d’être courtisé à chaque fois par Montréal. Je me disais que je ne pouvais rater l’occasion une fois de plus. Je voulais porter ce chandail et vivre cette expérience tout à fait unique pour un hockeyeur québécois.

J’ai donc demandé à Pat de conclure une entente avec le Canadien.

«Pat Brisson m’a fait part des demandes de Daniel et j’ai fait le deal, explique Marc Bergevin. La durée des contrats est toujours un facteur important pour moi, mais le marché des joueurs autonomes est difficile pour les dirigeants d’équipes. À mes yeux, l’idéal aurait été de conclure une entente d’une seule saison, mais nous avons réglé pour deux. Puisque les deux autres équipes offraient deux ans, Daniel ne serait pas venu jouer à Montréal avec une seule année de contrat.»

Le Canadien a annoncé mon embauche le jeudi 4 juillet. Je me trouvais alors en Arizona. Misha avait été assignée à une base située en Caroline du Nord et je l’aidais à empaqueter ses affaires. Les messages de félicitations se sont aussitôt mis à apparaître par dizaines sur mon téléphone. Il était difficile pour moi de mesurer l’ampleur de la nouvelle, mais ça semblait assurément défrayer la manchette au Québec.

«Ce jour-là, je participais au tournoi de golf de Max Talbot et de Bruno Gervais, dans la région de Montréal, raconte David Desharnais, qui pivotait alors le meilleur trio offensif du CH aux côtés de Max Pacioretty. Il y avait sur place beaucoup de journalistes et de gens œuvrant dans le monde du hockey. La nouvelle de l’embauche de Daniel s’est répandue comme une traînée de poudre. Puis la plupart des gens présents se sont mis à me demander si j’allais être échangé, comme si Daniel se profilait comme mon adversaire plutôt que mon coéquipier. Je ne comprenais pas ce raisonnement. Je venais de signer une prolongation de contrat de quatre ans avec le Canadien.

«Cela dit, j’étais content de l’arrivée de Daniel. Nous avions clairement besoin de quelqu’un pour nous aider à marquer des buts. Je ne le connaissais pas du tout. Le seul contact que j’avais eu avec lui s’était produit en février 2010, alors que j’en étais à mon cinquième match dans la LNH. On jouait à Philadelphie. J’étais posté près de la ligne rouge durant la période d’échauffement et j’avais senti un coup de bâton sur mes jambières provenant du côté des Flyers. C’était Daniel. Il m’avait dit: “Lâche pas! Je suis ta carrière. Lâche pas!” J’étais impressionné qu’une vedette comme lui sache qui j’étais. Et je me disais: “Wow, il a l’air d’être un bon gars.”»

J’ai participé à une conférence téléphonique avec les journalistes affectés à la couverture du Canadien, puis Misha et moi avons pris la route en direction de la Caroline du Nord.

«Daniel a conduit le camion de location pendant les quatre jours que nécessitaient le trajet entre l’Arizona et la Caroline du Nord, se souvient Misha. Les demandes d’entrevues surgissaient de partout. Il a accordé des interviews à des radios québécoises jusqu’à notre arrivée à destination, pendant que mes chats se lamentaient à côté de lui.»

Une fois le déménagement de Misha complété, je suis passé faire un tour à Montréal pour y dénicher un appartement. J’ai loué un condo situé à trois coins de rue du Centre Bell, à l’angle des rues Drummond et Maisonneuve. Dès que j’ai posé le pied en ville, j’ai compris à quel point l’expérience de porter le chandail du Canadien allait être exceptionnelle. Les gens me saluaient dans la rue, d’autres venaient me serrer la main et me souhaiter la bienvenue. Et nous n’étions qu’en juillet…

Je suis ensuite retourné à Philadelphie pour retrouver les enfants et poursuivre mon programme d’entraînement estival. Avec leur classe habituelle, les dirigeants des Flyers avaient insisté pour que je continue à utiliser leurs installations pour m’entraîner.

Une fois qu’un joueur a porté le chandail des Flyers, il reste un Flyer pour toujours. C’est ancré dans la culture de cette organisation. C’était la philosophie d’Ed Snider et ça créait un très fort esprit de famille.

Au même titre que d’autres anciens membres de l’organisation, comme Justin Williams et Dennis Seidenberg, j’ai donc patiné avec des joueurs des Flyers durant tout l’été. Et j’ai conservé mon casier dans le vestiaire de l’équipe jusqu’à ce que je quitte la ville pour aller me joindre au Canadien. Le préposé à l’équipement de l’équipe, Derek Settlemyre, m’avait dit:

— Tu as plus fait pour cette organisation que n’importe quelle recrue qui prendra ta place. Alors tant que tu es là, ce casier est le tien.

À la fin de l’été, quelques semaines avant le début du camp d’entraînement, j’ai emménagé à Montréal en prenant les enfants avec moi. Je voulais qu’ils puissent s’imprégner de l’ambiance de la ville et je voulais leur donner un avant-goût de ce qu’ils allaient vivre quand ils allaient venir me visiter durant la saison. Il s’agissait aussi d’une bonne occasion de leur faire découvrir toute l’importance du Canadien à Montréal.

Avant le début du camp, j’ai participé à plusieurs sessions de photos. J’ai aussi accordé de multiples entrevues à des magazines et à des stations radiophoniques, en plus de participer à toutes sortes d’émissions de télé. J’étais impressionné de voir à quel point Montréal vivait au rythme de ses Canadiens. J’avais rarement été aussi fébrile à l’approche d’une saison de hockey. J’avais vraiment hâte de porter le chandail bleu-blanc-rouge.

Quand le camp d’entraînement s’est mis en branle, Michel Therrien m’a assigné un poste à l’aile droite en compagnie de Max Pacioretty et de David Desharnais.

«Ce qui m’a tout de suite frappé, raconte Max Pacioretty, c’est que Daniel arrivait avec une attitude de vrai joueur d’équipe. Notre première tâche consistait à nous habituer à jouer ensemble et il était prêt à faire n’importe quoi pour nous aider, David et moi.»

«Dès le départ, témoigne David Desharnais, Daniel m’a dit: “Tu vas me montrer comment jouer dans l’environnement de Montréal.” Il semblait mi-sérieux, mi-blagueur. Intérieurement, je me disais: “Ce gars-là a 15 ans d’expérience dans la LNH et c’est lui qui va me montrer le chemin.” À ce moment-là, aucun de nous deux ne se doutait à quel point nous allions devoir nous entraider.»

Notre trio a connu un certain succès durant le calendrier présaison. Pacioretty a récolté des buts (quatre au total) contre les Bruins, les Devils et les Sénateurs d’Ottawa alors que David et moi récoltions une ou deux mentions d’aide par match.

Même si j’étais vraiment excité de découvrir ma nouvelle équipe et ses rouages, mon plus vif souvenir du camp de l’automne 2014 n’a rien à voir avec l’action qui se déroulait sur la patinoire.

Grâce à l’intervention d’une amie commune, l’ex-défenseur Pierre Bouchard et sa femme Line m’ont invité à dîner à leur magnifique ferme de Verchères en compagnie de nul autre que Jean Béliveau, de sa femme Élise et de leur fille Hélène.

C’était la première fois que j’avais la chance de rencontrer celui que les amateurs surnommaient affectueusement le Gros Bill. Je me sentais comme un enfant. Et je n’avais aucune difficulté à imaginer la réaction de mon père quand j’allais lui annoncer que j’avais pris un repas avec son plus grand héros de jeunesse.

Monsieur Béliveau et moi avions conversé une seule fois auparavant, le 1er juillet 2007, quand il m’avait appelé pour m’encourager à signer avec le CH. Ce sujet n’est pas revenu sur le tapis durant notre rencontre.

