Maddie tremblait de fureur contenue.
— C’est exact, Nic. Etant une bombe sexuelle, j’ai usé de mes charmes pour inciter mes professeurs à se compromettre et à me délivrer mon diplôme.
Nic rougit. Il n’était pas dans ses habitudes de pousser à bout les femmes, mais celle-ci le faisait irrémédiablement sortir de ses gonds. De plus, ce qu’elle venait de lui révéler changeait la donne et ne cadrait pas avec l’image de jeune femme délurée qu’il avait d’elle.
— C’est là qu’est passé tout ton argent ?
L’espace d’un instant, il crut qu’elle n’allait pas lui répondre, ce dont il ne pouvait guère la blâmer. Mais il se trompait.
— Je travaillais à l’époque dans un vignoble près de Bordeaux, et le propriétaire a accepté de sponsoriser mes études, répondit-elle d’un ton sec en évitant son regard.
Nic eut soudain envie de lui saisir le menton pour la contraindre à le regarder pour de bon, mais il réprima cette pulsion dévorante. Il craignait de perdre le peu de contrôle qui lui restait s’il posait seulement un doigt sur elle.
Lentement, elle releva la tête. Ses yeux verts lançaient des éclairs.
— Et avant que tu ne poses la question : non, je n’ai pas couché avec mon patron pour qu’il accepte d’être mon sponsor. Il administre un programme de bourses d’études en coopération avec l’université de Bordeaux, assurant ainsi la formation de ses employés, et j’en ai bénéficié.
— Quelle chance tu as eue, dit Nic d’un air absent.
Les yeux rivés sur son décolleté, il sentait une langueur sournoise se réveiller dans son ventre à la vue de ses seins qui se dressaient sournoisement sous son T-shirt. Avec ses longs cheveux noués en tresses et dont quelques mèches folles encadraient son visage, elle était époustouflante.
La veille, quand il l’avait tenue dans ses bras, il savait qu’une des raisons pour lesquelles il avait cédé à ses pulsions était qu’il voulait la voir perdre de sa superbe. Et même s’il avait ressenti une certaine satisfaction à la voir frémir de désir pour lui, il avait malgré tout été déçu — parce qu’il voulait davantage. Il souhaitait connaître cette femme intimement et terminer ce qu’il avait commencé huit ans auparavant.
Mal à l’aise sous son regard inquisiteur, Maddie croisa les bras sur sa poitrine.
— Je veux que tu t’en ailles, maintenant. Tu n’es pas le bienvenu ici.
Il la dévisagea en plissant les paupières, comme si quelque chose venait de lui revenir à l’esprit.
— Je veux voir les lettres dont tu m’as parlé. Celles que tu prétends que j’ai signées.
Surprise de sa requête, Maddie s’apprêtait à refuser mais se ravisa. Après tout, pourquoi pas ? Cela permettrait au moins de l’éloigner des vignes.
— Très bien, répondit-elle d’un ton sec. Suis-moi.
Elle pivota et quitta le rang de vignes, douloureusement consciente de la présence de Nic derrière elle. Sa Jeep rutilante était garée à côté de la sienne, et elle songea que le contraste entre les deux voitures était on ne peut plus éloquent. Il lui tint la porte et, après une brève hésitation, elle ôta son chapeau et s’installa dans sa voiture à laquelle Nic lança un regard dédaigneux.
— Cette chose est un piège mortel…
— Tu devrais en être ravi, ironisa-t-elle.
Nic lui jeta un regard noir et serra les mâchoires.
— Je ne souhaite pas ta mort, Maddie — simplement que tu t’en ailles d’ici, rétorqua-t-il. Alors dis-moi, combien de temps es-tu restée en France ?
Maddie hésita quelques instants avant de répondre, réticente à révéler des détails sur sa vie privée.
— J’y suis allée à l’âge de vingt et un ans, après avoir passé une année à Londres.
— Serait-ce à cette époque que je t’ai aperçue dans ce night-club ?
