Loup Blanc devait toujours se rappeler le jour où les fous débarquèrent dans la vallée.
Il avait longtemps rêvé d’un tel moment : l’arrivée de l’homme blanc, pendant que tous les guerriers étaient absents et qu’il restait seul pour sauver la tribu. Alors son père, Chien Rapide, rentrerait, et Loup Blanc lui montrerait le résultat de sa victoire, les scalps sanguinolents qu’il aurait accrochés au tipi de Chien Rapide.
Mais cela ne s’était pas passé du tout comme dans son rêve. Son père, ce matin-là, l’avait posté au sommet de la falaise qui dominait la vallée et il avait passé des heures à scruter en contrebas, le long des pentes accidentées, le chemin sinueux qui la traversait, le seul chemin vers l’est, en direction du village de l’homme blanc, à une journée de cheval. Personne n’était apparu et, à midi, il avait fini par s’affaler, le dos posé sur un rocher plat au-dessus du canyon, profitant, à moitié endormi, de la chaleur du soleil de printemps sur son corps brun et trapu.
Quelque temps plus tard, il s’était mis à s’entraîner à l’arc, prenant pour cible un yucca tout tordu à vingt pas. Il avait tiré une centaine de fois et seules seize flèches avaient atteint leur cible. Puis ses bras avaient commencé à montrer des signes de fatigue et il était rentré en traînant le long des pentes, envoyant des pierres valser à coups de pied, vers les fumées lentes et verticales du campement, cent mètres plus loin, sur les rives d’un ruisseau en crue. Il avait erré dans le village, s’amusant à fouetter les chiens du campement avec une branche et s’arrêtant un instant pour observer ses amis en train de taquiner trois moineaux attachés.
Il marchait vers la tente de sa sœur, Étoile du Matin, au bout du village, près du ruisseau. C’était pour sa fête que les guerriers étaient en train de chasser, fête qui devait marquer le début de son âge de femme. Cinq jours de célébration dont elle ne pourrait rien voir. Puis on lui épilerait les sourcils et elle serait disponible pour ses prétendants. Loup Blanc savait que ce devait être un grand événement, ponctué des récits flamboyants de guerriers à la peau tannée racontant leurs batailles contre les Espagnols, ou bien les jours anciens, quand un Sioux à cheval muni d’un carquois rempli de flèches constituait un adversaire plus que respectable pour l’homme blanc et sa carabine si lente à recharger. Quoi qu’il n’ait jamais compris la signification de la fête, elle était synonyme pour lui de viande de chevreuil à satiété, de gâteaux au miel et peut-être même d’une gorgée interdite de la puissante twilt-kah-yee1.
À cette pensée, sa faim se manifesta de façon plus aiguë. Approchant du tipi d’Étoile du Matin, il la trouva absorbée dans sa tâche. Elle se tenait accroupie au soleil, occupée à coudre guirlandes et clochettes à l’ourlet de sa robe en daim marron. Il se tint au-dessus d’elle, se balançant d’un pied sur l’autre, cherchant à attirer son attention. Sans montrer qu’elle avait remarqué sa présence, elle s’arrêta brusquement et entra en rampant dans son tipi.
Il sembla à Loup Blanc que des heures passaient avant qu’elle émerge à nouveau, les bras dans le dos, une étincelle dans ses grands yeux noirs.
– Ferme les yeux et tend les mains, dit-elle.
Il obéit et sentit quelque chose de mou dans l’une de ses mains, et dans l’autre quelque chose de dur, un peu comme du cuir.
– Ouvre les yeux !
Lorsqu’il les rouvrit, il découvrit dans sa main droite deux petits gâteaux à la farine de maïs et, dans la gauche, un peu de pemmican brunâtre2. Comme il se précipitait déjà pour aller reprendre son poste de guet, elle lui cria : « Fais-les durer jusqu’à la nuit ! » Mais il ne l’entendit pas.
Il engloutit tout en à peine vingt minutes et, s’assoupissant à moitié, eut toutes les peines du monde à garder les yeux ouverts lorsqu’il revint s’allonger sur le rocher, dirigeant à nouveau son regard en contrebas vers le débouché de la vallée, dans la chaleur tranquille du début de l’après-midi. Puis il se rappela qu’il avait laissé depuis le matin sa lance plantée à la verticale dans la terre meuble, à côté du rocher.
Il la récupéra et la mit au creux de sa main, comme Chien Rapide le lui avait montré : l’index et le majeur placés derrière la cordée afin de disposer d’une prise solide au moment de lancer. Il était en train de viser le yucca déjà meurtri par les flèches de son arc lorsqu’il entendit le hennissement de chevaux. Il laissa immédiatement tomber sa lance, se rua vers son point d’observation et plongea le regard dans le gouffre sombre.
