L’espace de la salle de bal parut se dérober et disparaître. Emprisonnée comme dans un étau par le regard de Nic, Maddie ne sentait plus que l’onde de chaleur qui les traversait tous deux.
Comment avait-elle osé dire une chose pareille ? D’autant qu’elle n’en pensait pas un traître mot — loin s’en faut.
— Ne t’inquiète pas, persifla-t-elle, tu ne me reverras pas de sitôt. Je crois que l’on peut dire sans risque de se tromper que cette mascarade est désormais terminée. Je suis venue ce soir pour voir ce que tu mijotais et je me rends compte que tu m’as sérieusement sous-estimée.
Elle tournait les talons quand elle trébucha de nouveau, oublieuse du fait qu’elle ne portait qu’une chaussure, et elle serait tombée si Nic ne l’avait pas une fois de plus rattrapée et attirée contre son torse puissant. Le souffle court, elle essaya de se libérer. En vain.
Elle s’apprêtait à crier quand il mit la main sur sa bouche, comme s’il avait lu dans ses pensées. Un sentiment proche de la panique l’envahit — pas à l’idée qu’il puisse lui faire du mal, mais en raison des émotions qui se bousculaient en elle. La preuve de son excitation contre son dos la mettait dans tous ses émois.
Non, pas ça ! supplia-t-elle en silence.
S’il la touchait, elle ne pourrait plus cacher l’attirance qu’elle éprouvait pour lui.
Elle lui mordit la main et l’entendit jurer — non sans avoir auparavant goûté sa peau salée. Aussitôt une onde de plaisir l’envahit. Tout son être vibrait pour lui.
D’un geste brusque, il la fit pivoter vers lui et, d’une main, lui retint les bras derrière le dos. Elle était prisonnière, totalement impuissante. Et en proie à une excitation intense, se rendit-elle compte avec horreur.
— Lâche-moi !
Il secoua la tête en signe de dénégation, une lueur dangereuse dans le regard. Maddie sentit qu’elle perdait pied. Le passé et le présent s’entremêlaient en un ballet de sentiments qu’elle ne maîtrisait plus.
— Je n’en ai pas encore fini avec toi, Maddie.
En l’entendant l’appeler par son diminutif, son cœur fit un bond dans sa poitrine. Elle se souvenait avec une clarté étonnante lui avoir avoué qu’elle préférait de loin être appelée Maddie plutôt que Madalena — beaucoup trop collet monté à son goût. Il lui avait touché la joue d’un geste tendre et murmuré à l’oreille : « Si c’est ce que tu préfères. »
Nic lui adressa alors un sourire de prédateur qui la ramena brutalement au présent.
— Si je t’ai sous-estimée, alors sache que l’inverse est encore plus vrai, murmura-t-il d’une voix suave. Nous avons une affaire à conclure… qui — ironie du sort — n’a rien à voir avec les affaires.
Sans même lui laisser le temps de saisir toute la portée de ses paroles, Nic inclina la tête et posa sa bouche sur la sienne. L’espace d’un instant, Maddie fut trop surprise pour réagir. Et soudain ce fut comme si un volcan entrait en éruption, avant de déverser sa lave brûlante en elle.
Elle avait beau s’efforcer de ne rien ressentir, de ne pas réagir, c’était peine perdue. En sentant contre elle sa haute stature, elle avait l’impression de retrouver un trésor perdu.
Comme s’il partageait son émoi, Nic libéra ses mains et, pour mieux l’embrasser, captura son visage entre ses mains. Il promena sensuellement la pointe de sa langue sur ses lèvres et, dans un frisson de plaisir, elle capitula. Elle aurait dû le repousser, elle le savait, mais son corps vibrait d’une telle attente que toute détermination la déserta. Ivre de plaisir, elle leva les mains et, au lieu de le repousser, s’abandonna sans réfléchir, agrippée à lui.
