CHAPITRE 4

WESLEY

Épuisé. Je suis épuisé de toute cette merde à longueur de journée. Il n’y a pas un seul rendez-vous qui se passe comme il le devrait. Le maire était pourtant intéressé par les offres que je lui proposais pour améliorer la ville. SA ville, même si c’est moi qui la gère. Certaines idées m’arrivent des clans qui voient grand et qui désirent se développer. J’essaie, en général, de contenter tout le monde. L’idée dont nous discutions me venait directement de Romanov. Évidemment, il peut être un trou-du-cul de la pire espèce, un connard et un foutu bâtard incapable de respecter les règles, mais je dois avouer qu’il sait très bien comment faire prospérer son entreprise. L’idée d’un viaduc au-dessus du canal est ingénieuse ; je regrette de ne pas y avoir pensé moi-même.

Le maire me donnait son avis sur la question lorsque mon téléphone s’est mis à hurler comme une sirène de police en plein milieu de la nuit. L’appel provenait de l’un de mes adjoints. Pas le choix, je devais décrocher ; j’avais déjà décliné les trois précédents. Ils ne s’acharneraient pas si ce n’était pas important. Arrêtant l’homme devant moi de l’index, j’ai répondu d’un air qui signifiait clairement qu’on me dérangeait. Mon ton est devenu sourd lorsque Mills m’a expliqué la situation. Ayant mis fin à mon entretien, je suis sorti en courant rejoindre mon subordonné.

Maintenant, je suis là, les yeux fixant le corps devant moi. Sa peau est tellement calcinée que je n’ai aucune espèce d’idée de qui ça peut bien être. L’odeur est infecte ; il est mort depuis au moins quelques jours.

— Est-ce que j’ai bien fait de le faire transporter ici, Shérif ?

Me tournant vers l’homme à la blouse blanche devant moi qui retire des morceaux de tissu incrustés dans la peau du cadavre, je soupire en me disant encore une fois que j’en ai marre de tout ça. J’omets de répondre à mon adjoint en rivant mes yeux à ceux fatigués du médecin qui me rend cette faveur. Il est maintenant le seul en qui j’ai confiance pour m’épauler dans cette tâche, le seul qui est informé de tout ce qui se trame depuis le meurtre de mon père. Qui de mieux que son meilleur ami pour m’aider à trouver le responsable ? Il le veut autant que moi. Habituellement, je ne l’implique pas dans mon travail si ça relève de l’illégalité – il est sur le point de prendre sa retraite –, mais puisqu’aucun des chefs de gang ne m’a mis au courant d’un éventuel règlement de compte que je devais camoufler, j’ai besoin de ses compétences. Alors, le mystère entourant celui-ci me pousse à garder tout ça secret.

— Sh… Shérif, reprend Mills. Vous… vous m’aviez dit de toujours passer directement par vous lorsqu’on découvrait un cadavre. Comme vous ne répondiez pas à mes appels, j’ai préféré l’envoyer le temps que je reçoive vos ordres. Ainsi, je m’assurais que personne ne fuite l’information jusqu’à ce que je vous parle.

— Ça va, Mills. Tu as suivi la procédure. Le docteur Bennet tentera de l’identifier et je m’occupe personnellement de l’enquête. En aucun cas, tu ne dévoiles qu’on a un macchabée sur les bras.

— Mais…

— Il n’y a pas de mais ! le coupé-je en haussant le ton. C’est un ordre, Mills. Depuis quand on discute les ordres ?

— Je ne voulais pas… Je suis désolé, Shérif.

— Alors, on s’est bien compris ? On étouffe l’affaire…

— Oui, d’accord ! baragouine-t-il. Qu’est-ce que je dis pour fermer le dossier ?

— Que c’était une fausse alerte, un simple mannequin que des mômes ont tenté de brûler.

— OK. Et qu’est-ce que je fais du jeune qui l’a découvert ?

— Je m’en occupe. Où est-il ?

— Dans la pièce près de l’entrée de la morgue.

D’un hochement de tête, je lui signifie que j’ai compris. Il se détourne alors pour partir.

— Mills ? l’arrêté-je.

— Oui, Shérif ?

— Bon boulot !

— Merci ! répond-il en souriant.