Un chariot couvert, mené par deux chevaux, s’était avancé en bringuebalant depuis l’entrée de la vallée et s’était arrêté à l’ombre de la pente, loin de lui, à peu près à deux cents mètres sur sa gauche. L’homme qui le conduisait était grand, mince, légèrement voûté ; il portait un pantalon noir et des bottes, une chemise blanche sans col et un sombrero mexicain. Il sauta à terre et contourna le wagon vers l’arrière, ce qui le plaça hors de vue un instant. Lorsqu’il réapparut, il était torse nu, à l’ombre, et il avait la peau très blanche. Il portait un caleçon long rouge et ce qui ressemblait à des mocassins noirs. Loup Blanc examina attentivement l’homme blanc pendant que celui-ci se dirigeait vers l’avant du chariot pour donner à boire à ses chevaux. L’inconnu, de toute évidence, n’était pas jeune – il avait à peu près l’âge de son père –, mais sa démarche, fait étrange, avait l’élan et la vivacité de la jeunesse.
L’homme se tint un moment au pied de la colline, puis se mit à courir rapidement en grimpant l’abrupte pente rocheuse. Tout au long de sa course, il garda le même rythme. Ayant atteint le sommet, il se pencha en avant, la poitrine haletante, mains sur les genoux. Loup Blanc allait longtemps se souvenir de l’instant où il se releva et se tint fièrement debout, ainsi que de sa merveilleuse pâleur frappée par le soleil. Puis l’homme redescendit la pente en trottinant.
Un court instant, Loup Blanc se demanda s’il n’allait pas courir au village pour rameuter les autres garçons… « Non, c’est à moi qu’on a demandé de garder le camp, se dit-il. C’est moi qui suis resté toute la journée ici à cuire sous le soleil brûlant. Tout ça, c’est à moi. »
Dès que l’homme eut atteint le bas de la colline, il se retourna et repartit de plus belle vers le sommet, en courant au même rythme incroyable que la première fois. Mais, lorsqu’il parvint à mi-pente, un autre promeneur fit son apparition dans le canyon. C’était un homme plus jeune, portant des vêtements en daim et montant un cheval pie. Le cavalier regarda l’homme le plus vieux, qui luttait maintenant pour parcourir les derniers mètres le séparant de la crête. Une fois qu’il l’eut atteinte et se fut retourné pour faire face au canyon en contrebas, le nouvel arrivant lui cria quelque chose et lui fit un geste de la main. Le coureur, penché en avant, la poitrine à nouveau haletante, leva un bras en signe de reconnaissance. Puis il dévala la colline, soulevant un nuage de cailloux et de poussière le long du chemin sinueux.
Les deux hommes se serrèrent la main, le cavalier descendit de sa monture et, ensemble, ils se dirigèrent vers l’arrière du wagon, hors de vue. Quand ils réapparurent, quelques instants plus tard, tout avait changé. Le coureur était habillé de pied en cap et c’est le cavalier qui était à présent torse nu, vêtu d’un caleçon long blanc et de mocassins de cuir noir.
L’homme le plus jeune s’éloigna du chariot, se dirigeant vers les profondeurs du canyon, lentement, d’une démarche très étrange, à pas étirés, les bras raides et droits. Il fit ainsi une centaine d’enjambées dans l’ombre d’un surplomb, vers l’autre côté de la vallée, gratta le sol devant lui de sa chaussure droite, s’arrêta, tâta la terre avec un pied, puis l’autre. Enfin, il se retourna vers le chariot et se tint totalement immobile.
L’homme le plus vieux hurla quelque chose et leva bien haut son bras droit. L’autre leva le sien en guise de réponse. Loup Blanc s’étira alors de tout son long sur le rocher, ignorant l’inconfort de sa nouvelle position, et plissa les yeux pour apercevoir le jeune homme qui se tenait à présent dans l’ombre.
L’homme au chariot abaissa soudain sa main droite et le jeune homme se rua dans sa direction, à travers la vallée. Loup Blanc n’avait jamais vu personne courir aussi vite, les jambes disparaissant sous un nuage blanchâtre. Du fond de la vallée montait avec chaque foulée un étrange son de grattement, haché. L’homme dépassa le chariot et ralentit peu à peu, au petit trot, avant de revenir au pas en sens inverse, puis s’arrêta pour effectuer des cercles avec les bras tout en parlant avec l’homme en noir. Même depuis le sommet de la colline, Loup Blanc pouvait distinguer le miroitement de la sueur sur le torse laiteux du coureur.
Quelques minutes plus tard, le même rituel se répéta, le jeune homme en caleçon blanc bondissant dans la vallée, tel un magnifique animal sauvage poursuivi par d’avides chasseurs. Loup Blanc était tellement captivé qu’il se pencha un peu plus en avant, déclenchant une petite avalanche de cailloux qui dégringolèrent vers le bas. Mais aucun des hommes blancs ne remarqua quoi que ce soit. Ils étaient bien trop absorbés par l’étude d’un objet qui brillait dans la main droite de l’homme le plus vieux.
Puis il se passa quelque chose de plus étrange encore. Le coureur enleva son caleçon et ses chaussures et, pour la première fois de sa vie, Loup Blanc vit un homme blanc nu. Les poils noirs à la base de son ventre contrastaient violemment avec la blancheur de son corps et de ses jambes. L’homme le plus vieux se cacha à nouveau derrière le chariot, revenant avec un seau pour asperger le coureur nu, qui poussa de petits cris au contact de l’eau froide.