Il venait tout juste de célébrer son 82e anniversaire. Sa santé était de toute évidence fragile, mais il avait un bon moral. Durant ce mémorable après-midi, j’ai eu droit à un fascinant exposé sur l’histoire du Canadien et à toutes sortes d’anecdotes. J’étais littéralement suspendu à ses lèvres! J’étais impressionné qu’après toutes ces années, sa mémoire ait pu préserver avec tant de détails les souvenirs de la plus grande dynastie du hockey.

Monsieur Béliveau nous a quittés l’année suivante, le 2 décembre 2014. Son décès a plongé le Québec dans un deuil national et sa dépouille a été exposée en chapelle ardente au Centre Bell. Durant deux jours, malgré le froid, des milliers de gens ont patiemment fait la queue à l’extérieur de l’édifice (certains arrivaient avant l’aube) pour lui rendre hommage.

L’ampleur de cette réaction collective m’a fait réaliser encore davantage à quel point j’avais été privilégié de faire sa connaissance et de passer un moment avec lui et ses proches. Monsieur Béliveau était un véritable monument.

Quand la saison s’est mise en branle, le 1er octobre face à Toronto, la chimie de notre trio n’était pas encore parfaite. Je tentais encore d’apprendre à compléter David et Max. Parfois, cette chimie ne survient pas instantanément. Max est un tireur et je devais identifier un peu mieux ses points de repère et les moments qu’il choisissait pour se faufiler dans les ouvertures. Quant à David, il fallait que je me familiarise avec les endroits où il aimait recevoir la rondelle et à la manière dont il venait me supporter près de la bande. Ce sont des petites choses qui nécessitent parfois un peu de temps avant de tomber en place. Sans compter que, de mon côté, je devais me réhabituer à jouer à l’aile.

Notre premier match local contre les Leafs m’a fait vivre des émotions particulièrement fortes. Depuis la fermeture du Forum de Montréal en mars 1996, le Canadien utilise l’image de la passation du flambeau à l’occasion d’événements marquants, notamment durant les cérémonies précédant le match inaugural de la saison. Ce geste rappelle la devise inscrite dans le vestiaire de l’équipe et que tous les partisans connaissent: Nos bras meurtris vous tendent le flambeau, à vous toujours de le porter bien haut. Pour souligner mon tout premier match dans l’uniforme du CH, c’est Guy Lafleur qui m’a remis le flambeau. Il s’agissait d’une image très forte qui a bruyamment fait réagir la foule. Intérieurement, je me disais: «À compter de ce soir, je serai pour toujours un Canadien de Montréal et je ferai partie de cette histoire-là.» J’en ressentais une indescriptible fierté.

Malheureusement, nous nous sommes inclinés au compte de 4-3. Aucun membre de notre trio n’a récolté de point et Pacioretty s’est blessé assez sérieusement à un avant-bras dès la première période. Il est revenu au jeu après une visite à la clinique, mais il avait de la difficulté à tirer la rondelle par la suite. Max a d’ailleurs raté le match suivant, qui nous opposait aux Flyers, et que nous avons remporté au compte de 4 à 1. Étant donné l’absence de Pacioretty, David Desharnais et moi avons joué cette deuxième rencontre de la saison en compagnie de Rene Bourque et de Brandon Prust.

L’équipe a ensuite entrepris un voyage dans l’Ouest, et Max est revenu au jeu à Calgary lors du premier match de ce périple. Nous avons encaissé une défaite de 3-2. Notre trio n’a pas marqué de but, mais il ne s’agissait que de notre première partie complète ensemble. Nous tentions de bâtir un momentum et de jouer efficacement dans les trois zones. Nous n’avons d’ailleurs été victimes d’aucun des trois buts des Flames.

À mon grand étonnement, je n’ai plus jamais rejoué avec Pacioretty et Desharnais par la suite! Après un match et demi! J’ai encore peine à y croire aujourd’hui. Pire encore: deux matchs plus tard, j’étais relégué au sein du quatrième trio.

Nous avions un entraînement matinal à Winnipeg. Quand je suis arrivé dans le vestiaire, un chandail m’identifiant au quatrième trio était accroché dans mon casier. Je ne comprenais pas ce qui se passait. Personne ne m’avait prévenu.

Quand la séance s’est mise en branle, j’ai vécu ma première véritable «expérience médiatique» à titre de membre du Canadien. Pendant les exercices, je me suis rapidement rendu compte que toutes les caméras pointaient constamment dans ma direction. Les cameramen descendaient même du haut des gradins pour venir me filmer à la hauteur de la patinoire. Je me sentais comme un morceau de viande. Il était clair que cette rétrogradation allait faire une grosse histoire.

J’ai tenté d’aborder Michel Therrien sur la patinoire. Je voulais comprendre ce qui était en train de se passer, et je voulais aussi m’assurer que nos versions concordent avant de rencontrer les journalistes. Il a refusé de me parler, repoussant notre rencontre à plus tard durant la soirée. Autrement dit, il me disait: «Démerde-toi!» J’étais abasourdi de me faire servir en pâture aux médias de cette façon.

Je l’ai contacté durant la soirée à l’hôtel, et il a refusé de me voir seul à seul. Il tenait à ce que notre rencontre se fasse dans un lieu public. Nous nous sommes donc parlé dans le lobby de l’hôtel.

— Ton niveau de jeu n’a pas commencé à baisser cette année, a-t-il plaidé pour justifier sa décision. Tu as aussi connu des difficultés à la fin de la dernière saison.

Je me demandais, s’il n’avait pas apprécié mon jeu, comment il avait pu se montrer aussi élogieux à mon égard durant les négociations du mois de juillet. Quand Therrien a prononcé ces mots, j’ai compris que j’étais en sérieuse difficulté.

Le discours qu’on m’avait tenu avant la signature de mon contrat a donc changé très rapidement. J’ai très vite été tassé sur la voie d’évitement et, par la suite, il n’y avait plus vraiment de rôle pour moi au sein de l’équipe. Ces choses-là sont ressorties très clairement dans la façon dont l’entraîneur me traitait et dans la manière dont il s’adressait à moi devant le reste de l’équipe. Par la suite, plusieurs événements se sont d’ailleurs avérés très difficiles de ce côté.

«Il fallait quand même prendre le temps de se familiariser les uns avec les autres, explique David Desharnais. L’entraîneur a démantelé notre trio, puis Dan et moi avons été convoqués à son bureau, individuellement. Je me suis fait dire que j’allais rester dans les estrades si mon prochain match n’était pas satisfaisant. C’était tout de suite les menaces et je pense que ça s’est passé de façon assez semblable pour Daniel. Plus tard, en jasant avec lui, j’ai compris qu’il ne s’était jamais fait traiter comme ça de sa vie.

«Daniel, qui avait une vaste expérience de la LNH, me disait: “Oui, un entraîneur peut te faire des menaces. Mais en même temps, il faut au moins qu’il te place dans une position qui te permette de rétablir la situation. Quand tu joues sur le quatrième trio, même si tu te fais crier après et que tu te fais dire que tu n’es pas assez bon, il n’y a pas grand-chose que tu peux faire. Il faut un certain nombre de minutes de jeu et un certain nombre de minutes en avantage numérique pour produire des points.”»

De façon assez constante, ma relation avec Michel Therrien s’est alors mise à se dégrader. C’était la première fois de ma carrière que je vivais pareille situation. C’est ce qui m’a déçu le plus de mon expérience chez le Canadien.

Je n’étais pas inconscient. Je comprenais parfaitement que j’étais sur le déclin, à cette période de ma carrière, et que ce n’était pas une situation facile à gérer pour l’organisation du Canadien.

Graduellement, un hockeyeur perd un peu de vitesse au fil des saisons. En plus, ce phénomène était accentué pour les joueurs de ma génération parce que la LNH devenait de plus en plus rapide. Les équipes de la ligue misaient dorénavant sur des joueurs de troisième et de quatrième trio patinant à 100 milles à l’heure, mais souvent dépourvus de toute vision du jeu. Le rôle d’un joueur de troisième et de quatrième trio se résumait de plus en plus à patiner à fond de train. Ça rendait donc les choses un peu plus difficiles.