Maddie grimaça en son for intérieur au souvenir de l’air dégoûté qui s’était affiché sur son visage ce soir-là quand il l’avait détaillée des pieds à la tête avant de tourner les talons, une nuée de jolies filles dans son sillage. Comme elle aurait aimé lui dire qu’elle ne s’était trouvée là que parce qu’elle était tombée par hasard sur de vieux amis qu’elle avait connus à l’époque où elle était pensionnaire en Angleterre et qu’ils avaient insisté pour qu’elle les accompagne. Ils lui avaient même prêté des vêtements — un fourreau en lamé argent qui ne laissait pas beaucoup de place à l’imagination.
— Oui, dit-elle d’un ton neutre.
Nic la scruta intensément. Il avait le pressentiment qu’elle lui cachait quelque chose. De toute évidence, elle avait fait la fête à Londres pendant un an avant de se rendre en France pour travailler dans un vignoble. Peut-être avait-elle dilapidé sa fortune et avait-elle dû se résoudre à cette extrémité ? Cela n’allait pas vraiment avec l’idée qu’il se faisait d’elle, mais peut-être avait-elle pensé qu’elle avait intérêt à reprendre les rênes de l’entreprise familiale.
Et peut-être aussi avait-il sous-estimé son ambition. Ne lui avait-elle pas avoué un jour qu’elle avait toujours rêvé de travailler à la vigne ? Il n’y avait pas prêté attention à l’époque, considérant qu’il s’agissait là encore de fantasmes, mais le fait qu’elle avait passé sa maîtrise en œnologie et viticulture montrait qu’il s’était trompé sur son compte. D’ailleurs, n’était-elle pas toujours là, tenant bon en dépit de l’immense tâche qu’elle s’était assignée ? Ne l’avait-il pas surprise à genoux, les mains dans la terre, insensible à la saleté et à la poussière ?
Il avait été profondément choqué de voir à quel point le domaine était délabré. Il ne s’était pas attendu à ce que les choses soient si graves. Et il n’avait pas manqué de remarquer les cernes mauves qui soulignaient les yeux de Maddie, pas plus que la soudaine envie de la protéger qu’il avait alors ressentie.
Enfin, ils arrivèrent devant la vieille demeure. Elle tombait certes en ruine mais conservait néanmoins des vestiges de sa splendeur passée. Les revers de fortune subis par la famille Vasquez étaient criants, mais Nic refoula tout sentiment de compassion. Il sortit de la voiture et attendit que Maddie lui fasse l’honneur de sa maison.
— Maria, pourriez-vous nous apporter du café, s’il vous plaît ?
Heureusement que Maria était encore là pour les accueillir ! songea Maddie. Il ne fallait surtout pas que Nic découvre à quel point sa situation était devenue précaire. Si elle pouvait donner l’impression d’un semblant de normalité, peut-être cesserait-il de tourner autour d’elle comme un vautour ? Elle avait trop baissé sa garde hier, et elle devrait désormais se montrer plus prudente.
Elle s’empourpra au souvenir de son baiser torride et, tandis qu’elle le faisait entrer dans le bureau ensoleillé mais poussiéreux de son père, elle pria le ciel pour qu’il ne remarque pas son trouble. Elle se dirigea vers le magnifique bureau en chêne, saisit les lettres et les tendit à Nic sans un mot, curieuse de voir sa réaction. Maria entra quelques instants plus tard avec un plateau, et Maddie s’empressa de servir le café, tout en jetant un regard oblique à Nic qui s’était assis et semblait plongé dans la lecture des documents.
Mal à l’aise, elle s’assit à son tour. Jusqu’à présent, l’expression de son visage était demeurée impassible, mais quand il arriva à la dernière lettre, son flegme avait disparu. Il redressa la tête, les narines dilatées par la colère.
— Ce n’est pas ma signature !
Elle fronça les sourcils.
— Ton nom est pourtant inscrit en bas de la page.
— Je sais, rétorqua-t-il. Mais ce n’est pas ma signature.
Là-dessus, il se pencha et saisit un stylo. Puis de la main gauche, il griffonna quelque chose sur une feuille de papier qu’il lui tendit.
— Je suis gaucher et j’ai une écriture très particulière.
Maddie examina de près sa signature. Elle était en effet très différente de l’autre et reflétait si bien son arrogance qu’elle le crut sur parole. Il était en effet si suffisant qu’il n’aurait pas hésité une seconde à admettre la vérité, si tel avait été le cas. Et puis pourquoi aurait-il menti ? Il la détestait et voulait la voir partir.
