chapitre 8
Quand la coke tue
Ayant eu la carrière que j’ai eue, ayant payé ma dette à la société, je pense que j’ai le droit de dire ce qu’ont été les ravages de la coke. Et d’évoquer certaines personnalités qui ont programmé leur propre destruction par des usages particulièrement imprudents.
J’ai rapidement évoqué dans mon premier livre Jean-Luc Delarue, qu’au premier abord j’ai trouvé sympathique et talentueux. Il était plutôt étrange et semblait sortir de la horde des consommateurs normaux qui se contentent de snifer sans poser de questions. Lorsque je lui ai proposé une ligne de coke, il a décliné mon offre sans hésiter, avec une moue de dégoût sur le visage et une main repoussante comme pour balayer le sujet. J’ai trouvé ça étonnant.
– Ah non, pas par le nez ! s’était-il écrié, ce n’est pas bon pour moi.
– Tu n’aimes pas snifer ? lui ai-je demandé, surpris de tomber sur un cocaïnomane qui refuse une ligne de coke ; par comparaison c’est comme si un aveugle refusait de voir.
– Non, cela me fait trop mal aux fosses nasales.
– Mais, comment prends-tu ta coke alors ? En la fumant, ou en te l’injectant ?
– Ni l’un ni l’autre, répondit-il, agacé par mes questions.
Là je sentis que j’avais affaire à un drôle de gusse.
Voyant que je commençais à m’impatienter, il lâcha :
– Je la prends avec une sarbacane.
– Quoi ? Tu te la fais souffler directement dans la gorge, c’est ça ?
– Ouais c’est une copine qui me le fait. Elle prend une petite pierre de coke et me l’expédie dans la gorge en soufflant très fort d’un seul coup. Et là, le choc de la pierre contre ma gorge, c’est… mille fois mieux que snifer cette putain de coke qui m’a rongé les fosses nasales.
– Ah bon ? Tu me surprends… Mais, pour ta gouverne, prendre de la coke comme tu le fais n’est pas bon pour les bilieux comme toi. Pour celui qui la prend à la sarbacane, c’est un ajout supplémentaire d’acide dans l’estomac et l’œsophage quand on a des remontées biliaires, ce qui peut leur causer avec le temps de graves lésions et générer des tumeurs cancéreuses incurables.
– Chacun son truc, rétorqua-t-il nerveusement. Moi ça m’apporte un immense plaisir de la prendre ainsi, et comme tu le sais en consommateur chevronné que tu es, chacun prend son plaisir là où il le trouve…
– C’est possible, mais ça va aussi te causer bientôt d’énormes problèmes. C’est vrai que c’est bon, mais attention à l’addition !
– L’addition ? Mais de quelle addition parles-tu ?
– Celle qu’il te faudra payer physiquement quand ton corps en aura marre de tes conneries. Tu auras une drôle de surprise ce jour-là, crois-moi…
– Qu’est-ce que tu en sais ?
– J’en sais qu’en Hollande, j’ai une flopée d’amis qui ont utilisé ta méthode pendant de longues années pour s’envoyer de manière foudroyante en l’air, et au bout du compte ils se sont retrouvés avec un double cancer…
– Où ça ?
– Devine ? Par où circule la coke que tu as absorbée ?
– Par la gorge d’abord, ensuite par l’œsophage et l’estomac…
– Bravo, t’as gagné ! La coke est un produit très corrosif. Elle est faite à base d’acide chlorhydrique et lavée avec de l’acétone, du kérosène ou de l’éther, des produits hyper dangereux car ils génèrent très vite des tumeurs cancéreuses malignes en corrodant les parois de l’œsophage par lequel elle passe ainsi que l’estomac où elle atterrit, quand elle n’arrive pas jusqu’aux intestins… Alors il ne faut pas s’étonner que ça arrive si on prend plus de deux sarbacanes par jour…
– Deux sarbacanes par jour ? Mais moi j’en prends parfois dix !
– À ce rythme-là tu vas vite te retrouver à l’hôpital… Moi à ta place j’arrêterais immédiatement le carnage et je changerais de mode opératoire avant qu’il ne soit trop tard.
– Mais dis-moi, tu es médecin ou dealer ?
– Je suis fils de médecin et dealer. Mais ma connaissance des dangers de la coke ne vient pas de mon père mais de vingt ans d’expérience. Maintenant si je n’ai pas de pitié en affaires, j’ai quand même assez d’empathie pour les êtres humains pour les conseiller quand je les sens en danger. Et toi tu es en danger ! Ta relation avec la coke te coûtera cher si tu n’y mets pas le holà. Tes liaisons avec ce produit vont devenir des lésions…
– Ah ouais, joli ! Tu es une espèce de pompier pyromane si j’ai bien compris. Tu vends de la coke à des gens, conscient qu’elle va allumer un incendie en eux, et ensuite tu essaies d’éteindre l’incendie en leur expliquant ce qu’il faut faire et ne pas faire, c’est ça ?
– À peu près oui. Et alors, c’est mal ? Ce n’est pas de ma faute si je me sens obligé de remettre en place ou de critiquer certains connards comme toi qui absorbent la cocaïne comme tu le fais, au lieu de la snifer comme tout le monde, ce qui est moins dangereux.
– C’est un peu cracher dans la soupe. Ou encore l’hôpital qui se fout de la charité ce que tu fais là…
– C’est ce que tu veux… Moi j’en ai rien à foutre de ta santé ! Je t’ai prévenu, après c’est à toi de décider. Moi je m’en lave les mains.
