5
Jackson proposa de raccompagner Isabelle jusqu’à sa cabine, mais se souvint soudain qu’elle n’avait toujours pas les clés. Ils s’installèrent sur des chaises longues. Il se mit à parler de son travail de photographe, des rêves qu’il caressait. Isabelle demeurait silencieuse. Jackson se rendit compte qu’elle ne l’écoutait plus, pire, elle s’était endormie.
— Voilà l’effet que je fais aux femmes !
Il hésitait à présent entre la réveiller ou la laisser dormir. Elle semblait paisible. Il se surprit à l’observer sous le clair de lune. Son œil de photographe remarquait chaque détail, chaque frémissement, comme à cet instant où une brise caressa ses cheveux et lui fit froncer des sourcils. Isabelle était magnifique. Le cœur de Jackson se troubla sous ce constat. Il appréciait chaque instant passé en sa compagnie. Gêné par ses émotions inattendues, il se leva, comme s’il souhaitait s’éloigner au plus vite sous un danger imminent.
Il allait quitter le pont quand il se retourna. Elle n’avait pas bougé, le sommeil soulevait sa poitrine avec régularité. Pris de remords, il ne l’imaginait pas dormir toute la nuit ici. Il décida à retourner dans la boîte de nuit, à la recherche de Dylan ou Julia. Il trouva Dylan qui l’invita pour un verre. Jackson refusa et dit qu’il était envoyé par Isabelle pour récupérer la clé de sa cabine.
— Je vous la donne à condition de partager un verre, mon pote !
Jackson estimait que Dylan avait déjà trop bu et lui aussi, d’ailleurs. Une fille au corps de rêve enlaça Dylan et celui-ci plongea ses yeux dans la poitrine offerte.
— J’adore les croisières, pas vous ? gloussa la fille en se tourna vers Jackson.
— Je vais plutôt trouver Julia pour la clé, décida Jackson en se levant.
Mais Dylan tendit une main pour le retenir. Les yeux vitreux, il bégaya :
— Reste mon vieux, la soirée ne fait que commencer. Un verre, que je te dis ! Tu ne peux pas me refuser ça, hein ? Tu espionnes tout de ma vie sur ce rafiot !
Jackson se rassit, las de batailler. La fille applaudit en riant bêtement.
— Vous êtes trop choux, tous les deux.
— Elle s’appelle Mina, précisa Dylan en tapotant sa croupe moulée dans une robe courte.
Partager ce verre parut durer une éternité à Jackson. Le scotch commandé était de trop sur son estomac. Ses réflexes se faisaient plus lents. Il avait une envie de dormir là, sur la banquette. La voix de Mina lui vrillait les tympans à chaque mot qu’elle prononçait. Elle lui passait la main dans les cheveux avant de retourner vers Dylan. Dans un sursaut, Jackson renversa son verre qui se brisa sur le sol. Il se leva en cherchant son équilibre, observa Dylan.
Il ne savait plus pourquoi il était venu quand l’image d’Isabelle endormie sur le pont flotta dans son esprit.
— La clé de la cabine ? marmonna-t-il en se penchant vers Dylan.
Ils rirent tous les deux sous l’ivresse puis Dylan trouva la clé dans une de ses poches.
— Amuse-toi bien avec elle ! rit-il encore en se tournant vers Mina.
Jackson enfonça la clé dans sa poche et tituba jusqu’à la sortie. Par trois fois, il se trompa de chemin pour se rendre à la piscine. Presque à sa hauteur, il allait la réveiller quand une terrible envie de vomir l’assaillit. Il n’eut pas le temps de se rendre à la rambarde qu’il renvoya tout l’alcool ingurgité dans les dernières heures à une dizaine de centimètres du transat d’Isabelle. Il se releva, chercha son équilibre autour de lui avant de plonger dans la piscine tête la première, tout habillé.