Si la vie m’accordait un jour le privilège de réécrire ce passage de ma carrière, je dirais à Michel Therrien:

— OK. Peut-être que tu ne me vois plus comme un membre de ton top 6 ou de ton top 9… Si c’est le cas, donne-moi au moins la chance de t’aider dans le vestiaire! J’ai toujours été reconnu comme un bon joueur d’équipe. Et pour moi, c’est un immense honneur de jouer pour le Canadien de Montréal. Je vais faire n’importe quoi pour t’aider dans le vestiaire, pour devenir l’un de tes alliés et rassembler tout le monde.

Au lieu de ça, j’ai été tassé. J’ai vraiment été mis de côté. Et je n’ai pas eu cette chance d’occuper un rôle de leader.

Je me rappelle notamment d’un match disputé vers la mi-novembre. Le Wild du Minnesota nous rendait visite au Centre Bell et nous avions vraiment disputé du hockey solide, tant en attaque qu’en défense. Max Pacioretty, qui revenait après une longue blessure, avait signé un tour du chapeau. Michaël Bournival avait inscrit son sixième but de la campagne et j’avais aussi secoué les cordages. Toutefois, alors que nous détenions une avance de 6 à 1 et qu’il restait moins de deux minutes à faire, j’avais écopé une mauvaise pénalité. Le Wild avait marqué et le match s’était soldé par un score de 6 à 2.

Le lendemain, tout le monde était heureux en arrivant au complexe d’entraînement de Brossard. Michel m’a alors fait appeler à son bureau. Je m’attendais à entendre des commentaires positifs sur le match de la veille. En lieu et place, il m’a engueulé à cause de ma punition.

En quittant la pièce, je me suis dit: «Nous sommes rendus au point où il ne voit même pas les bonnes choses que je fais dans un match. Il ne voit que les mauvaises, même si tout a été parfait pendant 58 minutes.» C’était extrêmement toxique comme situation. Cette rencontre m’a ébranlé pour le reste de la journée.

Nous prenions l’avion en direction de Washington cette journée-là. Le lendemain, deux heures avant d’affronter les Capitals, nous avons tenu notre habituelle rencontre d’équipe. Michel a alors diffusé une vidéo dans laquelle on voyait des joueurs qui se lançaient devant les tirs adverses, qui bloquaient des rondelles et qui empêchaient l’autre équipe de marquer. Toutes les séquences avaient été captées en désavantage numérique. On voyait à quel point les gars étaient dédiés à la cause de l’équipe. Quand le film a pris fin, Michel a pris la parole:

— Ouais! Y a des joueurs qui sont selfish. Ça fait que, quand y prennent des mauvaises punitions comme au dernier match, c’est ça que leurs coéquipiers sont obligés de faire pour eux autres.

Puis il est sorti de la pièce.

Nous étions 23 joueurs dans le vestiaire et l’attention était braquée sur moi. Tout le monde savait que j’étais le joueur visé. Nous étions deux heures avant un match et je venais de me faire ramasser devant tout le monde. J’étais embarrassé, gêné, blessé. J’avais l’impression de mesurer deux millimètres. Après t’être fait planter comme ça devant tes coéquipiers, tu ne peux plus te lever et essayer de montrer la bonne voie parce qu’il n’y a plus de respect. Même si les autres joueurs reconnaissent ce que tu as fait dans ta carrière, ils n’accordent plus d’importance à ce que tu dis. Ton leadership vient d’être éteint par l’entraîneur.

J’ai marqué le but gagnant ce soir-là. Mais je n’ai jamais oublié ce qui s’était passé quelques heures auparavant. Je ne suis jamais parvenu à comprendre comment un bon match comme celui que nous avions livré contre le Minnesota avait pu tourner aussi négativement dans l’entourage de l’équipe.

«C’était la façon de fonctionner de Michel, se souvient David Desharnais. Si tu connaissais un match ordinaire, il ne te rencontrait pas lors de l’entraînement suivant pour clarifier les choses ou pour te donner des outils afin d’améliorer ton jeu. Et quand arrivait le jour du match suivant, il ne te parlait pas après l’entraînement matinal. Pierre Gervais venait te chercher deux heures avant le match et il te disait: “Michel veut te voir.” Puis là, il te rentrait dedans! Tu te faisais remettre tes erreurs dans la gorge et tu te faisais ramasser juste avant le match. Ensuite, tu commençais ton match en étant frustré, fâché et sans être concentré sur la tâche à accomplir.»

Quand des incidents de ce genre ont commencé à se produire, je me suis dit que je n’allais certainement pas faire de vagues. J’avais toujours été un bon coéquipier et je voulais continuer à aider des jeunes comme David, Max ou Ryan White. Je voulais leur montrer ce que doit être un bon vétéran au sein d’une équipe. La pire chose à faire aurait été de devenir un vétéran frustré qui ne fait que se plaindre – une pomme pourrie.

«On ne trouve pas toujours une famille heureuse derrière les portes du vestiaire d’une équipe professionnelle, explique Max Pacioretty. Ailleurs aussi, on voit parfois des individus qui s’affrontent. En ce qui me concerne, Daniel Brière m’en a beaucoup appris sur le leadership, cette saison-là. Il n’a jamais laissé paraître les problèmes qu’il éprouvait avec l’entraîneur parce qu’il savait que ça pouvait avoir un effet négatif sur l’équipe. Il n’a pas laissé cette situation miner ses performances ni celles de ses coéquipiers.»

C’était une saison étrange. Je vivais pour ainsi dire dans deux mondes parallèles. Outre ces difficultés avec l’entraîneur, porter l’uniforme du Canadien s’avérait encore plus grisant que j’avais pu l’imaginer.

Moi, un enfant de la banlieue, j’avais brièvement habité les centres-villes de Berne et de Berlin durant les deux lock-out décrétés par les propriétaires de la LNH et j’avais adoré ces expériences. Mais vivre au centre-ville de Montréal s’est avéré absolument magique.

Au début de la saison, j’avais découvert avec stupeur qu’il me fallait de 30 à 35 minutes pour me rendre en voiture aux matchs de l’équipe, même si j’habitais à trois coins de rue du Centre Bell! Après quelques mauvaises expériences, je me suis mis à faire le trajet à pied, et l’énergie qu’on ressentait dans les rues quelques heures avant les matchs était palpable.

Même si je n’écoutais pas de musique, je portais des écouteurs afin d’inciter le moins de gens possible à s’arrêter pour me faire un brin de jasette, sinon je n’aurais jamais été capable d’arriver à l’heure! En marchant vers l’amphithéâtre, j’entendais les gens crier mon nom et les automobilistes me signaler leurs encouragements à coups de klaxon. Et quand je me pointais à l’entrée de l’amphithéâtre, rue Saint-Jacques, les revendeurs de billets me faisaient des high fives.

Cette trépidante marche vers le Centre Bell est peu à peu devenue ma routine. Et plus la saison avançait, plus je sentais le niveau d’électricité monter. Une fois arrivés en séries, c’était complètement fou!

Les jours où nous n’avions pas de match, je rentrais à la maison vers 14 heures après les séances d’entraînement et je partais ensuite à la découverte de Montréal. J’allais visiter des musées, j’allais me balader dans les rues du Vieux-Montréal, ou à des endroits comme l’oratoire Saint-Joseph.

Misha me visitait dès qu’elle avait congé. Elle est rapidement tombée amoureuse de Montréal. Nous marchions beaucoup, nous découvrions d’excellents restaurants.

