Le Grand Masturbateur, 1929
Huile sur toile, 110,1 x 151,1 cm.
Offert par Dalí à l’Espagne, Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofía, Madrid.
Dalí peignit ce tableau à l’automne 1929 après le départ de Gala Éluard pour Paris. À l’instar de Le Jeu lugubre commenté dans les pages précédentes, Dalí se représente ici aussi en objet mou polymorphe avec une sauterelle collée à l’emplacement de la bouche. D’après le peintre, la forme molle se « terminait en ornementation de style 1900 » et l’image flairant les organes génitaux de l’homme émanait d’un chromo du xixe siècle représentant une femme sentant un lis ; le lis a été déplacé sous la tête de la femme. L’étamine proéminente du lis a une forme phallique et augmente subtilement notre conscience de la sexualité de la femme, de la même façon que la tête de lion avec sa langue libidineuse. L’aspect général de la forme polymorphe est très comparable aux silhouettes fantastiques des rochers environnant Cadaqués dont Dalí s’inspirait. Cette association géographique ajoutée à d’autres associations psychologiques plus obscures est déclenchée par l’hameçon planté dans le cuir chevelu du portrait mou. La manière dont la tête de la femme et la forme masculine qui la domine se dégagent de l’autoportrait est une idée que Dalí a très bien pu prendre des transformations d’images du film Un Chien andalou tourné peu auparavant en 1929.
Dans son livre Les Aveux inavouables de Salvador Dalí publié en 1973, le peintre écrivit que tandis qu’il peignait cette œuvre :
Je me masturbais fréquemment, mais avec une grande domination de mon sexe, en m’amenant mentalement au plaisir et en disciplinant mes actes pour mieux jouir de mon extase. La masturbation était alors le centre de mon érotisme et l’axe de ma méthode paranoïaque-critique. Ma bitte d’amarrage – si je puis dire. Il y avait moi et mon plaisir [...] et puis le reste du monde [...] Le Grand Masturbateur [...] est l’expression de mon angoisse hétérosexuelle – avec son personnage sans bouche incarné par une sauterelle dont les fourmis dévorent le ventre [...].
Il n’y a guère d’autres exemples dans l’histoire de l’art d’un peintre qui a publiquement fait part de ses obsessions comme Dalí l’a fait en donnant à cette œuvre un titre aussi clair.