La soumission contenue dans ce geste lui arracha un gémissement de satisfaction et, s’enhardissant, il glissa sa langue dans sa bouche et l’enroula à la sienne. S’ensuivit alors une danse enfiévrée de leurs deux corps réunis jusqu’à ce que Nic l’agrippe par la taille et la plaque sans plus de cérémonie contre son sexe dressé pour elle.
Elle eut l’impression d’être terrassée par un maelström de sensations, et un désir si intense la saisit qu’elle se mit à trembler de tout son corps. Mais soudain une brise fraîche l’enveloppa et, levant la tête, elle croisa le regard froid et détaché de Nic. Comme engluée dans une sorte de brouillard épais, elle cligna les yeux et remarqua que sa lèvre inférieure était enflée, meurtrie et que ses cheveux cascadaient librement sur ses épaules.
— Tu…, balbutia-t-elle, avant de s’interrompre.
— Oui, que voulais-tu dire ? s’enquit-il d’une voix glaciale qui lui fit reprendre pied dans la réalité. Tu veux me faire croire qu’un simple baiser te réduit au silence ?
Une expression si amère traversa son visage que Maddie en oublia momentanément son humiliation.
— Je te rappelle que tu m’as déjà fait ce coup-là une fois, poursuivit-il, imperturbable. Tu ne peux néanmoins pas nier que tu me désires — peut-être même plus maintenant qu’il y a huit ans, quand tu brûlais de passion dans mes bras. J’aurais pu te faire l’amour ce jour-là et tu ne m’aurais opposé aucune résistance. Tu m’as peut-être séduit par ennui, mais tu étais brûlante comme la braise — tout comme maintenant, d’ailleurs. C’est un fait, même si tu as toujours eu du mal à l’admettre.
L’arrogance de cet homme n’avait décidément pas de limite, songea Maddie, écœurée. Elle se dégagea de son étreinte d’un geste brusque et redressa la tête.
— Je ne suis pas intéressée par tes hypothèses ou ta vision du passé. Le passé est révolu. Inutile de revenir dessus. En revanche, ceci, dit-elle en faisant un geste de la main pour décrire ce qu’ils venaient de vivre, montre qu’il existe entre nous une réelle alchimie sexuelle. Rien de plus.
Nic sourit d’un air morgue.
— Si j’avais voulu, j’aurais pu te prendre là, à quelques pas seulement des invités, et j’aurais dû couvrir ta bouche de ma main pour étouffer tes cris de jouissance.
Sans réfléchir, Maddie leva la main pour le gifler. Il était allé trop loin. Mais Nic, vif comme l’éclair, saisit son poignet avant que l’irréparable ne se produise.
Sous le choc, Maddie resta sans voix. Que lui arrivait-il, bon sang ? Jamais, elle n’avait levé la main sur quelqu’un.
— Je voulais simplement te montrer qu’en dépit de tes efforts pour me prouver le contraire, tu n’as jamais été capable de refouler le désir que tu éprouvais pour moi — pas plus maintenant qu’il y a huit ans. Ma chambre et mon lit te sont ouverts, et je t’y accueillerai avec plaisir. Nous pourrons ainsi assouvir nos instincts et tester notre alchimie sexuelle jusqu’à ce que tu reviennes à la raison et acceptes de me vendre ta propriété.
D’un geste vif, Maddie se dégagea de sa poigne et dut prendre sur elle pour ne pas tenter de nouveau de le frapper. La version qu’il venait de donner de cet après-midi cauchemardesque différait sensiblement de la sienne. Elle savait qu’elle lui avait donné l’impression que ce qu’ils venaient de partager l’avait dégoûtée au plus haut point — et d’une certaine manière, c’était vrai. Mais pas pour les raisons qu’il croyait. Cependant, elle ne pouvait pas lui dire la vérité, sous peine de dévoiler les sentiments qu’elle avait toujours éprouvés pour lui. Mettre ainsi son cœur à nu serait suicidaire.