Le soleil descendait rapidement. Le coureur s’abrita derrière le chariot et réapparut tout habillé, dans ses vêtements bruns en daim. Les deux hommes se serrèrent la main et le cavalier grimpa sur son cheval pie qui le mena au petit trot vers l’est, à travers la vallée. Quelques instants après, l’homme le plus vieux reprit les rênes de ses chevaux et fit pivoter son chariot, mettant le cap vers l’ouest et le soleil couchant.
Loup Blanc se mit debout avec précaution puis détala. Il descendit la colline vers le village, la tête vibrant des événements étranges dont il venait d’être le témoin et qu’il allait pouvoir raconter. Mais les guerriers n’étaient pas censés rentrer avant plusieurs heures, alors que son histoire tremblait déjà sur le bout de sa langue. Il s’assit pour les attendre, à côté d’Étoile du Matin qui continuait à travailler calmement, avec application, à la confection de sa robe.
Trois heures plus tard, lorsque les guerriers revinrent, chargés de chevreuils, Loup Blanc se rua vers son père et laissa s’écouler un torrent de mots. Chien Rapide écouta patiemment, car il savait que son fils était très consciencieux dans l’accomplissement de ses devoirs, comme peut l’être tout garçon de dix ans. Puis Chien Rapide, convoquant Nuage Sombre, l’homme-médecine, et quatre guerriers, se dirigea vers le fond de la vallée.
À son entrée, les guerriers trouvèrent ce qu’ils cherchaient : un chariot léger s’était arrêté là, avec deux chevaux bien ferrés, ainsi qu’un autre cheval et son cavalier. La pente sur laquelle Loup Blanc avait d’abord vu courir l’homme le plus vieux fut passée au peigne fin, mètre après mètre. On tomba d’accord : un homme était bien passé par ici, la profondeur des traces indiquant clairement qu’il avait couru et non pas marché.
Chien Rapide et Nuage Sombre suivirent ensemble le trajet du second homme en remontant le canyon, inspectant chaque pouce du sol rocailleux et poussiéreux. Il était évident que quelqu’un avait couru ici, mais pas avec des mocassins ni avec des chaussures d’homme blanc. Ces empreintes qui leur étaient inconnues inquiétèrent Nuage Sombre.
Mais le plus troublant était l’emplacement d’où Loup Blanc avait vu l’homme blanc s’élancer. Car, à côté d’une trace de raclement sur le sol, similaire à celle qu’aurait pu produire un couteau ou la patte d’un chien, se trouvaient là deux trous peu profonds, séparés d’à peu près la longueur d’un pied. Nuage Sombre demanda si l’un ou l’autre des deux hommes avait fait un signe quelconque, et si oui, était-ce vers le soleil ? Loup Blanc se souvint de la main levée et Nuage Sombre hocha la tête. L’homme-médecine sembla néanmoins très perplexe lorsque Loup Blanc évoqua l’homme dénudé et sa toilette au seau d’eau ; il se mit à marcher en traînant des pieds, agitant ses osselets divinatoires en marmonnant pour lui-même.
Chien Rapide se tenait à l’écart de la scène, pressant ses lèvres l’une contre l’autre du pouce et de l’index en regardant vers l’entrée de la vallée ; puis il se pencha pour placer ses doigts dans les deux petits trous. Les guerriers se rassemblèrent autour de lui en jacassant, avant de faire silence lorsqu’ils comprirent qu’il était prêt à faire connaître son opinion.
Enfin, Chien Rapide se redressa. Nuage Sombre, Loup Blanc et les autres attendirent son jugement sans un mot. Il leva les yeux vers le canyon et montra sa bouche du doigt, puis replaça sa main sur ses lèvres. Il prit une profonde inspiration, posa son index contre sa tempe droite et le tourna comme s’il vissait quelque chose.
– Des fous, dit-il. Des fous.
Buck Miller avait traversé le campement du général Custer, cinq kilomètres avant Canyon City. C’était au bord de la Sun River que le 7e de cavalerie s’était installé, du moins ce qu’il en restait pour l’heure : un régiment squelettique, affecté à la surveillance du campement pendant que la majorité des soldats s’était rendue en ville pour profiter des festivités. Alors qu’il trottait à travers l’enceinte militaire, Buck échangea quelques banalités avec les gardes installés devant leurs tentes, occupés à se rouler des cigarettes ou à jouer aux cartes. Il se demandait s’il aurait la chance d’apercevoir la femme de Custer, Monah Seetah, la fabuleuse Indienne. Elle servait d’interprète personnelle à Custer, bien qu’il ait entendu dire qu’elle ne comprenait pas un mot d’anglais. Il se posait souvent cette question : comment avait-elle bien pu interpréter ce que disait le général ?
