Portrait de Lawrence Olivier dans le rôle de Richard III, 1955

Huile sur toile, 73,7 x 63 cm.

Collection du capitaine Peter Moore.

 

 

Ce travail fut commandé par Monsieur Alexander Korda, metteur en scène du film de 1955 Richard III de Shakespeare dans lequel Lawrence Olivier est la vedette. Korda était un collectionneur d’œuvres d’art passionné qui connaissait les portraits antérieurs de Dalí de Mae West (1934-1935), Harpo Marx (1937) et Shirley Temple (1939), ainsi que les collaborations du peintre avec Buñuel, Hitchcock et Walt Disney. Il paraissait donc logique d’avoir commissionné un portrait d’Olivier qui pouvait aussi être utilisé comme affiche pour le film. Cependant, l’image n’a jamais été employée à ces fins. C’est arrivé parce que la toile a été peinte en Espagne (l’Angleterre étant « l’endroit le plus désagréable » connu par Dalí). Par conséquent l’œuvre a été retenue à l’aéroport de Barcelone en chemin pour la Grande-Bretagne parce qu’on a considéré la toile comme une œuvre d’art trop importante pour être exportée ; en conséquence, il a manqué le délai limite fixé par l’imprimeur, à l’agacement extrême de Korda. Le réalisateur a offert plus tard le tableau à Olivier et après la mort du grand acteur en 1989 il a été acheté à une vente aux enchères par le vieux manager de Dalí, le capitaine Peter Moore. Il avait rencontré le peintre dans le temps quand il a travaillé pour Korda.

Pour obtenir la ressemblance, Dalí s’est rendu en Angleterre en avril 1955. Il a passé une heure à faire des croquis d’Olivier en costume aux Studios Shepperton, suivie par une autre session courte à l’Hôtel de Claridge le jour suivant. En même temps, dans un fatras d’absurdités typique dont la fatuité a été entièrement voulue, le peintre a exprimé à un journal de Londres ce qu’il a censément voulu transmettre dans ce travail :

Je vois un rhinocéros en Sir Lawrence donc je le peindrai probablement. Il est double, une double personnalité, un sujet idéal susceptible d’exprimer la météorologie du rhinocéros. Mais je ne suis pas complètement sorti de ma phase de homard donc ils peuvent s’immiscer. Je ne peux pas le dire. Je ne prévois rien jusqu’à ce que je peigne. Aucun génie ne le peut. Vous voyez, la langouste détient la prépondérance et ne peut être ignorée. Il pourrait arriver dans une des multiples facettes de Sir Lawrence.

Les fourmis sont une faune plus significative ; elles pourraient faire allusion à la décrépitude physique de Richard III, étant des signifiants de décrépitude récurrents dans l’art de Dalí. Le sanglier sur la broche portée par Olivier reflète le fait que l’animal était l’emblème héraldique de Richard III. Au-delà de l’acteur/roi se trouvent des cavaliers qui pourraient bien se rapporter à la bataille de Bosworth, durant laquelle Richard III a été tué en 1485. Clairement, ces animaux proviennent de la même origine, Léonard de Vinci, que les cavaliers dans Espagne de Dalí de 1938, qui est reproduit plus haut.

Ce tableau révèle l’attitude pour ainsi dire mystique de Dalí envers l’espace et le temps pendant la dernière partie de sa vie. Le peintre lui-même en a parlé ainsi dans ses Aveux inavouables :

Quand, dans ma Nature morte vivante en 1956 je représente le compotier flottant dans l’espace avec le ventilateur et les fruits et un chou-fleur et un oiseau et un verre et une bouteille qui se vide et un couteau, devant une fenêtre où se découpe une mer moirée et infinie, cependant qu’une main tient une corne de rhinocéros, je définis et je communique une notion de l’espace-temps qui s’exprime par la vision d’une lévitation qui bouleverse l’entropie. Avec la corne de rhinocéros, maximum d’énergie dans le minimum d’espace, faisant face à l’infini des espaces de la mer, le tableau devient le lieu privilégié d’une géométrie qui traduit non seulement les plus hautes spéculations scientifiques et philosophiques, mais me permet à moi, Dalí, de connaître existentiellement la vérité de l’espace-temps et, par là même, une vérité dalinienne de ma personne et ma situation dans le monde.

De nouveau, nous voyons l’hyperréalisme dépassé de Dalí attesté comme imagerie moderniste par un traitement peu orthodoxe de son sujet – si ces objets étaient à l’ordinaire disposés sur la table au lieu de flotter autour d’elle, l’œuvre ne serait guère plus qu’une nature morte traditionaliste, presque photographique.