— Arrête, je t’en prie ! Dis plutôt que tu ne supportes pas l’idée que quelqu’un veuille investir dans mon domaine.
Une lueur de rage passa dans le regard de Nic.
— Il est sans doute prêt à investir, mais pas nécessairement dans ton domaine. Où as-tu prévu de le rencontrer ?
Maddie s’empourpra. Refusant de répondre, elle tournait les talons quand une poigne d’acier se posa sur son bras.
Il la dévisagea, l’air incrédule.
— Ne me dis pas que tu as l’intention d’aller dans sa chambre ? Bon sang, Maddie, es-tu inconsciente ? Tu n’as pas l’expérience pour traiter avec un homme comme Morales. Il va te dévorer toute crue !
Maddie réagit instinctivement. Nic ne se doutait pas à quel point il avait raison sur ce point. Mais, blessée dans son orgueil, elle redressa la tête et le fixa avec hauteur.
— Crois-tu que je n’ai encore jamais rencontré d’hommes comme Morales ? Crois-moi, ce n’est pas le cas, et je sais comment les traiter !
A ces mots, Nic lâcha son bras et recula d’un pas.
— Excuse-moi d’avoir insinué que tu n’étais pas à la hauteur. Si Morales est le genre d’investisseur que tu recherches et que tu es disposée à tout pour atteindre tes objectifs, alors je t’ai effectivement sous-estimée.
Là-dessus, Nic tourna les talons, la laissant seule face à elle-même et à son sentiment d’insécurité croissant. Pourquoi Nic ne faisait-il pas confiance à Morales ? se demanda-t-elle en se remémorant avec un frisson d’effroi son sourire doucereux. S’il avait des gestes déplacés envers elle, elle pourrait toujours s’en aller, essaya-t-elle de se rassurer. Elle n’aimait pas la façon dont Nic l’avait amenée à avoir honte d’elle-même, ni l’idée qu’il puisse s’inquiéter pour elle, n’ayant pas l’habitude d’être ainsi protégée. Le seul qui ait jamais pris sa défense était son frère, et il était mort depuis longtemps.
Se rendant soudain compte qu’elle se tenait seule dans une salle à manger entièrement vide, elle s’efforça de reprendre pied dans la réalité. Elle jeta un coup d’œil à sa montre et vit que l’heure de son rendez-vous avec Morales avait sonné. Avec une certaine appréhension, elle se dirigea vers les ascenseurs.
* * *
Nic se tenait avec des amis dans un des bars de l’hôtel quand il aperçut Maddie s’engouffrer dans l’ascenseur. Il sentit son estomac se contracter si fort que l’espace d’un instant, sa vision se troubla. Il n’arrivait pas à croire qu’elle allait réellement passer à l’acte — preuve qu’il avait bel et bien sous-estimé son ambition démesurée. Animé de sentiments contradictoires, il s’efforçait tant bien que mal de faire la part des choses quand il se remémora l’air de défi qu’elle avait affiché quelques instants plus tôt. Une pensée soudaine lui vint : n’agissait-elle pas ainsi dans le but de l’atteindre, lui ?
Posant son verre, il s’excusa auprès de ses amis. Après avoir obtenu le numéro de la chambre de Morales, il se dirigea vers les ascenseurs et pressa le bouton. Mais quand les portes s’ouvrirent, il hésita sur la conduite à tenir. Et s’il s’était trompé ? S’il avait mal interprété le baiser torride qu’elle lui avait donné ? Peut-être embrassait-elle tous les hommes de cette façon dans l’espoir d’obtenir quelque chose d’eux ? Indécis, il laissa les portes de l’ascenseur se refermer. Qu’allait-il lui dire quand il se retrouverait face à elle ? N’allait-elle pas se moquer de lui ?
— Ah, te voilà, Nic ! Je te cherchais partout. Viens que je te présente Louis… il se fait une joie de te rencontrer.
Nic posa les yeux sur le ravissant visage de sa cousine et sourit. Reprenant pied dans la réalité, il se fustigea pour son indécision. Maddie ne lui inspirait que méfiance et antipathie, après tout — ainsi qu’un désir brûlant qui le troublait plus que de raison. Estella était quelqu’un qu’il aimait inconditionnellement, en revanche. Son choix fut vite fait.
