7.

Le lendemain matin, le trajet jusqu’au terrain d’aviation se déroula presque en silence. Au vif soulagement de Maddie, Nic semblait bien trop préoccupé pour soutenir une conversation.

Après avoir examiné sa lèvre tuméfiée dans la chambre quelques instants plus tôt — le simple contact de sa main sur sa peau avait mis ses sens en alerte — il avait déclaré que d’ici quelques jours il n’y paraîtrait plus. Elle avait failli riposter qu’elle s’en était aperçue, mais une part d’elle-même était heureuse de l’attention qu’il lui prodiguait, aussi avait-elle ravalé sa remarque.

Le luxueux jet privé était doté de confortables sièges en cuir de couleur crème, et le sol était recouvert d’une épaisse moquette. Eblouie malgré elle par la manifestation évidente de sa fulgurante réussite, Maddie se sentit intimidée. Nic, en revanche, avait l’air parfaitement à l’aise. Il prit place sur un canapé à deux places placé contre la cloison de la carlingue, tandis que Maddie choisissait un siège à l’angle opposé.

Quand ils eurent décollé et que Maddie eut refusé la coupe de champagne que lui proposait l’hôtesse, un silence tendu s’installa entre eux. La mauvaise humeur de Nic jouait sur les nerfs à vif de Maddie qui se retint de lui demander d’une voix cassante ce qui n’allait pas.

Elle lui lança un regard en biais et sentit son cœur s’emballer. La tête rejetée en arrière, les yeux fermés, il semblait dormir. D’un coup d’œil, elle détailla sa mâchoire volontaire assombrie d’une barbe naissante et ses hautes pommettes aristocratiques. Relevant les yeux, elle croisa son regard amusé et pâlit. Seigneur, il l’avait surprise en train de le lorgner comme une adolescente enamourée…

En dépit de sa posture nonchalante, il la fixait intensément, comme un prédateur prêt à fondre sur sa proie.

— J’ai une proposition à te faire.

Légèrement inquiète, Maddie s’éclaircit la gorge.

— Quel genre de proposition ?

Nic la détaillait d’un regard appréciateur qui lui fit monter le rouge aux joues. Soudain, il se pencha en avant et posa les coudes sur ses cuisses.

— Je crois que tu as prouvé à quel point tu étais déterminée à sauver l’entreprise familiale.

Mortifiée, Maddie rougit de plus belle.

— Que proposes-tu ?

Il la dévisagea en plissant les paupières.

— J’imagine que tu persistes toujours dans ton intention de trouver un investisseur ? Tu refuses de vendre ?

Maddie acquiesça.

— Je n’ai pas le choix.

— C’est bien ce que je craignais, grommela Nic.

— Pourquoi ?

— Ce ne sera pas facile. Morales se fera certainement un plaisir de salir ton nom et de crier sur les toits que tu as couché avec lui pour sécuriser ton entreprise.

Maddie eut un haut-le-cœur. Comme elle aurait voulu clamer haut et fort son innocence ! Mais à quoi bon ? Nic ne l’écouterait même pas.

— Ce qui veut dire ?

— Ce qui veut dire qu’à moins d’aller en Europe et de renouer avec tes contacts, tu n’as aucune chance de trouver un investisseur.

Une nouvelle nausée lui souleva le cœur. Elle n’avait pas les moyens d’entreprendre un tel voyage et elle ne se voyait pas demander de l’aide à son ancien patron. Son entreprise était certes florissante, mais pas assez toutefois pour lui permettre de lui prêter la somme faramineuse dont elle avait besoin. Elle regarda Nic d’un air morne.

— Où veux-tu en venir ? Me montrer à quel point ma situation est désespérée ?

Nic dévisagea Maddie d’un air satisfait. Il avait amené la discussion là où il voulait ; la jeune femme était maintenant à sa merci.

— J’ai l’intention d’investir dans ton domaine viticole, dit-il d’une voix suave, tout en surveillant de près sa réaction.

Maddie se crispa, et tout le sang se retira de son visage, faisant paraître ses yeux immenses et sa peau translucide. Puis, tout aussi soudainement, le rouge lui monta aux joues, et Nic sentit naître un frisson de désir au creux de ses reins.