Mais par-dessus tout, ce qui venait me chercher le plus, c’était que je retrouvais enfin mon monde. J’avais accédé au hockey professionnel à 19 ans et j’avais tout ce temps été plongé dans un environnement américain. J’avais apprécié toutes les villes où j’avais précédemment joué, mais, à Montréal, c’était comme si je rentrais à la maison.

Mes fils me manquaient beaucoup. Par contre, vivre à Montréal me permettait de voir mon père très souvent, ainsi que ma sœur, son conjoint et mes neveux. Ma présence au Québec me permettait de fréquenter mes amis du Québec, nouveaux et anciens. Il y avait constamment des gens de l’Outaouais qui faisaient un détour pour venir me saluer. Je redécouvrais aussi la vie en français. Je sentais que je faisais partie intégrante de la communauté.

Dès mon arrivée chez le Canadien, j’ai aussi été très impressionné par la simplicité de Geoff Molson. En tant que propriétaire, il tenait à être proche de ses joueurs. En ce sens, il me rappelait un peu Ed Snider. Geoff venait discuter avec nous et il ne voulait pas qu’on le vouvoie. Il fallait toujours l’appeler par son prénom. Ce n’était pas facile pour moi parce que j’avais beaucoup de respect pour lui.

Je n’ai pas eu la chance de porter longtemps l’uniforme du Canadien mais j’ai constaté que l’ambiance qui régnait dans l’organisation était semblable à celle que j’avais connue à Philadelphie. Geoff Molson voyageait à l’occasion avec l’équipe et sa famille l’accompagnait de temps en temps.

Clairement, le CH était une organisation de première classe. Et cela se reflétait autant dans la façon d’agir du propriétaire que dans le style de gestion de Marc Bergevin.

À quelques reprises, Marc a d’ailleurs permis à mes fils de monter à bord de l’avion de l’équipe afin de leur permettre de passer un peu de temps avec moi. Il était très compréhensif et savait qu’à l’adolescence, la présence d’un père est essentielle.

Fin octobre, début novembre, un événement survenu durant une séance d’entraînement m’en a révélé beaucoup quant aux sentiments qui animaient les membres de l’équipe envers leur entraîneur.

Cette journée-là, Michel Therrien avait prévu une séance de conditionnement physique sur glace. Autrement dit, une exigeante séance de patinage. Certains entraîneurs commettent l’erreur de trop pousser la note et de littéralement détruire leurs joueurs lors de tels entraînements. Mais Therrien organisait ces exercices pour les bonnes raisons. Il voulait nous aider à passer à travers les rigueurs du calendrier et sa planification avait du sens. Il tenait de bonnes séances de patinage.

Toujours est-il que, pour conclure cette séance de patinage, l’entraîneur a organisé un petit jeu. L’équipe était séparée en deux groupes postés sur la ligne des buts, à une extrémité de la patinoire. Puis, au hasard, l’entraîneur identifiait un joueur qui devait tenter de tirer une rondelle dans le filet situé à l’autre extrémité de la glace. Si le joueur réussissait, le groupe adverse devait patiner un aller-retour complet à fond de train. Mais s’il échouait, c’est plutôt son groupe qui devait patiner. Cet enjeu amical – quel groupe allait le plus faire patiner l’autre – changeait la routine de façon assez amusante.

Après quelques minutes, le score était à peu près égal. Les deux groupes devaient avoir effectué de cinq à sept allers-retours chacun quand Michel a décidé de hausser la mise:

— Si l’un de vous parvient à atteindre la barre horizontale, tous les entraîneurs vont devoir patiner cinq fois la distance (cinq allers-retours)! a-t-il décrété, avant d’inviter Andrei Markov à tirer la prochaine rondelle.

Quand Markov s’est avancé pour tirer, il était clair qu’il n’allait pas se contenter de placer la rondelle dans le filet: il visait la barre horizontale! Il semblait se dire: «Je vais peut-être rater mon coup, et je m’en fiche, je patinerai si ça arrive. Mais voilà ma chance!»

Andrei a alors effectué un tir frappé et la rondelle s’est mise à virevolter toute croche vers l’autre extrémité de la patinoire. Elle semblait se diriger assez loin de la cible, puis sa trajectoire s’est lentement mise à courber vers le filet. Alors que nous nous demandions s’il allait au moins parvenir à marquer, nous avons entendu un magistral «ping» ! La rondelle avait atteint la barre horizontale!

«C’était incroyable! se souvient David Desharnais. Les partisans du Canadien savent à quel point Markov est un personnage impassible. Il ne démontre jamais la moindre émotion. Mais quand il a touché la barre, il a lancé ses gants dans les airs et tous les joueurs lui ont sauté dessus pour célébrer. Tout le monde riait. C’était écœurant!»

On aurait dit que nous venions de remporter la coupe Stanley! Tous les joueurs fêtaient et s’étreignaient. Et l’entraîneur, qui était posté entre les deux groupes durant l’exercice, s’est malgré lui retrouvé au milieu des célébrations.

Une fois les festivités terminées, Michel Therrien a plaidé qu’il avait fait une blague et que les entraîneurs n’allaient pas faire les cinq allers-retours promis. Mais les joueurs ont protesté et il a dû tenir parole. Tous étaient conscients que l’entraîneur en chef fumait une quantité industrielle de cigarettes et que sa condition physique laissait à désirer. Ils voulaient le voir s’éreinter un peu.

Les entraîneurs se sont donc alignés sur la ligne des buts et ils ont entrepris leur séance de patinage. Jean-Jacques Daigneault filait à vive allure et n’avait pas de problème. Gerard Gallant non plus. Même Clément Jodoin, qui était un peu plus âgé que les deux autres adjoints, maintenait une bonne cadence.

Pour Therrien, les choses se sont gâtées après les deux premiers allers-retours. Il s’est alors mis à râler. Il était visiblement en déficit d’oxygène: son ventre se gonflait et se dégonflait exagérément, et il n’avançait presque plus. Au point où quelqu’un marchant à ses côtés aurait facilement pu le dépasser.

Au début, les joueurs riaient de bon cœur en le regardant souffrir un peu. Mais plus la situation se dégradait, plus je me suis mis à craindre qu’il soit victime d’un arrêt cardiaque. J’avais vraiment peur que ça tourne mal. Et je suis certain que je n’étais pas le seul…

En véritable gars d’équipe, l’entraîneur des gardiens Stéphane Waite est resté aux côtés de Michel du début à la fin. Ce fut pénible, mais il a fini par compléter la distance. Au grand bonheur de tous ses joueurs.

En plus d’avoir été évincé des trios offensifs après quelques matchs, mon début de saison a été marqué par une commotion cérébrale, subie le 19 octobre contre Nashville. Il m’a fallu trois semaines complètes pour m’en remettre et je ne suis revenu au jeu que le 12 novembre contre Tampa Bay. J’ai inscrit un but à mon premier match et, malgré un temps d’utilisation limité, j’ai alors amorcé une séquence intéressante de 4 buts et 3 passes en 11 matchs.

Entre le 5 et le 29 novembre, quatre de nos rencontres se sont rendues en tirs de barrages et nous avons été vaincus dans trois de celles-ci. Cette statistique faisait en sorte que nous n’avions récolté que 9 points sur une possibilité de 20 en novembre.

Après cette séquence, David Desharnais était le seul joueur de notre alignement à être parvenu à déjouer un gardien adverse en tirs de barrage, et l’entraîneur ne m’avait utilisé qu’une seule fois dans ces circonstances. Le 30 novembre, au lendemain d’une défaite en fusillade encaissée à Washington, j’ai décidé de frapper à la porte du coach pour en discuter.

— Michel, je suis certain que je peux t’aider dans les shootouts, ai-je plaidé. C’est ma force depuis des années. J’ai toujours été l’un des deux joueurs les plus utilisés en tirs de barrage à Philadelphie. J’ai au-dessus de 60 tentatives de faites depuis le début de ma carrière et je suis à l’aise dans ces moments-là.