— Je te suis…
Tandis qu’Estella glissait son bras sous le sien et l’entraînait vers sa chambre, il s’efforça de ne plus penser à Maddie. Elle était tout à fait capable de se débrouiller seule, après tout.
* * *
Maddie vivait un cauchemar. Enfermée dans la salle de bains de la suite de Morales où elle s’était retranchée, elle tremblait des pieds à la tête. Grâce au ciel, il avait enfin cessé de tambouriner sur la porte et de la traiter de tous les noms.
Elle se leva avec précaution et s’approcha du lavabo. Devant le miroir, elle écarquilla les yeux d’horreur. Ses cheveux étaient emmêlés, sa robe était déchirée au cou et sa lèvre fendue. Encore sous le choc, elle n’arrivait pas à prendre la mesure de ce qui lui était arrivé. La première chose qui aurait dû l’alerter était l’état d’ébriété avancé de son interlocuteur. Pourtant, au début, Morales s’était montré un hôte charmant et intéressant, au point qu’elle avait feint d’ignorer sa voix pâteuse et sa démarche chancelante.
Mais, tandis qu’elle se lançait dans la présentation qu’elle avait préparée, il était venu s’asseoir à côté d’elle et avait posé sans plus de cérémonie sa main sur sa cuisse. Prise de panique, elle s’était aussitôt jetée en arrière et avait repoussé sa main d’un geste vif. Les choses avaient alors basculé. Dans la lutte qui s’était ensuivie, il avait déchiré sa robe et l’avait giflée à toute volée. Elle avait toutefois réussi à le repousser et s’était réfugiée dans la salle de bains où elle s’était enfermée à double tour. Morales avait hurlé des obscénités et tambouriné si fort qu’elle avait eu très peur qu’il défonce la porte. Mais heureusement tout semblait calme maintenant.
Maddie s’approcha de la porte et tendit l’oreille. Son cœur fit un bond dans sa poitrine quand elle entendit ronfler. Le cœur battant la chamade, elle déverrouilla la porte et l’ouvrit avec précaution. Elle vit Morales étendu de tout son long sur le canapé. Il dormait la bouche ouverte. Pleurant presque de soulagement, elle traversa la chambre à pas feutrés et se dirigea vers la porte qu’elle ouvrit avec maladresse tant elle tremblait. A peine sortie de la chambre, elle se rendit compte avec horreur qu’elle avait perdu ses chaussures dans la bataille, mais il était hors de question qu’elle retourne les chercher. Se forçant à continuer sa route, elle se dirigea d’un pas chancelant vers les ascenseurs.
* * *
Nic venait de quitter Estella et marchait dans le couloir quand il s’arrêta net à la vue de la silhouette familière qui se dirigeait vers lui. Il cru que son cœur allait s’arrêter de battre. Il savait bien pourtant que la chambre de Morales se trouvait au même étage que celle d’Estella — raison pour laquelle il avait accepté de la raccompagner. Espérait-il ainsi croiser Maddie quand elle se rendrait dans la chambre de Morales ? Quoi qu’il en soit, son vœu semblait être exaucé.
Une bouffée de colère l’envahit soudain. Et quelque chose de plus profond qui ressemblait à de la jalousie — sentiment qu’aucune femme n’avait jusqu’à présent éveillé en lui.
A cet instant, Maddie leva les yeux et le vit. Elle se figea, telle une biche aux abois. Elle émit un petit cri qui ressemblait à un sanglot, avant de pivoter et de partir en sens inverse.
La seule chose que Nic voyait était ses cheveux en bataille et sa tenue négligée. Puis il baissa les yeux et vit qu’elle était pieds nus. Poussé par une fureur indescriptible, il se lança sans réfléchir à sa poursuite.
— As-tu satisfait aux exigences de Morales ? s’enquit-il d’un ton méprisant en s’approchant d’elle.
Maddie s’arrêta, mais ne se retourna pas.
— Laisse-moi tranquille, Nic !
Sa voix rauque rendit Nic encore plus fou de rage. Mû par une impulsion, il la saisit aux épaules, la fit pivoter vers lui… et demeura interdit.
— Maddie ! C’est Morales qui t’a fait ça ?
Maddie tenta de détourner le regard, mais une main ferme l’obligea à tourner la tête. Il jura entre ses dents serrées, tandis qu’elle se dégageait d’un geste brusque.
