Vénus et marin (Hommage à Salvat-Papasseit), 1925
Huile sur toile, 216 x 147 cm.
Ikeda 20th Century Art Museum, Shizuoka.
Il s’agit d’une des diverses représentations de femmes avec des marins que Dalí a réalisées vers 1925. La personne à qui cette peinture rend nominalement hommage est Joan Salvat-Papasseit, poète de la classe ouvrière catalane, auteur et journaliste né en 1894 et mort en 1924. À cette époque, Dalí partageait les sympathies anarchistes et les aspirations de moderniste de Salvat-Papasseit.
Ici, de nouveau Picasso et Gris exerçaient des influences importantes sur Dalí. Leur contribution est palpable dans le physique expansif de la déesse ; le fait que Dalí ait représenté une déesse, ces créatures classiques avaient été très importantes pour Picasso dès le début des années 1920, ainsi que la gaucherie cubiste des deux personnages, surtout le marin, les ambiguïtés spatiales et les contradictions évidentes partout. L’influence de Gris est discernable par la façon onctueusement stylisée avec laquelle le marin est représenté.
La Vénus ne semble pas particulièrement intéressée par son compagnon masculin. Ce détachement suggère que Dalí souhaitait davantage la représenter comme une prostituée que comme déesse de l’amour ; de telles femmes ont rarement un quelconque réel intérêt pour leurs clients. Le marin est très « deux-dimensionné », ce qui suggère qu’il existe sur un plan moins complexe que sa compagne divine. À l’origine, dans la Vénus de la mythologie classique, celle-ci a émergé de la mer, ce qui pourrait expliquer pourquoi Dalí a porté la ligne d’horizon de l’océan directement à travers l’un de ses bras. Le tronc d’arbre visible au-delà du balcon préfigure des formes arborescentes semblables que l’on rencontrera plus tard dans l’œuvre de Dalí, particulièrement dans La Persistance de la mémoire de 1931.
Vers 1925, Dalí a non seulement continué à explorer une approche cubiste, comme dans la Vénus et marin évoquée avant, mais en même temps – et comme Picasso avant lui – il a créé des travaux intensément réalistes. Vers 1925, de telles représentations étaient souvent stylistiquement sous l’influence des dessins et des peintures de l’artiste français Jean Dominique Ingres (1780-1867), mais plus tard cela deviendra plus photographique. À long terme, cette dernière approche desservirait mieux les besoins créatifs de Dalí.
De toute évidence, le modèle pictural pour ce travail était une toile peinte en 1822 par l’artiste romantique allemand, Caspar David Friedrich (1774-1840). Aujourd’hui, exposée au Neue Nationalgalerie à Berlin, la Femme à la fenêtre de Friedrich montre une jeune femme vue entièrement de dos regardant à travers une fenêtre à volets fermés par-dessus un fleuve quelques peupliers sur la rive lointaine. Dalí doit avoir eu connaissance de la peinture de Friedrich grâce à une reproduction. Comme la superficie de la fenêtre peinte par Dalí est plus grande que celle vue dans la peinture de Friedrich, nous profitons davantage de la vue vers l’extérieur. L’intérieur de la pièce est aussi bien plus empli de lumière que l’intérieur nordique et sombre de Friedrich.
Dalí s’est servi ici de sa sœur, Ana María, comme modèle. Elle l’a raconté plus tard :
Pendant des heures j’ai servi comme modèle, sans jamais me lasser de regarder le paysage qui déjà et pour toujours fait partie de moi-même. Il me peignait toujours près d’une fenêtre. Et mes yeux avaient le temps de m’imprégner de tous les moindres petits détails.
Certainement, comme elle a tourné son regard vers le sud à travers la baie de Cadaqués baignée dans la lumière de l’après-midi, son langage corporel est l’expression de son attention. La brise remue légèrement les rideaux.
Dans différents écrits, Dalí prétend que Picasso a été particulièrement frappé par ce dessin quand il l’a vu à l’exposition personnelle organisée à la Galerie Dalmau à Barcelone en novembre 1925. Cependant, il n’existe aucune preuve que Picasso se soit vraiment rendu à l’exposition de Dalí ni même qu’il ait été à Barcelone à ce moment-là.