Épilogue

Mon parcours dans la LNH a pris fin à Denver le 11 avril 2015, alors que l’Avalanche du Colorado complétait son calendrier régulier contre les Blackhawks de Chicago.

Il s’agissait d’un match sans signification. Nous étions officiellement écartés des séries depuis belle lurette. De leur côté, les Blackhawks avaient envie d’être ailleurs. Ils écoulaient le temps avant de se lancer à la conquête de leur troisième coupe Stanley en cinq ans.

Même s’il s’agissait ma 973e partie dans la LNH, j’étais fébrile et nerveux. En fait, j’étais carrément pompé. En me regardant me préparer, certains de mes coéquipiers se disaient probablement: «Veux-tu te calmer? Pouvons-nous disputer ce match au plus vite et rentrer chez nous pour l’été?» Pour moi, c’était un moment solennel. Je me savais arrivé au bout du chemin et je tenais à savourer pleinement les 60 dernières minutes me séparant de la retraite.

J’ai bien vécu ce moment. J’étais serein. Misha assistait au match avec Caelan, Cameron et Carson. Quelques proches, dont mon vieil ami de Gatineau Daniel Tremblay, avaient aussi fait le trajet pour assister à la conclusion de ma carrière. C’était une belle journée. J’étais prêt à passer à la prochaine étape de ma vie.

«Dans les heures précédant son dernier match, nous étions tous tristes, sauf Daniel. Contrairement à son habitude avant une partie, il était très détendu. Il savait que le temps était venu de passer à autre chose. Son état d’esprit m’impressionnait», raconte Daniel Tremblay.

Patrick Roy a eu la délicatesse de m’insérer dans la formation partante aux côtés de Jarome Iginla et de Matt Duchene, et j’ai donné tout ce qui me restait à chacune de mes présences sur la patinoire. J’aurais adoré quitter la scène en levant les bras au ciel après avoir marqué un but. Le gardien des Blackhawks, Scott Darling, m’a toutefois empêché de compléter les quelques bonnes chances de marquer (parmi lesquelles une échappée) dont j’ai bénéficié dans ce match d’adieu.

En rentrant au vestiaire, j’estimais avoir disputé un bon match. Un surplus d’émotion m’a étreint en enlevant mon chandail pour la dernière fois, mais pas au point de verser des larmes. Je savais depuis le début de la saison que ma vie d’athlète tirait à sa fin. Dès le départ, j’avais décidé de savourer chaque moment au lieu de sombrer dans la nostalgie.

En retirant mon armure pour la dernière fois, j’étais content d’avoir fait ce choix. Et je m’estimais chanceux d’avoir vécu l’ultime chapitre de ma carrière avec un entraîneur-chef comme Patrick Roy.

Lors de notre première rencontre au début de la saison, Patrick avait mis cartes sur table:

— Je ne sais pas comment je vais t’utiliser cette saison, mais je vais te faire une promesse. J’ai fait mes recherches et je sais que tu es un bon coéquipier et un bon leader. Je vais donc m’arranger pour que tu puisses exercer ton leadership. Quoi qu’il arrive, que tu joues sur le premier trio ou que tu sois rayé de l’alignement un soir donné, cette situation ne changera pas. Tu seras traité comme un leader.

Je connaissais à peine Patrick à ce moment-là. J’avais huit ans lorsqu’il avait remporté sa première coupe Stanley avec le Canadien et il était l’une de mes grandes idoles de jeunesse. C’était donc très particulier pour moi de jouer sous ses ordres. Et tout au long de la saison, je n’ai jamais été déçu. Il m’a impressionné.

Notre relation joueur-entraîneur a démarré sur une base solide. Patrick réalisait toute l’importance que peuvent avoir des vétérans au sein d’une équipe de hockey et il m’offrait la chance de le supporter et d’aider les jeunes de son équipe à grandir.

Je lui en étais – et serai toujours – très reconnaissant.

J’ai passé le premier mois de la saison au sein des troisième et quatrième trios. Puis vers la fin octobre, Patrick est venu à ma rencontre.

— Écoute, Dan, je n’ai pas vraiment le choix. Ton niveau de jeu a baissé récemment et il faut que je te laisse de côté. Je ne pourrai peut-être plus te faire jouer beaucoup. Qu’est-ce qu’on fait? Je ne veux surtout pas t’embarrasser.