— Tu ne dis rien, Nic ? Même pas : « Je t’avais prévenue ! »
Même en état de choc, Maddie s’efforçait de se montrer forte. Elle ne pouvait supporter que Nic fût témoin de son humiliation. Jamais de toute sa vie elle ne s’était sentie aussi faible et impuissante, et surtout inutile. Comme elle détestait le sentiment de terreur qu’elle ressentait et qui lui donnait envie de se jeter dans ses bras puissants ! Honteuse de sentir les larmes la gagner, elle baissa la tête.
Nic la considéra d’un air consterné.
— Quand je t’ai dit que je ne lui faisais pas confiance, c’était purement intuitif. Je n’ai jamais apprécié l’homme ni ses méthodes de travail, mais j’ignorais qu’il pouvait se montrer violent.
— Ton intuition s’est révélée bonne, alors, rétorqua-t-elle d’un ton amer.
— A quel moment t’a-t-il frappé ? Après… ?
Maddie le dévisagea d’un air horrifié. Pensait-il qu’elle avait couché avec Morales ? Comment pouvait-il avoir une aussi piètre opinion d’elle ? A cette pensée, elle fut saisie de haut-le-cœur violents.
Soudain, tout esprit combatif l’abandonna.
— Je n’ai pas couché avec lui, murmura-t-elle en frissonnant. Cela n’a jamais été mon intention, du reste. Tu peux me traiter de naïve si tu veux, mais je t’assure que je me suis rendue dans sa chambre uniquement pour discuter affaires.
Prenant une profonde inspiration, elle poursuivit en évitant son regard.
— Et puis… il m’a sauté dessus. Je savais qu’il avait bu mais n’avais pas compris à quel point il était ivre. Il a déchiré ma robe et m’a giflée…
Comme elle éclatait en sanglots, elle sentit deux bras puissants l’envelopper en une étreinte réconfortante. Serrée dans les bras de Nic, elle se sentit enfin en sécurité.
Submergé par l’émotion, Nic la serra plus fort encore contre lui. Imaginer Maddie — si vulnérable — exposée à la violence de ce monstre, le bouleversait. Elle tremblait encore des pieds à la tête, et la terreur qu’il avait lue dans son regard quelques instants plus tôt avait exacerbé son instinct de protection. Il savait qu’elle ne mentait pas et la voir ainsi effondrée lui était insupportable — bien plus que si elle s’était montrée provocante, triomphante.
La colère s’empara de lui. Son père avait souvent frappé sa mère dans ses moments de fureur, et depuis cette époque, Nic exécrait toute violence faite aux femmes. La rage qu’il ressentit envers Morales était si intense qu’elle l’effraya.
Pourtant, il avait du mal à croire que Maddie ait pu être naïve à ce point. Une femme d’expérience comme elle savait à quoi s’attendre, tout de même ! Au plus profond de lui-même, Nic avait honte d’avoir abandonné Maddie aux mains de Morales et de n’avoir pas suivi son instinct. Il avait laissé son orgueil dicter sa conduite, plutôt que de faire face à ses sentiments. Il était pathétique.
Il la tint serrée contre lui jusqu’à ce que ses sanglots s’apaisent. Sans relâcher son étreinte, il lui caressa doucement le dos. Blottie dans ses bras, elle avait enfin cessé de trembler, et il percevait son souffle à travers le fin tissu de sa chemise. Tout en lui murmurant des paroles d’apaisement, il s’efforçait d’ignorer le feu qui grandissait au creux de son ventre à force de la sentir lovée contre lui. Quand elle se raidit imperceptiblement, il ne la lâcha pas.
Comprenant qu’elle venait de se jeter dans les bras de Nic, Maddie recula d’un pas, gênée. Elle se rendait compte que la sensation de bien-être qu’elle avait ressentie jusqu’à présent laissait peu à peu place à un désir intense. Elle croisa son regard à contrecœur, craignant que l’expression de son visage ne trahisse ses sentiments.
— Je vais retourner à mon hôtel, dit-elle dans un souffle. J’ai besoin de prendre une douche. Je me sens… salie.
Mais quand elle se dégagea de son étreinte, ses jambes étaient si faibles qu’elle serait tombée si Nic ne l’avait pas rattrapée à temps.
