7 – La petite bande

Rouge et congestionné, Cronos sortit en vitesse prendre l’air, et Zeus contempla sur le sol cette drôle de chose que le roi des dieux n’avait pas digérée non plus. Et il comprit pourquoi elle n’avait pas grandi pendant le séjour dans son estomac : c’était une pierre.

Une pierre de la taille exacte d’un bébé titan, enveloppée de langes !

Zeus partit d’un grand rire, tandis que ses trois sœurs (Hestia, Déméter et Héra) et ses deux frères (Hadès et Poséidon) le fixaient sans comprendre. Ils ne savaient pas qui il était, ni ce qui s’était passé.

— Bonjour, grands frères ! Bonjour, grandes sœurs ! s’exclama Zeus.

Il mit la main sur son cœur pour saluer :

— Je me présente : Zeus. Dernier né de la fratrie… et le plus beau, évidemment !

Il éclata de nouveau de rire, et les autres avec lui.

Puis ils regardèrent autour d’eux ce monde qu’ils n’avaient jamais vu, et l’aînée, Hestia, demanda :

— Qu’est-il arrivé ?

Zeus leur raconta alors comment il les avait fait sortir, mais aussi la ruse de leur mère qui lui avait évité de subir le même sort qu’eux.

L’aîné des garçons, Poséidon, s’esclaffa :

— Dire que nous n’avions pas saisi ce que cette pierre faisait avec nous dans l’estomac de notre père !

— Je lui dois la vie, expliqua Zeus.

— Et nous, la liberté, assura Déméter. Parce que, grâce à elle, tu es resté dehors, et que tu as pu nous faire sortir.

— Nous te serons éternellement reconnaissants, ajouta Hadès.

Héra, la plus jeune, tout heureuse d’avoir un frère si entreprenant et courageux (et beau aussi), déclara :

— Cette pierre est le symbole de notre liberté et de notre amitié. Il faudrait la déposer dans un endroit symbolique, ne croyez-vous pas ?

— Très bonne idée, jugea Hestia. Je propose qu’elle marque à tout jamais le centre du monde.

Hadès le craintif s’étonna :

— Parce que tu sais, toi, où se trouve le centre du monde ?

— Non. Mais nous pouvons sans doute compter sur notre petit frère pour le trouver.

— Vous pouvez, confirma Zeus. Parce que j’ai un avantage sur vous : je n’ai pas été élevé à l’étouffée, sans personne pour faire mon éducation. Je ne sais pas plus que vous où se trouve le centre du monde, mais nous allons le découvrir très vite.

Il siffla entre ses doigts, et deux aigles arrivèrent du fond du ciel.

Et ils se perchèrent sur ses poings !

Zeus en confia alors un à ses sœurs :

— Allez toutes les trois vers le couchant, jusqu’au rivage de l’océan qui encercle la terre. Les garçons et moi, nous ferons la même chose vers le levant.

D’un bond, ce fut fait, les filles et les garçons se postèrent aux deux bouts de la terre.

Puis Zeus lança un nouveau sifflement, assez puissant pour qu’il s’entende de l’autre côté, et lâcha son aigle.

Au même moment, les filles laissèrent le leur s’envoler. Et comme les deux volaient à la même vitesse, l’endroit où ils se rejoignirent était forcément le centre de la terre.

Les six jeunes dieux coururent jusqu’au mont Parnasse, où les aigles s’étaient retrouvés.

— Ouh là… Les lieux me semblent déjà occupés, articula Hadès avec méfiance.

Zeus mit sa main en visière :

— Tu as raison. Mais on ne va quand même pas avoir peur d’une dragonne sous prétexte qu’elle est énorme, horrible, et qu’elle peut t’avaler d’une bouchée !

— Non, non, bien sûr, s’empressa de répondre Hadès. C’est que… j’ai grandi loin de tout, je ne connais pas le monde.

Mais s’il avait grandi dans le monde, il aurait sans doute eu encore plus peur.

Zeus décréta :

— Cette dragonne est parfaite, elle fera une très bonne gardienne pour notre pierre. Personne n’osera s’en approcher.

Il monta vers le centre du monde et y planta la pierre enveloppée de ses langes.

— Voilà mon double devenu Omphalos, le « nombril du monde » !

Et tout le monde applaudit.

Puis, adressant à la dragonne un geste pacifique et autoritaire à la fois, il s’avança bravement pour lui parler.

Impressionnés par son courage, les autres ne bougèrent pas.

Si bien qu’ils ne surent pas ce que leur vaillant petit frère proposait au monstre.