chapitre 12

Embrouilles avec des stars

Comme je l’ai raconté dans mon précédent livre, la coke m’a ouvert grand les portes des clubs les plus à la mode et m’a gagné l’amitié éphémère de nombreuses stars qui furent autant de faux amis. Il est arrivé plusieurs fois que cela se passe mal dès la première rencontre et qu’une rancune tenace demeure avec certaines célébrités.

Thierry Le Luron, personnage sympathique et drôle, mais prétentieux et froid comme un glaçon, était très jaloux de son amant Patrice qui l’accompagnait quand il sortait. Ce dernier me regardait trop souvent avec les yeux de Chimène, et lorsque Le Luron nous surprit une fois enfermés dans les toilettes de L’Atmosphère, une boîte très à la mode dans les années 1980, il péta les plombs. J’étais simplement en train de partager un rail de coke avec Patrice, qui était extraordinairement beau. Le Luron était persuadé que je venais de lui faire l’amour, ce que sous l’emprise de la coke j’aurais pu faire, tant le jeune homme était d’une beauté céleste. Il n’en était rien mais il fit un scandale de tous les diables. Fort heureusement sa carrure n’était pas du tout impressionnante et nous nous contentâmes d’échanger des noms d’oiseaux.

Thierry Ardisson m’a manqué de respect un jour où je n’avais pas encore pris de coke dans son fief, Le Palace, une discothèque underground située rue du Faubourg-Montmartre. Ami intime du patron Fabrice Emaer, un homme charmant avec qui j’avais un bon contact, Ardisson était partout, et on ne voyait que lui. Il suffisait de lever la tête pour s’apercevoir qu’il était là en train de vous surveiller. C’était vraiment agaçant, d’autant que chaque fois que je venais, c’était moi qu’il prenait comme cible. Bien sûr il ne faisait pas ça avec tout le monde, mais quand il choisissait une victime ou une proie, il ne la lâchait pas.

La première fois que je me suis rendu dans le club, après m’avoir observé en long en large et en hauteur il s’est permis de venir vers moi et me dire avec son sourire gluant et un culot étonnant :

– Dis donc, t’es plutôt beau gosse toi, tu sais !

Il m’avait vu sympathiser avec Fabrice qui était venu me souhaiter la bienvenue. Posté à 2 mètres de nous, Ardisson avait observé la scène l’air agacé. En vérité il semblait voir d’un très mauvais œil que son « ami » sympathise avec moi.

Assis confortablement, j’observais les femmes en train de danser. Ce soir-là, mes lieutenants et moi avions pris à notre table une bouteille de whisky, une de gin et une de champagne en prévision d’éventuelles conquêtes.

Ardisson est venu à moi, tranquillement, avec son sourire de débile ironique, et avec un aplomb certain il me dit d’un air moqueur :

– Tu sais, je t’observe depuis longtemps et je dois dire que vraiment je te trouve beau gosse. Mais putain, ton accoutrement ça ne va pas du tout ! On est à Paris ici, pas à la campagne…

– Mais tu es qui, toi, pour te permettre de critiquer ma tenue ? ai-je répliqué aussi sec.

– Je suis l’ami du patron et je fais un peu le physio ici, ça te va ?

– Non ça ne me va pas ! C’est quoi ton problème ?

– Ce qui ne va pas, c’est ton costume blanc en cuir, je viens de te le dire : on n’est pas au Texas ici, mais à Paris, la ville de la mode. Ton costume cadre mal avec cette boîte.

– Et toi, tout en noir comme un croque-mort, tu te crois mieux ? Moi, des costumes, j’en ai plein mes placards en Hollande, et si je m’habille en cuir blanc ce n’est pas à toi de me faire remarquer que je ne suis pas habillé « à la française ».

– Si, justement, je suis là pour détecter les anomalies et tu en es une grosse. Alors maintenant, puisque tu ne veux pas comprendre ce qu’on te dit, tu sors et tu ne remets plus les pieds ici !

J’allais lui rentrer dedans quand le patron qui observait la scène depuis quelque temps vint voir ce qu’il se passait accompagné de deux videurs.

– Que se passe-t-il ici ? lança-t-il en s’adressant à moi.

– Il se passe que ce monsieur m’a manqué de respect. À chaque fois que je viens, il n’arrête pas de me regarder, de me surveiller, voire de me toiser. Un vrai vautour, doublé d’un épervier… Moi je suis client et je ne cherche pas les problèmes. Lui par contre, il les cherche très clairement ! Il est quoi ici, le patron, pour se conduire ainsi ?

– Non c’est mon physionomiste et mon meilleur ami. Il est là pour surveiller les entrées et les sorties, et le comportement des gens dans la boîte.

– C’est bien. Et alors qu’est-ce qu’il a à me reprocher ?

– Ta tenue ! lança Ardisson. Et le fait d’aller un peu trop souvent aux toilettes. Je t’ai repéré…

– Tu m’as repéré et alors ? C’est interdit d’aller aux toilettes ? Mais bon Dieu de merde si t’as un problème avec moi viens dehors, on va le régler entre hommes si t’en es un vrai !

– Non, intervint le patron. C’est toi qui sors. Lui, il reste. Il a raison, ton costume n’est pas au goût du jour et des Parisiens. Ici on s’habille en costume et en chaussures bien cirées et de grandes marques si possible, pas en tenue de cow-boy. Alors fais-moi plaisir, sors et ne reviens plus ! Sinon j’appelle la police, ou tu auras affaire à mes videurs.

Pour un garçon comme moi qui jusque-là avait été à Marbella une figure de mode, toujours habillé en costumes fins et en chemises en soie, je la foutais mal… C’était vrai, la Hollande m’avait transformé en paysan, je devais accepter la critique. J’avais trop changé là-bas et Ardisson avait eu raison de me le faire remarquer. Mais ce que je lui reprochais, c’était qu’il aurait pu s’y prendre avec un peu plus de délicatesse.

Bien plus tard, il me fut « présenté » par Hubert Boukobza, le patron des Bains-Douches, à six heures du matin, après la fermeture des boîtes, dans son appartement de grand luxe. Il avait organisé une fête en petit comité d’initiés à la coke. Surpris de voir Ardisson là, je le regardai à mon tour fixement. Que faisait-il là ? Normalement seuls les cocaïnomanes étaient conviés à six heures du matin chez Hubert. Donc il en était forcément un.

Étonné de me voir en bons termes avec cet homme qui faisait la pluie et le beau temps dans le Paris de la nuit, il me regarda longuement et avec la moue dubitative de celui qui se demande si ce qu’il a en face de lui est du lard ou du cochon. Et sortant soudain de son mutisme, il me dit avec désinvolture :

– Salut toi ! Dis donc, pour être traité comme un prince par Hubert, c’est que tu es Gérard, le fameux Hollandais dont le nom est sur toutes les lèvres depuis un moment et qui lui apporte l’extraordinaire coke qu’il a depuis quelque temps…

– Peut-être bien, lui répondis-je avec nonchalance et une grande méfiance. Pour être fixé, tu n’as qu’à lui demander, il te renseignera mieux que moi. En attendant je ne suis qu’un consommateur comme tout le monde ici. Ça s’arrête là.

– Je vois. Alors amuse-toi bien.