L’Œil, dessin pour La Maison du docteur Edwardes, 1945.

Huile sur panneau.

Collection privée.

 

 

À cette date, le collectionneur possédait plus de quarante tableaux de Dalí, parmi les meilleurs. En 1935, James demanda à Dalí de redessiner dans le style surréaliste sa maison du Sussex. L’artiste proposa que le salon ait l’aspect et donne l’impression de l’intérieur de l’estomac d’un chien. L’architecte chargé de la réalisation du projet, Hugh Casson, s’efforça de réaliser cette demande, mais la déclaration de la Deuxième Guerre mondiale, obligea d’abandonner les travaux bien qu’à l’époque d’autres idées de Dalí, moins ambitieuses il est vrai, aient déjà été réalisées dans la maison.

Pendant l’été de 1936, Dalí se rendit à Londres pour l’Exposition surréaliste internationale aux New Burlington Galleries, où il accepta de dispenser une conférence. Il demanda à son ami Lord Berners, de louer pour lui un scaphandre de plongée qu’il revêtira pour parler. Berners téléphona à un magasin de location et lorsque l’on lui demandait à quelle profondeur M. Dalí voulait descendre, il répondit : « jusqu’à la profondeur du subconscient ». Il lui fut alors déclaré qu’en raison de cette donnée particulière, le scaphandre devait être équipé d’un casque spécial. Ce jour-là, l’exhibitionnisme de Dalí faillit lui coûter la vie, car il avait oublié de demander comment alimenter en air ce costume peu ordinaire. Il était presque asphyxié lorsque ses voisins d’estrade comprirent finalement que quelque chose n’allait pas et le délivrèrent (mais le public pensa que ses grimaces étaient intentionnelles et apprécia énormément l’événement).

Peu de temps après, à la mi-juillet 1936, la Guerre civile éclata en Espagne. Dalí avait anticipé le conflit dans Construction molle aux haricots bouillis (Prémonition de la Guerre civile), terminée quelques mois auparavant. Un peu plus tard, la même année, il peignit Cannibalisme d’automne ; dans les deux œuvres, la nourriture est présente de manière significative, peut-être comme témoignage de la conviction de Dalí que :

Quand une guerre éclate, en particulier une guerre civile, il devrait être possible de prévoir presque tout de suite quel côté va gagner et quel côté va perdre. Ceux qui gagneront ont depuis le début une santé de fer, les autres sont de plus en plus malades. Les uns [ceux qui vont gagner] peuvent manger de tout et leurs digestions sont toujours magnifiques. Les autres deviennent sourds ou se couvrent de furoncles, attrapent un éléphantiasis, bref, sont incapables de profiter de ce qu’ils mangent.

En face de la guerre, comme toujours, Dalí ne se compromit pas et il fuit l’Espagne. Sa peur était probablement justifiée. Les artistes modernes comme lui-même – et en particulier ceux qui avaient attaqué la bourgeoisie et le catholicisme comme il l’avait fait dans Un Chien andalou et L’Âge d’or – ne s’y trouvaient pas en sécurité. Le 18 août 1936, Lorca fut assassiné par les fascistes à Grenade. Quand Dalí apprit le drame, il s’exclama seulement : « Olé ! » – le cri lancé à la suite d’une passe tauromachique réussie –, et ce cri lui fut reproché toute sa vie. (Plus tard, il essaya de justifier cette désinvolture de sa réaction en déclarant qu’il avait voulu montrer à quel point « l’accomplissement du destin de Lorca passait par un événement si tragiquement et typiquement espagnol ».)

Pendant l’été 1936, lorsqu’il était à Londres, Dalí a visité la National Gallery où il a attentivement regardé L’Agonie dans le jardin d’Andrea Mantegna. Plus tard, il a recréé un ensemble inhabituel de paysages urbains et de constructions de roche, comme on peut le voir dans les peintures telles que le Sommeil et les Cygnes reflétant des éléphants. Peu après le déclenchement de la guerre civile espagnole, Dalí a visité l’Italie à l’invitation d’Edward James, qui avait loué une maison de campagne près d’Amalfi ; de là il se rendit chez Lord Berners à Rome. Il semble fort probable que Dalí ait fait un arrêt à Arezzo et à Florence sur son chemin de retour à Paris (où il s’était installé après avoir fui l’Espagne) pour examiner les travaux de Piero della Francesca, car il en a fait allusion dans une publication en 1937. L’interprétation de l’imagerie de Piero du Portrait du duc de Montefeltro et de sa femme dans la Galleria degli Uffizi à Florence, a influencé plus tard la forme exacte du Portrait d’Isabel Styler-Tas par Dalí de 1945.