— Tu sembles avoir oublié que ton lit était occupé il y a à peine deux semaines par ta dernière conquête, lança-t-elle avec hauteur. Je passe mon tour, merci !
Là-dessus, elle tourna les talons et sortit sans un regard en arrière. A son grand soulagement, il n’essaya pas de l’arrêter, et ce n’est qu’une fois arrivée dehors qu’elle se rendit compte qu’elle était pieds nus. Il était hors de question qu’elle retourne chercher ses chaussures ; elle risquerait de croiser Nic encore une fois. Elle s’engouffra dans la Jeep que le valet venait de lui apporter et, quand elle vit enfin les lumières qui illuminaient l’hacienda disparaître dans son rétroviseur, elle poussa un profond soupir.
Comme elle avait été stupide de croire que Nic ne parlerait pas du passé ! C’était un homme fier, et il avait été blessé dans son orgueil et sa virilité. Profondément blessé… Elle frémit au souvenir de l’expression amère qui avait traversé son regard quelques minutes plus tôt. Les événements qui avaient eu lieu huit ans auparavant avaient certes affecté leurs vies à tous, mais jamais elle n’aurait imaginé que la semaine qui avait précédé le drame était encore si présente à son esprit. Après tout, de nombreuses années étaient passées, depuis et il avait multiplié les conquêtes féminines qui auraient dû lui faire oublier le charme juvénile et maladroit de Maddie.
La façon dont il venait de l’embrasser avait ravivé les souvenirs de cette semaine inoubliable — ces journées torrides où, envahie d’une passion brûlante, elle le suppliait de lui faire l’amour. Elle tremblait si fort qu’elle fut obligée de s’arrêter sur le bas-côté de la route. Posant la tête sur le volant, elle essaya en vain de faire le vide dans son esprit…
* * *
Ce jour-là, elle avait réussi éviter ses parents et était partie seule faire une promenade à cheval, espérant comme toujours apercevoir de loin le séduisant Nic de Rojas. Son cœur avait failli s’arrêter de battre quand elle l’avait aperçu à seulement quelques mètres d’elle. L’intensité de son regard l’avait tout d’abord effrayée, et elle s’était aussitôt enfuie au galop.
Jetant un coup d’œil par-dessus son épaule, elle avait remarqué qu’il la poursuivait ; son excitation avait alors atteint son paroxysme. Quand elle était enfin arrivée au petit verger — son jardin secret — son corps était aussi tendu qu’un arc. Il l’avait rejointe peu après et d’un mouvement souple avait sauté à bas de son cheval. Sous le choc, elle l’avait dévisagé en silence. Il était l’incarnation même de la perfection masculine.
Ils avaient longuement parlé. Après des années de solitude où elle n’avait pu se confier à personne, elle avait enfin trouvé l’âme sœur en la personne du fils de l’ennemi juré de la famille.
Ils avaient continué à se voir ainsi toute la semaine, et ces moments volés à l’ombre des arbres fruitiers étaient devenus précieux pour Maddie. Nic hantait ses pensées comme ses rêves, et elle était folle d’amour pour lui. A la fin de la semaine, elle brûlait d’un tel désir que malgré ses craintes, elle n’avait pas hésité à se jeter à son cou dès qu’elle l’avait aperçu.
Il l’avait embrassée, lui prodiguant des caresses qui avaient enflammé ses sens et, aujourd’hui encore, Maddie rougit au souvenir de la manière dont elle avait répondu avec frénésie à ses caresses, le suppliant de lui faire l’amour.
Puis l’enfer s’était déchaîné.
Des cavaliers surgis de nulle part s’étaient empressés de les séparer. Apparemment, leurs absences prolongées n’étaient pas passées inaperçues. Nic lui avait fait un rempart de son corps pendant qu’elle ajustait à la hâte sa tenue mais cela n’avait pas empêché les hommes de les entraîner de force vers leurs montures respectives. Horrifiée, elle avait vu un des hommes frapper Nic au visage, tandis qu’ils le contraignaient à monter sur son étalon.
