chapitre 11
Sex & drugs &… disco à Londres
Je n’ai pas encore évoqué ma brève incursion dans la haute société et dans le show-biz britanniques.
En 1976, à Tanger, j’ai rencontré dans la boutique d’antiquités de mon neveu berbère un homme singulier. Robert Stigwood, c’est son nom, est entré alors que mon neveu et moi nous prenions le thé. Il a fait un tour complet du magasin et, aussi ébloui par ma beauté et celle de mon neveu que par celle des objets en vente, il est venu nous parler et nous proposer un marché.
Au début nous ne savions pas qui il était, donc nous n’avons pas fait trop d’efforts pour lui plaire, d’autant qu’il avait un visage peu avenant et un air un peu trop féminin et hargneux à mon goût. Prétentieux aussi. Mais pas au point de nous impressionner, mon richissime neveu et moi l’orgueilleux.
Voyant qu’on ne lui concédait que peu d’intérêt, le type s’adressa à moi qui parlais bien l’anglais et me dit : « Si vous m’accordez l’attention que je mérite, je vous achète pour 50 000 livres sterling d’objets que je vous demanderai de m’apporter à Londres, tous frais payés, en plus un séjour de deux semaines dans mon château, à Hampstead, dans la banlieue résidentielle de Londres, et d’une visite de la ville en Rolls-Royce. »
Comment refuser une telle proposition ? Pour cette somme, je lui aurais apporté ces antiquités sur la Lune s’il l’avait demandé. Londres étant plus près, mon neveu et moi nous acceptâmes le deal.
Quelques jours plus tard nous arrivâmes à l’aéroport de Heathrow. Un chauffeur nous y attendait dans une Bentley flambant neuve, dans laquelle, après avoir mis les objets dans l’immense coffre, nous nous installâmes comme deux potentats africains.
Le chauffeur, qui avait pour mission de nous faire visiter la ville, nous fit faire le tour complet de Londres et de ses banlieues, ce qui m’impressionna beaucoup. Ensuite il nous conduisit au domicile de notre client. Robert Stigwood était le producteur des célèbres comédies musicales J ésus-Christ superstar , Hair et Oh ! Calcutta ! , et des films qui un peu plus tard ont eu des millions de spectateurs La Fièvre du samedi soir et Grease . C’est dire la fortune que cet homme avait dû accumuler… Elle devait être immense au vu du château style médiéval dans lequel il nous accueillit.
Arrivés chez Robert après deux jours passés dans son hôtel particulier à Londres, nous fûmes reçus en grande pompe par une armée de domestiques et de majordomes. Un peu suffoqués par les richesses qui s’étalaient autour de nous, Maserati, Ferrari, Porsche, Mercedes, Bugatti et autres voitures de luxe, nous descendîmes de la Bentley avec majesté, celle qu’ont tous les Touaregs…
Stigwood, ravi de nous voir et de récupérer ses objets en parfait état, demanda à son majordome de nous conduire à nos chambres. Dans la mienne étaient exposés des dizaines de disques d’or, des trente-trois tours des meilleurs chanteurs des années 1960, Elvis Presley, Chuck Berry, Fats Domino, Ray Charles et compagnie. Et dans la chambre de mon neveu, on trouvait toute la discographie en or massif de Sinatra.
Je me pinçai pour être bien sûr que je ne rêvais pas.
Une fois installés, avec mon neveu nous descendîmes au rez-de-chaussée où se trouvait la partie « vivante » de la maison. Là encore ce fut un émerveillement permanent devant les antiquités qui trônaient un peu partout, les immenses tapis persans et les meubles de style britannique qui n’avaient rien à envier aux nôtres. Après l’intérieur du château, Robert nous proposa de visiter ses jardins.
Je ne tardai pas à découvrir que Stigwood vouait un véritable culte à la cocaïne, comme cela était courant dans le monde de la musique à l’époque. Il y en avait à profusion chez lui. C’était un vrai fanatique du produit ! Son château était le point de rendez-vous des artistes et des cocaïnomanes. La police le savait mais qui aurait osé s’attaquer à ces gens-là, d’autant que beaucoup d’entre eux avaient été adoubés lords par la reine d’Angleterre ?