— Pas question ! s’écria-t-elle en secouant la tête. Cette proposition cache quelque chose… Tu veux me ruiner.

Nic sourit.

— Je dois admettre qu’au début je voulais que tu partes loin d’ici. Mais depuis, j’ai révisé mon jugement. La vie est tellement plus divertissante depuis ton arrivée…

Maddie détourna le regard et croisa les bras sur sa poitrine. Elle fulminait. Ainsi, il la trouvait divertissante ? Elle s’apprêtait à répondre vertement quand un bruit lui fit lever la tête. Nic venait de prendre place sur le siège en face d’elle, ses longues jambes enserrant les siennes.

— Que fais-tu ? siffla-t-elle entre ses dents.

— Tu n’as pas d’autre choix que d’accepter ma proposition. A moins bien sûr que tu ne préfères voir ton domaine se délabrer sous tes yeux et laisser ton personnel — au service de ta famille depuis des années — sans ressources.

Maddie ouvrit la bouche pour répondre, mais se ravisa. Hernan et Maria… Elle ne pouvait pas les laisser tomber ; ils comptaient sur elle.

Comme s’il lisait dans ses pensées, Nic ajouta :

— Si tu acceptes ma proposition, sache que Hernan et Maria n’auront plus à s’inquiéter. Je compte mettre en place un régime de retraite à leur profit, et Hernan pourra de nouveau travailler la vigne.

Sans lui laisser le temps de réagir, il poursuivit :

— Il te faut de nouveaux fûts, et tu sais aussi bien que moi combien ils coûtent chers. Et aux dernières nouvelles ton père utilisait encore un pressoir à cage.

Maddie s’empourpra. Son père avait toujours préféré les méthodes anciennes.

— Le pressoir à cage revient à la mode, dit-elle, sur la défensive.

— Certes, et je l’utilise aussi pour certains cépages. Mais cela ne suffit pas. Le pressoir à cage n’est qu’un outil de travail secondaire qui doit être couplé à un matériel moderne. C’est un luxe — tout comme vendanger à la main.

— Tu le fais bien, toi !

— C’est vrai mais, là encore, seulement pour certains cépages. Nous utilisons la plupart du temps des machines à vendanger.

Maddie eut un pincement au cœur. Nic mêlait tradition et pratiques modernes — son rêve depuis toujours.

— Tout n’est pas perdu, continua-t-il. Tu peux même espérer avoir une excellente récolte l’année prochaine si tu tailles la vigne dès maintenant. Mais comment comptes-tu procéder ? Vous n’êtes que deux après tout, Hernan et toi.

Immobile, Maddie le fixait avec une fascination morbide. Il démolissait un par un tous ses espoirs.

— Je ferai établir un contrat en bonne et due forme dans lequel je m’engagerai à mettre à ta disposition la main-d’œuvre et l’équipement nécessaire. Je superviserai la production de ta première récolte et, quand tu seras totalement opérationnelle, je te laisserai reprendre les rênes.

Maddie le regarda avec suspicion.

— Sans rien en contrepartie ?

Il sourit d’un air condescendant.

— Tant que l’investissement n’est pas amorti, je m’octroierai une large part des bénéfices. Tu n’auras guère de revenus pendant un certain temps, mais au moins ton personnel sera protégé et ton domaine sauvé de la faillite.

Maddie sentit l’excitation la gagner, tandis qu’elle entrevoyait enfin une faible lueur d’espoir. La proposition de Nic était plus que généreuse. Devait-elle se méfier ?

— Tu n’aurais pas par hasard l’intention de transformer mon exploitation en une filiale de la tienne ?

A sa grande surprise, il secoua la tête.

— Non, ce n’est pas ce qui m’intéresse. J’aime assez l’idée de favoriser une compétitivité saine et dynamique et j’avoue être curieux de voir ce que tu es capable de faire.

— Acceptes-tu de le stipuler dans le contrat ?

— Bien sûr, tout sera mentionné noir sur blanc, et tu pourras le faire relire par un conseiller juridique.