Le féliciter est la meilleure chose à faire pour qu’il reste dans les rangs. J’ai besoin d’hommes comme lui, de ceux en qui je peux avoir confiance. Certes, je ne lui confierais pas ma vie, mais je me fie à son bon sens. Reportant mon attention sur le médecin devant moi, je plante mes iris dans les siens qui m’observaient déjà. Ses mains suspendues dans l’air, il chuchote :

— Tu ressembles tellement à ton père. Il aurait été fier de toi.

Surpris par son commentaire, je sens qu’une boule s’est formée dans ma gorge. Je toussote pour camoufler mon malaise. Bennet ne fait pas partie de mon cercle d’amis ; en fait, il n’y a que mon frère et moi, mais j’ai suffisamment d’estime pour son ancienne amitié avec mon paternel pour le tenir au courant de mes avancées, et il me file un coup de main de temps à autre. Il ne trempe plus dans toutes les magouilles, mais il ne me laisse jamais dans la merde. En réalité, j’essaie de le garder loin, même si parfois je n’ai pas le choix. Comme maintenant…

— Ouais, bien ce serait moins compliqué s’il était encore là. Appelle-moi si tu trouves quelque chose.

— Bien. Oh, et Wes…

— Quoi ?

— La fin est proche, je le sens. On mettra bientôt la main sur celui qui hante tes nuits.

— J’espère que t’as raison.

Le laissant à son travail ardu, je m’éclipse pour aller discuter avec le môme qui a fait cette macabre découverte. Il attend patiemment dans une salle à l’écart. Lorsque je l’identifie, je ne peux m’empêcher de sourire. Ce sera aussi facile que d’avaler une part de gâteau.

— Salut, gamin ! dis-je en m’assoyant à côté de lui.

— Shérif ! s’écrie-t-il en ouvrant grand les yeux. C’est pas moi, je le jure ! J’ai rien fait sur ce coup. Je ne suis responsable de rien.

— T’es sûr ? Ce ne serait pas la première fois que tu serais mêlé à ce genre de choses… Que dirait ton père s’il savait dans quoi tu t’es fourré ?

— J’ai rien fait, je vous le promets ! Pas depuis que vous m’avez confisqué les armes que j’avais volées aux Bloody Bears. J’ai compris ma leçon lorsque vous avez tiré à deux centimètres de mon oreille. Je vous jure que je ne fais plus de conneries.

Je rigole ouvertement lorsqu’il me rappelle l’incident. J’ai voulu lui expliquer que si c’était les membres du groupe de bikers qui l’avaient attrapé, ils n’auraient pas manqué leur cible, le laissant sûrement avec un œil en moins.

— Je te crois, gamin. Si tu me montrais où t’as fait ta trouvaille ?

— Oui, oui, bien sûr.

Après avoir suivi ses indications, nous nous retrouvons dans un lieu retiré où passe le canal, mais où personne ne met jamais les pieds. Mais qu’est-ce qu’il pouvait bien faire ici ? Un vieil immeuble abandonné, un petit boisé, et il y a le cours d’eau.

— C’est ici, lance-t-il en me pointant un coin éloigné.

— OK, dis-je en me penchant à sa hauteur. Maintenant, tu oublies tout ce que tu as vu. Je ne te ferai aucune misère si tu gardes pour toi toute cette merde. T’en parles à personne et tu ne fais jamais allusion à ceci. On se comprend ?

— Oui, Shérif ! Compris.

— C’est bien. Et éclaire-moi, tu ne joues plus avec les armes ?

— Non ! Dis, Shérif, un jour, est-ce que vous pourrez m’apprendre à tirer comme vous ?

— Un jour… promis ! Mais appelle-moi Wes.

— Moi, Joseph, mais c’est comme vous voulez…

— Allez, rentre chez toi maintenant.

Je le regarde partir en courant avant de me retourner pour inspecter chaque recoin de l’endroit. Il n’y a rien ; que des cailloux, de l’herbe et… attendez un peu. Mais qu’est-ce que c’est que ça ? En me penchant, je trouve un bout de papier jaune. Une fois que je l’ai en main, l’horreur s’incruste dans chaque parcelle de ma peau. Mon cœur accélère presque au point de rupture lorsque je me revois récupérer ce stupide origami sous le canapé, il y a vingt ans. Celui-ci est différent : il représente un canard. Et quand je l’ouvre, il n’y a que quatre mots…

Que la partie commence…

F

Putain de bordel de merde ! J’ai passé la soirée d’hier à virer la scène de crime à l’envers pour trouver d’autres indices qui me mèneraient à cet enfant de pute ! Ça m’a complètement retourné l’esprit. Enfin, suffisamment pour que j’oublie que je devais aller retrouver Sebastian au resto pour superviser la rencontre avec les Russes d’une part et les Bloody Bears de l’autre. Je ne suis qu’un imbécile d’avoir laissé mon frère seul avec ces malfrats.

