Nic la dévisagea d’un air innocent.
— Je ne sais pas de quoi tu parles…
— Pourquoi me sers-tu un millésime provenant de mes propres vignes ? Croyais-tu que je ne le reconnaîtrais pas ?
Maddie posa sa serviette sur la table et se leva d’un bond, quelque peu désemparée de ressentir une telle émotion. Etait-ce dû aux souvenirs qui l’avaient submergée quelques instants plus tôt ?
— Je t’en prie, assieds-toi, dit Nic d’une voix conciliante en posant la main sur son poignet. J’admets que j’étais curieux de voir si tu reconnaîtrais le vin.
Maddie se libéra d’un geste vif et dévisagea Nic avec hauteur.
— Bien sûr que je reconnais ce cru, dit-elle d’une voix voilée par la passion. J’ai passé ma jeunesse à observer ces raisins mûrir chaque année.
Animée de sentiments contradictoires, Maddie s’assit brusquement. Bon, Nic lui avait servi un vin Vasquez. Etait-ce si grave que cela ?
Comme s’il lisait dans ses pensées, Nic fronça les sourcils d’un air perplexe.
— Je ne voulais pas te mettre en colère.
— Non, riposta-t-elle. Tu essayais juste de tester mes connaissances et vérifier ainsi que je n’avais pas couché avec mes professeurs pour obtenir mon diplôme.
Nic s’empourpra.
— Je n’ai jamais pensé cela de toi.
Honteuse de sentir les larmes la gagner, Maddie cligna les yeux pour les refouler. Puis elle saisit de nouveau son verre et but une gorgée. Les yeux fermés, elle savoura le fin nectar pendant quelques instants avant de les ouvrir et de dévisager Nic en plissant les paupières.
— Si je ne me trompe, il s’agit d’un millésime de 1999 qui nous a valu de remporter le Prix du meilleur vin blanc de l’année.
Nic acquiesça.
— C’est exact. Mon père achetait une caisse de chaque millésime des vins Vasquez pour les analyser — tout comme ton père devait certainement le faire avec les nôtres.
Maddie hocha la tête, soudain honteuse de sa réaction disproportionnée.
— Je suis désolée… C’est juste que tu m’as prise au dépourvu. En fait, ce cru a toujours été mon préféré… Quand je vivais à l’étranger et que j’avais l’occasion de goûter ce vin, j’éprouvais toujours le mal du pays. Les clients le commandaient souvent dans le restaurant où je travaillais, et je faisais semblant de ne pas savoir qu’il fallait ouvrir la bouteille devant les clients, afin de profiter seule de son fin bouquet.
Elle soutint quelques instants son regard incandescent avant de baisser les yeux et de poursuivre :
— J’ai toujours trouvé incroyable de savoir que la bouteille que je tenais à la main provenait de notre propriété. Je me demandais si la saison avait été bonne pour les raisins et si la cuvée s’annonçait de qualité. Il me suffisait de sentir le vin pour savoir si c’était le cas. Je n’arrive d’ailleurs pas à croire que je n’ai pas été renvoyée, même si les clients ne semblaient pas m’en tenir rigueur.
Nic ne dit rien, se contentant de l’observer intensément entre ses paupières mi-closes. La bougie formait une sorte de halo qui baignait son visage d’une lueur mystérieuse, faisant ainsi ressortir ses hautes pommettes et ses lèvres pleines et sensuelles. Comme elle était belle ! Il comprenait que les clients lui aient pardonné ce faux pas.
Fasciné par sa beauté naturelle et son charme sensuel, il ne parvenait pas à la quitter des yeux. Le passé s’entremêlait au présent, ravivant un troublant sentiment de déjà-vu. Elle venait de décrire exactement ce qu’il ressentait lui-même pour les vins qu’il cultivait et cet aveu le déstabilisait plus qu’il ne l’aurait imaginé.
Maddie s’apprêtait à savourer une nouvelle gorgée de vin quand elle remarqua son expression médusée et suspendit son geste.