Maddie faillit éclater de rire. Elle n’avait pas les moyens de se payer un conseiller juridique. Hernan et elle devraient se débrouiller tout seuls.

— Je vais réfléchir à ta proposition, dit-elle avec raideur.

Nic sourit d’un air contraint.

— Tu n’as guère le choix, tu sais. Soit tu acceptes ma proposition, soit tu fais faillite.

Là-dessus, Nic se renfonça dans son fauteuil, étendit ses longues jambes et ferma les yeux. Quelques instants plus tard, il dormait profondément.

Maddie se détendit quelque peu. Jetant un regard par le hublot, elle admira les vastes pampas vierges que l’avion survolait. Elle avait toujours rêvé de travailler dans son vignoble et quand son père lui avait enfin accordé sa chance — après la lui avoir refusée durant toute sa jeunesse — c’était trop tard. Or maintenant, Nic de Rojas, l’homme le plus improbable qui soit, lui offrait une seconde chance qu’elle ne pouvait refuser. Elle avait une responsabilité envers Hernan et Maria. Ils ne pouvaient pas travailler indéfiniment ; un jour ou l’autre, ils voudraient prendre une retraite bien méritée. Etouffant un bâillement, elle ferma à son tour les yeux et sombra à son tour dans le sommeil.

*  *  *

— Maddie…

Maddie se réveilla en sursaut. Tirée d’un rêve érotique où Nic l’embrassait à perdre haleine, elle avait les joues en feu. Ouvrant les yeux, elle vit Nic penché sur elle, son visage à un souffle du sien. Il était si près qu’elle distinguait les fines ridules qui cernaient ses yeux. Paniquée, elle se jeta aussitôt en arrière, ce qui eut le don de l’agacer à en juger par son air rembruni.

— Nous atterrissons dans quelques minutes. Attache ta ceinture.

Elle obtempéra, soulagée qu’il ait enfin regagné son siège. Elle respirait mieux quand il n’était pas dans son champ de vision.

Ils atterrirent en douceur et, quelques instants plus tard, ils filaient en direction de Villarosa dans la Jeep de Nic. Désemparée, Maddie risqua un regard vers lui. Il avait l’air si froid et détaché qu’elle eut un doute. Avait-elle imaginé ce qui s’était passé dans l’avion ? Lui avait-il réellement proposé d’investir des fonds dans son vignoble ?

Quand le domaine Vasquez apparut enfin à l’horizon, Maddie poussa un soupir de soulagement. Quelques minutes plus tard, Nic arrêtait la Jeep devant l’entrée principale.

— La rénovation de la maison fait bien sûr aussi partie de l’investissement, dit-il, indiquant du doigt la vieille demeure.

Maddie le dévisagea, interloquée.

— Pourquoi fais-tu cela ?

Nic haussa les épaules d’un air désinvolte.

— Disons que… j’ai les moyens et que je n’aime pas voir un vignoble de qualité tomber en ruine.

Maddie hésitait. Elle ne voulait pas s’engager sans savoir ce qui se cachait derrière cette proposition alléchante.

— Mais la haine entre nos deux familles… Qu’est ce qui me dit que tu ne vas pas prendre le contrôle du domaine ?

Nic serra les dents, tandis qu’une lueur étrange traversait son regard.

— Tu m’as dit un jour que la querelle qui opposait nos deux familles t’importait peu.

— Tu disais la même chose, riposta-t-elle. Et regarde où cela nous a menés…

— Nos parents sont morts, Maddie. Il n’y a plus que nous, désormais. Je suis prêt à oublier le passé, pas toi ?

Maddie le fixait en silence. Elle ne croyait pas une seconde qu’il avait oublié le passé, et le léger sourire qu’il affichait renforça son opinion.

— Ma proposition comporte néanmoins une condition qui ne sera pas inscrite dans le contrat.

Maddie se raidit aussitôt.

— Je savais que c’était trop beau pour être vrai. Alors ? Quelle est cette condition ?

Nic marqua une pause, et Maddie vit briller dans ses yeux une lueur infernale.