Hors service ce week-end – façon de parler, parce qu’un shérif est toujours en fonction –, je roule jusqu’au Double Barrel pour discuter avec Seb. Le temps est sombre, tout comme mon humeur. Même si nous sommes en fin d’après-midi, le soleil refuse catégoriquement de montrer le bout de son nez. Qu’il aille se faire foutre ! Je ne me suis endormi qu’à l’aurore, et même la fille rencontrée au bistro n’a pas pu m’aider à sombrer dans le sommeil. Aucunement satisfait sexuellement, je n’ai fermé les yeux qu’une fois qu’elle a quitté mon appartement. Je me suis réveillé sur le coup de midi en me rappelant que j’avais failli à ma tâche.

En entrant dans la salle, je vois quelques personnes attablées ainsi qu’Anne qui fait le service, toujours fidèle au poste. Affublée d’une jupe courte noire, elle roule des hanches en se dirigeant derrière le bar. Il n’est pas question que tu te tapes la serveuse de ton frère, Wes… La seconde suivante, elle m’offre un sourire qui pourrait facilement éclairer la pièce. Même si je patauge en plein cauchemar depuis la découverte du cadavre, je lui renvoie la pareille. Passant près de moi, elle effleure ma joue tendrement en levant un sourcil. La chaleur laissée par sa main me rend dubitatif. Depuis quand me regarde-t-elle avec ces yeux-là ? Il me semble qu’elle n’était pas aussi jolie…

— T’as l’air au bout du rouleau…

— Tu ne crois pas si bien dire ! Mon frère est là ?

— Je ne l’ai pas encore vu, mais il est peut-être derrière.

La remerciant, je file directement en cuisine. Je n’y retrouve que Beryl en train de préparer les assiettes et son second qui surveille la cuisson de la viande. L’ami de Sebastian me regarde en ne cachant aucunement son mécontentement. Mais qu’est-ce qu’il me veut, celui-là ; il me provoque ou quoi ? Je passe près de lui en cherchant mon cadet des yeux.

— Il n’est pas là. Il y serait peut-être si tu ne lui avais pas fait faux bond hier.

— Mêle-toi de tes affaires, Beryl ! Je ne t’ai pas demandé ton avis.

Il est clairement absent. Allant près de la porte extérieure, je sors une cigarette de ma poche et la porte à ma bouche au moment où le téléphone de Beryl sonne. D’une oreille distraite, j’écoute sa conversation qui se résume à peu de mots avant qu’il coure jusqu’à l’escalier qui mène à l’étage. Mais qu’est-ce qui se passe à la fin ? Un bruit sur le quai ramène mon attention vers le bateau qui accoste juste en face. Un viaduc serait vraiment un bon investissement… Allumant ma clope, je prends une grande bouffée en zieutant les jolies femmes qui descendent à l’hôtel de l’autre côté. L’endroit idéal pour un enterrement de vie de jeune fille. Peut-être que je pourrais aller y faire un tour plus tard pour tenter d’assouvir mes besoins ?

Environ vingt minutes plus tard, je commence à m’impatienter. L’absence des deux hommes m’inquiète plus que ça le devrait. En entrant, je monte rapidement l’escalier en colimaçon et pénètre le loft de mon frère. À première vue, il n’y a personne. Des sons étouffés se font entendre un peu plus loin. Je m’approche jusqu’à la salle de bain où je fige devant la scène qui se déroule sous mes yeux.

Mon frère est allongé par terre, pratiquement nu, du sang séché collé sur sa tempe droite. Je m’avance pour mieux évaluer la situation. Beryl mouille quelques chiffons d’eau froide qu’il dépose ensuite sur le cou de Seb, évitant soigneusement sa blessure. De son autre main, il fait glisser un second linge sur son torse en lorgnant effrontément l’endroit où la serviette cache à peine (pas du tout) le sexe de mon cadet. Les yeux fermés, mon frère ne sait pas que sa queue gît négligemment sur son ventre, bien en vue. Non, mais il se fout de qui, là ?