— Qu’y a-t-il ?
— Je n’aurais pas dû agir ainsi, rétorqua-t-il en lui adressant un sourire gêné. Tu sembles toujours faire ressortir le pire en moi.
— Je prends cela comme un compliment !
Nic leva alors son verre et ils trinquèrent.
— Salud, dit-il, avant de boire une gorgée.
Maddie fut soulagée quand on leur apporta l’entrée qu’ils mangèrent en silence, chacun plongé dans ses pensées. Quand le plat principal fut servi, Maddie se concentra sur les mets délicieux qui emplissaient son assiette et en savoura chaque bouchée. A sa vive surprise, ils réussirent à entretenir une conversation cordiale et abordèrent des sujets aussi neutres que variés. Peu à peu, Maddie se détendit et, quand Nic lui tendit un verre de vin rouge, elle le saisit le plus naturellement du monde.
— Goûte celui-ci. Je travaille sur un nouvel assemblage, et celui-ci est tiré d’un de mes premiers fûts. Je ne l’ai pas encore mis sur le marché.
Maddie posa sa fourchette.
— Es-tu certain de vouloir partager tes secrets avec l’ennemi ?
Il haussa les épaules.
— Après avoir vu ton vignoble, je sais que je ne cours pas un danger immédiat.
Maddie rougit, honteuse qu’il la mette ainsi devant la douloureuse réalité. Levant son verre, elle soutint son regard, refusant d’être la première à baisser les yeux. Mais elle dut capituler car, tout à sa joie de savourer le vin, elle ferma instinctivement les paupières pour en déterminer sa composition.
Quand elle les rouvrit enfin, elle vit que Nic l’observait avec attention.
— C’est un malbec très classique… et très différent à la fois ; peut-être as-tu ajouté un autre cépage ?
Nic inclina la tête de façon révérencieuse.
— Très impressionnant.
— Je l’aime beaucoup, admit Maddie à contrecœur. Ce n’est pas un vin au profil aussi classique et droit que les malbec traditionnels ; il est plus complexe, plus sombre… Serait-ce un pinot ?
Nic sourit d’un air appréciateur.
— Je vois que tu n’as pas volé ta mention…
Une bouffée de fierté envahit Maddie face à ce compliment inattendu.
Tandis que les domestiques débarrassaient, Nic se leva et d’un geste de la main invita Maddie à sortir par les portes-fenêtres qui donnaient sur le patio. L’espace d’un instant, elle hésita — c’était là qu’il l’avait embrassée, l’autre soir. Puis, elle aperçut une petite table en fer forgé où des bougies vacillaient dans la brise vespérale.
La gorge nouée, Maddie faillit faire demi-tour sur-le-champ, mais elle ne voulait pas donner à Nic la satisfaction de voir à quel point il la troublait. Elle s’avança donc et prit place. Le domestique ne tarda pas à revenir déposer devant eux deux exquises tartelettes au citron. Nic ouvrit une bouteille de vin doux et remplit le verre de Maddie. A la vue du succulent dessert, Maddie sentit l’eau lui monter à la bouche.
— A quoi rime tout cela ? s’enquit-elle, furieuse contre elle-même de voir avec quelle facilité elle se laissait abuser. Ce n’est pas ainsi que tu vas me convaincre.
— Te convaincre de quoi ? Crois-moi, j’ai bien compris que tu préférais vivre dans la misère plutôt que de venir me demander de l’aide. J’ai apparemment sous-estimé ton aptitude à supporter l’inconfort.
Maddie fixa son assiette, tout appétit envolé.
— Tu sous-estimes beaucoup de choses, Nic. Tu ne sais rien de ce qu’a été ma vie après mon départ d’Argentine. Tu sembles croire que j’ai passé tout mon temps à faire la fête.
Il choisit ses mots avec soin.
— Pourquoi ne me dis-tu pas ce que tu as fait, alors ?