Robert avait un rang à tenir, et un niveau de vie aussi. Il se devait d’impressionner ses invités : les plus grands de la chanson, du show-business, du cinéma et de la télévision. Et pour ce faire, la coke était le meilleur moyen. Les Bee Gees, dont il était le manager, dormaient chez lui. Les Beatles passaient souvent le voir. Les Rolling Stones aussi, ainsi que Eric Clapton et J.J. Cale. Des acteurs et chanteurs allemands, anglais ou américains qui voulaient percer venaient au château. Sachez que j’ai été l’artisan, pour ne pas dire l’inspirateur de la chanson « Cocaine », chantée par J.J. Cale, grâce à Mick Jagger que j’ai croisé au Maroc (je vais revenir plus loin sur notre rencontre).
Alors que nous étions attablés autour d’une immense table médiévale, après avoir discuté de choses et d’autres, notamment de cocaïne et d’herbe de cannabis, Robert fut très intéressé d’apprendre que je vivais en Hollande et que j’étais un grand spécialiste de ces produits. Nous nous mîmes d’accord pour que je lui en fournisse en grandes quantités.
Ensuite, il me parla de son prochain film, Saturday Night Fever , dans lequel, me taquina-t-il, il me voyait parfaitement dans le rôle que prendrait plus tard John Travolta : « Vous êtes exactement le genre d’homme que je cherche pour mon film, me dit-il, mais savez-vous danser ? »
Danser ? Je ne savais faire que ça ! En Espagne on me payait pour danser sur du James Brown dans les discothèques les plus huppées de Marbella et de Torremolinos. J’avais accepté de le faire non pas pour l’argent que les propriétaires de boîtes me proposaient, mais parce que mes prestations me permettaient de faire connaissance avec les plus belles femmes.
Lorsqu’il me vit danser chez lui sur de la musique de James Brown et d’Elvis Presley, il m’annonça qu’il était prêt à me faire un contrat mirobolant pour tourner dans son film comme acteur principal.
Après cette soirée hallucinante, mon neveu insista pour retourner au Maroc. Moi, n’écoutant pas ses avertissements, je préférais rester encore un peu dans ce château où j’eus l’occasion de fréquenter quelques-uns des plus grands noms du show-business londonien.
Au Jour de l’an on me fit fumer une herbe ultra puissante qui m’assomma. Moi qui pourtant avais commencé à fumer du cannabis tout petit, je ne résistai pas aux effets puissants du produit et montai dans ma chambre. Je m’affalai sur mon lit et sombrai dans un semi-coma, quand Robert s’introduisit dans ma chambre et me sauta dessus, hyper excité. Réveillé par son assaut, je lui mis un grand coup de pied dans le ventre qui l’envoya contre le mur. Assommé, il tomba par terre ce qui me permit de le virer de la chambre et de m’enfermer à triple tour…
Mon neveu m’attendait déjà en bas dans la Rolls et le majordome, derrière la porte de ma chambre, m’intima l’ordre d’en sortir le plus vite possible sinon il se verrait dans l’obligation d’appeler la police. Il s’est cru obligé de préciser qu’il m’était interdit d’embarquer les disques d’or.
J’ouvris. Dans un français parfait il me demanda de faire ma valise et de le suivre jusqu’à la voiture, m’annonçant qu’il avait l’ordre de me conduire à l’aéroport et de me mettre dans le premier avion pour le Maroc.
Adieu Aston Martin, film, notoriété et richesse, tout cela allait me passer sous le nez à cause de mon incorrigible comportement. Et John Travolta allait prendre la place qui m’avait été proposée par Robert Stigwood dans le cas où j’aurais accepté de coucher avec lui.
* * *
À Londres, il y a aussi une femme qui m’attend pour me lyncher et m’envoyer en prison, une célèbre actrice de la télévision anglaise, à qui je m’étais fait un plaisir de « subtiliser » son chat siamois, un animal unique au monde parce que né sans queue. Il faut dire qu’elle s’était mal comportée avec moi alors que je venais d’emménager dans son immense villa des quartiers chics, après mon éviction du château de Stigwood.