— OK, c’est correct, a-t-il répondu.

Le lendemain, Therrien est entré dans le vestiaire en annonçant que nous allions commencer l’entraînement par des tirs de barrages, puisque cet aspect de notre jeu faisait défaut.

— Tous les joueurs dont j’écris le nom au tableau vont participer à l’exercice de shootout, a-t-il précisé.

Nous étions 13 attaquants au sein de l’équipe. L’entraîneur a inscrit 11 numéros au tableau. Les deux seuls qui n’y apparaissaient pas étaient celui du bagarreur de l’équipe, George Parros, et… le mien.

Le message était très très clair: mon opinion n’était pas la bienvenue et j’étais mieux de me la fermer.

«Ça n’avait aucun sens! raconte David Desharnais. C’était terrible. Michel a livré une guerre psychologique à Daniel durant toute la saison. Ça fonctionne peut-être avec des jeunes qui commencent leur carrière dans la LNH. Mais quand tu tombes sur un vétéran établi, ça ne passe pas. Daniel était venu à Montréal pour vivre une belle expérience. Et tout le monde savait quelles étaient ses forces: il était un marqueur. En tirs de barrage, il la mettait dedans une fois sur deux. Mais on n’exploitait pas ses forces. J’ai trouvé Daniel incroyable. Il a su garder une bonne attitude à travers tout ça.

«J’ai connu un mauvais départ cette saison-là, ajoute Desharnais. J’ai récolté ma première mention d’aide à mon vingtième match. Malgré les problèmes qu’il avait de son côté, Daniel ne m’a jamais lâché. Il me répétait sans cesse qu’il croyait en moi et que j’allais m’en sortir. Ensemble, nous sommes passés par toute la gamme des émotions. Il m’a dit: “Tu vas voir, on va en rire à la fin de l’année.” Finalement, j’ai connu une saison de 52 points et nous avons disputé trois tours éliminatoires. Ç’a été ma plus belle saison à Montréal et c’est en grande partie à cause de lui.»

Le 5 mars 2014, trois mois après que Michel Therrien m’eut rayé de la liste des participants aux tirs de barrage, nous nous sommes retrouvés dans une situation fâcheuse à Anaheim. Il ne restait qu’un mois à la saison régulière. Lars Eller et David Desharnais étaient les seuls joueurs de l’équipe à être parvenus à marquer en fusillade.

Nous nous sommes retrouvés en tirs de barrage face aux Ducks, qui ont décidé de tirer les premiers. Nick Bonino et Corey Perry sont parvenus à marquer pour Anaheim, et David a une fois de plus assuré la réplique de notre côté. Nous accusions un déficit de 2 à 1 et il ne nous restait qu’une seule chance pour créer l’égalité. Assis au banc avec mes coéquipiers, je savais que je n’avais aucun rôle à jouer dans cette portion du match: je n’avais pas été utilisé depuis le début novembre. J’étais simplement curieux de voir qui allait être désigné pour essayer de tirer les marrons du feu. C’est alors que j’ai senti une tape dans mon dos qui semblait vouloir dire: «Tiens! Vas-y! Essaie donc de nous sortir de la m…!»

Statistiquement, les chances de marquer sont minimes lorsqu’un joueur s’élance le dernier pour créer l’égalité en tirs de barrage. Le niveau de stress est extrêmement élevé.

J’ai calmement enjambé la rampe et je me suis rendu au centre de la patinoire. Je me suis présenté devant Jonas Hiller, et j’ai marqué.

Les deux équipes sont alors reparties pour trois autres rondes, et c’est finalement Andrei Markov qui nous a procuré la victoire sur notre sixième tir de barrage de la soirée.

Ce fut un beau moment! J’étais content de pouvoir aider un peu l’équipe. Livrer la marchandise dans les moments cruciaux était ma marque de commerce. C’était ma principale force.

Le 31 décembre, nous avons bouclé l’année 2013 en Caroline. L’équipe se portait bien. Avec 49 points en banque, nous occupions le troisième rang de la division Atlantique derrière le Lightning de Tampa Bay (50 points) et les Bruins de Boston (54 points). Mais nous disputions du hockey solide. À travers la LNH, seuls les Bruins avaient accordé moins de buts que nous, et notre attaque se situait au 11e rang de la ligue, ce qui était fort respectable.

Nous en étions à la cinquième étape d’une séquence de six matchs à l’étranger. Après avoir affronté les Panthers en Floride le 29 décembre, nous avions immédiatement mis le cap sur Raleigh, où nous nous entraînions le 30 décembre.

Le jour de cet entraînement, alors que tous les joueurs se trouvaient au vestiaire, on m’a dit que Michel Therrien souhaitait me voir dans le bureau des entraîneurs.

Quand je suis entré dans la pièce, il s’est mis à me ramasser une fois de plus en me montrant des séquences de jeu qui n’étaient pas très bonnes. Et il a terminé son intervention en me disant:

— Y a personne dans la chambre qui te respecte! Y a personne qui veut jouer avec toi!

C’était d’une méchanceté incroyable. Le temps était venu d’avoir une conversation d’homme à homme.

«En Caroline, les vestiaires des joueurs et des entraîneurs sont assez éloignés l’un de l’autre, raconte David Desharnais. Au bout du vestiaire des joueurs, on retrouve les douches, qui sont vraiment longues, et le bureau des entraîneurs se trouve à l’autre extrémité. Malgré cette distance, tout le monde a entendu l’engueulade entre Therrien et Daniel. Ça se pognait solide! Les deux s’envoyaient promener à tour de bras. Daniel est revenu dans le vestiaire, l’air de dire: “Il fallait que ça sorte. Il arrivera ce qui arrivera.” Nous en avons reparlé par la suite et Daniel m’a dit qu’il n’avait jamais rien vécu de tel.»

J’ai téléphoné à Pat Brisson à quelques reprises durant cette étrange saison. Je l’appelais parfois lorsque je ne trouvais plus de sens à ma présence au sein de cette équipe. En d’autres occasions, je l’appelais simplement pour me défouler. Je savais que Pat entretenait une belle relation avec Marc Bergevin. Je ne l’appelais pas pour faire passer des messages, mais plutôt parce que je voyais dans le vestiaire bien des choses que je ne comprenais pas. Il y avait des choses qui étaient faites qui n’avaient aucun sens. Tout ce que je voulais, c’était aider. J’étais tellement fier de porter ce chandail-là que j’aurais fait n’importe quoi pour aider. Et je me sentais souvent comme si je me faisais tasser, comme si j’étais une nuisance plus qu’autre chose.

Après l’engueulade avec l’entraîneur, j’ai été rayé de l’alignement pendant deux matchs. Parce que nous manquions de joueurs, j’ai ensuite été réinséré au début de janvier, à l’occasion d’une visite des Sénateurs d’Ottawa au Centre Bell.

J’ai eu droit à quatre présences en première période et je suis parvenu à marquer avec l’aide de Travis Moen et de Doug Murray.

Nous tirions de l’arrière par deux buts en troisième quand Therrien a décidé de me greffer au trio de Tomas Plekanec en compagnie de Brian Gionta. Notre unité a tout de suite connu du succès. J’ai inscrit un second but et Gionta a enchaîné avec un autre. Mais nous nous sommes finalement inclinés par un score de 4 à 3 en prolongation.

Comme j’avais récolté deux buts et une passe dans cette défaite, l’entraîneur a laissé notre trio intact lors des deux matchs suivants. Gionta a marqué dans l’une de ces rencontres, et Plekanec dans l’autre. J’adorais jouer avec ces deux-là. Plekanec excellait défensivement et il couvrait nos arrières pendant que Gionta et moi prenions un peu plus de liberté dans la phase offensive du jeu. Ce trio avait beaucoup de potentiel.