— Beryl ! aboyé-je.

En sursautant, ce dernier tourne la tête dans ma direction. Si ce n’était pas que je suis reconnaissant qu’il ait aidé mon frère à se sortir du gouffre dans lequel il était empêtré des années plus tôt, je crois que je lui flanquerais mon poing sur la gueule d’oser mater mon frangin de la sorte. Mon ton sans appel a tout de même réussi à faire ouvrir les paupières de Seb.

— Il s’est évanoui, tente de se justifier Beryl.

— J’en ai rien à foutre ! Sors d’ici et va t’assurer que le resto tourne sans problème ; je m’occupe de lui.

— C’est moi qu’il a appelé, s’oppose-t-il.

Non, mais il m’énerve ! Il croit que parce que mon frère lui est redevable, ça lui donne tous les droits. Il ne sait pas encore à qui il a affaire, l’enculé !

— Sebastian est MA famille, grondé-je. Retourne où est ta place ; je ne me répèterai pas.

En me lançant un regard noir de rancune, il se lève avant de quitter le loft sans rien ajouter. Pour une fois, il valait mieux qu’il obtempère. J’attrape des vêtements propres dans un tiroir et rejoins mon petit frère.

— Hey, Seb ! Tu me fais quoi, là ? Une scène de diva ? Allez, relève-toi !

— Wes… ?

— Mets ça avant qu’un autre voyeur entre. Je vais nettoyer ton front.

Il enfile un pantalon, puis je désinfecte son entaille. Heureusement, sa plaie est infime et il n’a pas besoin de points de suture. Les rebords se sont déjà recollés ensemble. Il s’assoit sur la cuvette des toilettes pendant que je lui apporte un verre d’eau. Je le retrouve la tête entre les mains. Il semble vachement amoché. Mais qu’est-ce qui lui arrive ? L’inquiétude me tord les tripes uniquement parce que je ne comprends pas ce qui se passe dans son petit crâne.

— Est-ce que ça va ?

— Ouais, juste un malaise.

— Est-ce que t’as recommencé à boire ?

— Non ! Wes, soupire-t-il, je ne bois plus et tu le sais. Je suis simplement fatigué. Si tu t’étais montré hier comme prévu, j’aurais pu me reposer, mais non ! T’as préféré aller sauter une gonzesse, j’imagine ?!

S’il savait ! Tout ce que je fais pour retrouver le meurtrier de papa est gardé précieusement dans un dossier dont il ignore l’existence. Je m’acharne à le tenir en dehors de mes recherches. Je redoute tellement le jour où je devrai tout lui dire ; sa colère sera sans borne. Et ce sera justifié. Il faut donc que je tente de le préparer, mais pas maintenant.

— À propos d’hier, je suis désolé, Seb. J’ai eu une enquête urgente qui m’a pris une partie de la nuit. Ce n’était pas prémédité. Tu t’en es sorti, non ?

— Même mieux que je le pensais.

— T’es en colère ?

— T’inquiète pas, je comprends que t’as des choses plus importantes à régler. T’es le shérif de la ville, après tout.

Pourquoi son ton condescendant me blesse-t-il autant ? Il a soigneusement évité de répondre à ma question. Bien sûr qu’il est en colère, mais il semble davantage résigné. Putain ! Il faut que je trouve un moyen de l’aider.

— T’es certain que ça va ?

Il hoche perceptiblement la tête avant d’enfiler le t-shirt que je lui tends. Nous allons devoir redescendre si on veut faire tourner l’entreprise.

— Hum, Wes ?

— Ouais ?

— J’ai un truc à te demander. Hum… ce soir, tu crois que… J’ai quelque chose d’important à faire et j’aurais besoin que tu surveilles le resto jusqu’à la fermeture.

— Qu’as-tu de si important qui ne peut pas être remis à demain ?

— Tout ce que je peux te dire, c’est que j’ai besoin de ma soirée. Tu me le dois bien !