— Qui les as écrites, alors ?
— Les premières sont effectivement de mon père et de son notaire. Mais, après sa mort, quelqu’un a copié ma signature. Je crois savoir de qui il s’agit, mais je tiens à m’en assurer d’abord avant de t’en faire part — si tu n’y vois pas d’inconvénient.
Maddie acquiesça.
Nic avala d’un trait son café, puis se leva.
— J’ai pris assez de ton temps.
Maddie se leva à son tour et le suivit dans l’entrée, déçue qu’il parte si vite. Elle se sentait plus vulnérable encore depuis qu’elle savait avec certitude que ce n’était pas lui qui avait envoyé les lettres.
— Cela veut-il dire que la pression que tu exerces sur moi pour que je vende va cesser ? risqua-t-elle.
Arrivé devant la porte d’entrée, Nic se tourna vers elle et lui adressa un sourire dénué de chaleur. Toute trace de convivialité avait disparu de son visage, lui rappelant aussitôt à qui elle avait affaire. D’instinct, elle recula d’un pas.
— Rien n’a vraiment changé, Maddie. Je souhaite toujours que tu partes loin d’ici. Mais, il y a d’autres moyens de persuasion que des lettres ; des moyens plus agréables…
Maddie maudit sa crédulité, et la façon dont son traître de corps avait réagi quand il avait prononcé le mot agréable.
— Tiens le toi pour dit, je ne partirai jamais d’ici.
Il secoua la tête, l’air faussement navré.
— Dire que cette conversation avait si bien commencé… Regarde la réalité en face, Maddie. Rendre ce vignoble lucratif nécessiterait une injection massive de capital, et même là il faudrait plusieurs années de grands millésimes pour réparer les dommages causés par ton père. Ton diplôme, aussi louable soit-il, ne sert à rien sans des terres fertiles et de bons cépages. Tu n’as même pas l’électricité !
Maddie lui adressa un sourire lumineux dans l’espoir de cacher la soudaine panique qui menaçait de la submerger.
— En fait, si. J’ai payé les factures, et on nous a remis le courant. Maintenant si tu as enfin terminé ta mission d’observation, j’apprécierais que tu t’en ailles…
Elle eut beau prendre beaucoup de plaisir à lui claquer la porte au nez, elle ne réussit à se détendre qu’au moment où elle entendit la Jeep démarrer. S’adossant au battant, elle poussa un profond soupir.
A cet instant, Maria apparut, venant de la cuisine.
— Nous avons besoin de diesel pour le générateur. Il vient de s’éteindre de nouveau.
Maddie aurait pu rire de sa situation si elle n’avait pas eu peur d’éclater en sanglots. Déterminée à cacher à Nic à quel point elle était vulnérable, elle venait de lui mentir à propos de l’électricité. Mais en vérité, les choses étaient bien pires que tout ce qu’il aurait pu imaginer. Elle avait effectivement besoin de capitaux, et la seule solution pour elle était de trouver un investisseur.
Dans un soupir, elle s’éloigna de la porte. Une chose dont elle était sûre était qu’elle ne demanderait jamais d’aide à Nic. Elle frissonna imperceptiblement en songeant à la suggestion osée qu’il venait de lui faire. Elle ne doutait pas une seconde qu’il se ferait une joie de lui montrer à quel point elle se consumait de désir pour lui. Et dans le même temps cela lui permettrait de se venger de la façon dont elle l’avait rejeté huit ans auparavant et de la liaison entre sa mère et son père qui avait causé de tels ravages dans leur vie à tous.
Quoi qu’il en soit, elle savait que si elle se laissait aller à une quelconque intimité avec lui, il pourrait la briser — une chose qu’elle ne permettrait jamais.
* * *
Quand Nic démarra, il serrait si fort le volant que ses phalanges étaient toutes blanches. Il respira à fond, s’obligeant à se détendre. Il savait pertinemment que Maddie lui avait menti à propos de l’électricité et il n’aimait pas savoir qu’elle s’était sentie acculée au point de vouloir donner le change.