De retour chez elle, sa mère l’attendait, blême de rage.
— Est-ce vrai qu’on t’a trouvée en compagnie de Nicolás de Rojas ?
Pour la première fois de sa vie, Maddie avait senti le feu de la rébellion brûler en elle.
— Oui, c’est vrai, avait-elle lancé d’un air de défi.
Sa mère l’avait giflée à toute volée. La joue en feu et un goût de sang dans la bouche, elle avait dévisagé avec horreur cette femme qui n’avait jamais été une mère pour elle.
Là-dessus, cette dernière avait éclaté en sanglots hystériques, et Maddie avait dû l’entraîner dans le salon et lui faire boire un verre de cognac pour l’aider à reprendre ses esprits.
Abasourdie, Maddie l’avait scrutée intensément.
— Est-ce donc si terrible que je sorte avec Nicolás ? On s’entend bien, tous les deux.
Sa mère avait sangloté de plus belle, et ce n’est qu’après avoir enfin recouvré son calme qu’elle s’était tournée vers sa fille.
— Je t’interdis de le revoir, Madalena. As-tu pensé un seul instant à la réaction de ton père ?
Furieuse, Maddie s’était levée et lui avait fait face.
— C’est ridicule ! Tu ne peux pas m’empêcher de le revoir. Cette querelle stupide n’a plus de raison d’être aujourd’hui. Le passé est mort et enterré.
— Il est hors de question que tu me désobéisses, avait dit sa mère d’un ton ferme en se levant à son tour.
A ces mots, Maddie avait senti quelque chose se briser en elle. Peut-être était-ce dû à la mauvaise humeur constante de son père qui semblait incapable de faire le deuil de son fils ou au désintérêt flagrant que sa mère lui avait toujours témoigné ? Elle n’en savait rien.
— Si je décide de continuer à voir Nic, tu ne pourras rien faire pour m’en empêcher, avait-elle lancé.
Un silence de plomb avait accueilli ses paroles, et sa mère était devenue pâle comme la mort. Le verre tremblait si fort dans sa main que Maddie le lui avait retiré.
— Maman, arrête tes simagrées. Cela ne marche pas avec moi. Tu ne m’empêcheras pas de…
— Je vais te dire pourquoi tu ne peux plus le revoir.
Maddie l’avait dévisagée avait stupeur. Quelque chose dans le ton de sa voix l’avait fait frissonner.
— Que veux-tu dire ?
Alors, sa mère avait parlé… et brisé les rêves de sa fille en mille morceaux.
— D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours été amoureuse de Sebastian de Rojas. N’étant pas de la région, je n’avais qu’une vague idée de l’inimitié qui régnait entre les deux familles…
Interloquée, Maddie l’avait dévisagée, les yeux écarquillés.
— Tu étais amoureuse du père de Nic ? Mais… quel est le rapport avec la situation présente ?
— En vérité, je voulais que Sebastian m’épouse, avait-elle murmuré dans un souffle en évitant de croiser le regard de sa fille. Mais j’étais trop jeune à l’époque, et sa famille l’a obligé à épouser une autre jeune femme. Nicolás est né peu après leur mariage…
Marquant une pause, elle avait lancé un regard désespéré à sa fille.
— J’ai cru que je l’avais perdu à jamais… jusqu’à ce que je rencontre ton père. Une des raisons pour lesquelles je l’ai épousé était que cela me permettait de me rapprocher de Sebastian. D’ailleurs, quand il m’a revue, il n’a pas pu résister à l’envie de me mettre dans son lit. Dès que l’occasion se présentait, on se voyait… Je ne me suis pourtant jamais fait d’illusions. Entretenir une liaison avec la femme de son ennemi juré devait être jouissif pour Sebastian, mais il n’aurait jamais compromis sa réputation en rendant la chose publique. Il s’est rendu en Europe un hiver pour affaires et, quand il est revenu, j’étais enceinte d’Alvaro, ton frère. Il a alors coupé les ponts, pensant que j’avais décidé de mettre fin à notre liaison pour sauver mon mariage.
