14 – Ouf !

La victoire se décida enfin quand les Cent-Bras lancèrent trois cents rochers à la fois, et les firent suivre d’une nuée de flèches si serrées qu’elles cachèrent le ciel. Plongés dans l’obscurité, les Titans ne virent plus rien, et ils furent précipités vers les abîmes. Ils tombèrent, tombèrent… pendant neuf jours et neuf nuits. Jusque dans les sombres profondeurs du Tartare.

Les Cent-Bras les poursuivirent et les enchaînèrent à l’endroit où eux-mêmes avaient été si longtemps prisonniers. Puis Poséidon fabriqua des portes d’airain pour fermer les remparts.

Enfin tranquilles !

Le héraut :

— Et c’est là que débute le règne des Olympiens !

— Merci, lui dit Zeus, tu peux prendre des vacances. La paix va maintenant régner sur la terre.

Le héraut fit remarquer :

— La terre a tout de même été bien ébranlée par tout ce barouf. Je ne sais pas si elle tient encore solidement.

— Tu as raison, reconnut Zeus. Dis-moi… Mon cousin Atlas est bien le plus fort des Titans ?

— D’après mes notes, oui.

— Eh bien, je vais le charger de soutenir le monde sur ses épaules. Il aura les deux mains occupées, ça lui évitera de faire des bêtises.

Et tous les dieux acclamèrent Zeus :

— Tu es le meilleur ! Tu es notre chef ! Notre roi à tous !

— Merci, répondit Zeus, mais veiller sur tout serait difficile pour un seul dieu. Je propose de partager le pouvoir avec vous, mes frères, d’autant que vous avez eu autant que moi part à la victoire.

Il s’interrompit, laissant planer sur le public maintenant silencieux son œil de maître de toutes choses, puis il demanda :

— Poséidon, qu’est-ce qui te plairait ?

— La mer, répondit celui-ci. J’adore. Les mystères et les tempêtes de l’empire des eaux. Et si ça ne t’ennuie pas, j’aimerais aussi être le maître des tremblements de terre, puisqu’ils prennent leur source tout au fond de l’eau.

— Accordé, décida Zeus. Et toi, Hadès ?

— Oh, moi, répondit son timide frère, j’aime la discrétion. Roi des Enfers m’irait très bien.

— Les Enfers ? Tu veux dire le séjour des mortels après leur mort, pas la prison des dieux ?

— Oui, le séjour des mortels. Surtout pas le Tartare !

C’est que les humains étaient beaucoup plus faibles que lui, tandis que les prisonniers du Tartare constituaient une menace permanente.

Zeus fut d’accord.

— Bonne idée. D’autant que tu possèdes la kunée qui rend invisible comme la Mort quand elle s’approche.

Hadès, vraiment heureux pour la première fois de sa vie, hocha la tête. Puis il osa :

— Un char tiré par des chevaux bleu nuit, ça me plairait bien aussi…

— Tu as raison, le dieu des Enfers doit pouvoir se déplacer à la fois discrètement et très vite. Toutefois, pour ce qui est du petit matériel, je te laisse juge. (Il réfléchit.) Une chose m’inquiète tout de même, c’est les Titans que nous avons enfermés dans le Tartare. Ils restent très puissants et pourraient poser des problèmes.

Un Cent-Bras leva alors cinquante mains et ses bouches se relayèrent pour annoncer :

— Nous, Hécatonchires…

— … nous avons été élevés depuis notre naissance…

— … dans les ténèbres du Tartare.

— Nous n’aimons pas beaucoup la lumière du soleil.

— Laisse-nous y redescendre…

— … nous en deviendrons les gardiens.

— … et tu peux être sûr que les Titans…

— … n’en ressortiront jamais.

Alors ça, ça arrangeait tout le monde !

À son tour, un Cyclope intervint :

— Nous, on aimerait s’installer sous un volcan, pour forger plus facilement ce qu’on veut. Et on ferait rougeoyer le feu jusqu’au sommet ; comme ça, mortels et immortels se rappelleraient notre présence.

Les autres confirmèrent d’un hochement de tête que c’était aussi leur choix.

— Vendu ! acquiesça Zeus.

Puis il se demanda à quel endroit il aimerait bien s’installer, lui…