Maddie fut tentée de lui dire que cela ne le regardait pas, mais elle voulait aussi lui faire comprendre qu’elle était plus opiniâtre qu’il n’y paraissait et qu’elle n’avait aucune intention de baisser les bras. Peut-être aussi voulait-elle voir dans ses yeux autre chose que de la moquerie ou de l’incrédulité…
— Quand ma mère et moi sommes parties d’ici, nous n’avions pas un sou en poche. Mon père nous a jetées à la rue comme des malpropres. Nous avons vécu trois ans à Buenos Aires chez ma tante qui a fini par nous chasser, elle aussi. Ma mère avait entre-temps divorcé et trouvé un richissime prétendant, aussi m’a-t-elle payé un billet d’avion pour Londres dans l’espoir de se débarrasser de moi.
Ne souhaitant pas s’appesantir sur cette période difficile, Maddie choisit de ne pas lui dire que sa mère avait été laissée sans ressources après son divorce et qu’elle l’avait toujours tenue pour responsable de cet état de fait.
— Arrivée à Londres, j’ai trouvé un travail dans un restaurant le soir et un poste de femme de chambre le jour. La fois où tu m’as rencontrée dans ce night-club était un pur hasard. Je n’y étais jamais allée auparavant et n’y suis jamais retournée, dit-elle, rougissant en pensant au tableau qu’elle avait dû offrir avec sa robe osée. Dès que j’ai eu assez d’argent, je suis allée en France où j’ai trouvé un emploi de vendangeuse durant l’été. J’ai clôturé la saison chez un viticulteur bordelais, Pierre Vacheron, qui m’a ensuite embauchée.
Maddie marqua une pause et lui lança un regard tendu avant de poursuivre :
— Quand il a su mon nom et découvert que j’avais quelques notions d’œnologie, il a décidé de m’octroyer une bourse. Il est fort probable que j’y serais encore si mon père ne m’avait pas adressé une lettre me demandant de rentrer. Pierre m’avait en effet offert un emploi à temps plein.
Nic la dévisagea d’un regard indéchiffrable.
— L’article dans le magazine donnait pourtant une image fort différente…
Elle lui avait déjà divulgué tant de choses qu’elle pouvait aussi bien lui dire l’entière vérité. Prenant une profonde inspiration, elle se lança. Elle lui raconta la douloureuse réalité de ce qu’était sa relation avec sa mère, une femme égocentrique et superficielle.
Quand elle eut terminé, elle posa son verre et se leva, soudain consciente de sa naïveté. Comment avait-elle pu croire que Nic de Rojas était l’homme charmant et courtois qu’il paraissait ? Il essayait juste de la déstabiliser et elle était assez stupide pour se laisser prendre au jeu.
— Je voulais juste que tu saches que je ne me laisserai pas dissuader facilement ni séduire par ce genre d’artifices.
Une lueur de colère illumina le regard de Nic.
— Je peux moi aussi me montrer très déterminé, Maddie. Ne fais pas l’erreur de me sous-estimer.
— C’est donc retour à la case départ ?
Le regard incandescent, il fixait sa bouche, et Maddie recula aussitôt d’un pas, levant un bras comme pour se protéger.
— Non…
Il passa outre ses protestations et l’attira vers lui.
— Ou plutôt, si. J’ai bien l’intention de terminer ce que nous avons commencé il y a huit ans.
Sur ces mots, il l’embrassa avec une telle passion que Maddie s’abandonna à ses baisers. Elle répondit avec emportement, tandis que sa langue entamait un ballet fiévreux avec la sienne. Elle ne vivait que pour l’instant présent et aurait tout donné pour qu’il ne cesse jamais…
Puis, avec une froide détermination qui la stupéfia, Nic la repoussa.
— Sors d’ici, Maddie.