— Tu ne vas nulle part, maugréa-t-il en la soulevant dans ses bras. Tu restes avec moi.
Maddie tenta de protester, mais elle était trop faible. Elle ne pouvait ni ne voulait se battre. Elle se rendit à peine compte que Nic avait pris l’ascenseur et qu’il avançait à travers le dédale de couloirs, avant de pénétrer dans une vaste chambre au luxe discret.
Nic la porta jusqu’au canapé où il l’allongea.
— Est ce que ça ira si je te laisse quelques instants ?
Maddie hocha lentement la tête, sans le quitter des yeux. Elle le vit se lever et saisir le combiné du téléphone, tandis que de sa main libre, il défaisait sa cravate et retirait sa veste. Quand, de ses longs doigts fins, il défit les premiers boutons de sa chemise, laissant entrevoir une peau hâlée, elle se sentit gagnée par un délicieux engouement.
— Faites monter une trousse de soins, s’il vous plaît, l’entendit-elle murmurer à voix basse au téléphone.
Puis, il raccrocha et se rendit dans la salle de bains où il fit couler de l’eau. Quelques instants plus tard, il réapparut et s’accroupit près de Maddie.
— Te sens-tu capable de prendre une douche ?
Comme elle acquiesçait, il l’aida à se lever.
— Il y a un peignoir dans la salle de bains. Quand tu auras terminé, je soignerai ta lèvre fendue.
Maddie se rendit dans la salle de bains où elle s’enferma. Etouffant un soupir, elle s’appuya contre le chambranle avant de se déshabiller avec des gestes lents. Une fois sous la douche, elle resta de longues minutes sous le jet brûlant, puis se savonna avec vigueur, jusqu’à ce qu’elle se sente enfin propre. Sortie de la douche, elle se sécha en hâte et frotta ses cheveux, les laissant librement flotter sur ses épaules. Puis, elle enfila un peignoir et ouvrit la porte avec précaution.
Le regard perdu au loin, Nic se tenait près de la fenêtre et lui tournait le dos. Quand il pivota pour lui faire face, le cœur de Maddie bondit dans sa poitrine. Posant le verre qu’il tenait à la main, il s’approcha d’elle.
— Laisse-moi voir ta lèvre.
Maddie effleura sa lèvre enflée du bout des doigts et grimaça de douleur. Elle retint son souffle quand il glissa le pouce sous son menton et l’inclina vers la lumière. Sa proximité ne faisait qu’exacerber son désir, quand bien même ses gestes tendres lui paraissaient incongrus. Puis, il la lâcha et saisit une compresse stérile et un antiseptique.
— Cela risque de piquer un peu, prévint-il.
Comme il tamponnait sa lèvre, Maddie sursauta, mais supporta la douleur stoïquement.
— Au moins, tu ne saignes plus. Et demain ta lèvre aura désenflé.
— Tu sembles savoir de quoi tu parles, plaisanta-t-elle.
A sa vive surprise, elle le vit se raidir.
— En effet, se contenta-t-il de répondre.
Soudain, Maddie poussa un cri d’effroi et saisit la main de Nic dans la sienne.
— Qu’est-il arrivé à ta main ? Elle est tout éraflée…
Nic essaya de libérer sa main, mais elle ne relâcha pas son étreinte.
— J’ai rendu une petite visite à Morales, rétorqua-t-il d’un ton sec.
Maddie eut un hoquet de surprise.
— Tu l’as frappé ?
— Il a eu de la chance. Il s’en est tiré avec une mâchoire meurtrie, rétorqua-t-il, une expression dure sur le visage.
Submergée par l’émotion, Maddie inclina la tête et déposa un baiser sur sa main meurtrie.
— Je déteste la violence, d’ordinaire, mais… merci.
Nic la dévisageait avec une telle intensité que Maddie perdit pied. Un silence tendu s’installa que Nic finit par rompre.
— Morales prétend que tu as couché avec lui.
Il fallut quelques secondes à Maddie pour comprendre toute la portée de ses paroles. Atterrée, elle lâcha sa main, tandis qu’une nausée lui soulevait le cœur.
— Tu crois que je mens, dit-elle d’une voix neutre.