— Une nuit avec moi pour terminer ce que nous avons entamé il y a huit ans, finit-il par répondre.

Maddie demeura bouche bée. Comment osait-il lui faire une proposition pareille ? Elle était certes consciente de l’attirance qu’ils éprouvaient l’un pour l’autre et, la nuit passée, elle avait bien failli céder à ses avances. Mais de là à transformer cette attirance mutuelle en contrat commercial…

La gorge nouée, elle secoua la tête.

— Un homme m’a fait le même genre de proposition hier soir et j’ai refusé. Qu’est ce qui te fait croire que j’accepterai la tienne ?

Nic s’approcha jusqu’à ce qu’elle soit acculée contre la portière de la voiture. Il était si près qu’elle pouvait sentir son souffle sur sa joue. Il fit glisser sa main jusqu’à sa gorge, puis écarta du bout des doigts le haut de son T-shirt, la caressant du pouce là où son pouls battait frénétiquement. Comme son bras effleurait ses seins, Maddie sentit ses tétons se dresser sous son soutien-gorge.

Nic lui décocha un sourire moqueur — il était tout à fait conscient de l’effet qu’il produisait sur elle.

— La situation est bien différente, crois-moi. Contrairement à Morales, tu me désires si fort que tu ne pourrais pas me résister.

En proie à une soudaine panique, Maddie se précipita sur la portière qu’elle ouvrit à la volée et sortit, manquant tomber dans sa précipitation. Levant les yeux, elle vit que Nic était lui aussi sorti de la Jeep et qu’il s’avançait vers elle. Il lui tendit son sac qu’elle lui arracha des mains.

— Tu sais où me trouver, Maddie. J’attends de tes nouvelles avec impatience — si tu souhaites toujours sauver ton domaine viticole et être honnête envers toi-même, ajouta-t-il d’un ton doucereux.

Puis, il monta dans sa Jeep et démarra en trombe, laissant derrière lui un nuage de poussière.

*  *  *

Après une semaine de tergiversations et de nuits sans sommeil, Maddie n’avait toujours pas pris de décision. La voix de Nic lui conseillant d’être honnête envers elle-même hantait ses pensées comme ses rêves. Elle le désirait plus que tout, elle n’était pas hypocrite au point de nier l’évidence. Et cette certitude la plongeait dans une confusion dont elle n’arrivait pas à se défaire. Qui plus est, s’étant peu à peu habituée à le voir surgir à tout moment, elle n’aimait pas le sentiment de vide que son absence lui procurait — même si elle refusait de l’admettre.

Elle avait beau faire son possible pour ne pas penser à sa proposition indécente, ses pensées revenaient invariablement sur le sujet. Dans un sens, la perspective d’entretenir avec Nic une liaison purement physique dans un cadre bien défini, rendrait peut-être les choses plus faciles…

Nic était sa seule faiblesse, elle le savait. Il aurait pu aussi bien faire semblant de la séduire, elle n’aurait pas pu résister. C’était certain. Il aurait ainsi eu la confirmation de l’ambiguïté des sentiments qu’elle éprouvait pour lui. De cette façon, il n’y aurait pas d’ambiguïté. Avec un peu de chance, les souvenirs douloureux liés à cette période de sa vie s’effaceraient, lui permettant enfin de tourner la page et d’aller de l’avant. Elle refusa de s’appesantir sur le fait que si elle acceptait la proposition de Nic, elle le verrait tous les jours pendant de longs mois et qu’il lui serait d’autant plus difficile de refouler ce qu’elle éprouvait pour lui.

Tard un soir, Maddie broyait du noir, assise dans le bureau de son père, quand Hernan fit irruption dans la pièce, l’air préoccupé.

— Je suis inquiet pour toi et pour l’avenir de cette propriété, dit le vieil homme en secouant la tête. Nous sommes acculés, Maddie. Il n’y a plus rien que tu puisses faire ici à part vendre.

— Mais qu’adviendra-t-il de toi et de Maria ?

Elle vit Hernan pâlir légèrement. Il eut beau hausser les épaules d’un air désinvolte, elle ne fut pas dupe.

