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Le bateau était immense et magnifique. Julia ne cessait de tourner sur elle-même dans le hall tandis qu’elles faisaient la file pour présenter leurs cartes d’embarquement. Des flashs crépitaient de partout. Julia prenait elle aussi des photos, le cœur palpitant de bonheur. Elle s’était éloignée un peu pour prendre un plan large.
Au même moment, un homme interpella Isabelle.
— Je suis le photographe engagé par vos parents pour rendre votre voyage de noces inoubliable. Appelez-moi Jackson! annonça-t-il, tout sourire.
Isabelle ouvrit la bouche, incapable de proférer un son. La situation n’aurait pas pu être pire ! C’était le constat d’Isabelle alors qu’elle regardait l’inconnu en face d’elle.
— De toute évidence, vous n’étiez pas au courant, comprit le photographe.
Isabelle se ressaisit et hocha de la tête négativement.
— ça ne fait rien, affirma-t-elle en plaquant un sourire artificiel sur ses lèvres.
— Je suis désolé, se borna Jackson, et votre époux, où est-il ? Je pourrais commencer par un ensemble de photos avec vos cartes d’embarquement ?
Isabelle blêmit d’un coup. Son mensonge se refermait sur elle. De nouveau, elle s’en voulut de s’être embarquée dans une telle galère. Le parallèle entre une galère et une croisière était sans doute inapproprié.
Comme pour arranger les choses, son amie Julia arriva non sans lorgner sur Jackson.
— Qu’est-ce qui se passe? Tu me présentes à ton charmant compagnon?
Isabelle reprit son sang-froid en un éclair avant qu’une catastrophe ne soit dite ou faite. Vivement, elle présenta le photographe.
— Julia est une amie de longue date… Nous nous sommes retrouvées, tout à fait par hasard sur cette croisière.
— Oui, par hasard, répéta Julia, essayant d’être le plus crédible possible. C’est fantastique, n’est-ce pas ?
— Enchanté de faire votre connaissance, Julia, nous aurons l’occasion de nous croiser. De mon côté, je ne quitterais pas mes objectifs des yeux, Isabelle et son nouvel époux.
— Un homme charmant, glissa Julia, mal à l’aise à son tour et peu désireuse de s’aventurer sur ce terrain.
Néanmoins, elle se retrouva en tête à tête avec le photographe quand Isabelle jeta, un sourire grimaçant au visage :
— Julia, je vais voir ce qui retient mon mari ainsi, vous m’attendez ici tous les deux…
Isabelle s’enfuit presque en se dirigeant vers les toilettes. L’esprit en ébullition, elle cherchait un moyen de se sortir de ce guêpier quand un homme étrange sortit en catimini d’un placard. Ils échangèrent un regard et Isabelle le rattrapa avant qu’il ne parte en sens inverse.
— Vous vous cachez ! l’accusa-t-elle sans ambages.
— ça ne vous regarde pas, répliqua-t-il, féroce.
— Sauf si je vous signale à la direction, triompha Isabelle.
— Personne ne vous croira.
L’homme avait une telle assurance qu’Isabelle douta. Faisait-elle fausse route ? L’homme se dégagea avec une certaine rage.
— Attendez ! tenta Isabelle. Je vous offre 500 dollars pour jouer le rôle de mon mari pendant la durée de la croisière.
— Quoi ?!
L’homme partit soudain à rire devant l’absurdité de la proposition.
— Je suis très sérieuse, continua Isabelle, la gorge sèche par son audace ou son inconscience.
L’homme l’observa plus longuement, appréciant les courbes d’Isabelle, s’attardant même un peu trop sur sa poitrine généreuse.
— 1 000 dollars !
— 700 dollars, articula Isabelle, consciente que son temps était compté.
Elle n’y croyait pas elle-même, elle était en train de marchander… un mari !
— Affaire conclue, s’enhardit l’inconnu, et je dors dans votre cabine.
Isabelle tiqua.
— Je suis votre mari, rétorqua l’homme, c’est normal.
— Bien. Et vous êtes… ?
— Dylan Dexter. Ou Dédé !
— Dylan, ce sera très bien. Arrangez-vous un peu, que vous soyez au moins présentable.
Tandis qu’elle le recoiffait du bout des doigts puis redressait sa cravate, elle lui donnait quelques informations utiles. Avant qu’ils n’atteignent l’accueil, elle lui parla de la présence du photographe. Un sourire carnassier égaya le visage de Dylan.
— Voilà une croisière qui se présente sous d’excellents hospices.
— Si vous le dites !
Isabelle regrettait déjà sa proposition tandis que Dylan lui broyait les côtes en une étreinte soi-disant langoureuse.
— Ah, voilà nos tourtereaux, minauda Julia, les yeux écarquillés de surprise.