Mais qu’est-ce qu’il essaie de me cacher ? Son restaurant, c’est toute sa vie. Il ne s’est jamais libéré une soirée à l’improviste comme ça, sur un coup de tête. Est-ce qu’il aurait rencontré quelqu’un ? C’est pour une nana qu’il me demande de le remplacer ? Son air effaré me perturbe. Clairement, il ne va pas bien. Je peux évidemment lui permettre de prendre congé. Mais qu’il n’en prenne pas une habitude !

— De un, Seb, je ne te dois rien du tout…

Ses yeux d’un gris pâle deviennent aussitôt brumeux de rancune. Je veux simplement qu’il comprenne que nous sommes une famille ; je ne suis pas à ses ordres. Je m’assure seulement qu’il soit en sécurité.

— Mais, continué-je avant qu’il riposte, je sais que j’ai merdé hier, alors je te remplacerai ce soir. Je suis là pour toi, tu devrais le savoir… En revanche, je ne cuisine pas.

— Quelqu’un s’occupera de faire la bouffe.

— Ça marche. Tu en joues encore ? demandé-je en pointant la guitare dans le coin de la pièce.

— Ça m’arrive de temps en temps.

— C’est bien. Allez, viens là !

Dans un geste fraternel, je l’attire dans mes bras. Nous sommes de la même grandeur, et je suis plus costaud que lui, mais il est aussi solide que moi. S’il pouvait s’affirmer davantage, on ferait une sacrée équipe et je m’inquièterais moins pour lui. Comme toujours, son grand frère surveille ses arrières ; mais qui se préoccupe des miennes ?

Accoudé contre le bar au fond du resto, je regarde les Defying Death, le groupe de trafiquants d’armes, conclure des transactions avec le nouveau gang qui vient de s’établir dans le coin : les Blacks. J’ai personnellement rencontré leur chef, il y a quelque temps, pour l’aviser des règles à suivre et des conséquences s’il défiait l’une d’entre elles. Il a curieusement très bien pris la chose en disant qu’il ne me créerait aucun problème. Son entreprise familiale se spécialise dans le blanchiment d’argent. De quelle façon il procède, je n’en ai pour ma part rien à foutre ; tant qu’il garde ses hommes sous contrôle, ça me va. Ce soir, ils ont sauté sur l’occasion pour acquérir de l’arsenal afin de se défendre et se protéger. Qui pourrait les blâmer ?

Ces soirées m’emmerdent royalement, surtout lorsque je suis d’humeur massacrante comme maintenant. Je n’ai aucune idée d’où est Seb. J’espère secrètement qu’il est parti s’envoyer en l’air ; ça lui ferait du bien. Au moins, un de nous deux atteindrait le nirvana, quoique la fille qui accompagne les Blacks est super mignonne… Focus, Wes ! Il ne faut pas fréquenter les femmes des gangsters.

— Jasper ! crié-je au chef des Defying Death. Nous avons dit pas plus de douze personnes, alors fous-moi trois de tes hommes dehors.

— Du calme, Shérif, ils apportaient seulement des armes supplémentaires.

— Tu ne me dis pas de me calmer ou vous allez devoir faire vos réunions ailleurs.

Soupirant de lassitude, j’attrape mon verre pour le terminer d’un trait. Du coin de l’œil, je vois Beryl s’avancer. Pourquoi a-t-il fallu que Seb le choisisse lui pour s’assurer que je ne détruise pas le resto ?

— Tu sais, Wes, commence-t-il, ton frère ne respecte peut-être pas toujours les accords, mais il maîtrise l’art de faire des compromis pour garder les clients satisfaits. Il ne leur hurle pas dessus.

— Ton opinion, tu peux te la mettre où je pense, Beryl ! Seb est tout ce que j’ai, alors tu ne me diras pas comment me comporter avec lui ou avec personne d’autre.

— Tu ne connais pas ton frère comme je le connais, Wes.

— Ah oui ?! Et t’étais où toutes les fois où il lui est arrivé malheur ? Ce n’est pas parce que tu l’as sorti de sa dépendance que tu le connais. Je partage le même ADN que lui, pas toi.

— Il ne mérite pas d’avoir un frère comme toi…

— Parce qu’il mérite un voyeur comme toi, peut-être ? Tu crois que j’ai pas vu la façon dont tu le reluquais plus tôt, comme un morceau de viande ?! J’imagine qu’il ne sait pas que tu en pinces pour lui ? Fais bien attention à ce que tu feras, je t’ai à l’œil. Et si par malheur tu oses le toucher sans son consentement, tu regretteras d’être venu au monde.