Le match suivant, celui du 11 janvier, nous opposait aux Blackhawks de Chicago. Michel m’a expliqué que face à la menaçante attaque des Blackhawks, il préférait resserrer la défensive et faire jouer Travis Moen avec Plekanec et Gionta. Il en avait tout à fait le droit, mais les décisions de ce genre me donnaient souvent l’impression qu’il tentait d’éviter de perdre plutôt que de jouer pour gagner.

Ce n’est toutefois que trois semaines plus tard (au début de février, juste avant la pause des Jeux de Sotchi) que Plekanec, Gionta et moi avons de nouveau été réunis, cette fois pour une séquence de quatre matchs. Plekanec a marqué un but et récolté trois aides, et Gionta a secoué les cordages deux fois, dont un but gagnant, et mérité une mention d’aide pendant qu’on nous faisait jouer ensemble. Cette période fut l’une de mes préférées durant cette saison-là. Notre trio a malgré tout été démantelé à la fin de février, dès la fin de la pause olympique.

Dans les huit matchs que nous avons disputés entre le 30 janvier et le 27 février, j’ai marqué quatre buts et récolté trois mentions d’aide. Six de ces sept points ont été récoltés dans des matchs où j’avais disputé neuf minutes de jeu ou moins.

À la date limite des transactions, le 5 mars, l’équipe était positionnée au deuxième rang (à six points des Bruins), dans la division Atlantique. Dans la conférence de l’Est, seul Boston semblait vouloir se détacher du peloton. Mais pour toutes sortes de raison, le Canadien n’avait aucun complexe face à ce grand rival. Flairant qu’un long parcours éliminatoire était possible, Marc Bergevin a alors donné un grand coup en faisant l’acquisition de Thomas Vanek, des Islanders de New York.

Vanek était le joueur de location le plus convoité sur le marché. Pour l’obtenir, Bergevin a cédé un choix de deuxième ronde ainsi qu’un jeune espoir suédois, l’attaquant Sebastian Collberg. À Montréal, la fièvre du hockey a alors grimpé de deux crans. La lune de miel a toutefois été de courte durée. Étant donné les difficultés que Michel éprouvait avec les joueurs offensifs, Vanek s’est rapidement mis à descendre dans la hiérarchie.

Nous avons bouclé le calendrier en remportant 11 de nos 18 derniers matchs, atteignant de justesse le plateau des 100 points. Au final, cette récolte nous a valu le troisième rang de notre division. Les Bruins ont terminé premiers avec 117 points, tandis que la jeune équipe du Lightning de Tampa Bay nous a coiffés de justesse au fil d’arrivée avec 101 points. La table était donc mise: nous allions affronter Tampa Bay au premier tour et nos adversaires allaient détenir l’avantage de la patinoire.

Le matin du premier match de cette série, Michel Therrien m’a fait appeler à son bureau. Étant donné tout ce qui s’était produit au cours de la saison, je m’attendais à un autre affrontement et je me demandais ce que j’avais bien pu faire de mal. Notre relation n’était pas facile, autant d’un bord comme de l’autre. Depuis notre engueulade survenue en Caroline, nos échanges étaient encore plus froids.

Mais cette fois, le coach m’a agréablement surpris.

— Daniel, je sais que les séries éliminatoires sont ta force. Tu vas faire partie de l’alignement et tu vas commencer sur le quatrième trio. Mais sois prêt à tout et ne sois pas surpris si je te fais monter sur un trio offensif durant les matchs. Des fois, ça va être juste pour un shift ou deux, et des fois ça va être pour des périodes complètes. Je ne sais pas comment ça va aller, mais je veux que tu saches que je suis conscient de ce que tu amènes en séries éliminatoires.

Je n’en revenais pas. Je n’avais pas su où me tenir pendant des mois et puis tout d’un coup, j’avais un rôle et un mandat à remplir! J’étais heureux de recevoir cette petite marque de confiance et de constater qu’il nous était encore possible de communiquer.

Je n’ai pas beaucoup eu la chance de jouer au sein des deux premiers trios durant cette rencontre, que nous avons dominée par 44-25 au chapitre des tirs au but. N’empêche, après les 60 premières minutes de jeu, nous étions à égalité, 4 à 4. Nous avons fini par régler le débat avec deux minutes à écouler à la fin de la première période de prolongation. Je me suis retrouvé derrière le filet adverse avec la rondelle et, après avoir battu mon couvreur, je l’ai refilée à Dale Weise qui a enfilé l’aiguille.

«Quand Weise a marqué, j’ai reçu un texto de Paul Holmgren, raconte Marc Bergevin. Il était écrit: Ne t’avais-je pas dit qu’il est un joueur de séries éliminatoires?»

Ce qui s’est produit cette journée-là démontrait, une fois de plus, à quel point un entraîneur peut positivement influencer le rendement de ses joueurs lorsqu’il communique avec eux et qu’il leur sert une tape dans le dos de temps à autre.

L’entraîneur m’a utilisé au sein du quatrième trio en compagnie de Brandon Prust et de Dale Weise jusqu’à la fin de cette série. Je jouais 8 ou 9 minutes, j’avais droit à quelques minutes en avantage numérique.

Le Lightning était extrêmement rapide et misait sur un groupe de jeunes très talentueux, dont Ondrej Palat, Tyler Johnson et Nikita Kucherov. Mais tous ces joueurs n’avaient pas vraiment d’expérience des séries éliminatoires de la LNH. Tampa Bay était en plus privé de son gardien numéro un, Ben Bishop. Son auxiliaire, Anders Lindback, en a arraché du début à la fin, maintenant une médiocre moyenne d’efficacité de ,881.

Même si chacun des matchs a été chaudement disputé, nous avons balayé la série. Jusqu’à la fin de la quatrième rencontre (que nous avons remportée 4 à 3), les joueurs du Lightning se sont battus avec l’énergie du désespoir. J’ai eu le bonheur de contribuer à nouveau dans cette rencontre, en ouvrant la marque dès la troisième minute de jeu, sur une passe de Michaël Bournival.

Bien des partisans ont aussi cru que Ginette Reno, la chanteuse porte-bonheur du CH, avait obtenu une passe sur ce jeu. Après avoir chanté l’hymne national, avant la troisième rencontre, madame Reno avait serré la main de Rene Bourque, qui avait ouvert la marque quelques minutes plus tard. Elle avait fait de même avec moi avant le quatrième affrontement, et j’avais marqué tout de suite après!

À compter de ce moment, beaucoup de gens se sont mis à épier madame Reno après les hymnes nationaux! C’était très amusant.

Le deuxième tour nous a valu un rendez-vous avec les Bruins, et ça m’enthousiasmait particulièrement. J’avais participé à des séries hallucinantes contre Boston dans l’uniforme des Flyers, mais, à mes yeux, la rivalité Canadien-Boston se situait à un autre niveau parce qu’elle était imprégnée dans la culture sportive québécoise. De nombreux affrontements Canadien-Bruins avaient marqué les printemps de mon enfance et j’avais finalement l’occasion de participer à l’un d’eux.

Cela dit, la commande s’annonçait loin d’être facile. Les Bruins comptaient sur le même noyau de joueurs qui leur avait permis de remporter la coupe Stanley trois ans auparavant et leur machine était extrêmement bien huilée. Après avoir bouclé le calendrier au sommet du classement général de la LNH, ils venaient d’éliminer Detroit en cinq parties. Leur défense était la deuxième plus étanche de la ligue alors que leur attaque était la troisième plus productive. En d’autres mots, ils étaient les favoris dans l’Est pour se rendre jusqu’en finale.

Dans leur cas, le seul hic était que nous les avions vaincus trois fois sur quatre durant la saison régulière.

Cette série mettait aux prises deux des meilleurs systèmes défensifs et deux des meilleurs gardiens de la LNH en Carey Price et Tuukka Rask, et ça se reflétait dans l’allure des matchs: chaque chance de marquer était difficile à obtenir.