Le visage de sa mère était baigné de larmes, mais Maddie n’en avait cure, écœurée d’apprendre jusqu’à quelles extrémités sa mère était allée pour obtenir ce qu’elle désirait. Elle avait épousé un homme qu’elle n’aimait pas dans le seul but d’éloigner un homme marié de sa femme et de son fils…
— Je ne vois toujours pas le rapport avec le fait que tu m’interdises de voir Nic de Rojas.
Elle se dirigeait vers la porte quand la voix de sa mère l’avait arrêtée net.
— Je n’ai pas complètement cessé de voir Sebastian. Notre liaison a encore duré quelque temps. Et peu de temps après, je suis tombée enceinte… de toi. A cette époque, ton père et moi ne faisions pas encore chambre à part, mais… il est possible que Sebastian de Rojas soit ton père.
Incapable d’appréhender ce que sa mère venait de lui révéler, Maddie s’était contentée de la dévisager, bouche bée.
— Tu ne peux pas continuer à voir Nicolás de Rojas parce qu’il est peut-être ton demi-frère, avait insisté sa mère.
Prenant enfin la mesure de ce que celle-ci venait de dire, Maddie, sous le choc, avait lâché le verre qu’elle tenait à la main. Il s’était brisé au sol en mille morceaux, sans même qu’elle s’en rende compte.
Soudain, un hurlement de rage leur était parvenu et elles avaient toutes deux tourné la tête vers la porte pour apercevoir le père de Maddie, le visage rouge de colère, au bord de l’apoplexie.
— Je le savais ! J’ai toujours su qu’il y avait quelque chose entre cet homme et toi, avait-il tonné, fou furieux. Mon fils était-il vraiment le mien ou était-il aussi le fils de ce salaud ?
La suite des événements n’était plus qu’un souvenir confus pour Maddie. Elle se remémorait vaguement avoir été traînée dans sa chambre par son père et y avoir été enfermée à double tour. Le lendemain, après une nuit blanche, elle s’était faufilée par la fenêtre et était partie faire une promenade à cheval. La colère de son père lui avait paru dérisoire, comparé à son besoin viscéral de se changer les idées.
Sans même s’en rendre compte, elle s’était dirigée vers le verger. Hébétée de douleur, elle avait sauté à bas de son cheval avant de se rendre compte qu’elle n’était pas seule. La mine sombre, Nic venait de sortir du couvert des arbres. En proie à un mélange de crainte et d’excitation, elle avait senti son cœur bondir dans sa poitrine. Avait-elle espéré qu’il serait là à l’attendre, en dépit de ce qui s’était passé ? Mais ce qui lui avait semblé jusqu’à présent si juste, si pur, lui paraissait aujourd’hui sali.
— Pourquoi es-tu venu ?
Il lui avait adressé un sourire contraint.
— Je voulais savoir si tu reviendrais.
Le revoir ainsi, alors qu’elle venait tout juste d’apprendre le terrible secret qui les entourait, était trop pour elle.
— Je suis venue ici pour être seule. Je ne voulais pas te voir.
L’expression de son visage s’était durcie, et elle s’était empressée de poursuivre pour l’empêcher de parler.
— Je veux que tu partes. Maintenant.
S’approchant d’elle, il l’avait saisie par les épaules.
— Je ne te crois pas. Vas-tu les laisser t’intimider ?
Proche de l’hystérie, Maddie s’était dégagée d’un geste brusque.
— Ne me touche pas ! avait-elle hurlé. Je ne le supporte pas.
Prise d’une forte nausée, elle s’était détournée et avait vomi sur l’herbe où la veille seulement ils étaient enlacés. Glacée jusqu’aux os et tremblante des pieds à la tête, elle avait redressé la tête pour voir Nic la dévisager, le visage blême.
