9 – Brrr…

Pas un séjour de rêve, ce Tartare. Enfoui sous les Enfers, il était une succession de déserts brûlants et maléfiques, de marécages puants, de lacs glacés et d’étangs pourrissants. Un miroir inversé du Ciel, où se terrait, sous de noirs nuages, le palais de la Nuit obscure.

C’était là aussi que se réfugiaient le Jour et la Nuit quand ils n’étaient pas de service sur terre, et aussi les deux fils de la Nuit : le Sommeil et la Mort.

Il leur avait fallu des semaines pour y arriver. Les six explorateurs progressaient l’un derrière l’autre en silence, ne sachant à quel danger s’attendre… en dehors bien sûr des gouffres de soufre irrespirable et des trous de lave sournoisement masqués par la brume.

— Poussez pas, derrière !

Dans ce lieu où toute chose trouvait son origine et sa fin, régnait un air à la fois brûlant et glacé, et les affreuses tempêtes qui le balayaient ne s’arrêtaient que pour céder la place à des tornades plus effroyables encore.

L’espace et le temps s’étiraient au milieu des bourrasques et des ténèbres, les voyageurs avaient l’impression qu’ils n’arriveraient jamais. Pourtant ils avaient un avantage sur tous ceux qui s’étaient aventurés ici avant eux : les cinq aînés avaient été élevés dans des profondeurs noires et mouvantes, ils ne craignaient pas les remous et voyaient dans l’obscurité aussi bien qu’au grand jour.

Le plus amusant, c’est que celui qui leur avait procuré cet avantage était… Cronos lui-même !

Bien malgré lui, évidemment.

Et ça allait lui revenir en boomerang, parce que, grâce à cet avantage, ses enfants s’apprêtaient à libérer du sombre Tartare ses plus implacables ennemis.

Zeus ayant grandi dans le monde de la lumière, il n’y voyait rien, mais il avançait en donnant une main à Hestia devant, l’autre à Déméter derrière, et il se sentait en sécurité. Qu’il était bon de faire partie d’une fratrie !

Poséidon, qui avait pris la tête (il ne fallait pas compter sur ce peureux d’Hadès), s’arrêta brusquement et tendit le doigt vers l’avant :

— Regardez !

Au fond des ténèbres, on apercevait une lueur. Et, éclairé par cette lueur, un monstre terrifiant. Nos aventuriers se figèrent.

L’horrible créature était couverte d’écailles, elle avait pour cheveux des serpents venimeux et un scorpion lui servait de foulard. À sa ceinture pendaient un ours, un lion, une hyène menaçante et d’autres bêtes des plus sauvages. Campé, la gardienne du Tartare !

La lueur qui l’éclairait venait du fleuve de feu qui protégeait les trois remparts d’airain. Pas besoin de porte, entrevoir le monstre qui gardait les lieux suffisait à dissuader les plus vaillants.

Même Zeus.

Cependant il avait appris de ses maîtres qu’il ne fallait jamais montrer sa peur. Et encore moins devant ceux qui comptaient sur lui – ce qui était le cas de ses frères et sœurs.

Comme il était le seul à savoir se battre, il repassa devant.

Mais dire qu’il était confiant, non.