Toutefois, plus la série avançait, plus il était clair que les Bruins s’impatientaient. Nous étions leur bête noire et ils nous détestaient. Au point de parfois sembler perdre le contrôle. Notre style de jeu rapide et dénué de robustesse les forçait à disputer un type de hockey qu’ils appréciaient moins.

Nous avons entrepris la série en remportant le premier match à Boston (4 à 3) en deuxième période de prolongation. Le but décisif a été un tir de P.K. Subban qu’Andrei Markov et moi avons orchestré en avantage numérique. Les Bruins sont toutefois revenus avec une victoire de 5 à 3 (dont un but marqué dans un filet désert) dans la deuxième partie.

Une fois de retour à Montréal, nous avons repris les commandes avec une victoire de 4 à 2 (le dernier but étant une fois de plus inscrit dans un filet désert). Malgré une famélique utilisation de 6 minutes 8 secondes de jeu, j’ai tout de même eu la chance de préparer le but gagnant de Dale Weise. Notre trio était fort peu utilisé, mais Dale et moi parvenions tout de même à bien nous repérer sur la patinoire.

«Daniel était reconnu comme un joueur de séries et je me doutais de ce qui lui passait par la tête quant à son utilisation, raconte Max Pacioretty. Mais il ne laissait rien paraître. Il attendait que son numéro sorte et, sachant qu’il ne contrôlait pas le reste, il faisait ce qu’il avait à faire.»

Nous avons failli acculer les Bruins au pied du mur dans le quatrième match, mais ils ont quitté le Centre Bell avec une victoire de 1 à 0 en prolongation, nivelant ainsi la série 2-2.

Et c’est alors que Michel Therrien a pris la décision la plus incompréhensible dont j’ai été témoin au cours de ma carrière. Toutes ces années plus tard, je ne parviens toujours pas à me l’expliquer.

«Le jour du cinquième match, raconte David Desharnais, je suis arrivé au Garden et je me suis rendu compte que Daniel n’allait pas jouer parce qu’il avait fait du temps supplémentaire avec les réservistes jusqu’au début de l’après-midi. Je suis allé le voir et je lui ai dit: “Ben voyons donc! T’es pas sérieux?” Il m’a répondu: “Parle-moi-z’en pas…” Mais encore une fois, il s’est montré super professionnel. Il s’est mis à donner des tapes dans le dos aux autres gars et à les encourager. Je le regardais et je me disais: “Wow!”»

Nous étions à égalité 2-2 dans une série nous opposant à la meilleure équipe de la ligue. Les matchs déterminants s’en venaient et j’étais reconnu pour ma contribution offensive dans ces moments-clés. Michel Therrien me l’avait lui-même souligné au début du tournoi éliminatoire. Et même s’il ne m’avait presque pas utilisé par la suite, j’étais quand même parvenu à contribuer à plusieurs buts décisifs. Et là, malgré toute mon expérience, il me rayait de l’alignement! J’étais sous le choc.

«C’était le même scénario qui se répétait, commente David Desharnais. Une fois de plus, l’équipe se privait des forces pour lesquelles on avait spécifiquement fait l’acquisition de Daniel. Même en jouant seulement 10 minutes, il pouvait changer l’allure d’un match.»

Après seulement 21 minutes de jeu, les Bruins détenaient une avance de 3 à 0 dans ce match-pivot. Sentant qu’ils venaient de prendre le contrôle de la série, ils se sont alors mis à frapper tout ce qui bougeait et à multiplier les coups salauds. À la fin, la feuille de pointage indiquait qu’ils nous avaient vaincus 4 à 2, mais, dans les faits, ils nous avaient littéralement piétinés. Je ne crois pas que j’aurais pu y changer quelque chose, mais j’étais extrêmement frustré de ne pas avoir été là pour aider mon équipe.

Le vol de retour vers Montréal m’a ensuite fait découvrir pourquoi les séries Canadien-Bruins sont uniques en leur genre.

J’étais assis à l’arrière de l’appareil avec Brian Gionta, Josh Gorges et Travis Moen. Pendant que je tentais encore de digérer mon exclusion du match, les gars jasaient entre eux. Ils analysaient notre situation en y allant de courtes phrases entrecoupées de longs silences. Ils semblaient convaincus que nous avions les Bruins dans les câbles! À mes yeux, leur conclusion n’avait aucun sens.

— Voyons donc, les gars! On tire de l’arrière 2-3 et on vient de se faire planter! leur ai-je rappelé.

Ils m’ont alors répondu qu’ils avaient très souvent affronté les Bruins et que leurs joueurs finissaient toujours par flancher parce qu’ils étaient incapables de contrôler leurs émotions face à Montréal. Et les débordements du cinquième match leur démontraient que c’était en train de se reproduire.

— OK? C’est ça votre explication?

Ils estimaient par ailleurs qu’après nous avoir battus de façon aussi décisive, les joueurs de Claude Julien allaient pécher par excès de confiance dans le sixième match.

Je les écoutais parler et je me disais: «Est-ce qu’ils sont sérieux? Ce qu’ils disent n’a ni queue ni tête!» Mais à mon grand étonnement, la suite des événements leur a donné raison!

De retour au Centre Bell, nous leur avons infligé un cinglant revers de 4 à 0 pour forcer la tenue d’un septième match. J’ai cette fois eu droit à une dizaine de minutes de jeu, dont quelques-unes en avantage numérique.

Pour passer au troisième tour, il ne nous restait qu’à battre les champions du calendrier régulier au TD Garden, sur leur propre patinoire…

«Dans le septième match, se souvient Max Pacioretty, Daniel s’est à nouveau retrouvé au sein du quatrième trio avec Dale Weise. À sa première présence du match, dans la troisième minute de jeu, il a fait une passe parfaite à Weise qui se présentait dans l’angle mort de Rask et nous avons marqué. Il a ainsi donné le ton au match. Et avec deux minutes à faire en troisième, alors qu’on détenait une courte avance de 2 à 1 et que les Bruins attaquaient de tous les bords, Daniel a marqué le but qui leur a brisé les reins. C’est lui qui a scellé l’affaire.»

«Il a été le héros du septième match, estime David Desharnais. C’est lui qui a gagné la série.»

Le vol de retour était joyeux. Dans mon rôle de vétéran, je venais de disputer l’un des matchs les plus marquants de ma carrière. Il s’agissait définitivement de ma plus belle performance dans l’uniforme du Canadien.

Quand l’avion a atterri à Montréal, de nombreux partisans s’étaient rassemblés à l’aéroport pour nous y accueillir. Il y avait énormément d’atmosphère. Toute la ville était rangée derrière l’équipe.

Nous étions à la mi-mai. Il faisait beau. Je suis rentré tranquillement vers le centre-ville, en empruntant quelques artères achalandées. Même s’il se faisait tard, plein de gens fêtaient encore notre victoire face aux Bruins. Un autre chapitre de cette grande rivalité venait de s’écrire. Pour les fans du CH, battre Boston était une sorte de mini-championnat. Quel beau moment c’était!

Quand je me suis couché, l’adrénaline coulait encore à flots. J’étais incapable de dormir. Je me suis finalement assoupi vers 6 heures. Mais à 7 heures 15, mon téléphone a sonné. Je n’en revenais pas. Je me suis dit: «Quel maudit innocent peut m’appeler à cette heure au lendemain d’un septième match contre Boston?» J’ai tout de même répondu.

— Hi Danny! Ed Snider speaking!

Le propriétaire des Flyers m’appelait pour me dire qu’il était fier de moi et qu’il était content de nous avoir vu battre les Bruins. Il m’a ensuite dit qu’il avait hâte de me revoir après les séries, à mon retour à Philadelphie. L’appel a duré quatre ou cinq minutes. Quand nous nous sommes quittés, je me suis dit une fois de plus: «Quel grand monsieur!» Cet appel illustrait une fois de plus le genre d’homme qu’il était.