— S’il te plaît, va-t’en. Je ne veux plus jamais te revoir.
— Ce n’est pas ce que tu disais hier.
Luttant désespérément pour réprimer les spasmes qu’elle sentait de nouveau monter en elle, Maddie avait serré les dents.
— Hier, c’était hier mais aujourd’hui, tout est différent. Et je ne veux plus rien avoir à faire avec toi.
Mais il ne bougeait toujours pas et Maddie, désespérée, n’osait pas croiser son regard — pas quand il suscitait tant d’émotion en elle et qu’il était peut-être…
L’estomac noué, elle lui avait lancé la première chose qui lui était venue à l’esprit :
— Je m’ennuyais et je voulais voir si j’étais capable de te séduire. Tu étais le fruit défendu. C’était excitant…
* * *
Maddie leva sa tête du volant de la Jeep. Eblouie par les phares d’une voiture qui arrivait en sens inverse, elle cligna les yeux. L’esprit embrumé par les souvenirs qui l’assaillaient, elle s’efforça de les refouler, peu pressée de se remémorer la manière dont Nic était devenu soudain si froid.
S’approchant d’elle, il avait murmuré à son oreille d’une voix glaciale qu’elle était un poison de la pire espèce.
— Je croyais que la haine entre nos deux familles était une chose sans importance. Je me suis apparemment trompé.
Enfin seule, Maddie s’était effondrée en sanglots et avait pleuré jusqu’à ce qu’elle tombe d’épuisement. Lorsqu’elle était rentrée chez elle, quelques heures plus tard, ses bagages étaient faits, et ses parents l’attendaient dans la voiture. Sans un mot d’explication, son père les avait conduites à l’aéroport, sa mère et elle.
— Je ne veux plus jamais vous revoir. Vous ne représentez plus rien pour moi, avait-il dit en guise d’adieu.
Maddie et sa mère s’étaient alors envolées pour Buenos Aires où vivait la tante de Maddie.
— Je veux savoir qui est mon père, avait alors exigé Maddie. C’est la moindre des choses, tout de même.
Sa mère avait fini par accéder à sa requête, mais une des conditions exigées par son mari pour qu’il accepte de fournir un échantillon d’ADN avait été qu’elle renonce à sa généreuse indemnité compensatoire — chose qu’elle n’avait jamais pardonnée à sa fille.
Un mois plus tard, Maddie s’était rendue dans un cabinet médical de Buenos Aires avec l’échantillon d’ADN en poche et s’était elle aussi soumise au test de filiation. Quinze jours plus tard, elle avait eu les résultats et appris qu’elle n’avait aucun lien de parenté avec Nic ou son père. Elle était sans l’ombre d’un doute une Vasquez.
Cette information ne lui avait apporté qu’une bien maigre consolation, car elle savait qu’elle emporterait le sordide secret de sa mère dans la tombe, en même temps que la douloureuse révélation de Nic. Elle avait pourtant cru qu’ils avaient partagé quelque chose de fort, mais elle s’était trompée : il n’avait ressenti pour elle qu’une simple attirance physique…
Maddie se sentit enfin suffisamment maîtresse d’elle-même pour redémarrer la Jeep et poursuivre sa route. Elle avait écrit à son père pour lui annoncer les résultats du test ADN, mais il ne lui avait pas pardonné les fautes de sa mère et n’avait jamais répondu à ses lettres… jusqu’à ce qu’il soit à l’article de la mort. Maintenant, Maddie devait respecter ses désirs et faire son possible pour sauver le domaine familial, tout en faisant abstraction de Nic de Rojas.
* * *
— Tu as oublié tes chaussures hier soir, Cendrillon.
Maddie se raidit en entendant la voix chaude et profonde, reconnaissable entre toutes. Un léger frisson parcourut son dos, tandis qu’elle levait lentement les yeux vers la haute silhouette qui se découpait dans le soleil.