De rage, il frappa le volant. Ce ne fut qu’en sortant du bureau de son père qu’il avait pris la mesure de ce qu’il était en train de faire. Il était le premier membre de sa famille à se rendre sur la propriété des Vasquez, et il avait agi sans réfléchir, obnubilé par une seule chose : voir Maddie.
Ce besoin viscéral avait balayé le prétexte dérisoire de lui rendre ses chaussures ou de l’interroger sur son diplôme. Dès qu’il s’était approché d’elle, il avait été submergé d’un tel désir qu’il avait failli perdre pied. Il se remémorait son parfum et le goût de sa peau salée sur sa langue. Et dire qu’il n’avait jamais couché avec elle…
Il la maudit intérieurement. Il n’avait pas été dupe de son manège ; Maddie était une femme obstinée, voire butée. Oh ! il la comprenait très bien, étant lui-même animé d’un insatiable désir de réussite.
Nic avait été un bébé et un enfant de santé fragile. Sa mère avait souffert de complications durant la grossesse et n’avait jamais pu retomber enceinte. Son père était très inquiet à la perspective que l’héritage familial reposait désormais sur les seules épaules de cet enfant malingre. Et, même si Nic était devenu par la suite un jeune homme robuste et en excellente santé, son père n’avait jamais pu lui accorder toute sa confiance — pas même quand celui-ci avait réussi l’exploit d’obtenir le titre de Master of Wine à seulement vingt-huit ans.
Avec le recul, Nic se rendait compte que la fragilité dont il avait souffert durant son enfance était en partie due à la surprotection de sa mère même si, d’aussi loin qu’il s’en souvienne, il avait toujours su qu’il devait impérativement surmonter sa léthargie s’il voulait aller de l’avant. Et à force de courage et de volonté, et surtout animé du désir de voir son père le regarder enfin avec fierté, il avait réussi peu à peu à remonter la pente. A l’âge de douze ans, il était déjà un des plus grands garçons de sa classe, son asthme avait disparu, et il était fort comme un bœuf. Le médecin qui le soignait depuis sa plus tendre enfance avait secoué la tête d’un air incrédule.
« Je n’ai jamais vu une chose pareille de toute ma vie… »
Mais Nic savait qu’il ne s’agissait pas d’un miracle. Armé de patience, de persévérance et surtout d’une détermination inébranlable, il avait réussi à vaincre la maladie. Jamais personne n’avait su le combat intérieur qu’il avait mené — à part Maddie, à qui il s’était confié un jour dans le verger. Au souvenir de ses immenses yeux verts le dévisageant avec empathie, il sentit son cœur se serrer.
En proie à un nouvel accès de fureur, il serra le volant de toutes ses forces. Comment avait-il pu être naïf au point de se laisser berner par un joli visage et un corps souple et délié ? Ce sentiment d’intimité partagé… Avait-il été à ce point désespéré qu’il l’aurait imaginé ?
Profondément blessé, il n’avait jamais depuis laissé une femme connaître ses pensées intimes et dès qu’une de ses maîtresses outrepassait les limites qu’il s’était fixées, il la quittait sans explication.
Et la raison pour laquelle il tenait tant à voir Maddie quitter les lieux au plus vite avait beaucoup plus à voir avec son obsession grandissante pour elle qu’avec le désir d’étendre son empire. Elle n’était qu’une source d’ennuis, il le savait. Il la désirait comme un fou, mais savait qu’il devait résister à ses pulsions. Il en allait de sa survie. Paradoxalement, il était conscient que s’il voulait reprendre le contrôle de son existence et la chasser enfin de son esprit, il devait la posséder au plus vite.
Quand il arriva enfin chez lui, il était d’une humeur massacrante et décida aussitôt d’aller rendre une visite de courtoisie à son futur ex-notaire. Il désirait s’entretenir avec lui des lettres qu’il s’était permis d’écrire en son nom.
* * *
Deux jours plus tard, Maddie revenait de Villarosa où elle venait de faire les courses — une quantité dérisoire de provisions censée nourrir Maria, Hernan et elle.