Le Canadien n’avait pas participé à la finale de la coupe Stanley depuis 1993. Et les Rangers de New York constituaient le dernier obstacle à franchir pour atteindre l’objectif ultime.

Cet espoir s’est toutefois envolé dès le premier match de la série. Il n’y avait pas quatre minutes d’écoulées au deuxième engagement quand l’attaquant des Rangers Kris Kreider s’est présenté seul devant Carey Price. Pourchassé par deux de nos joueurs, Kreider a perdu le contrôle du disque après avoir été légèrement touché par l’un de ses poursuivants. Arrivant à pleine vitesse, il s’est alors laissé tomber – patins devant – avant d’entrer violemment en collision avec Carey. Blessé à un genou, Price a complété la période mais il n’a plus rejoué par la suite. Sa saison était terminée.

Notre personnel d’entraîneurs s’est alors retrouvé confronté à un étrange dilemme. Notre gardien auxiliaire, le vétéran Peter Budaj, présentait une moyenne de buts alloués de 5,13 et une moyenne d’efficacité de ,843 en sept matchs éliminatoires en carrière. Notre troisième gardien, Dustin Tokarski, n’avait aucune expérience des séries, mais il avait remporté la coupe Memorial et le Championnat mondial chez les juniors. Et trois ans auparavant, il avait mené le club-école du Lightning de Tampa Bay, les Admirals de Norfolk, à la conquête de la coupe Calder.

Nous avons poursuivi la route avec Tokarski.

Après avoir subi des revers de 7 à 2 et de 3 à 1 lors des deux premiers matchs au Centre Bell, nous nous sommes retrouvés dans une position précaire. Price étant sorti du portrait, la pression sur notre attaque s’accentuait et Michel Therrien perdait rapidement patience avec ses trios. À un certain moment, je me suis retrouvé au sein du quatrième trio en compagnie de Thomas Vanek et de Rene Bourque, alors qu’on retrouvait des joueurs à caractère défensif au sein des autres unités.

Nous avons remporté le match numéro 3 au compte de 3 à 2 au Madison Square Garden. J’ai déjoué Henrik Lundqvist avec trois minutes à faire au troisième engagement. Ce but nous lançait en avant 2 à 1 et nous pensions que la victoire était dans la poche. Mais Kris Kreider a créé l’égalité à 29 secondes de la fin. Alex Galchenyuk a finalement tranché le débat dès les premières secondes de la prolongation.

La chance de créer l’égalité nous a échappé de peu dans le quatrième match. Mais Martin St-Louis a déjoué Tokarski en prolongation pour concrétiser une victoire de 3 à 2 des Rangers. Nous avons en quelque sorte été les artisans de notre malheur dans cette défaite: les Blueshirts nous ont offert pas moins de huit avantages numériques, au cours desquels nous n’avons marqué qu’une fois.

Après m’avoir fait confiance lors des quatre premiers matchs, l’entraîneur a une fois de plus tiré la plogue, me limitant à 5 minutes 49 secondes et à 7 minutes 19 secondes de temps de jeu lors des deux derniers matchs de la série.

Nous sommes revenus au Centre Bell en force avec une victoire de 7 à 4, au cours de laquelle Rene Bourque a réussi un tour du chapeau. Puis, dans le sixième match, à New York, Henrik Lundqvist nous a expédiés en vacances en nous infligeant un blanchissage de 1 à 0.

Je n’irais pas jusqu’à dire que nous aurions remporté la coupe Stanley en 2014, toutefois je suis convaincu que nous aurions accédé à la finale si Carey Price n’avait pas été blessé. La série nous opposant aux Rangers s’est terminée en six rencontres, et certaines des victoires des Rangers ont été remportées à l’arraché. La présence du meilleur gardien au monde aurait fait pencher la balance en notre faveur.

Price est sans contredit le meilleur gardien avec lequel j’ai joué au cours de ma carrière. Et j’en ai côtoyé de très bons, comme Ryan Miller, Sean Burke, Nikolai Khabibulin, Martin Biron et Robert Esche, entre autres. Mais Price se situait simplement dans une ligue à part.

Il est difficile d’apprécier la contribution d’un gardien à sa juste valeur lorsqu’on l’affronte de temps en temps. Passer une saison complète aux côtés de Price m’a fait réaliser à quel point il était la pierre d’assise de cette équipe.

Quand nous arrivions au complexe de Brossard et que nous passions en revue le film du match de la veille, je ne cessais de hocher la tête, incrédule, en faisant le décompte des chances de marquer que stoppait Carey.

Nous commettions des erreurs qui se transformaient parfois en des chances de marquer de très haute qualité pour l’adversaire. Et il avait le don de transformer ces séquences de jeu en arrêts qui semblaient souvent anodins. Il bloquait le tir et dirigeait calmement la rondelle vers un coin de patinoire. Il nous donnait l’impression que rien de grave ne pouvait survenir et que nous pouvions continuer à jouer comme si de rien n’était.

Lors du printemps 2014, Montréal aurait vraiment dû vivre une finale de la coupe Stanley.

Un mois après notre élimination, mon association avec le Canadien a pris fin. Le 30 juin, Marc Bergevin m’a échangé à l’Avalanche du Colorado en retour de Pierre-Alexandre Parenteau.

«La meilleure façon de résumer mon appréciation du séjour de Daniel au sein de notre organisation, témoigne le directeur général du Canadien, c’est que tout ce que j’avais entendu dire à son sujet était vrai. Toutes les bonnes choses que m’avait dites Paul Holmgren au sujet de son caractère, de son leadership et de ses qualités de joueur étaient vraies. Il a été une bonne personne et un bon gars d’équipe. Encore aujourd’hui, si je le vois, je fais un détour pour aller le saluer. J’ai énormément de respect pour lui en tant que personne et en tant que joueur de hockey.

«La saison régulière de Daniel a été plus difficile, mais il nous a procuré exactement ce que nous recherchions durant les séries éliminatoires. Je sais qu’il a trouvé son expérience difficile parce qu’il n’était pas utilisé aussi souvent qu’il l’aurait souhaité. C’est une expérience dure à vivre pour un athlète qui prend de l’âge, et c’est sans doute pire pour un Québécois évoluant à Montréal. Mais Daniel ne s’est jamais plaint et n’a jamais créé de problèmes à cause de sa situation. Il s’est montré très professionnel. Pour cette raison, je me suis dit que quitter Montréal lui ferait sans doute du bien. C’était difficile pour lui à Montréal. Au moins, avec l’Avalanche, il a pu terminer sa carrière en paix.»

Je ne pourrai jamais exprimer adéquatement à quel point j’ai été honoré de pouvoir défendre les couleurs du Canadien de Montréal et à quel point j’ai apprécié mon retour parmi les miens. Il fallait absolument le vivre pour comprendre tout ce que ça représentait. Je serais extrêmement désappointé si, après avoir lu ce chapitre, les partisans de l’équipe en venaient à n’importe quelle autre conclusion.

La vie d’un athlète professionnel est parsemée d’embûches de toutes sortes. Le métier est ainsi fait. Par contre, les faits sont les faits. Il aurait été un brin malhonnête de passer sous silence les difficultés que j’ai connues à Montréal alors que j’ai ouvertement partagé toutes celles qui se sont dressées sur ma route depuis mes débuts dans le hockey.

Au fond de mon cœur, je sais que j’aurais pu en donner davantage à cette équipe si Michel Therrien m’avait perçu comme un allié. J’aurais tellement voulu en faire plus! Cela restera à jamais l’un de mes plus grands regrets.

Cela dit, je serai toujours extrêmement fier de dire que j’ai été un Canadien de Montréal. Rien ni personne ne pourra jamais m’enlever ça.