Abasourdie, elle cligna les yeux. Elle n’avait pas fermé l’œil de la nuit, en proie à des cauchemars terrifiants, aussi se demanda-t-elle si elle n’était pas victime d’hallucinations. Mais comme la silhouette ne bougeait pas d’un millimètre, elle dut se rendre à l’évidence : elle ne rêvait pas. Les sourcils froncés, elle se leva et saisit les chaussures que lui tendait Nic.
— Ce n’était pas la peine de te donner tout ce mal, dit-elle avec raideur.
Elle était d’autant moins maîtresse d’elle-même qu’elle portait une tenue pour le moins négligée : un jean délavé, un T-shirt informe et une vieille paire de bottes d’équitation. Heureusement, son chapeau la protégeait à la fois du soleil et du regard intense de Nic.
Nic était lui aussi habillé de façon décontractée, dans sa chemise polo de couleur sombre et son jean qui épousait ses hanches étroites et ses cuisses musclées.
— Je dois avouer que je suis curieux de savoir pourquoi tu portes des chaussures trop grandes.
Maddie s’empourpra et le fusilla du regard, même si cela ne la surprenait pas outre mesure qu’il connaisse sa pointure.
— Elles sont à ma mère.
Nic leva un sourcil interrogateur.
— Tes bagages ont été égarés ?
— Oui, la totalité de mes vingt-quatre valises monogrammées, lança-t-elle d’un ton ironique par-dessus son épaule, s’éloignant pour échapper à son regard magnétique.
Ce n’est qu’alors qu’elle se rendit compte avec effroi de l’étendue du désastre : Nic venait de prendre la pleine mesure de leur maigre récolte. Elle fit volte-face.
— Comment es-tu entré ici ? Tu dois t’en aller tout de suite ! Il s’agit d’une propriété privée.
L’air amusé, Nic croisa les bras sur sa poitrine, et Maddie ne put s’empêcher de laisser son regard errer sur ses bras musclés, avant de relever les yeux, furieuse contre elle-même de se montrer si faible.
— Quelle impolitesse ! Après tous les efforts que j’ai faits pour me montrer affable envers toi hier soir… Nous marquons l’Histoire, Maddie. Nous sommes les premiers à combler le fossé entre nos deux familles. Je ne parle pas bien sûr de la sordide liaison entre ta mère et mon père et de notre propre… expérience pour le moins désastreuse.
S’efforçant de réprimer les sanglots qu’elle sentait monter en elle, Maddie détourna le regard.
— C’était il y a longtemps, murmura-t-elle.
— Tu es une véritable énigme, le sais-tu ? Pour autant, j’ai du mal à t’imaginer étudiante.
Maddie se raidit imperceptiblement. Puis, elle se remémora la conversation qu’elle avait eue la veille avec Eduardo, le maître de chai. Elle le dévisagea, l’air écœuré.
— Tu as demandé à tes employés de te faire un compte rendu de nos conversations ?
— Tu prétends vraiment que tu as eu le temps de passer ta maîtrise d’œnologie et de viticulture entre deux soirées mondaines ? insista-t-il, incrédule.
— Ta propre vie sociale très active ne t’a pas empêché de décrocher le titre de plus jeune maître producteur du monde, se défendit-elle.
Une lueur dangereuse traversa le regard de Nic.
— Tu me surveillais, Maddie ?
Maddie rougit, mais ne se laissa pas démonter pour autant. Elle ne le lui permettrait pas l’intimider. Redressant le menton dans un geste de défi, elle lui fit face.
— C’est tout à fait exact. J’ai obtenu mon diplôme avec mention l’année dernière. Tu peux vérifier auprès de l’académie de Bordeaux, si tu ne me crois pas.
— Et qui a financé tes études, Maddie ? Un amant généreux ? A moins que tu n’aies obtenu ta mention par des moyens… moins honorables ?