— Ne t’inquiète pas pour nous, niña. Nous pouvons prendre soin de nous-mêmes. Tu n’es pas responsable de nous.

Consciente de tout ce que sa famille devait à Hernan, Maddie sentit son cœur se serrer. Viticulteur hors pair, il avait été seul garant de la qualité exceptionnelle des raisins, permettant ainsi à son père et au maître de chai d’assembler des crus qui avaient fait la renommée du domaine. Elle ne pouvait pas aujourd’hui tourner le dos à Hernan et à sa femme — pas plus qu’elle ne pouvait tourner le dos au domaine qu’elle avait hérité.

— Il y a peut-être une solution…

Hernan se redressa aussitôt, l’œil attentif.

— Que veux-tu dire ?

Rapidement, elle lui exposa le projet d’investissement de Nic, sans mentionner la clause additionnelle qui ne concernait qu’elle.

Incrédule, Hernan la dévisagea.

— Tu vas accepter, n’est ce pas ? C’est la seule chance que nous avons de sauver le domaine.

— Je ne sais pas, hésita Maddie. Comment savoir si je peux lui faire confiance ?

Elle ne songeait pas à l’investissement en disant cela, mais au fait qu’elle craignait qu’il l’anéantisse si elle succombait au désir qu’elle éprouvait pour lui.

Les épaules du vieil homme s’affaissèrent soudain et l’éclat de son regard s’éteignit.

— Hernan, que se passe-t-il ?

Le visage blême, il affronta son regard.

— A vrai dire, Maria est gravement malade. Elle a besoin de soins… que je ne peux pas payer.

Bouleversée, Maddie se leva et serra Hernan dans ses bras.

— Nous ne voulions pas t’inquiéter, poursuivit-il, les larmes aux yeux. Nous pensions que la seule option était de vendre. Nous serions alors partis vivre chez notre fils, à Buenos Aires.

Maddie secoua la tête. Hernan et Maria détestaient la ville. Leur vie était ici. De plus, leur fils avait peu de revenus et avait à peine de quoi subvenir aux besoins de sa propre famille.

— Il n’en est pas question. Si j’accepte la proposition de Nic de Rojas, je ferai en sorte que vous ne manquiez de rien et que Maria bénéficie des meilleurs soins médicaux.

— Mais nous ne voulons pas exercer de pression sur toi… Tu n’es pas responsable de nous.

— Je sais, mais après les nombreuses années que vous avez passées à notre service, c’est le moins que je puisse faire.

Elle prit une profonde inspiration et ajouta :

— J’appellerai Nic de Rojas ce soir.

Hernan prit ses deux mains dans la sienne et les serra chaleureusement. Emue, Maddie ne put retenir ses larmes. Les dés étaient jetés, maintenant ; plus moyen de revenir en arrière, même si elle n’en avait aucune intention. Hernan et Maria étaient plus importants à ses yeux que ses propres préoccupations.

*  *  *

Le soir suivant, Maddie roulait en direction de la propriété de Nic. Elle était si tendue qu’elle craignait de s’effondrer, aussi s’obligea-t-elle à prendre une profonde inspiration. La journée avait été tumultueuse et riche en émotions.

La veille, elle avait appelé Nic et lui avait dit qu’elle acceptait sa proposition s’il s’engageait à ce que Maria voie les meilleurs spécialistes dans les plus brefs délais. A sa grande surprise, Nic n’avait pas hésité une seconde. Il avait tout de suite accepté, portant ainsi un autre coup à ses idées préconçues.

Nic était arrivé chez elle dans la matinée, accompagné d’un médecin qui avait aussitôt ausculté Maria. La gouvernante avait été hospitalisée l’après-midi même dans l’une des meilleures cliniques privées de Mendoza, et Maddie avait été bouleversée en lisant le soulagement dans les yeux de Hernan. Rassurée de voir que Nic prenait la direction des opérations, elle avait néanmoins été submergée de honte à l’idée qu’une partie d’elle-même puisse ressentir une excitation si coupable.

Une fois l’ambulance partie, Maddie s’était tournée vers Nic.