— Non, non, Pat! Je comprends la situation. Tu peux me laisser de côté pendant quelques matchs. De mon côté, je veux continuer à travailler. Je vais retourner passer plus de temps au gym et je vais faire du temps supplémentaire sur la patinoire après les entraînements. Je veux essayer de retrouver mon explosivité. C’est ça que j’aimerais faire.

— Parfait, a-t-il répondu.

J’ai passé les sept matchs suivants dans les gradins. Puis à la mi-novembre, quelques coéquipiers ont subi des blessures et j’ai réintégré la formation. J’ai connu un bon match à mon retour, et Patrick m’a ensuite utilisé au sein des deux premières unités pendant près de deux mois en compagnie de jeunes comme Ryan O’Reilly et Matt Duchene. Ensuite, vers le début de février, mon niveau de jeu s’est remis à décliner.

Patrick et moi nous sommes alors rencontrés pour réévaluer la situation.

— On se retrouve un peu dans la même situation qu’au début de l’année, a-t-il constaté. Tu jouais bien depuis un mois et demi. J’aimais ton jeu. Depuis trois ou quatre matchs, par contre, ça va moins bien…

— Refaisons la même chose qu’en novembre, ai-je proposé.

— OK!

J’ai encore passé sept matchs sur la passerelle de la presse. Et j’ai fait du temps supplémentaire chaque jour pour tenter de repousser, une fois de plus, l’usure du temps.

L’un des adjoints de Patrick, Tim Army, organisait des séances d’entraînement supplémentaires et facultatives chaque matin avant les entraînements réguliers de l’équipe. Ça s’appelait le Breakfast Club. Nous étions trois ou quatre joueurs à participer à ces séances de perfectionnement au cours desquelles Army nous soumettait à des exercices de patinage, de maniement de rondelle, de tirs, etc.

Après cette période de repos et de remise en forme, Patrick m’a réinséré dans l’alignement et j’ai retrouvé une bonne erre d’aller. Nous étions rendus à la fin de février. Nous amorcions le dernier droit du calendrier et tout indiquait que nous n’allions pas être en mesure de participer aux séries. Nous étions avant-derniers dans la division Centrale.

— Je suis satisfait de ton jeu, a indiqué Patrick. Mais je dois maintenant faire plus de place aux jeunes pour leur donner de l’expérience. Tu auras moins de temps de jeu, mais n’y vois pas une réprimande.

Du premier au dernier jour de la saison, Patrick Roy a respecté la promesse qu’il m’avait faite. Il m’a constamment placé dans des situations me permettant de montrer la voie aux plus jeunes.

Nous ne traversions pas une saison facile. Loin de là. Et j’essayais de faire réaliser aux jeunes comme Gabriel Landeskog, O’Reilly et Duchene à quel point il est important de rester professionnels et de se comporter comme de bons coéquipiers en tout temps, même quand les choses vont mal. En fait, surtout quand les choses vont mal.

L’avenir dira s’ils ont tiré quelque leçon en côtoyant des vétérans comme Jarome Iginla et moi. Ma plus grande satisfaction serait d’apprendre, le jour où ils seront appelés à occuper des rôles moins importants, que leur premier réflexe consistera à se montrer généreux envers les plus jeunes et à tout mettre en œuvre pour supporter leurs efforts et les guider dans leur quête de succès.

Qu’on soit le meilleur ou le pire joueur de la LNH, nous finissons tous par nous faire remplacer un jour. C’est inévitable. Par contre, chaque joueur peut décider du genre d’empreinte qu’il souhaite laisser derrière lui. C’est le message que j’ai essayé de transmettre aux jeunes joueurs de l’Avalanche avant d’accrocher mes patins.

De son côté, lorsqu’il s’adressait à l’équipe, Patrick ne ratait jamais une occasion de rappeler ces valeurs fondamentales et de citer ses vétérans en exemple:

— Il y a des joueurs qui disputent 20 minutes par match et qui tiennent ça pour acquis, alors qu’il y a des vétérans juste à côté qui ne disent pas un mot, ne jouent que 7 ou 8 minutes et se défoncent pour l’équipe.

Cette façon d’inclure tout le monde permettait à Patrick de compter sur le support total d’un groupe de vétérans et de leaders qui relayaient son message dans le vestiaire.