Tandis qu’il avançait, Buck songeait à ce qui se préparait à Canyon City. Son pouls accéléra en pensant aux deux objets enveloppés dans sa sacoche de selle juste derrière lui, élégants, souples et flambant neufs. À Culver City, il avait passé toute une matinée à les graisser, à les plier pour faire jouer leurs formes, à les caresser. À présent, ces mystérieux objets étaient fin prêts, tout comme lui-même.
Il sentit la sueur couler à nouveau sur sa lèvre supérieure, suspendue un instant sur l’ombre d’une ancienne moustache noire. Il s’essuya machinalement la bouche et le front du revers de la main.
Il arriva au niveau de la première banderole, dans les faubourgs de la petite ville, au cœur du quartier chinois – une succession de blanchisseries, de cantines et de boutiques placées à angle droit de Main Street, qui s’étendait sur une centaine de mètres. La banderole était dressée à travers la rue poussiéreuse, à deux mètres environ au-dessus de lui. Elle mesurait dans les six mètres sur un mètre vingt, était faite dans une toile blanche grossière et annonçait le « GRAND GALA SPORTIF DU JOUR DU FONDATEUR3 », avec, au-dessous, un gribouillis en chinois qui devait sans doute signifier la même chose.
Mais aucun des Chinois n’avait l’air d’humeur très sportive, selon Buck. Des vieillards flétris, assis au soleil sur le trottoir de bois, jouaient tranquillement aux échecs ou à un autre jeu – avec de petites pierres – qu’il ne reconnut pas. D’autres pratiquaient, au ralenti, une sorte de boxe dans le vide étrange, indifférents aux enfants à demi nus qui gambadaient autour d’eux en hurlant. Buck se dit qu’il n’avait jamais vu aucun Chinetoque qui vaille tripette en sport, et que ça n’était probablement pas près d’arriver.
Avant même de diriger son cheval pie dans Main Street, il put distinguer le bruit, ce mélange de musique, de cris et de paroles indistinctes qui jaillissait du centre de gravité de la ville, les trois cents mètres de Main Street.
Tournant à droite au niveau de l’auberge de Conlon, il fut englouti par une masse d’hommes à pied et à cheval – des fermiers, des montagnards, des soldats, des mineurs. À sa gauche se tenait un cercle étroit d’hommes accroupis, les yeux rivés sur le spectacle de deux coqs en train de se battre en poussant des cris stridents, au beau milieu de la rue. Alors que Buck passait à leur hauteur, l’un des coqs s’effondra sur la poussière du ring improvisé et le propriétaire du vainqueur, exultant, saisit l’oiseau entre ses mains avant d’embrasser son cou sanglant. Pendant ce temps, ses gains étaient ramassés par un ami noir portant une salopette maculée de sang dans le cercle d’hommes qui bordait le ring.
L’homme qui venait de gagner, un robuste barbu, le visage éclaboussé de sang, souleva le coq au-dessus de lui en signe de triomphe.
– V’là ce que c’est qu’un coq de combat ! rugit-il en recrachant le sang de l’animal par terre. Ça, c’est un putain de champion !
Buck fut rapidement submergé par la foule et par le vacarme d’une fanfare qui jouait une marche militaire cent mètres devant lui, en face de l’hôtel de la Dernière Chance. Il fut forcé de s’arrêter un instant, tant la masse des gens autour de lui était dense. Quelques ivrognes titubaient dans la rue, comme des bouchons de liège sur une mer agitée.
Sa monture, perturbée par la pression de la foule, s’agitait, hennissant et se cabrant dans tous les sens. Buck ôta son chapeau, en couvrit l’oreille du cheval et y murmura quelque chose. L’effet fut immédiat. L’animal se calma et rétablit sa posture. Buck sourit et remit son chapeau sur sa tête, serrant le lacet au niveau du menton. À sa droite, sur une estrade improvisée, se tenait un gros barbu, torse nu, dont le ventre blanc débordait de la ceinture du pantalon. Il était en train de lutter contre un ours noir, qui semblait avoir assez peu de goût pour la bagarre. C’était d’ailleurs à peine un ours, plutôt une créature famélique aux yeux chassieux et au pelage miteux. Mais, comme le remarqua Buck, le gros barbu lui-même était à peine un homme. Un espace se libéra devant lui et il s’y engouffra, notant la présence par terre d’une ribambelle de puddings fumants – du crottin de cheval. Il grimaça, agressé par ce parfum écœurant, puis se pencha pour inspecter la surface du sol. Ça allait. C’était plat. Et la merde de cheval, il connaissait.
Il avança lentement sur Main Street mais fut une nouvelle fois arrêté, cette fois par un groupe de gens captivés par un petit escroc qui avait placé au bord du trottoir une table recouverte de feutrine verte. Trois cartes étaient posées face cachée sur la table et le charlatan, un petit homme maigre arborant une moustache cirée couleur tabac, vêtu d’une chemise impeccablement blanche, quoique froissée, et d’un nœud papillon noir, souleva celle du milieu pour la brandir face à son public.