Elle recula d’un pas et resserra les pans du peignoir autour d’elle. Comment avait-elle pu se laisser berner par son esprit chevaleresque au point d’oublier qu’il ne lui faisait toujours pas confiance ? Il n’avait rien fait de plus qu’il n’aurait fait pour toute autre femme en détresse. Elle avait simplement vu dans son geste une signification qui n’avait pas lieu d’être…
Vaincue, elle soupira. Quand bien même elle réaffirmait son innocence, la croirait-il ? Il s’agissait de la parole de Morales contre la sienne, après tout. Relevant le menton, elle lui jeta un regard de défi.
— Qu’est-ce que cela peut te faire ?
Animé de sentiments contradictoires, Nic sentit son estomac se nouer. Il l’avait pourtant crue quand il l’avait croisée — manifestement en état de choc — dans le couloir. Et quand, quelques instants auparavant, Morales s’était vanté de sa voix pâteuse d’avoir couché avec elle, il avait vu rouge et avant de savoir ce qu’il faisait, il lui avait lancé son poing dans la figure. Mais Morales disait-il la vérité ?
Il ne devait pas oublier que, en dépit de ses grands yeux verts au regard angélique, Maddie était une ensorceleuse dont l’air ingénu n’était qu’un simulacre, comme il l’avait appris à ses dépens huit ans auparavant. Agacé par le tour inattendu que prenaient ses pensées, il les refoula.
— Je m’inquiète qu’un homme ait abusé de toi. En dehors de ça, ta vie privée ne me regarde pas.
* * *
Profondément blessée par son attitude, Maddie n’arrivait pas à croire qu’elle ait pu se laisser abuser par un peu de tendresse. Etait-elle naïve à ce point ?
— Tu as raison. Cela ne te regarde en rien.
Là-dessus, elle pivota et se dirigea vers la salle de bains.
— Où vas-tu ? s’enquit Nic d’un ton sec.
— Je dois retourner à l’hôtel, dit-elle par-dessus son épaule. Mon bus pour Mendoza part demain matin à 6 heures.
— Il est trop tard pour que tu retournes à ton hôtel. Et tu rentres avec moi demain matin. Il est hors de question que tu fasses encore un voyage de seize heures en bus.
Maddie se mordit la lèvre inférieure pour ne pas hurler son dépit. Ne pouvait-il pas la laisser tranquille une bonne fois pour toutes ?
— J’aurais pu croire que tu te souciais de moi, si tu ne m’avais pas accusé d’avoir couché avec un homme pour obtenir ses faveurs. Un homme capable de violence physique, qui plus est ! Très franchement, je crois que je préfère encore retourner à mon hôtel infesté de cafards plutôt que de rester ici avec toi et supporter tes jugements catégoriques !
Exaspéré, Nic leva les bras au ciel.
— Je vais réserver une autre chambre, si tu préfères. Mais tu ne quitteras pas cet hôtel. Où sont tes affaires ?
Maddie se redressa. Les mains sur les hanches, elle avança vers lui.
— Mais pour qui te prends-tu, Nic de Rojas ? Comment oses-tu prétendre être quelqu’un d’honorable alors que tu me considères comme une moins que…
Nic couvrit en deux enjambées la distance qui les séparait et se planta devant elle. Maddie percevait son frémissement de fureur, et les battements affolés de son propre cœur.
— Je veux le nom de ton hôtel et le numéro de ta chambre. Tout de suite.
A la perspective de traverser Buenos Aires pour se rendre à son hôtel miteux, puis d’entreprendre un interminable trajet en bus, Maddie faillit éclater en sanglots. Elle était lasse, abattue et trop déprimée pour entamer une controverse avec Nic.
— Hôtel Esmeralda, chambre 410, finit-elle par répondre du bout des lèvres.
* * *
D’un pas fatigué, Nic se dirigea vers sa chambre, la valise de Maddie à la main. Il avait eu besoin de s’éloigner d’elle pour faire taire les émotions qui le tenaillaient. Ce mélange de culpabilité et de désir qui mettait ses défenses à mal.
Il ouvrit avec précaution la porte de la chambre et jeta un coup d’œil à l’intérieur. Il s’attendait presque à la voir debout dans une posture de défi, mais contre toute attente, il ne la vit pas. N’y tenant plus, il entra dans la pièce.