— Merci pour ce que tu as fait pour Maria. Hernan et moi sommes très touchés.

— Je t’en prie.

— Que fait-on maintenant ?

Il s’était contenté de la dévisager, une expression si intense sur le visage que Maddie était devenue cramoisie.

— Je t’attends pour dîner à 20 heures.

Sans un mot de plus, il avait rejoint sa Jeep et démarré…

S’efforçant de ne pas penser à la soirée qui l’attendait, Maddie se concentra sur sa conduite.

*  *  *

Les nerfs à vifs, Nic faisait les cent pas dans son bureau. Même s’il ne voulait pas l’admettre, il avait été proche de la panique avant le coup de fil de Maddie. Son absence lui pesait, et il aurait bien voulu savoir ce qu’elle manigançait. Essayait-elle de trouver un autre investisseur ? En avait-elle trouvé un à son insu ? Il avait tout de suite accédé à sa demande de faire soigner Maria. Il aurait accepté n’importe quoi, pourvu qu’elle ne revienne pas sur sa promesse d’être sienne pour une nuit.

Une nuit. Nic cessa d’arpenter son bureau et promena son regard sur les vignes dont les couleurs chatoyantes revêtaient peu à peu une teinte de nuit. Il poussa un soupir. Une nuit. Il n’en fallait en général pas plus pour qu’il se lasse d’une femme. Alors pourquoi Maddie serait-elle différente ? Qui cherchait-il à tromper, au juste ?

Il se passa nerveusement la main dans les cheveux et tourna son regard vers la liasse de documents posée sur son bureau. Le contrat d’investissement. Ce contrat illustrait on ne peut mieux les sentiments ambivalents qu’il éprouvait pour cette femme. Cette femme qu’il désirait plus que tout et dont le simple son de la voix lui enflammait les sens. Avec ce contrat, elle ne pourrait pas feindre l’ennui ou afficher ses regrets. Elle était beaucoup trop soucieuse de sauver son domaine viticole pour oser agir ainsi. Tout comme elle brûlait de passion pour lui — même si jusqu’à présent elle refusait de l’admettre.

*  *  *

Maddie considéra avec méfiance le grand carton rose orné d’un ruban de satin rouge qui trônait sur son lit. A son arrivée, elle avait été chaleureusement accueillie par Geraldo qui l’avait menée à sa somptueuse suite — comme s’ils ne savaient pas tous les deux qu’elle n’était là que pour une nuit.

— Un cadeau de la part du señor de Rojas, avait-il dit en indiquant la boîte de la main. Le dîner sera servi dans la salle à manger à 20 heures. Si d’ici là vous avez besoin de quelque chose, n’hésitez pas à m’appeler.

Prenant soudain conscience que l’heure tournait, Maddie ouvrit la boîte et retira les couches de papier de soie qui protégeaient la tenue, dévoilant une robe somptueuse de soie gris perle. Elle en eut le souffle coupé. Aucune femme ne pouvait rester insensible devant tant d’élégance. Avec ses fines bretelles, son bustier à taille haute et son plissé souple qui s’évasait depuis la poitrine, cette robe était une splendeur.

Maddie extirpa aussi de la boîte des escarpins argentés et des sous-vêtements sexy en diable, ainsi qu’un écrin de velours. Quelque peu intimidée, elle l’ouvrit et découvrit de somptueux diamants en forme de gouttes d’eau et un bracelet assorti. Un imperceptible frisson la parcourut à la vue des objets de luxe étalés devant elle. Puis, elle se raisonna. Nic lui faisait une faveur en la traitant comme sa maîtresse. En jouant le rôle qu’il lui avait assigné, peut-être pourrait-elle se préserver ?

A 20 heures précises, Maddie se tenait devant la porte que lui avait indiquée une jeune domestique timide, hésitant à entrer. Elle se sentait particulièrement vulnérable dans sa robe osée qui moulait à la perfection son corps et laissait entrevoir ses longues jambes nues, tandis que les bijoux qu’elle portait semblaient lourds et glacés contre sa peau. Elle ne s’était que très peu maquillée et avait choisi de ne pas attacher ses cheveux : ses mains tremblaient tant qu’elle n’aurait pas pu les nouer comme il convient. Prenant une profonde inspiration, elle frappa et ouvrit.