– Et voici, messieurs ! cria-t-il d’une voix fluette et mielleuse. L’as de cœur est gagnant. Ne le perdez pas des yeux pendant que je remue les cartes !
Il mélangea et remélangea les trois cartes sur la table, puis s’arrêta et affronta la foule.
– Le voici, regardez bien ! Et le revoici. L’as de cœur, messieurs, est la carte gagnante. Je vous rappelle que Carl Medina ne prend pas les paris des pauvres, des infirmes et des orphelins.
L’homme continua à manipuler les cartes dans tous les sens. Buck était certain d’avoir repéré l’as. Mais lorsque l’arnaqueur retourna la bonne carte, il constata son erreur.
– L’as de cœur ! Mon honnête métier, messieurs, c’est de bouger mes mains plus vite que vos yeux. Je le répète, vous avez toujours deux chances et moi une seule. L’as de cœur. Si vous avez bien fait attention, vous gagnez et je vous paie ; sinon, je gagne et je garde votre argent. L’as de cœur ! Allez, qui va en miser vingt ? Mes mains contre vos yeux !
Il battit à nouveau les cartes sur la table. Dans le public, on se rua pour placer des paris.
Buck sourit et continua lentement à avancer le long de la rue grouillant de monde. Il entendit soudain une clameur sur sa droite : un cow-boy torse nu titubait à reculons, crachant du sang et des bouts de dents sur la surface surélevée d’un ring de fortune. Le soi-disant boxeur, braillant de douleur, rebondit sur les cordes pour être cueilli et assommé d’un seul coup par un vrai champion, au corps noueux et au visage taillé comme la carte de l’Irlande. Le cow-boy était étendu sur le ventre et du sang s’écoulait de son nez. Ses amis, qui se tenaient à ses côtés, lui renversèrent un seau d’eau sur la tête. Au-dessus du ring, penchées aux fenêtres d’un bâtiment qui prétendait être le « saloon de la Pépite d’Or », les filles outrageusement fardées de la maison close locale faisaient signe aux hommes en contrebas.
Voilà le chemin tout tracé vers la douleur, la honte et la pommade au mercure, pensa Buck, se frayant un chemin vers l’hôtel de la Dernière Chance qui n’était plus maintenant qu’à cinquante mètres sur sa gauche. Juste avant l’hôtel, en face d’un marchand d’élixirs, se trouvait un chariot en bois aux couleurs tapageuses, et devant lui une scène exiguë. Derrière cette installation, sur une autre scène, plus petite celle-là, était disposée une toile encore plus tape-à-l’œil figurant le salon d’une maison de maître et surmontée de l’inscription « Paris, France ». Sur le côté du chariot, on pouvait lire : « THÉÂTRE DE L’OUEST DE MORIARTY ». Un homme et une femme, face à face, attendaient sur la scène que les rires de leur public retombent.
La femme, une rousse, la trentaine tout juste entamée, portait une magnifique robe en soie verte ; elle était d’une beauté remarquable. L’homme, à peine plus âgé, mince et au port aristocratique, était vêtu d’un « costume du dimanche » noir et de chaussures de cuir verni impeccablement cirées ; il se distinguait principalement par sa crinière de cheveux noirs frisés.
– Est-ce que tu crois aux clubs4 pour les femmes ? demanda l’actrice, d’une voix ample et claire.
– Seulement si tout le reste a échoué, répondit l’acteur avec un clin d’œil, et le public s’esclaffa.
– Regarde comme je suis habillée, Moriarty, dit la femme. Si quelqu’un venait me rendre visite, il penserait que je suis ta cuisinière.
– Pas s’il restait pour dîner ! enchaîna l’homme, se tenant l’estomac, et les rires partirent de plus belle.
– Et ton problème de boisson ? reprit-elle, les mains sur les hanches. Si tu n’avais pas bu autant hier soir, tu ne te sentirais pas aussi mal.
– La boisson n’a rien à voir là-dedans. Je me suis couché dans un état admirable ; je me suis réveillé dans un état épouvantable. C’est le sommeil qui m’a fait du tort ! (Il l’étudia d’un œil critique.) Enfin, regarde-toi. Après cinq ans, tu es exactement comme au jour de notre mariage.
Elle fit une grimace, les bras écartés.
– Encore heureux ! Je porte toujours la même robe.
À l’inverse des gens qui l’entouraient, Buck ne rit pas. Il plissa ses yeux bleu clair et secoua la tête avant de descendre de cheval et de l’atteler à la barre de la Dernière Chance. Il grimpa sur le trottoir en bois, puis monta les marches qui menaient au saloon.
Le hall d’entrée de la Dernière Chance bourdonnait d’activité. Sur la droite, derrière un comptoir de réception incurvé, un employé dégoulinant de sueur essayait désespérément de se dépêtrer des demandes forcément urgentes de plusieurs clients. Sur l’escalier central, trois prostituées étaient en train de négocier le prix de la passe tout en faisant monter les clients. À gauche de l’escalier, sur trois canapés installés au milieu de plantes en pot, une douzaine de jeunes soldats de Custer, dont aucun n’était âgé de plus de dix-neuf ans, buvaient des bières en regardant les femmes.
