CHAPITRE SIX

Je roulais à toute vitesse sur l’autoroute déserte, en pensant aux moyens qu’avait pu prendre Klonk pour mener son expérience. Comment peut-on arriver à mourir un peu ? Peut-être avait-il consommé une espèce de poison qui l’avait plongé dans un coma profond ? Peut-être était-ce pour se procurer ce poison qu’il avait voyagé si longtemps en Amérique du Sud ? Et ne m’avait-il pas écrit, sur une de ses cartes postales, qu’il avait enfin trouvé ce qu’il cherchait ?

Mais à quoi pouvait servir une telle expérience ? S’il arrivait vraiment à mourir un peu et à entrevoir ce qui se passait de l’autre côté, tout le monde dirait qu’il était sous l’effet d’une drogue, tout simplement, et qu’il avait été victime d’hallucinations.

Je préférais pencher pour une seconde hypothèse, plus proche de ce que je savais de Klonk. S’il réussissait à contrôler les ondes de son cerveau au point de disparaître et de déplacer des objets à distance, ne pouvait-on pas l’imaginer, étendu sur son lit et ordonnant aux ondes de son cerveau de s’éteindre, une à une, n’en gardant allumée qu’une seule, comme une veilleuse ?

Peut-être est-il possible d’ordonner de telles choses à son cerveau, je n’en sais rien. Mais il faut aussi pouvoir se réveiller. Et si la petite veilleuse ne fonctionnait pas ?

Il était deux heures du matin quand je suis enfin arrivé devant la maison de Klonk. La nuit était fraîche, mais aucun vent n’agitait les arbres qui poussaient en broussaille sur son terrain. Tout était étrangement immobile, comme figé sous l’éclairage de la lune qui projetait sa lumière couleur crème sur les tourelles et les lucarnes. La maison de Klonk m’avait toujours paru étrange. Mais là, au milieu de la nuit, sous cette lumière presque surnaturelle et dans le silence total qui enveloppait tout le quartier, elle me semblait carrément lugubre.

Aucune des maisons du voisinage n’était éclairée par la moindre lumière. Tout le monde dormait. Les fenêtres de la maison de Klonk n’étaient pas éclairées, elles non plus. Klonk dormait peut-être, lui aussi. Il était même possible qu’il dorme un peu trop dur

J’ai refermé délicatement la portière de mon automobile, pour ne pas alerter les voisins, puis je me suis engagé dans l’entrée. La porte était verrouillée et je n’avais pas la clé. Comment faire pour entrer sans attirer l’attention des voisins ? Forcer la porte ? Impossible, à moins d’être un cambrioleur professionnel.

Il y avait tellement de fenêtres dans la maison de Klonk, qui était par ailleurs un propriétaire négligent, que j’étais certain d’en trouver une que je réussirais à ouvrir sans trop de peine.

J’ai donc contourné la maison, essayant d’ouvrir chaque fenêtre et tentant de faire le moins de bruit possible. La nuit était tellement silencieuse que le moindre craquement de branche morte, le moindre crissement du sable sous mes pas me semblaient produire des dizaines de décibels. Les voisins, heureusement, paraissaient dormir comme des bûches.

004.tif

Les fenêtres étaient toutes hermétiquement fermées, sauf une, qui était entrouverte et qui donnait sur la partie la plus sombre de la cour. Je l’ai donc ouverte un peu plus, puis je me suis glissé à l’intérieur. Je venais à peine de me redresser que je me suis retrouvé au cœur d’un horrible vacarme où se mêlaient des hurlements sinistres, des bruits de chaînes et de grands rires sadiques à vous glacer le sang. Figé par la terreur, j’ai alors vu apparaître, au fond de la salle, une espèce de masse informe et blanchâtre qui ressemblait vaguement à un être humain, un être humain qui aurait mesuré plus de deux mètres et qui aurait eu les yeux rouges et lumineux.

J’étais tellement terrorisé par cette apparition que je n’ai pas trouvé la force de déguerpir. Je restais là, immobile, regardant dans les yeux ce monstre, ou ce fantôme… Ce fantôme ? Et si c’était Klonk ?

— Klonk ?

Ma bouche s’était ouverte, mais aucun son n’en était sorti.

J’ai essayé une deuxième fois :

— Klonk ? C’est toi, Klonk ?

Le fantôme ne bronchait pas. J’aurais voulu prendre mon courage à deux mains, mais j’en avais tellement peu qu’une seule a suffi.

Reprenant mes esprits, je me suis approché du fantôme qui n’était, en réalité, qu’un drap posé sur un portemanteau. J’ai enlevé le drap d’un coup sec pour découvrir un magma de fils reliés à un magnétophone et à des lumières d’arbre de Noël.

Si Klonk ne m’avait jamais parlé de son système antivol, je pense que je serais mort de peur.