C’est le bruit et peut-être aussi l’odeur âcre du vomi qui réveilla Isabelle. Elle prit quelques instants avant de réaliser qu’un homme venait de tomber dans l’eau. Elle observa le nageur nocturne, mais il ne remontait pas. Le temps passait et son inquiétude grandissait. Elle se leva, fronça des sourcils pour tenter de distinguer quelque chose dans la nuit environnante. Il y avait une forme immobile. Isabelle plongea sans plus attendre et remonta l’homme à la surface. La tête hors de l’eau, elle demeura pantoise en reconnaissant le photographe. Jackson s’agita enfin, recracha de l’eau avant de les entraîner tous les deux sous l’eau par réflexe. Isabelle avala la tasse et se dégagea pour remonter, prise de peur par la tournure des événements. À une courte distance, Jackson émergea lui aussi en nageant maladroitement jusqu’au bord. Il retrouva l’échelle et remonta sur le pont avant de s’écrouler sur une chaise longue.
Isabelle attendit un peu avant de sortir de la piscine à son tour. Devait-elle rejoindre Jackson et lui demandait pourquoi il avait tenté de se tuer ? Allait-il recommencer si elle partait maintenant ? Elle s’approcha avec prudence et découvrit qu’il ronflait bruyamment. Elle n’en revenait pas.
Encore toute mouillée par ce bain tout habillée, elle décida de partir en quête de Dylan ou Julia pour récupérer sa clé de cabine. Sa robe mouillée suscitait les convoitises d’hommes qu’elle croisait. Elle ne s’en préoccupait même pas et fut heureuse de débusquer Dylan. Elle grimaça pourtant quand elle le découvrit collé à une femme sur la piste de danse. Les gestes étaient équivoques et elle fut soudain heureuse de savoir Jackson endormi sur le pont. Une photo ici aurait été désastreuse dans son album de mariage !
— J’ai besoin des clés, cria-t-elle sans même jeter un regard vers Mina.
— C’est qui, elle ? questionna la jeune femme.
Dylan se pencha vers son oreille et se mit à glousser :
— Ma femme !
Ils se mirent à rire tous les deux, comme si Dylan venait de faire la blague du siècle.
— Elle a pas l’air commode, renchérit Mina.
— Les clés, Dylan, pesta Isabelle, en l’écartant brutalement de la jeune femme.
— Oh là, doucement… J’ai pas signé pour ça, hein, s’énerva Dylan. Un peu de tendresse ma tigresse.
Dylan posa ses mains avec autorité sur les hanches d’Isabelle et lui remontait sa robe, l’œil goguenard.
— Arrête, tu es saoul ! protesta celle-ci en tentant de s’écarter.
— Et toi, magnifique. Hein, Mina ?
La jeune femme approuva, en étirant son cou. Dylan sentit la culotte d’Isabelle sous ses doigts et son sexe se durcit. Il se frotta davantage à elle pris d’un désir fou.
— Lache-moi tout de suite ou je crie, fulmina Isabelle.
Elle venait de libérer une de ses mains et chercha la poche de Dylan. Se méprenant sur son geste, Dylan crut en une caresse et plongea dans le soutien-gorge d’Isabelle qui émit un hoquet de surprise avant de reculer. Son geste trop brutal la fit tomber sur le sol et elle entendit le rire de Mina qui se jetait de nouveau sur Dylan. Mais il la repoussa et retournait vers Isabelle.
Incapable d’en supporter davantage, Isabelle quitta la boîte de nuit et se retrouva sur le pont, toute tremblante. Les larmes jaillirent et glissèrent sur ses joues sans qu’elle ne s’en préoccupe. Elle s’écrasa sur un transat juste à côté de Jackson qui se réveilla.
— Qu’est-ce qui vous arrive ? bredouilla-t-il.
— Oh ! vous, laissez-moi tranquille, je ne suis pas d’humeur !
Surpris par le ton sans réplique, Jackson ne put s’empêcher de remarquer la robe remontée sur les hanches d’Isabelle et le haut largement déboutonné.
— Vous avez fait une mauvaise rencontre ? persista Jackson, inquiet.
— Oui, mon mari !
— Oh ! Querelle d’amoureux. Je vois.
— Non, vous ne voyez rien du tout ! Vous ne savez que prendre de stupides photos pour un album souvenir qui finira au fond d’un placard.
— Vous êtes sévère ! Je crois avoir un certain talent !
Jackson riait de lui maintenant et l’autodérision fit craquer Isabelle qui sanglota de plus belle. Elle marmonna entre ses larmes un :
— Il faut en finir. Tout ça est ridicule.