— Vous êtes Jackson, je suppose, salua Dylan. Alors, vous avez fait la connaissance de ma princesse ? Un joli petit lot, n’est-ce pas ?
Le photographe approuva, visiblement déstabilisé. Il décida finalement que cela ne le regardait pas et débuta ses clichés avant de s’éloigner.
— Ouf ! le voilà parti, soupira enfin Isabelle. Vous pouvez vous décoller maintenant, assura-t-elle en repoussant Dylan sans ménagement.
Au comptoir, elle régla le supplément pour le billet de Dylan dans sa cabine et demanda à ce que cette histoire ne s’ébruite pas. Elle joua la carte de la jeune mariée à fond et partit avec Julia et Dylan vers leur cabine.
— Où l’as-tu dégoté celui-là ? murmura Julia.
— Je crois qu’il a tenté d’embarquer clandestinement, marmonna Isabelle.
— Tu aurais pu tomber plus mal, gloussa Julia, il est plutôt pas mal dans son genre, malgré son côté mal dégrossi.
— Disons qu’il fera l’affaire, se borna Isabelle.
En fait, elle ne cessait de songer que tout allait trop loin et surtout trop vite. Quelle serait la prochaine étape ? se questionnait-elle, le cœur à l’envers, se louer des enfants ?
Son désespoir s’accentua quand elle sortit de l’ascenseur et tomba nez à nez avec Jackson, tout sourire.
— Ah non ! pas encore vous, protesta-t-elle.
— Je ne fais que mon travail, renchérit Jackson.
— Et l’intimité, vous connaissez ? Un couple a besoin d’intimité, surtout pour un voyage de noces !
Isabelle avait le rouge aux joues maintenant. La colère montait en elle, mais elle avait conscience qu’elle n’était pas dirigée vers le photographe, ni même vers ses parents qui l’avaient engagé.
Elle était en colère contre elle-même.
Dylan repoussa doucement Julia, toujours à coté d’Isabelle et prit la main de sa jeune mariée.
— C’est le voyage, Jackson, ne prenez pas ombrage des sautes d’humeurs de Zaza. Vous pourrez prendre quelques photos de la cabine. On pourra vous faire quelques actes tendres puis vous nous laisserez tranquilles.
— Il n’en est pas question, Dédé ! s’énerva Isabelle, je ne suis pas un singe qu’on vient visiter au zoo !
La jeune femme grimaça en imaginant les mains de Dylan se poser un peu trop longuement sur elle sous prétexte de faire comme si !
— Je ne fais que ce pour quoi on me paye, se mépris Jackson, je ne veux pas vous gâcher votre voyage de noces… mais je…
La colère d’Isabelle fondit d’un coup devant l’air quasi paniqué de Jackson. Il semblait vraiment tenir à son travail. Elle supposa qu’il avait dû recevoir une jolie avance de la part de ses parents. Isabelle ne pouvait se permettre de le faire renvoyer. Ce Jackson n’était en rien responsable de son pitoyable mensonge. Elle se mordit la lèvre inférieure et plongea dans le regard brun du photographe.
— Je vous prie de m’excuser, Jackson. Mon mari a raison, le voyage a été long et je n’aspire qu’à une chose, me détendre au bord de la piscine.
— J’ai une idée, proposa Dylan. Je crois que cela pourrait convenir à tout le monde.
Isabelle fronça des sourcils. Elle ignorait à quoi s’attendre et son cœur s’affolait à l’avance. Loin de ses tourments, Jackson écouta Dylan.
— Vous nous laissez tranquilles pendant notre voyage de noces et vous prenez vos photos discrètement, sans qu’on vous remarque. Comme ça, tout le monde est gagnant. Et dans certains cas, vous pourrez prendre des clichés en gros plan. Alors, qu’en dites-vous ?
— Il est vrai que la photo est avant tout un art, observa Jackson. Qui plus est, photographier des sujets sur le vif est plus saisissant de réalisme.
— Bien, nous sommes d’accord, s’enthousiasma Dylan en gratifiant Jackson d’une poignée de main ferme.
Isabelle avait envie de protester, mais comment refuser cette offre qui ne lui convenait pas du tout sans éveiller les soupçons de Jackson ? Comment aurait réagi Jackson devant son entêtement inexpliqué?
Elle baissa la tête et fut heureuse d’avoir laissé ses cheveux bouclés libres, il lui cachait le visage ainsi que ses pensées les plus intimes. Elle s’engouffra dans la salle de bain sitôt entrée dans sa cabine et s’observa dans le large miroir.
— Dans quoi t’es-tu embarquée ? se questionna-t-elle durement.
Ses yeux bruns étaient furieux. Ses lèvres bien dessinées semblaient désapprouver toute cette histoire.