Buck regarda autour de lui et trouva ce qu’il cherchait. Un homme aux allures de petit hibou à lunettes était assis derrière un bureau sur lequel était accroché un carton blanc portant à l’encre noire l’inscription « Course de rue : 200 $ ». Il ne leva pas les yeux lorsque Buck s’arrêta devant lui ; il continua à griffonner sur un bout de papier.
Buck ôta son chapeau et s’éclaircit la gorge. Le petit homme leva la tête, clignant des yeux au-dessus de ses verres de lunettes.
– Cow-boy, qu’est-ce que je peux faire pour toi ?
– La course, dit Buck, repoussant une mèche de ses cheveux noirs et ternes. Les inscriptions sont encore ouvertes ?
– Si tu as dix dollars, répondit l’homme, trempant sa plume dans l’encrier de son bureau. Mais je dois d’abord te donner quelques renseignements, mon jeune ami. C’est une course scratch. Cent trente yards, départ debout, à l’anglaise. Ce qui veut dire aucun handicap pour personne : tout le monde part de la même ligne. C’est comme ça que ça a toujours été, en tout cas depuis que je suis ici.
Buck fouilla dans la poche de son gilet et en tira un porte-monnaie en cuir.
– Vous avez dit dix dollars, monsieur ?
– Ouaip… Mon garçon, tu es bien au courant qu’il y a certains des types les plus rapides du territoire, ici ?
– Je veux m’inscrire quand même, monsieur, répondit Buck en tendant les dix pièces d’un dollar.
Le petit homme enleva ses lunettes, les posa sur la table et leva les yeux vers Buck en louchant.
– Paul Ledoux, ça te dit quelque chose ?
– Celui qu’on appelle le « Français volant » ?
– Lui-même. Le fast man de Canyon City ! Il nous a fait gagner un paquet, tu peux me croire. (Le petit commis examina une feuille en face de lui.) Il y a aussi le jeune Sam Withers – il paraît qu’il n’était qu’à deux yards du temps de référence5 à Saint Louis. Et puis McCluskey, l’Indien. Et le type de Silver City…
– Le « Cerf de Savannah » ? l’interrompit Buck.
– Exactement, répondit le commis. Cela dit, ne te méprends pas, fiston. Si tu veux courir, c’est évidemment ton droit le plus strict. Seulement, je n’aime pas voir un jeune cow-boy balancer dix dollars par la fenêtre, c’est tout.
– Je veux vraiment courir, monsieur.
– Vous avez déjà sprinté, monsieur… ?
– Miller, Buck Miller. Oui. J’ai gagné quelques courses amateur en Pennsylvanie quand j’étais plus jeune. Je crois bien que j’ai toujours quelque chose dans les jambes.
L’homme hocha la tête.
– Il va vous en falloir, monsieur Miller. Vous courez en chaussures à pointes ou en mocassins ?
Buck ne répondit pas. Il se retourna et s’éloigna vivement de la table, se frayant un chemin dans le hall surpeuplé, puis sortit par les portes battantes. Le petit homme cligna des yeux, secoua la tête et se remit à écrire. Quelques secondes plus tard, Buck était de retour, les éperons cliquetant, avec entre les mains une paire de chaussures de course en cuir verni flambant neuves. Il les déposa sur la table, puis les retourna pour faire apparaître le cuir jaune immaculé et les six pointes effilées comme des aiguilles disposées sur chaque semelle.
Le petit homme prit les chaussures et les examina.
– Voilà de bien belles chaussures de course, dit-il. Je n’en ai jamais vu de pareilles, je dois l’avouer.
– Le catalogue Sears Roebuck dit que ce sont des chaussures pour dix secondes aux cent yards, répondit Buck fièrement.
– Seulement si tu as les jambes pour ces dix secondes, fiston, répliqua une grosse voix derrière lui.
Buck se retourna sur un homme entre deux âges, de grande taille et arborant une moustache noire tombante. Il portait un chapeau melon noir auquel étaient assortis sa veste, son gilet et ses bottes. Sur la gauche de sa poitrine était accrochée une étoile en étain.
– Buck, je vous présente le marshal Boone. Ce jeune homme semble avoir des capacités sportives considérables.
– Combien avons-nous de garçons inscrits pour cette course ? demanda Boone, ignorant Buck et tirant sur un bout de cigare humide sur le point de s’éteindre avant de fouiller dans la poche de son gilet à la recherche d’allumettes.
– Dix-neuf, marshal, au dernier décompte. Ce jeune Yankee, Buck Miller, vient d’arrondir le nombre à vingt.
Boone gratta une allumette sur le talon de sa botte et ralluma son cigare. Il tira dessus et exhala la fumée au visage de Buck.
– Alors donne tout ce que tu as, fiston. C’est tout ce qu’on te demande.
Le marshal se retourna et progressa lentement à travers la foule qui se tenait devant la porte – et s’écarta à son passage.