Elle était lasse et avait l’impression de s’être lancée dans une bataille perdue d’avance. L’espace d’un instant, elle fut tentée de tout abandonner, d’appeler Nic et lui dire qu’il avait gagné. La vente de la propriété suffirait largement à subvenir aux besoins de Maria et de Hernan pour le reste de leur vie. Ils n’auraient plus à s’inquiéter de rien…
C’est alors qu’elle aperçut au loin la vaste propriété de son enfance et sentit sa gorge se nouer. Même si son père lui avait toujours interdit de travailler à la vigne pour la seule raison qu’elle était une fille, elle avait toujours été fascinée par l’ensemble du processus de vinification. Le souvenir de son frère la portant sur ses frêles épaules pour lui permettre de toucher les raisins était encore bien présent dans sa mémoire.
Elle se sentait en accord avec la terre et les saisons. La cordillère des Andes qui se profilait à l’horizon était une image qu’elle avait gravée au plus profond de sa mémoire durant toute la durée de son exil. Et, maintenant qu’elle était enfin de retour, elle ne permettrait pas à Nic de l’obliger à partir sous prétexte qu’il voulait étendre son empire.
Mais force lui était de reconnaître que la bataille serait rude. Elle sortait en effet de la banque de Villarosa où le directeur lui avait expliqué qu’il ne pouvait pas se permettre de lui accorder un prêt compte tenu de la conjoncture économique.
Or la banque était son dernier recours. Ces derniers jours, elle avait rendu visite aux viticulteurs de la région qui avaient tous fini par admettre du bout des lèvres qu’ils ne voulaient pas investir dans son domaine viticole. Un seul avait eu le courage de lui avouer qu’il ne souhaitait pas se mettre Nic de Rojas à dos, ni se trouver mêlé à leur querelle de longue date.
Avant même d’avoir levé le petit doigt, Maddie était condamnée à échouer…
Aussi, lorsqu’elle engagea sa voiture dans l’allée et qu’elle aperçut Nic, adossé nonchalamment à sa rutilante Jeep, son sang ne fit qu’un tour. Elle mit pied à terre, les bras chargés de sacs qu’elle tenait devant elle, comme un bouclier. Comme il tendait la main pour l’aider, elle les serra plus fort contre elle.
— Je croyais t’avoir dit que tu n’étais pas le bienvenu ici.
Il eut l’audace de sourire.
— Es-tu toujours aussi ombrageuse le soir ? Il va falloir que je m’en souvienne. Peut-être es-tu plutôt du matin ?
Maddie lui tourna le dos et pénétra dans la maison, feignant d’ignorer qu’il lui emboîtait le pas. Elle posa ses paquets sur une table et fit volte-face, les mains sur les hanches.
— Je t’ai déjà dit que tu n’étais pas le bienvenu ici ! gronda-t-elle. D’ailleurs, j’ai suffisamment entendu ton nom ces derniers jours pour me dégoûter à vie. Alors, s’il te plaît, va-t’en !
Elle l’aurait bien volontiers poussé dehors mais n’osait pas le toucher. Elle avait en effet bien trop peur de la réaction de son corps qui se consumait déjà de désir pour lui.
Elégamment vêtu d’un pantalon de couleur sombre et d’une chemise blanche, il était très séduisant. Elle aussi avait soigné sa tenue pour son rendez-vous à la banque. Elle avait même fait la folie de s’acheter quelques vêtements, eu égard aux récentes critiques de Nic.
Comme s’il lisait dans ses pensées, celui-ci détailla d’un air approbateur son élégant tailleur, son chemisier blanc et ses chaussures à hauts talons avant de lever lentement les yeux et de croiser son regard.
— J’aime beaucoup ta tenue — très sage.
Maddie serra les poings. Elle ne se sentait pas sage du tout. Au contraire !
Mais, avant qu’elle ait pu répondre, il ajouta :
— Tu es, semble-t-il, à la recherche d’un investisseur ? A en juger par ton humeur, tu n’as pas dû rencontrer beaucoup de succès.
Réprimant sa fureur, Maddie répondit d’un ton neutre.
— Comme je m’y attendais, la communauté locale ne veut pas incommoder son richissime et tout-puissant voisin. Ils craignent de susciter ta colère s’ils investissent chez un concurrent, ce qui n’est pas fait pour encourager une saine compétition, n’est ce pas ? Après tout, il n’est pas difficile de réussir quand on est seul en lice.