Incrédule, elle le dévisagea. Pantelante et l’esprit encore embrumé par la passion, elle remarqua du sang sur sa lèvre inférieure. Elle l’avait mordu. Dans un ultime sursaut de défense, elle répondit avec hauteur :
— Avec plaisir ! Et sache que je n’ai aucune intention de coucher avec toi pour sauver mon vignoble. Plus vite tu t’en rendras compte et mieux ce sera pour tout le monde !
* * *
En proie à une grande frustration, Nic demeura longtemps immobile après son départ. Il n’arrivait pas à comprendre comment il avait pu laisser Maddie partir. Puis, il se remémora la ferveur avec laquelle elle avait répondu à son baiser, allant même jusqu’à le mordre. Et ça — ajouté à ses révélations — l’avait complètement déstabilisé.
Il avait toujours cru que Maddie et sa mère avaient reçu beaucoup d’argent lorsque le divorce avait été prononcé. Jamais il n’aurait imaginé que son père les avait jetées à la rue sans un sou en poche et que sa mère lui avait ensuite aussi tourné le dos, l’obligeant à trouver deux emplois pour survivre.
Nic s’approcha de la balustrade de bois qui bordait la terrasse et s’y accouda. Il prit une profonde inspiration, luttant pour reprendre le contrôle de lui-même. Embrasser Maddie avait ravivé toute sa souffrance, et il frémissait encore d’indignation au souvenir de la bassesse de sa conduite. En vile séductrice qu’elle était, elle avait réussi avec une facilité déconcertante à gagner sa confiance. Et ce n’est qu’au bout d’une semaine qu’elle s’était montrée sous son vrai jour, lui révélant ce qu’elle pensait vraiment de lui.
Nic sentit son estomac se contracter à ce souvenir. Elle avait dû s’ennuyer ferme pour se livrer à de telles extrémités, à la seule fin d’ajouter du piquant dans sa vie.
Ce jour-là, quelque chose en lui était mort à tout jamais ; il s’était endurci, s’était renfermé sur lui-même. Jamais aucune femme n’avait réussi depuis à percer son armure ou à briser son cynisme. Mais la façon dont Maddie venait de l’embrasser menaçait l’équilibre précaire qu’il s’était peu à peu forgé au fil des ans.
Il avait cru — à tort — qu’il pouvait l’embrasser sans pour autant laisser ses émotions prendre le dessus. Il se rendait compte maintenant qu’il jouait un jeu dangereux et qu’il risquait fort de perdre pied.
Quelque chose en lui se durcit. Il la séduirait, mais c’est lui qui fixerait les règles du jeu. Il l’obligerait à se montrer honnête à la fois envers lui et envers elle-même. Cette fois, il n’y aurait pas de drames, de regrets ou de récriminations. Seulement le plaisir de l’instant, avant que chacun ne reparte de son côté.
* * *
Assise dans le bureau de son père, quelques jours plus tard, Maddie regardait pensivement l’invitation qu’elle venait de recevoir. Elle était conviée au bal annuel des viticulteurs d’Amérique du Sud qui se tenait cette année à Buenos Aires. Si près et si loin à la fois…
Maddie soupira. Ce genre de manifestation était l’occasion rêvée pour rencontrer des investisseurs potentiels. Hélas, elle n’avait pas les moyens de se rendre à Buenos Aires et qui plus est, on annonçait une grève de la compagnie aérienne nationale.
Soudain, le téléphone sonna, et Maddie décrocha machinalement. Elle rougit en reconnaissant la voix profonde et familière de Nic, avant de sentir un frisson glacé l’envahir au souvenir de la manière dont il l’avait repoussée l’autre soir. Comme elle le détestait de l’avoir mise à nu si facilement — et de l’avoir ensuite rejetée !
— Oui ? fit-elle d’une voix glaciale.
— As-tu reçu l’invitation ?
— Quelle invitation ? s’enquit-elle d’une voix innocente.
— Tu ne sais pas mentir, Maddie. Je suis certain que tu l’as en ce moment même devant les yeux et que tu te demandes si tu pourras trouver pendant cette soirée un investisseur.