— Seb est seulement un ami.

— Laisse-moi en douter…

Au moment où il va répliquer, un fracas se fait entendre derrière moi. Mais qu’est-ce qu’ils sont en train de manigancer ? Avant de me retourner, je croise les yeux de Beryl qui lève son sourcil droit, signe que je comprends aisément. Même si mon amitié pour lui n’est pas immense, il protégera mon cul comme je protégerai le sien. C’est l’entente de confiance. Rapidement, j’envoie mon coude gauche vers l’arrière, atteignant le nouveau venu en plein abdomen. Il pousse un cri et, avant qu’il tente autre chose, je pivote sur moi-même pour le désarmer. Quel con, il n’a rien vu venir ! Pff, un amateur !

En une fraction de seconde, la bagarre éclate dans la salle. Esquivant le coup d’un adversaire, je le cloue au sol avant de donner un uppercut au suivant. Finalement, je suis content que Sebastian soit absent ce soir. Parce que moi, je m’amuse comme un fou. Un coup de poing me frôle le visage alors que le propriétaire du bras atterrit sur la table à mes côtés. Beryl me sourit ; lui aussi aime frapper tout ce qui bouge. Sauf que je n’ai pas l’intention de tout détruire et je n’ai pas la patience de continuer ce carnage. Ont-ils fini de me défier, à la fin ?

Avançant d’un pas rapide, je remarque que les Blacks n’ont pas bougé d’un iota alors que les Defying Death tentent de monopoliser le restaurant. Espèce de têtes brûlées ! En quelques secondes à peine, j’attrape le leader des trafiquants par la gorge avant de le pousser contre le mur.

— Pour qui tu te prends, sale vermine ? l’apostrophé-je.

— Pour celui qui en a assez de devoir te rendre des comptes.

— Tu penses pouvoir m’éliminer aussi facilement ? Sans conséquence ?

— T’es qu’un seul homme…

— Peut-être bien, mais un seul homme qui sait assurer ses arrières. Tu vois toutes ces caméras à chaque angle du resto ? Elles sont reliées directement à mon bureau au poste. Si je meurs, mon adjoint a pour ordre d’envoyer toutes ces preuves aux gens qui vous élimineront. Les Russes sont des enfants de cœur comparés à eux.

— Tu bluffes !

— Tu crois ? Demande-leur ; même les Asiatiques et les Bloody Bears te diront que je suis intouchable. Si tu le souhaites, tue-moi ; j’en ai rien à cirer de cette vie de merde de toute façon. Mais tu croupiras loin d’ici, t’as ma parole. Même mort, je ne ferai qu’une bouchée de la racaille comme toi. Alors, tu dis quoi ?

Évidemment que je bluffe ! Mais ce qu’il ne sait pas joue en ma faveur. Comment croyez-vous que je sois toujours en vie et que je réussisse à garder les pires gangsters dans ma poche ? Pour les caméras de surveillance, je ne mens pas, mais personne ne vengera ma mort. J’ai sans cesse puni moi-même les récalcitrants. Je frappe suffisamment fort pour qu’ils n’oublient pas les risques de représailles.

Quelques secondes passent où on pourrait facilement entendre une mouche voler. Pas une seule de ces foutues secondes mes pupilles ne lâchent les siennes. Je suis imbattable au jeu de qui déviera le regard en premier. J’ai appris à avoir confiance en mes capacités. Cette fois encore, c’est suffisant pour qu’un doute s’installe au fond de ses yeux. Puis, lorsqu’il regarde derrière moi, je sais que j’ai gagné. J’y vois une forme de soumission et de respect.

— On arrête tout, les gars, l’entends-je marmonner. Rangez vos armes.

Pour m’assurer qu’ils ne retentent pas quelque chose d’aussi stupide une autre fois, et pour que l’histoire coure que le shérif n’a plus aucune tolérance, je prends mon pistolet à ma ceinture avant de tirer une balle en pleine tête à trois de ses larbins. Ils m’ont mis dans une rogne incommensurable. Quand vont-ils enfin respecter mes limites ?

— J’avais dit douze personnes, maximum. Maintenant, foutez-moi le camp !