Le chat avait bien mangé et s’était étendu sur le sofa, où il se lavait avec soin. Il en avait grand besoin, le pauvre. Son poil était couvert de goudron et d’huile à moteur, et si inextricablement emmêlé qu’il devait utiliser ses dents comme un peigne. Il s’arrachait de grosses touffes de poils qu’il avait ensuite bien du mal à recracher. J’ai pensé lui donner un bain, mais le chat n’aurait sans doute pas apprécié. Et Klonk encore moins.
Il était si sale que je n’osais pas le flatter. Aurait-il été propre que je n’aurais peut-être pas osé non plus, à bien y réfléchir.
Le chat s’est ainsi lavé pendant près d’une heure, et il avait maintenant une allure à peu près convenable. Il est allé boire un peu d’eau à la cuisine, puis a décidé, semble-t-il, d’explorer la maison. Je le suivais pas à pas dans chacune des pièces, au cas où il voudrait ainsi m’indiquer quelque chose ou me livrer un message. Après avoir flairé les pattes des chaises de la cuisine, il a fait le tour du salon, s’attardant quelques instants à la bibliothèque.
Un des livres, semblait-il, attirait son attention. Était-ce à cause de l’odeur qui se dégageait de la couverture de cuir ou à cause du titre, L’hypnose à la portée de tous ?
Un traité d’hypnose ? Une idée folle a alors jailli de mon esprit : si Klonk avait vraiment été réincarné en chat et s’il avait perdu tout souvenir de ses vies antérieures, peut-être pourrait-il s’en rappeler si je réussissais à l’hypnotiser ? Si les serpents arrivent à hypnotiser leur proie, pourquoi un être humain n’arriverait-il pas à hypnotiser un chat ?
Les débutants, disait le livre, arriveront rapidement à des résultats spectaculaires en utilisant un pendule. À défaut d’un véritable pendule d’hypnotiseur, n’importe quel objet brillant, suspendu à un fil, fera l’affaire… Ce n’était pas une bonne idée, à mon avis. Quand on fait osciller quelque chose devant les yeux d’un chat, il pense à jouer bien plus qu’à s’endormir. On peut aussi utiliser la flamme d’une bougie… Oui, cela me semblait plus prometteur.
Ayant déniché une bougie et des allumettes dans une armoire de la cuisine, je suis retourné au salon, persuadé de retrouver le chat sur le sofa, qui semblait être son endroit de prédilection. Il n’était pas non plus dans le fauteuil, ni dans la salle à manger… Où avait-il pu se cacher ? J’avais beau l’appeler, il faisait la sourde oreille.
J’ai fouillé dans toutes les pièces de la maison, en pure perte, pour le retrouver finalement dans un endroit qui lui avait sans doute paru très confortable : le cercueil !
— Regarde, mon chat, regarde cette flamme, et détends-toi…
Cela peut sembler ridicule, mais le chat fixait attentivement la flamme de ses yeux bien ronds, comme s’il consentait à se faire hypnotiser.
— Détends-toi, mon chat, détends-toi… Je vais bientôt te poser quelques questions, auxquelles tu répondras par un miaulement, si tu veux dire oui, et par deux miaulements si tu veux dire non… Concentre-toi sur cette flamme, mon chat, concentre-toi bien et réponds à ma question : te souviens-tu d’avoir vécu d’autres vies ?
Au lieu d’un miaulement de chat, j’ai entendu une sonnerie si stridente que j’ai sursauté. Mon cœur battait à tout rompre, comme si la sonnerie m’avait réveillé d’un étrange sommeil. À défaut d’avoir hypnotisé le chat, j’avais peut-être réussi à m’hypnotiser moi-même !
On a sonné une deuxième fois avant que je me décide à aller ouvrir la porte. Par la fenêtre, je voyais deux hommes assez costauds.
Un peu plus loin, dans la rue, je pouvais apercevoir un immense camion de déménagement, immobilisé en face de la maison. Deux autres hommes, tout aussi costauds, semblaient attendre des instructions.
— Vous êtes le propriétaire ? m’a demandé le plus costaud des deux, aussitôt après que j’eus ouvert la porte.
— Non, je suis désolé, mon ami est absent pour le moment.
— Ça ne fait rien. Signez ici, s’il vous plaît.
J’ai signé son formulaire, encore éberlué par tous ces événements.
— Bon, m’a-t-il dit ensuite, je ne suis pas fâché que ce travail soit terminé. Si on m’avait dit ce que je devais transporter, j’aurais sûrement refusé. Votre ami est-il un croque-mort ou quelque chose dans ce genre-là ?
— Un croque-mort ? Pas du tout, non…
— Peu importe, ça ne me regarde pas. On les met où ?
— Quoi donc ?
— Les douze cercueils que nous sommes allés chercher à l’aéroport. On les met où ?