Deux jours après m’être installé chez elle, elle avait en connivence avec quelques amis organisée une garden-party dans laquelle je devais être le dindon de la farce. Je fus surpris quand elle m’annonça qu’elle voulait coucher avec moi. Quand une lesbienne demande à un hétéro de lui faire l’amour, il y a forcément anguille sous roche… Mais comme c’était une femme très belle, très sensuelle et dotée d’un corps sublime, je ne me posai pas trop de questions. J’étais un incorrigible « coq sportif » français. Après avoir snifé un peu de coke et bu pas mal de champagne nous sommes allés dans sa chambre au rez-de-chaussée. C’était l’été. Et comme il faisait chaud elle me demanda d’ouvrir la fenêtre. Ce que je fis.
On se mit au lit. Après quelques délicieux préliminaires, alors que nous passions aux choses sérieuses, j’entendis des bruits assez significatifs qui me mirent en état d’alerte. Deux de ses amis qui me trouvaient fort à leur goût m’avaient réservé un guet-apens ! Ils s’étaient cachés sous le lit et dans le placard. La dame leur servait ni plus ni moins de rabatteuse ! Ne faisant ni une ni deux, je sortis du lit et pris mes vêtements et m’enfuis en sautant par la fenêtre. Les deux hommes qui s’étaient mis en tête de m’attraper se retrouvèrent à l’hôpital et, contre tous mes principes, la salope se prit une baffe magistrale.
Conscient que si elle appelait les flics, j’allais passer quelques années en prison, je pris la fuite, mais non sans attraper au passage le petit chat que je convoitais depuis le début car j’étais sûr qu’il plairait énormément à ma mère.
* * *
Lorsque je séjournais chez Robert Stigwood, il s’en est fallu de peu que je croise une autre star amatrice de coke. Le hasard a voulu que je fasse sa connaissance non pas à Londres, mais au Maroc. Mick Jagger était pour moi un type bien sous tous rapports. Pour sa copine Bianca, le soir où nous nous sommes rencontrés c’était différent : elle le traitait comme un pauvre type.
Je les ai croisés un soir à Tanger, à la sortie du Gospel, une discothèque à la mode. Ce soir-là, Mick avait affaire à une véritable furie, un chat sauvage en colère qui, toutes griffes sorties, lui envoyait des gifles et des coups de pied. Croyez-moi je n’aurais pas aimé être en face d’elle…
Il était venu dans cette boîte pour un chanteur marocain, un certain Jimmy. Ce jeune garçon anglophile gagnait sa vie en chantant toutes les chansons des Stones. Mick l’ayant appris, il avait décidé d’aller le voir à Tanger en voiture : après tout, c’était un peu son « représentant », grâce à lui il vendait beaucoup de disques au Maroc, et surtout dans cette ville.
J’ai été impressionné par la gentillesse de cette star. D’une politesse et d’un savoir-vivre vraiment appréciables, il faisait beaucoup d’efforts pour parler français et se montrait amical et avenant. C’était un garçon de très bonne compagnie, et il l’aurait été toute la soirée s’il n’avait pas passé la majeure partie de son temps à faire des allers-retours aux toilettes pour se poudrer les fosses nasales avec du « talc » sud-américain…
Lassée de voir que son petit manège commençait à faire jaser tout le monde et risquait d’attirer la police, Bianca lui signifia qu’elle voulait s’en aller au plus vite. Mais Mick, qui semblait se plaire dans cette boîte, refusa catégoriquement de partir, au point de la repousser lorsqu’elle se leva et le prit par la main pour l’attirer vers la sortie.
Ce soir-là, avec la présence de cette immense star venue chanter gratuitement devant les Marocains survoltés, l’ambiance dans la boîte était à son paroxysme.
J’étais installé au bar, en spectateur, appréciant l’ambiance que Mick et Jimmy mettaient, lorsque ce dernier vint me proposer de venir m’asseoir avec eux.
Ce fut un immense honneur pour moi, d’être présenté et invité à leur table, et un grand plaisir d’être placé à côté de Bianca, je dois l’avouer. Néanmoins, quand Mick, bourré de coke et d’alcool, commença à délirer et à l’insulter, je me sentis mal à l’aise.