— Oh ! tu parles de cette invitation-là ? Bien sûr que je l’ai reçue… Pourquoi ?
— As-tu l’intention de t’y rendre ?
— Bien sûr. Pourquoi pas ?
— Inutile d’être sur la défensive, Maddie. Je posais simplement la question car j’ai loué un avion privé et je me proposais de t’y emmener.
Maddie resta un instant muette d’étonnement mais se ressaisit très vite. Après ce qui s’était passé l’autre soir, elle n’était pas prête à accepter quoi que ce soit venant de cet homme.
— Non merci, susurra-t-elle. J’ai pris d’autres dispositions. Je te verrai là-bas.
Là-dessus, elle lui raccrocha au nez, le cœur battant à se rompre. Elle allait devoir se rendre à cette réception, maintenant. Elle n’avait pas le choix. Elle ne pouvait se permettre de montrer à Nic la moindre faiblesse.
* * *
Quand Maddie arriva enfin à Buenos Aires deux jours plus tard, elle était en nage et courbatue. Son sac à bout de bras, elle se joignit à la foule des passagers qui se hâtaient vers la sortie. Maddie avait réservé une chambre dans l’hôtel le moins cher qu’elle ait pu trouver, proche de l’hôtel Grand Palace où le gala devait avoir lieu le soir même.
Arrivée enfin dans sa chambre, elle s’examina dans le miroir et écarquilla les yeux d’horreur. Beaucoup de maquillage serait nécessaire avant d’offrir l’image de la femme d’affaires accomplie qu’elle voulait donner ce soir. Poussant un profond soupir, elle se mit au travail.
* * *
En proie à une nervosité croissante, Nic rongeait son frein. Mais où était-elle, bon sang ? Il avait failli se rendre chez elle pour l’obliger à prendre l’avion avec lui, mais s’était retenu de justesse. Il n’avait certes pas besoin d’être de nouveau bouleversé par cette femme !
Et comment avait-elle fait pour venir jusqu’ici ? Elle n’avait pas pu prendre l’avion à cause de la grève — raison pour laquelle il avait lui-même loué un avion privé.
Apercevant soudain un visage familier dans la foule, il sourit, accueillant avec joie cette diversion.
* * *
L’estomac noué, Maddie prit une profonde inspiration et pénétra dans la salle de bal. En fouillant dans les affaires de sa mère, elle avait trouvé une robe longue qui, fort heureusement, était à sa taille. Scintillante et de couleur verte, celle-ci paraissait à première vue plutôt pudique, avec ses manches longues et son col haut. Mais, il ne fallait pas s’y tromper… A chacun de ses pas, sa robe fendue sur le côté dévoilait sa jambe. Quand elle s’en était rendu compte, Maddie avait soupiré ; plus vite elle renouvellerait sa garde-robe et mieux ce serait !
Grâce à sa carte bleue, elle s’était acheté une paire de chaussures et s’était même rendue dans un salon de coiffure. Elle ne regretta toutefois pas ses dépenses quand elle vit à quel point tout le monde était tiré à quatre épingles. Il n’y avait plus qu’à espérer que personne ne remarque que ses boucles d’oreilles serties d’émeraudes n’étaient en fait que des bijoux de pacotille.
Soudain, elle aperçut Nic à l’autre bout de la pièce. Elle serra nerveusement son sac à main devant elle, honteuse de la coupable excitation qu’elle ressentait en le voyant. Il ne l’avait pas remarquée pourtant, trop occupé à sourire à la jeune femme qui l’accompagnait.
Puis, comme s’il avait senti sa présence, il leva les yeux, et son regard se riva au sien. Quand la femme qui l’accompagnait se retourna, Maddie sentit son cœur chavirer en reconnaissant la ravissante blonde déjà vue lors de leur rencontre à Mendoza.