Une lueur de rage passa dans son regard, et il s’empourpra.
— Si ton père était encore vivant, il pourrait tout t’apprendre à ce sujet. Je te rappelle que ta famille est la première à avoir éliminé toute compétition dans la région, préférant s’en tenir à un seul concurrent : nous. Si tu avais pris le temps de te renseigner, tu aurais su que ces dernières années ont vu proliférer les viticulteurs, et plus particulièrement depuis la déchéance de ton domaine. Et sache que j’ai même investi chez certains d’entre eux.
Ce fut le tour de Maddie de s’empourprer. Il venait une fois encore de la surprendre.
— Je suis venu te dire que c’est le notaire de mon père qui a signé ces lettres, poursuivit-il d’une voix glaciale. Il a été l’ami intime de mon père durant des années et, à mon insu, il lui a promis de mener une campagne destinée à pousser ton père à vendre. Je le soupçonne aussi d’avoir été épris de ma mère et, quand elle s’est suicidée, il s’est en quelque sorte juré de la venger.
Abasourdie, Maddie s’assit sur une chaise. Cet enfer ne cesserait-il jamais ?
— Merci de m’avoir prévenue.
Levant la tête, elle crut voir passer dans ses yeux une expression proche de la sollicitude. Mais c’était impossible. Elle avait dû rêver.
— J’ai également pris la liberté de régler ta facture d’électricité.
Furieuse, Maddie se leva d’un bond.
— Pourquoi as-tu fait une chose pareille ? Je t’ai pourtant dit que tout allait bien pour nous.
Nic tendit le bras et, d’une chiquenaude, poussa l’interrupteur. Rien ne se passa, et Maddie vira au pourpre.
— Je savais bien que tu mentais, rétorqua-t-il. J’ai agi ainsi pour des raisons de sécurité. Je ne peux tout de même pas laisser un accident se produire quand j’ai les moyens de l’éviter. Le courant sera rétabli sous peu.
Maddie frémit de rage contenue. Il avait raison, elle le savait. En effet, le matin même, quand Hernan était descendu au sous-sol pour remettre le générateur en marche, il avait manqué de se faire très mal en trébuchant dans l’obscurité. Pouvait-elle compromettre la sécurité de ses employés en refusant l’aide de Nic ?
— Comme je te l’ai déjà dit, je ne souhaite pas ta mort, mais seulement te voir partir d’ici, insista-t-il.
— Qu’attends-tu de moi ? finit-elle par répondre.
Nic s’avança vers elle, et elle lutta pour ne pas lui montrer le trouble qu’elle ressentait à le sentir si proche.
— Viens dîner chez moi ce soir.
Maddie déglutit avec peine. Comme elle avait envie de refuser ! Mais, elle était acculée ; la sécurité de son personnel passait avant tout.
— C’est d’accord, marmonna-t-elle à contrecœur.
L’espace d’un instant, l’atmosphère vibra entre eux. Puis, Nic sortit, et elle demeura figée. En pleine confusion, elle se renfonça dans son fauteuil. Elle ne savait plus quoi penser. D’un côté, il venait de se montrer étonnamment généreux et de l’autre, il brouillait les cartes en l’invitant à dîner, prouvant une fois de plus qu’il était à bien des égards une menace pour elle. Peut-être était-ce son plan ? Peut-être voulait-il la déstabiliser et mettre en lumière ses faiblesses jusqu’à ce qu’elle soit entièrement à sa merci ?
Elle se vit soudain allongée dans un grand lit et Nic, debout devant elle, la dominant de toute sa taille. Frissonnant, elle se jura de lui annoncer sans détour et dès ce soir qu’elle n’accepterait aucun autre geste de sa part et qu’elle établirait un échéancier pour le rembourser.
Comme pour la narguer, le couloir sombre s’illumina soudain. Clignant les yeux, Maddie vit Maria sortir à la hâte de la cuisine, le visage radieux.
— Oh ! niña, maintenant je sais que tout ira bien, dit-elle en serrant Maddie dans ses bras.
Elle n’eut pas le cœur de lui dire que l’épée de Damoclès était toujours suspendue au-dessus de leurs têtes.