Le petit homme le regarda partir et jeta un œil au six-coups de Buck, niché confortablement contre sa hanche droite.
– Je vous suggère de laisser votre arme ici, monsieur Miller. Et quand vous partez, demandez votre pistolet. Mais n’allez pas tirer dehors. Oubliez ça. Beaucoup de cow-boys pensent que les empêcher de tirer en ville est une atteinte à leurs droits. Peut-être, mais c’est comme ça, au moins ici, à Canyon City. De toute façon, vos six-coups ne valent rien contre la Winchester du marshal. Et les hommes de Boone, je peux vous l’assurer, sont de sacrés durs à cuire.
Buck acquiesça et dégaina son arme. Il la posa délicatement sur la table.
– Je ne cherche pas les ennuis, dit-il. À quelle heure sont les séries ?
– À trois heures, répondit le petit homme.
Buck se retourna et se dirigea au milieu de la foule, vers les portes battantes.
– La finale à cinq heures ! cria l’officiel dans son dos, puis il ajouta, dans sa barbe : Mais je ne crois pas que ça te concerne, cow-boy…
Il était quatre heures. Le professeur Moriarty et le marshal Boone étaient installés côte à côte chez Lung Chow, le barbier, chacun au fond d’un fauteuil incliné vers l’arrière, le visage drapé dans des serviettes humides dont émanait une vapeur qui embuait le miroir en face. De la bouche de Boone sortait un cigare dont la fumée se mêlait à la vapeur au-dessus de lui. L’acteur parla le premier, de sa voix profonde et sonore.
– Marshal, s’il existe quelque chose au monde de plus agréable qu’un bon rasage, je vous jure que je veux bien savoir ce que c’est.
– Ça existe, grogna Boone dans son cigare. Mais je ne suis pas d’humeur à penser à des choses pareilles, pas quand j’ai parié cent dollars sonnants et trébuchants sur ce Français dans la finale.
– Vous avez mis de l’argent sur Ledoux ? demanda Moriarty, l’air intéressé, pendant que le barbier enlevait les serviettes et les remplaçait par d’autres, moins chaudes.
– J’ai gagné cent dollars grâce à lui dans sa série, répondit Boone.
– Demi-finale, corrigea Moriarty. Dans la course à pied, on appelle ça une « demi-finale », marshal.
– Série, demi-finale, appelez ça comme vous voulez, bougonna Boone. Je m’incline devant vos immenses connaissances. Vous avez gagné quelques grosses courses à votre époque, c’est ce que j’ai entendu dire. Mais ce Frenchie, notre fast man, il a couru les cent trente yards avec seulement cinq yards de retard sur le temps de référence et en se permettant le luxe de regarder autour de lui. Alors je lui donne deux yards de mieux en finale, peut-être même trois.
– Mais vous croyez vraiment que le Français peut courir avec autant d’argent sur les épaules ? insista Moriarty, pendant que les serviettes de Boone étaient remplacées par Lung Chow avec précaution pour ne pas toucher le cigare.
– Absolument aucun doute, Moriarty. Ledoux est le fast man des environs, lança une voix fluette – bien qu’assurée – qui venait de la porte d’entrée.
C’était celle de Carl Medina, l’escroc aux cartes, qui avait ce matin-là soulagé les citoyens de Canyon City de presque trois cents dollars d’argent durement gagné. Mince et soigné, il se tenait fièrement à la porte de la boutique. Il tira du gousset de son gilet à fleurs jaunes une montre en or.
– Encore cinquante minutes, messieurs, dit-il, rempochant la montre et s’asseyant sur le troisième fauteuil, le plus proche de la fenêtre. Cinquante minutes avant que j’encaisse cinq cents dollars grâce à ce bon M. Ledoux.
Il sortit une feuille de papier d’une poche intérieure et l’étudia.
– Regardez ça, dit-il. Le chronomètre parle de lui-même. Ledoux, treize secondes cinq, en chantant La Marseillaise. McCluskey et Withers treize six, les yeux exorbités. Ce cow-boy…
– Buck Miller, compléta Moriarty.
– Voilà, Miller, c’est ça, reprit Medina, s’enfonçant dans le fauteuil pendant que le Chinois enduisait son visage de savon blanc et épais. Je ne l’avais jamais vu avant aujourd’hui, mais il a couru en treize sept, à bout de souffle. Autant dire que je ne crois pas du tout en lui.
Moriarty se leva et ôta la serviette de son visage, en prenant soin d’essuyer les traces de savon. Il se regarda un moment dans le miroir puis esquissa un sourire. La peau bronzée de son visage avait l’aspect du papyrus le plus fin. Avec son nez presque aussi pointu que le bec d’un faucon, c’était à lui-même qu’il souriait, en hommage à sa propre vanité. Il passa ses mains dans sa tignasse noire, tira sur le revers de sa veste et ajusta son nœud papillon.
– Mon argent est sur le jeune Miller, dit-il. Cent dollars à quatre contre un.
– Jeté par les fenêtres, grogna Boone, retenant encore par miracle son mégot de cigare.
