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La situation n’aurait pas pu être pire ! C’était le constat d’Isabelle alors qu’elle regardait l’homme en face d’elle.

* * *

Tout avait pourtant commencé avec les meilleures intentions, enfin, selon son point de vue. Isabelle avait retrouvé son amie Julia dans l’appartement qu’elles partageaient dans Manhattan. 

— C’est arrivé ce matin, expliqua Julia, une lettre à la main, depuis, je suis dévorée de curiosité pour savoir ce que c’est.

Isabelle jeta un œil surpris vers la large enveloppe puis fronça les sourcils devant le logo, dans le coin. Elle retourna l’enveloppe alors que Julia la pressait d’ouvrir sans plus attendre. Curieusement, Isabelle était moins encline à s’exécuter. 

Une sourde angoisse montait sans qu’elle ne puisse la contrôler. Ses parents lui avaient écrit récemment. Leur cadeau de noces arriverait sous peu. C’est tout ce qu’ils lui avaient dit suite à l’annonce surprise de son mariage. 

— Mais qu’est-ce que tu attends, bon sang ! Ouvre, sinon, je le fais.
— Tout ceci est ridicule, pesta Isabelle, encore plus mal à l’aise par cette supercherie qu’elle avait pourtant échafaudé elle-même.

Dans l’enveloppe, elle trouva une carte bristol de couleur crème. Son nom y figurait en toutes lettres. Deux billets accompagnaient l’envoi. 

— Ils m’offrent une croisière dans les Antilles avec mon nouvel époux ! s’exclama Isabelle, interloquée.
— Je le savais ! Je le savais ! s’enflamma Julia. Avec le logo de la compagnie, ça ne pouvait être que ça ! C’est merveilleux…

Isabelle soupira puis observa Julia qui semblait aux anges. La colère fit place à l’agacement.

— Mais tu ne comprends pas ce que ça signifie ou quoi ?

La phrase agit comme une douche froide sur Julia qui se rebella :

— Comment ça ?
— Je ne peux pas accepter ! C’est trop. C’est allé trop loin.
— Je ne te suis pas, Isabelle. Ce n’est pas ce que tu voulais ?

Isabelle s’assit sur le sofa vert et observa la cheminée électrique. Ce feu était magnifique, mais faux, comme son mariage ! Elle ferma les yeux quelques secondes avant de les rouvrir.

— Je suis comme ce feu de cheminée, artificiel. Tout est faux, Julia. Je ne peux pas agir ainsi et partir en croisière comme si de rien n’était.
— Tu oublies bien vite le calvaire que tu as connu, ma chère ! Toutes ces rencontres que ta mère t’a infligées pour te faire rencontrer un homme. 

Isabelle fit la moue. Julia n’avait pas tort, elle s’était sentie blessée si souvent par les manigances de sa mère. Sa mère était adorable sauf quand elle avait en tête de marier sa fille unique ! Là, elle atteignait des sommets de duperies. Isabelle se rappela brusquement une de ces fameuses rencontres. Elle était venue en visite chez sa mère, pour prendre un café. Elle voulait lui dire une fois pour toutes qu’elle ne voulait pas se marier et qu’elle ne voulait plus que sa mère passe ses journées à planifier sa vie. Au lieu de ça, Isabelle s’était retrouvée seule face à 5 beaux inconnus !

— Je me serais cru à faire les boutiques, annonça Isabelle à ce souvenir cuisant.
— Tu vois ! jubila Julia. Et c’est suite à cette nouvelle tentative de ta mère que tu as décidé de faire croire à ton mariage.
— Et j’ai si bien réussi qu’ils m’offrent maintenant une croisière, répliqua Isabelle, amère, ça a dû leur coûter une petite fortune.
— Au moins, tu auras la paix. Ils ne chercheront plus à te caser avec le premier venu.

Isabelle savait que le prix de la croisière n’était pas un réel problème. Ses parents étaient plus que confortables. Mais le mensonge dont elle avait usé la mettait mal à l’aise. 

Elle devait le reconnaître, elle avait préféré ne pas penser aux conséquences de ce mensonge. Pour elle, cela mettrait avant tout un terme à des rendez-vous galants qu’elle ne souhaitait pas. Sa mère pourrait occuper son temps à autre chose. 

Indécise, Isabelle observait Julia. 

Elle appréciait son amie. Elles s’étaient connues à l’université quelques années plus tôt. Julia travaillait au secrétariat pour payer ses études de droit. Maintenant, elle gagnait sa vie et continuait de rembourser l‘emprunt qu’elle avait dû contracter pour boucler ses études. Julia s’était accrochée et Isabelle avait toujours admiré son caractère entier et fort. Sa colocataire envoyait aussi de l’argent à ses parents, qui habitaient en Europe et qui vivaient d’une petite retraite.
Toujours muette, Isabelle reporta son attention sur l’enveloppe et les billets de croisière.

— Est-ce si terrible que tu profites de cette croisière ? tenta Julia doucement.
— Je déteste mentir, avoua Isabelle en grimaçant.
— Qu’est-ce que tu pouvais faire d’autres, franchement ? Ta mère devenait hystérique avec son idée fixe de te marier.
— Je sais… prise d’une inspiration, Isabelle questionna, ça te dirait de m’accompagner ?
— Pour une croisière aux Antilles ? Je… je ne sais pas !

Les deux amies partirent à rire devant l’air espiègle de Julia.