Un serveur se présenta avec un plateau garni de flûtes de champagne, et Maddie s’empressa d’en saisir une pour se donner une contenance. Du coin de l’œil, elle venait en effet de voir Nic saisir la blonde par la main et se diriger droit sur elle. Il allait la présenter à sa dernière maîtresse en date pour l’humilier… Le cœur battant la chamade, elle demeura néanmoins immobile, prise dans le faisceau de son regard magnétique. Jamais elle ne s’était sentie aussi seule de toute sa vie. Elle n’aurait pas dû venir. Elle aurait dû savoir qu’il saisirait n’importe quel prétexte pour la rabaisser…
* * *
— Bravo, tu es venue ! Malgré ma curiosité, je m’abstiendrai de te demander comment tu as fait.
Mal à l’aise, Maddie ne sut que dire. C’était la première fois de sa vie qu’elle se trouvait face à la maîtresse d’un homme qu’elle venait d’embrasser.
Avec une lenteur exagérée, elle tourna enfin la tête vers la jeune femme et lui adressa un sourire contraint. Elle était beaucoup plus jeune qu’elle ne l’avait cru au premier abord, remarqua-t-elle, horrifiée. Tout au plus vingt ans…
— Voici ma cousine, Estella. Tu aurais pu faire sa connaissance à la soirée de dégustation si elle n’avait pas dû rester à Buenos Aires pour son travail. Elle est un mannequin très demandé… Sans parler du fait que l’idée de passer plus de quelques jours à la campagne lui donne de l’urticaire.
— Tu exagères ! protesta en riant la jeune femme.
Obnubilée par son charme, Maddie mit quelques secondes à prendre la mesure de ce que Nic venait de dire. Sa cousine !
— Je suis ravie de vous rencontrer, Estella, dit-elle, feignant d’ignorer le profond soulagement qui l’envahissait.
— Moi aussi, Maddie, rétorqua-t-elle, avant de tourner un visage radieux vers Nic. Mais je ferais mieux d’aller retrouver mon ami avant qu’il ne s’inquiète de mon absence.
— Il faut que tu me présentes cet homme qui a l’intention de partager ta chambre cette nuit, dit Nic d’un ton faussement sévère.
Sa cousine rougit, puis leva les yeux au ciel.
— Ne fais pas ton méchant… C’est quelqu’un de bien.
Là-dessus, elle déposa un baiser sur sa joue et s’éclipsa, ses longs cheveux blonds flottant derrière elle.
Nic suivait sa cousine d’un regard si attendri que Maddie fut prise de court quand il tourna vers elle un regard glacial.
— Je lui ai réservé une chambre pour la nuit car je n’aime pas la voir regagner la banlieue tard le soir. Au moins comme ça, je sais qu’elle est en sécurité. Mon oncle est mort quand elle était très jeune, et depuis je suis devenu une sorte de père pour elle.
— Elle a l’air charmante…
Quelqu’un la bouscula, et elle ne put s’empêcher de grimacer.
— Qu’y a-t-il ?
L’inquiétude dans sa voix lui fit lever les yeux.
— Rien. C’est juste que… je suis courbatue après…
Elle s’interrompit, mais il n’en fallut pas plus à Nic pour qu’il comprenne ce qu’elle avait voulu dire.
— Tu as pris le bus, n’est-ce pas ? Quelle femme entêtée tu peux être… Combien de temps a duré le voyage ? Quatorze heures ?
— En fait, seize, admit-elle. Nous avons crevé.
Il secoua la tête d’un air affligé.
— Je suppose que tu es ici pour trouver un investisseur ?
— Je n’ai pas vraiment le choix, riposta-t-elle, le feu aux joues. Si je ne trouve pas quelqu’un pour renflouer les caisses, je serai obligée de te vendre ma propriété.
— Tu serais une femme très riche…
Maddie ressentit une douleur profonde à l’entendre réitérer son souhait de la voir partir loin d’ici.
— Comment te faire comprendre qu’il ne s’agit pas d’argent ? s’exclama-t-elle d’une voix furieuse. Je suis très attachée à cette propriété et je compte bien la réhabiliter.