J’ai adoré jouer sous ses ordres. Il était un excellent entraîneur.

Dans tous les aspects de ma vie, la saison 2014-2015 s’est avérée celle des grandes réflexions et remises en question.

Pour la toute première fois de mon existence, je me suis retrouvé vraiment seul durant mon séjour au Colorado. Misha me visitait aussi souvent que possible, mais elle était basée en Caroline du Nord. Mes fils vivaient toujours à Philadelphie, et la distance nous séparant faisait en sorte que je ne pouvais monter à bord d’un avion pour aller les voir quand j’avais une journée de congé. Et je ne pouvais même plus compter sur la présence constante d’amis et de membres de ma famille comme cela avait été le cas à Montréal.

Je trouvais extrêmement difficile d’être à nouveau séparé de mes fils. C’était aussi vrai pour eux. À distance, je percevais un certain relâchement de leur part, notamment dans leurs études, et ça me déchirait de ne pouvoir être à leurs côtés pour les encadrer et les encourager.

Il était temps que je rentre à la maison. Il me restait encore quelques bonnes années à passer avec mes garçons. Je sentais une sorte d’horloge biologique tiquer en moi. Je voulais rentrer chez nous, rattraper le temps perdu et vivre ces précieux moments avec eux dans un rôle de père à temps plein.

Je sentais par ailleurs que le temps était venu de m’engager davantage auprès de Misha. Nous nous connaissions depuis quatre ans et demi, et nous formions officiellement un couple depuis trois ans. Nos métiers et nos engagements respectifs nous obligeaient à nous aimer à distance pendant de longues périodes, mais notre relation était tellement forte que nous passions facilement outre ces obstacles.

Je m’étais un jour juré de ne plus jamais me marier. Misha me faisait toutefois voir les choses sous un autre angle. Nous nous aimions et je n’avais aucune difficulté à m’imaginer passant le reste de ma vie avec elle.

Au mois de mars, alors qu’elle me rendait visite à Denver, les mains moites et le cœur battant à vive allure, je lui ai fait la grande demande.

Nous nous sommes mariés au mois d’août 2016 en présence de nos familles et de nos plus proches amis. Et depuis ce temps, les forces aériennes des États-Unis comptent dans leurs rangs un major du nom de… Misha Brière.

«Je tenais absolument à porter le nom de Daniel, confie Misha. Il y avait tellement de distance entre lui, moi et les enfants que je tenais à tout faire pour nous rapprocher les uns des autres. Nous étions sur le point de commencer à habiter ensemble en permanence tous les cinq. Je voulais faire partie de leur vie, de leur clan et sentir que nous ne formions qu’une seule et même famille.»

Un vieil adage veut que la vie commence à 40 ans. Je me le suis souvent répété au fil des dures batailles qui faisaient rage sur les patinoires de la LNH.

Je viens tout juste d’atteindre cette intéressante étape et j’ai l’impression qu’il me reste une autre histoire à écrire.

Misha, les enfants et moi filons le parfait bonheur à Philadelphie. Ma femme, qui a grandi dans une famille de quatre filles, découvre ce que ça implique d’avoir plusieurs jeunes hockeyeurs à la maison!

Par ailleurs, les Flyers m’ont ramené dans leur giron immédiatement après ma retraite. Paul Holmgren, maintenant président des Flyers, et le vice-président exécutif Shawn Tilger sont devenus pour moi de véritables mentors. Ils m’enseignent le côté affaires et les rouages administratifs d’une équipe de la LNH.

Au printemps 2017, Paul et Shawn m’ont confié la supervision quotidienne des opérations d’une équipe de la East Coast League qui sera basée à Portland, dans le Maine, à compter de la saison 2018-2019. Nous sommes en train de bâtir ce projet à partir de zéro et je m’étonne parfois du plaisir que me procurent ces responsabilités.

Je m’amuse au moins autant que lorsque j’avais dix ans et que je chaussais les patins dans la cour familiale à Gatineau.

Jusqu’où ma seconde carrière me mènera-t-elle? Je n’en ai aucune idée. Une chose est certaine par contre, et je suis bien placé pour en témoigner: tout est possible dans le monde du hockey.

Quelle aventure ce fut!