Recroquevillée sur le canapé, le visage à demi dissimulé par le rideau noir de ses cheveux, on aurait dit une âme en peine. Il sentit s’éveiller en lui un désir brûlant, ainsi qu’une incroyable envie de la protéger. Silencieusement, il posa la valise sur le sol, puis s’approcha et s’accroupit près d’elle. D’une main, il ramena en arrière une mèche de ses cheveux qui avait glissé sur sa joue. Elle était d’une pâleur mortelle. Mû par une impulsion, il inclina la tête et effleura sa blessure de ses lèvres.
Maddie avait l’impression de flotter. Elle se sentait au chaud, à l’aise et à l’abri. Elle sourit, rêvant que Nic l’embrassait tendrement. Emergeant peu à peu des brumes du sommeil, elle ouvrit les yeux et vit Nic la fixer de son regard bleu si intense, sa bouche sensuelle à quelques centimètres seulement de la sienne. Le cœur en émoi, elle n’osait pas bouger, de peur de briser la magie de l’instant.
Comme Nic approfondissait son baiser, elle ferma les yeux de volupté. Elle entrouvrit les lèvres tandis qu’il glissait sa langue dans sa bouche et se laissa submerger par le désir qu’il savait si bien attiser. Nic glissa les doigts dans sa longue chevelure d’ébène et prit son visage entre ses mains pour lui offrir un baiser profond.
Le souffle court, elle rejeta la tête en arrière alors que Nic déposait une pluie brûlante de baisers sur son cou. D’une main, il ouvrit son peignoir et exposa ses seins à son regard. Le cœur en émoi, elle s’offrit sans réserve lorsqu’il caressa du bout des doigts un mamelon durci, avant de le capturer entre ses lèvres brûlantes, lui arrachant un spasme de plaisir.
Jamais elle n’aurait pu imaginer que tout son corps serait capable de vibrer ainsi sous les caresses d’un homme. Elle n’avait rien connu de tel… en tout cas, pas depuis la découverte qui avait bouleversé sa vie à tout jamais.
Son excitation semblait se transmettre à Nic ; ses baisers se firent plus pressants, tandis qu’il explorait son corps. Redressant la tête, il s’empara avec fougue de sa bouche, quand soudain elle poussa un cri de douleur. Emportés par leur passion, ils avaient oublié que Maddie était blessée. Nic s’écarta brutalement, tandis que Maddie portait la main à la bouche. Un filet de sang coulait le long de sa lèvre. L’esprit en déroute, elle se leva d’un bond et se rendit dans la salle de bains où elle se planta devant le miroir. Grâce au ciel, sa blessure n’avait pas empiré. Inspirant profondément, elle s’essuya le coin de la lèvre avec une serviette mouillée. Ses yeux écarquillés brillaient d’un éclat fiévreux, et ses joues étaient roses de plaisir. Comment avait-elle pu se laisser aller ainsi ?
Quand elle eut le sentiment d’avoir repris le contrôle de ses émotions, elle sortit de la salle de bains. Immobile, Nic l’attendait, une expression torturée sur le visage.
— J’aimerais être seule, dit-elle d’une voix blanche.
Nic la rejoignit en deux enjambées, une lueur dangereuse au fond des yeux.
— Tu le voulais autant que moi, Maddie. Ne prétends pas le contraire.
Maddie devint cramoisie au souvenir de ce qui venait de se passer. Elle aurait dû repousser ses avances, elle le savait. Blessée au plus profond de son amour-propre par la piètre estime qu’il avait d’elle, elle avait malgré tout cédé à la passion brûlante qui dévorait tout son être. Mais, elle devait prendre ses distances, se préserver avant tout. Nic n’éprouvait pour elle qu’une simple attirance physique, rien de plus. L’idée même qu’elle ait pu coucher avec un autre homme quelques heures auparavant semblait le laisser de marbre.
Levant la main, Nic effleura du bout des doigts sa lèvre enflée. Il serra les dents en la voyant reculer à son contact.
— Je voudrais que tu t’en ailles, Nic.
Il la dévisagea longuement, tandis qu’un muscle de sa mâchoire tressaillait.
— Je viendrai te chercher demain à 8 heures, finit-il par dire. Sois prête.
Puis, il tourna les talons et se dirigea vers la porte, tout en lançant par-dessus son épaule :
— Nous n’en avons pas encore terminé, Maddie. Loin de là.