Nic ouvrait la bouche pour lui répondre quand le dîner fut annoncé. Maddie profita de l’occasion pour s’éclipser. Elle voulait parler avec le plus de gens possible tout en se tenant éloigné d’une personne en particulier.
* * *
Nic avait beau feindre l’indifférence, il était douloureusement conscient de la présence de Maddie de l’autre côté de la table. Elle était assise à côté d’Alex Morales, un des viticulteurs les plus puissants des Etats-Unis — un homme que Nic n’appréciait guère, sans savoir au juste pourquoi.
Incapable de se concentrer sur la conversation, il dut prendre sur lui-même pour se montrer aimable envers sa voisine, une femme rousse déterminée à lui faire des avances. L’image de Maddie implorant Morales d’investir dans son vignoble tournait en boucle dans son esprit, le rendant fou de rage et d’impuissance.
* * *
Maddie dévisagea son charmant voisin d’un air incrédule.
— Vous aimeriez discuter plus en détail de ce projet ?
— Ce serait avec plaisir, dit l’homme d’une voix onctueuse.
Certes, ses manières étaient trop affables au goût de Maddie, et il la mettait mal à l’aise, mais était-ce une raison suffisante pour rejeter un investisseur potentiel de son envergure ? Si Alex Morales investissait dans son domaine, ce serait la fin de tous ses problèmes. Et elle serait enfin libérée de l’influence de Nic.
Consciente du regard de Nic posé sur elle tout au long du dîner, elle s’était fait fort de l’ignorer. Cependant, heureuse de la tournure que prenaient les événements, elle ne put s’empêcher de lui lancer un regard furtif. Les sourcils froncés, il la dévisageait d’un air sombre, et une lueur de rage passa dans son regard tandis qu’elle lui adressait un sourire triomphant. Son attitude était certes puérile, mais lui fit le plus grand bien.
Le repas étant terminé, les convives se levèrent et se dirigèrent vers la salle de bal, entièrement vidée pour l’occasion. D’un geste galant, Morales prit sa main dans la sienne, la tenant plus longtemps que ne l’autorisait la bienséance, mais elle s’empressa de réprimer ses doutes. Elle se devait d’explorer toutes les opportunités qui s’offraient à elle.
— Veuillez m’excuser, dit-il en s’inclinant légèrement. J’ai un appel urgent à passer, mais je serai disponible dans une trentaine de minutes, si vous voulez poursuivre cette conversation.
— J’en serais ravie, monsieur Morales, répondit-elle avec empressement.
— Je vous en prie, appelez-moi Alex. Pourquoi ne me rejoindriez-vous pas dans ma chambre d’ici à une demi-heure ?
Il lui donna le numéro de sa chambre et s’éloignait déjà quand Maddie, alarmée par le tour inattendu qu’avait pris leur conversation, lui saisit le bras.
— Oui ? s’enquit-il en levant un sourcil interrogateur.
— Je suis désolée, mais… ne pourrions-nous pas plutôt discuter dans un des bars de l’hôtel ?
Morales sourit d’un air condescendant.
— Je dois passer ce coup de fil dans ma chambre, donc les choses seraient nettement plus simples si vous veniez m’y retrouver. Tous les bars seront pleins et bruyants. Maintenant, si vous ne souhaitez pas donner suite…
Comprenant qu’elle n’obtiendrait jamais son aide si elle n’accédait pas à sa requête, Maddie battit en retraite.
— Non, non, s’empressa-t-elle de répondre, faisant taire son angoisse grandissante. Votre chambre sera très bien.
Il inclina la tête et s’éloigna. Maddie eut à peine le temps de reprendre son souffle qu’une silhouette autrement plus menaçante se dressa soudain devant elle : Nic…
Elle lui décocha un regard acerbe.
— Que veux-tu ?
Les mâchoires serrées, il dardait sur elle un regard perçant.
— Je n’ai pas confiance en cet homme.