Le Chinois attaquait le côté gauche du visage de Medina. Le regard de l’escroc s’endurcit.
– Quel est votre raisonnement, professeur ?
Moriarty s’avança vers l’étagère en face du miroir et y saisit une bouteille de lotion verte de forme carrée. Il en versa un peu sur ses mains et se tapota les joues, grimaçant au contact de l’astringent sur sa peau.
– Messieurs, disons que c’est une intuition, répondit-il, contractant et relâchant les muscles de son visage. L’instinct né de vingt ans de course à pied.
Boone se leva et se débarrassa de ses serviettes, qu’il tendit à Lung Chow.
– Pour ça, le cow-boy devrait regagner quatre yards, peut-être même cinq, dit-il, se regardant dans le miroir, les mains appuyées sur l’étagère.
Il prit dans sa main le bout de cigare, en chassa un flocon de mousse à raser, replaça le mégot dans sa bouche et se tint droit debout, inspectant son visage.
– Personne n’a jamais couru aussi vite dans le coin, pas même l’Indien…, reprit-il.
– Il va devoir courir plus vite que le vent, enchaîna Medina, pendant que le Chinois se tenait posément au-dessus de lui, le couteau ouvert dans la main. Cent dollars… Ça fait une sacrée somme pour une simple intuition…
Moriarty lança un dollar vers Lung Chow – qui l’attrapa au vol en souriant de toutes ses dents – et posa une main sur la poignée de la porte, le regard tourné vers l’intérieur de la boutique. Il pointa son index sur sa narine gauche et leur fit un clin d’œil.
– Rendez-vous à cinq heures, messieurs.
Dès l’instant où le maire Halsey tira le coup de feu du départ, la victoire sembla pencher clairement vers Ledoux. Le beau Français, à qui l’on avait promis une visite gratuite chez Dolly Brown s’il gagnait, s’élança immédiatement en tête dès les trente premiers yards, menant Sam Withers d’un demi-yard, les deux autres coureurs relégués à un demi-yard de plus.
Les quatre hommes déferlèrent dans l’étroit canyon créé par la foule, sous les encouragements des spectateurs émerveillés du rythme imposé par Ledoux. Le Français, en effet, dévorait littéralement le terrain de ses longues foulées et, après cinquante yards de course, il disposait d’une avance de plus d’un yard. Medina, accoudé au balcon de la Dernière Chance avec Boone et Moriarty, regretta de ne pas avoir plutôt parié mille dollars sur le Français. Ce n’était pas une course, c’était une démonstration.
Après soixante-dix yards, Sam Withers sembla regagner quelques pouces de terrain, dépassant progressivement Buck Miller et McCluskey, sans pour autant menacer Ledoux. Mais aux quatre-vingt-dix yards il avait déjà repris un pied6, et aux cent yards il n’était plus qu’à quelques centimètres du Français, qui commençait à se crisper. Il ne restait plus que trente yards à parcourir et la foule était déchaînée : le jeune Withers était au coude à coude avec Ledoux. C’est alors que, sorti de nulle part tel un ange rédempteur, déboucha Buck Miller, fauchant tout ce qui lui faisait obstacle dans les vingt derniers yards. À quinze yards de l’arrivée, il donna le baiser de la mort à un Ledoux lessivé ; dix yards plus loin, il acheva Withers – qui souriait déjà – et franchit l’arrivée avec un bon yard d’avance.
L’orchestre attaqua Hail the Conquering Hero7 et l’agitation fut totale. Buck fut avalé par la foule et porté en triomphe ; il tenait contre sa poitrine ses superbes chaussures en cuir neuves de chez Sears Roebuck, et son visage était illuminé d’un sourire radieux. Au-dessus de lui, au balcon de la Dernière Chance, Medina fronçait les sourcils et Boone écrasait nerveusement son cigare sur le sol. À côté d’eux, Moriarty jubilait.
– C’est ma tournée, mes amis, dit-il. On dirait bien que Canyon City s’est trouvé un nouveau fast man.
1. Boisson traditionnelle apache, distribuée lors des cérémonies célébrant la fin de la puberté des jeunes femmes, et dont les effets s’apparentent à ceux de l’alcool (NdT).
2. Sorte de pâté ou de pain constitué de graisse et de viande animale et de fruits (NdT).
3. Le « Founder’s Day » célèbre la proclamation du Congrès américain du 11 octobre 1782 annonçant la victoire de la révolution américaine (NdT).
4. En anglais, club signifie également « massue », « gourdin » (NdT).
5. Le temps de référence (even time) correspond à 10 secondes pour courir 100 yards (91,44 mètres) et, en l’occurrence, à 13 secondes pour 130 yards (NdT).
6. 1 pied = 30,48 centimètres, soit le tiers d’un yard (NdT).
7. See, the Conqu’ring Hero Comes est un chœur de l’oratorio HWV 63 de Haendel, Judas Macchabée. Le morceau était joué au XIXe siècle par les fanfares à l’ouverture des nouvelles gares ou lignes ferroviaires de Grande-Bretagne (NdT).