Après qu’il avait refusé de partir avec elle, elle avait donc essayé de le tirer vers la sortie. Énervé par son geste devant ses admirateurs, il se crut obligé de répliquer en lui mettant une gifle, et de la repousser en l’insultant. Finalement elle lui donna un coup de pied dans les genoux et tourna les talons. Il la suivit dans les escaliers de la boîte pour essayer de la retenir… Et c’est là qu’ils ont commencé à se battre comme des chiffonniers, à coups de pied du côté de Bianca et à coups de gifles le plus souvent manquées du côté de Mick…
Ils étaient toujours en train de se disputer à la sortie de la boîte devant une bonne dizaine de personnes quand un taxi s’arrêta. Le chauffeur, voyant Bianca en mauvaise posture, lui demanda si elle voulait aller quelque part alors que Mick essayait de l’empêcher d’entrer dans la voiture.
Le chauffeur sortit du véhicule et cria :
– Alors qui c’est qui monte, là ? Décidez-vous, merde ! Je n’ai pas que ça à faire d’attendre que vous finissiez de vous chamailler !
– Fuck off ! cria Mick.
– Quoi, tu m’insultes ! Attends, je vais te montrer de quel bois je me chauffe…
Et de l’arracher à Bianca, de le prendre par le collet et de le secouer le temps qu’elle s’engouffre dans le taxi. Avant de se remettre au volant.
À l’arrière, Bianca dut encore éjecter Mick qui revenait à la charge, en lui donnant un grand coup de pied alors qu’il s’agrippait aux sièges.
Mick se retrouva par terre, n’arrivant pas à se relever, gesticulant dans tous les sens sous les rires des Marocains qui assistaient à la scène. Il braillait en anglais pour demander de l’aide.
Mon ami Jimmy et moi, lorsque nous l’avons vu en train de se tortiller pour essayer de se remettre sur ses pieds, nous nous sommes précipités pour le relever.
Mick donna encore quelques coups de pied dans les portes du taxi, et le chauffeur démarra en trombe pour emmener Bianca à son hôtel.
Jimmy et moi nous proposâmes à Mick de le raccompagner en voiture, mais il refusa, prétextant qu’il allait marcher jusqu’à son hôtel qui n’était pas loin.
Nous l’avons laissé partir en titubant, mais nous avons préféré le suivre un moment…
À peine arrivé sur le grand boulevard qui se trouvait à 50 mètres de la discothèque, il eut des problèmes avec des jeunes voyous qui tentèrent de le piller.
Il était deux heures du matin, à cette heure de la nuit, on ne peut faire que de mauvaises rencontres. Mick s’en est vite rendu compte, quand les malfrats ont commencé à lui mettre les mains dans les poches pour lui voler son argent. C’est là que Jimmy et moi nous sommes intervenus en nous faisant passer pour des gardes du corps.
Les mecs, nous voyant habillés en costume-cravate et l’air décidé à en découdre, se sont fait la malle illico , nous laissant seuls avec le pauvre Mick qui n’en menait pas large.
– Thank you guys, nous dit-il, vous avez été précieux…
– You are welcome, Mick, lui répondis-je. Je crois que les petites racailles qui vous ont agressé n’étaient pas là pour vous souhaiter la bienvenue…
– That’s right ! Finalement, pouvez-vous m’accompagner jusqu’à mon hôtel puisque vous êtes là ? Je suis à l’hôtel El Minzah, vous connaissez ?
Qui ne connaît pas le plus bel hôtel de Tanger ?
Je ne l’ai revu qu’à bord du ferry qui le menait à Malaga, avec sa Rolls-Royce, sans Bianca qui elle avait pris l’avion pour retourner chez elle.
Arrivé à destination, il m’a proposé de m’accompagner à Torremolinos, où je possédais un appartement, et de dîner avec lui le soir même : « Je te dois bien ça. »
J’ai accepté le transport, mais je n’ai pas pu me rendre au dîner.
La nuit, je l’ai recroisé dans la discothèque d’un ami. Nous avons bu un verre ensemble et échangé nos adresses. Plus tard, je l’ai revu à Londres, mais c’est une autre histoire…