La pièce était plus formelle que celle où ils avaient dîné l’autre soir et l’impressionna tant qu’elle mit quelques secondes à repérer Nic. Vêtu d’un élégant costume sombre et d’une chemise blanche, ses cheveux mouillés coiffés en arrière, il se tenait debout devant la fenêtre, les mains dans les poches.

— Tu as mis la robe, observa-t-il d’une voix calme.

Maddie serra convulsivement la poignée dans sa main, luttant pour dissimuler ses réactions devant cette scène bien trop romantique à son goût.

— Oui, merci, rétorqua-t-elle d’un ton sec.

Nic inclina la tête et sourit d’un air amusé.

— Tu peux lâcher la poignée, tu sais… Je ne te mordrai pas, c’est promis !

Une sensation de chaleur envahit Maddie à cette perspective, et elle obéit au moment même où un domestique stylé entrait dans la pièce. Après avoir échangé quelques mots avec Nic, il ressortit, et Nic se dirigea vers la desserte — un magnifique meuble d’époque — où étaient disposées plusieurs bouteilles.

Elle le regarda verser le champagne et saisit la flûte qu’il lui tendait. Puis, ils trinquèrent.

— Ta lésion est maintenant cicatrisée.

Machinalement, Maddie éleva une main et effleura du bout des doigts sa lèvre guérie.

— Tu es ravissante, ce soir…

Gênée, elle rougit imperceptiblement. Elle n’avait pas l’habitude des compliments et voir Nic se montrer si courtois avec elle la déstabilisait.

— Toi aussi, murmura-t-elle d’une voix rauque, avant de baisser les yeux, l’air embarrassé. Enfin, je veux dire… tu es très élégant.

Elle but une gorgée de champagne pour cacher son embarras. Seigneur, elle n’avait pas l’habitude du badinage. Nic devait s’en rendre compte, tout de même ! Dans l’espoir de meubler le silence naissant, elle demanda des nouvelles de Maria et s’entendit répondre que les médecins qui l’avaient auscultée soupçonnaient un problème cardiaque.

— Merci encore, dit-elle. Hernan ne savait vraiment pas vers qui se tourner…

— Je contracte une assurance maladie pour tous mes employés. Maria et Hernan en bénéficieront aussi.

— Je serai moi aussi une de tes employés ? s’enquit Maddie d’un ton plus acerbe qu’elle ne l’aurait voulu.

— Nous serons partenaires en affaires, corrigea-t-il.

Avalant d’un trait son champagne, il posa sa flûte et fit signe à Maddie de s’asseoir. Décorée avec soin, la table arborait des couverts en argent et une belle vaisselle en porcelaine, si fine que Maddie osait à peine la toucher.

La gorge nouée, elle prit place en face de Nic. Elle était d’autant moins maîtresse d’elle-même que Nic semblait au contraire très à l’aise et sûr de lui.

Un personnel discret leur servit l’entrée — un potage léger. Mais, submergée par un sentiment de panique qui menaçait de l’engloutir, Maddie ne put presque rien avaler. C’était comme s’ils feignaient tous les deux d’ignorer la raison de sa présence ici, le fait qu’après le dîner Nic s’attendait à ce qu’ils fassent l’amour. Etait-elle capable de jouer cette comédie malsaine ?

En proie à un malaise croissant, elle observa d’un air morne les domestiques retirer leurs assiettes.

Nic fronça les sourcils.

— Tu te sens bien ?

Le ton désinvolte qu’il avait employé l’agaça tant qu’elle dut se retenir de hurler. Comment aurait-elle pu se sentir bien ?

L’esprit survolté, elle se leva si brusquement que les verres s’entrechoquèrent avec fracas. Elle tendit une main tremblante, tandis que son cœur se mettait à battre à grands coups désordonnés. A son poignet, les diamants brillaient de mille feux.

— Je… je ne peux pas poursuivre cette comédie. C’est au-dessus de mes forces.