chapitre 3

Dans le bureau de ma juge

Quelques semaines s’écoulèrent avant que je ne sois de nouveau extrait afin de comparaître devant ma juge d’instruction, qui était ce jour-là encore sous le choc de mes révélations sur Chirac, Hallyday et consorts.

Je me disais qu’un juge d’instruction qui vous porte une telle attention, ce n’était pas donné à tout le monde et que donc il me fallait en tirer le maximum, en commençant par lui demander de se débrouiller pour que les extractions deviennent plus des promenades de santé que des galères…

– Je suis heureuse de vous voir heureux, monsieur Fauré. Mais j’attends toujours votre réponse s’agissant de vos futures révélations.

– Je suis d’accord, madame. À condition que vous me promettiez de m’extraire une autre fois, et pas avec le fourgon à bestiaux mais avec une camionnette de la gendarmerie.

– Ne vous inquiétez pas, je ferai en sorte de vous accorder une journée entière. Vous pourrez vous épancher tranquillement. Ceci dit, si je vous ai fait venir aujourd’hui, c’est pour parler, vous devez vous en douter, de votre plainte contre le chef de groupe de la brigade des stupéfiants et du proxénétisme du Quai des Orfèvres, du comportement de ce policier avec vous et des mauvais traitements qu’il vous a fait subir en garde à vue. Il vous aurait, dites-vous, en plus de vous avoir violemment frappé à maintes reprises ainsi que vos lieutenants, volé 10 kilos de cocaïne, une limousine Mercedes toute neuve et 300 000 francs au domicile de votre mère, qu’il aurait cachés dans le jardin en attendant de venir les récupérer plus tard. Ce n’est pas la première fois que vous portez des accusations graves contre des policiers. Tous corrompus, selon vous ?

– Je me contente de raconter ce que j’ai vu, madame. Un autre exemple : j’ai assisté en personne à Viroflay à un partage de « butin » dans le garage d’un ami qui recevait et stockait des petits larcins des policiers. Il les redistribuait lorsqu’il faisait la fête avec eux dans une arrière-salle avec de pauvres petites prostituées, qu’il attirait en leur promettant de la drogue à gogo si elles acceptaient de « tenir compagnie » aux flics. Les drogues saisies « légalement » la veille dans les poches de jeunes garçons qui sortaient ou allaient en discothèque étaient étalées sur une grande table, avec sur chaque sachet une étiquette indiquant la nature de la drogue, permettant aux convives de faire leur choix plus facilement entre cannabis, herbe, amphétamines, LSD, cocaïne et héroïne. Un véritable supermarché gratuit de la drogue ! Et nos gentils « protecteurs », après s’être bien bourré la gueule et avoir fumé quelques joints, de s’en aller arrêter les pauvres citoyens qui avaient eu la mauvaise idée de boire un coup de trop ou de fumer un pétard, ou de se balader avec un petit paquet de coke dans la poche. Ils se partageaient équitablement les lieux de contrôle : les gendarmes aux péages des autoroutes et la police nationale en ville. Si ces fonctionnaires commettent les pires délits, en enfreignant la loi chaque fois qu’une opportunité se présente, lorsqu’ils se font prendre en flagrant délit – cela arrive –, ils s’en sortent toujours à grand renfort d’arguments futiles et le plus souvent grâce à la complaisance de leurs supérieurs. Ça m’a toujours choqué de voir autant de clémence vis-à-vis des corrompus, alors que notre pays prône partout dans le monde ses valeurs de justice, d’égalité et de fraternité entre les hommes. Mais si ça me révolte, je dois avouer que, en un sens, je comprends ces policiers. Que faire pour vivre décemment et aussi bien que les trafiquants ? se demandent les flics mécontents de leurs salaires et de leurs conditions de vie. La seule solution n’est-elle pas de s’enrichir sur le dos de ces gens-là ? Et pour eux, rien de plus facile que de « soulager » un trafiquant pendant une perquisition ou une arrestation de quelques kilos de drogue. Ils les remettent ensuite sur le marché par le biais de leurs indicateurs. Ou en lui prenant l’argent « sale » qu’ils trouvent dans ses poches ou chez lui, quand ce ne sont pas des armes, dont ils sont très friands, ou des bijoux et des montres de luxe dont ils raffolent. L’acte en soi n’est pas risqué puisqu’ils sont sûrs, cerise sur le gâteau, que les victimes ne porteront jamais plainte. Alors pourquoi pas ?

– Au lieu de vous excuser auprès de vos victimes, vous avez décidé de mettre en cause tous ceux qui vous ont permis d’écouler de la drogue en France, c’est bien ça ?

– Tout à fait ! Et j’en ai encore beaucoup à raconter sur les techniques qui m’ont permis de devenir un trafiquant international de grande envergure. À commencer par les douaniers, sans qui je ne serais pas arrivé là où j’en suis…