Plus tard, dans les années 2000, j’ai rencontré Delarue un jour à Paris tout à fait par hasard et j’ai appris que non seulement il avait continué à ingérer de la coke de la même manière, mais aussi qu’il avait largement augmenté les doses, ce qui a accéléré sa mort qui est survenue en 2012 après un double cancer de l’œsophage et de l’estomac.
Je pense que Bernard Tapie suit le même chemin. Je ne le connais pas personnellement mais un de mes revendeurs me disait qu’il le fournissait avant mon arrestation. Un homme comme lui ne pouvait sans doute pas faire autrement que d’en prendre pour tenir le coup. Car vivre comme il le faisait, et marcher énergiquement comme il le faisait si bien dans sa fameuse pub pour les piles Wonder, sans coke il n’y serait pas arrivé. Le slogan : « Qu’est-ce qui fait marcher Tapie ? » me donne encore le fou rire quand je l’entends. C’est bien vu pour les profanes, mais pour moi, c’est à mourir de rire de constater que le fourbe a fait passer de la coke pour des piles. Si elles donnaient autant d’énergie je serais le premier à me mettre à la pile, croyez-moi.
Beaucoup d’initiés à la coke sont morts de tumeurs cancéreuses à l’estomac et à l’œsophage quand ce n’étaient pas aux intestins. Et beaucoup mourront s’ils continuent à se faire plaisir en prenant la coke avec une sarbacane, en se l’injectant ou en la fumant sous forme de crack. Je le redis, pour moi, snifer est la façon la moins dangereuse de prendre de la coke (même si ce n’est pas sans danger !).
Bernard Giraudeau, contrairement à Delarue, était un gars très humain, très intelligent et très appréciable à qui j’ai fourni de la coke au début, alors que je ne savais pas encore comment il la prenait. Je ne sais pas exactement quel était son problème mais c’était un écorché vif qui prenait aussi la coke avec une sarbacane et qui se bouchait les oreilles quand j’essayais de lui expliquer qu’il mettait sa santé en danger. Je lui ai expliqué comme je l’ai fait avec les autres que s’il continuait, il finirait par pâtir de tumeurs cancéreuses. Bernard Giraudeau mourra en 2010 d’un cancer du rein.
Les gens qui prennent trop de coke finissent par devenir mégalomanes, arrogants et prétentieux comme Bernard Tapie ou Bernard-Henri Lévy (qui s’en est vanté), en prétendant pouvoir trouver des solutions à tous leurs problèmes, malheureusement sans succès…
La coke, c’est l’œuvre du diable. Au début tout va bien. On prend son pied. On aime la coke. On l’adore. Et on finit par la vénérer au point qu’elle devient notre unique centre d’intérêt, notre soleil, notre plus fidèle compagne, mais une mauvaise conseillère, car avec le temps on devient possessif, agressif, parano, égoïste, égocentrique et cupide. On se prend pour le centre du monde. On devient méchant, stupide, incohérent, dangereux pour les autres et pour soi-même. Progressivement le vide se fait autour de vous. Votre entourage vous lâche. Vous perdez la notion des choses. Vos valeurs. Votre honneur. Votre dignité. Votre fierté, et le plus souvent votre travail et vos économies, quand ce n’est pas votre santé.
Moi-même je suis surpris quand je me regarde dans le miroir de me voir là, entier, sans cicatrices sur le visage, sans traces de balles sur le corps excepté celles qui se trouvent au bas du nombril suite à une mitraillade en Colombie. Pourtant, ce n’est pas faute d’avoir traversé des situations dangereuses, mais j’ai toujours réussi à « passer à travers »… En voici un exemple.
Il fut un temps, je commerçais avec des Allemands plutôt sympathiques et très corrects. Je leur vendais 10 à 20 kilos par mois, qu’ils payaient en marks ou en francs suisses, deux monnaies que j’adorais pour leur solidité.
Chaque fois qu’ils venaient me voir à Amsterdam, ils amenaient des valises pleines de ces deux monnaies. Ils payaient la coke au prix fort et rubis sur l’ongle dans la mesure où le produit était de bonne qualité, en tout cas dans les débuts et pendant près d’un an. Au dernier achat, je ne sais pas ce qu’il leur a pris, ils ont voulu acheter, sans payer l’addition, aux Colombiens avec qui je travaillais, ce qui n’a pas trop plu à mes amis… Au moment de payer les 10 kilos de coke qu’ils nous avaient commandés, ils ont sorti des flingues et nous ont braqués, tout simplement.
J’avais tellement confiance en eux que pendant un court instant, je suis resté perplexe en voyant tous ces flingues pointés vers nous. Je ne m’attendais absolument pas à ça de leur part, eux qui jusque-là avaient été les plus sympas et les plus corrects du monde. J’étais étonné et en même temps mort de rire intérieurement à l’idée de ce qui allait leur arriver.
Ce qu’ils ne savaient pas, c’est que les Colombiens, ne faisant confiance à personne en affaires, étaient cachés tout près de nous, derrière des caisses, prêts à faire le coup de feu s’il le fallait, au moindre geste douteux des Allemands. Et comme ils avaient la gâchette facile, très facile même, la pétarade des pistolets-mitrailleurs israéliens avec silencieux de marque Uzi qu’ils avaient cachés sous leurs manteaux, prêts à faire le vide autour d’eux en quelques secondes, commença.
Quelques minutes plus tard on n’entendait plus parler allemand, mais crier, gémir et supplier en allemand, jusqu’à ce que le silence total s’installe.