* * *
— Bonsoir, señorita Vasquez. Entrez, je vous en prie.
Les nerfs à vifs, Maddie pénétra dans le somptueux vestibule dallé de marbre. L’atmosphère douce et tamisée lui rappela combien elle avait apprécié l’endroit la première fois qu’elle s’y était rendue.
Emboîtant le pas à Geraldo, elle traversa la cour intérieure et pénétra à sa suite dans le salon. Il se dirigea vers le bar, avant de se tourner vers elle avec sollicitude.
— Le señor de Rojas va bientôt se joindre à vous. Un appel l’a retardé. En attendant, puis-je vous offrir à boire ?
Maddie sourit d’un air guindé. Elle devait rester vigilante ce soir.
— Un verre d’eau serait parfait.
Après l’avoir servie, Geraldo se retira, non sans l’avoir encouragée à se mettre à l’aise. Apercevant son reflet dans une glace, Maddie lissa sa jupe d’une main nerveuse. C’était la même qu’elle portait le matin, mais elle l’avait associée à un chemisier de soie gris foncé qui, cette fois, était à sa taille. Après avoir longuement hésité, elle avait fini par nouer ses cheveux en un chignon strict, ne voulant pas que Nic croie qu’elle essayait de le séduire.
S’approchant du mur, elle contempla, fascinée, les magnifiques portraits des ancêtres de Rojas.
— Excuse-moi de t’avoir fait attendre.
Elle serra le verre qu’elle tenait à la main avant de se retourner lentement. Nic se tenait sur le seuil, vêtu d’un pantalon noir et d’une chemise bleu pâle, dont les premiers boutons, défaits, laissaient entrevoir sa peau hâlée. Dans la lumière tamisée, il était d’une beauté à couper le souffle.
Maddie se sentit soudain intimidée, ce qui ne lui ressemblait guère et la déstabilisa quelque peu.
— Ce n’est rien. Je n’ai pas attendu longtemps.
Il se dirigea vers elle en indiquant du doigt les tableaux.
— Mes ancêtres… Ces portraits remontent jusqu’au XIX e siècle, avant même leur départ d’Espagne.
Maddie ne put s’empêcher de sourire.
— Nous avons un mur identique à celui-ci à la maison. Je me suis toujours demandé pourquoi mes ancêtres avaient l’air si féroce sur les portraits de famille.
— La vie était dure à l’époque. Ils devaient se battre pour survivre.
Il avait parlé d’une voix si étrange que Maddie lui lança un regard oblique. Il semblait plongé dans ses pensées et avait l’air soudain si vulnérable qu’elle en eut le cœur serré. Le souvenir du jour où il s’était confié à elle, lui parlant du combat qu’il avait mené contre sa santé précaire lui revint à la mémoire. A le voir aussi viril aujourd’hui, elle avait peine à croire qu’il avait un jour été un enfant malingre.
Nic recula d’un pas et, d’un geste de la main, l’invita à le suivre.
— Le dîner nous attend.
Elle entra dans la salle à manger, l’esprit encore embrouillé par leur conversation. Comment osait-il raviver en elle de vains souvenirs et se comporter en véritable chevalier servant ? Il était plus facile pour elle de gérer la situation quand les lignes de front étaient bien définies.
La gorge nouée, elle prit place sur la chaise que Nic avait tirée pour elle. Des bougies trônaient sur la petite table ronde, projetant sur ce tableau intime une lumière douce qui la mit mal à l’aise.
— Souhaites-tu un apéritif ?
Croisant son regard interrogateur, Maddie frissonna imperceptiblement. Il exerçait sur elle une fascination démoniaque qui l’envoûtait et la déstabilisait à la fois. Et, même si elle ne voulait pas l’admettre, elle était curieuse de voir quels vins Nic avait sélectionnés pour le dîner.
— Un petit verre, alors. Je conduis.
Il inclina la tête et lui versa un demi-verre d’une bouteille dont il avait retiré l’étiquette. Elle fit tourner son verre entre ses mains avant de humer délicatement le vin pour en apprécier les arômes. Soudain, elle pâlit et reposa son verre d’une main tremblante, sans même boire une gorgée.
— Est-ce une blague ?