CHAPITRE 6

WESLEY

À la mort de mon père, j’avais juré que plus aucune larme ne coulerait sur mes joues. J’ai pas su tenir ma parole. Après avoir foutu tout le monde dehors à la rencontre de samedi dernier, je suis resté au resto pour attendre le retour de Seb. En imaginant le pire, j’ai fait perdre le temps à l’une de mes équipes de policiers. Je n’arrivais pas à m’enlever de la tête que quelque chose de grave lui était arrivé. Je venais d’affronter le chef des Defying Death et Seb avait disparu.

Depuis aussi loin que je me souvienne, je n’ai jamais regretté aucune décision. Sauf ce soir-là. Et si ce groupe de trafiquants s’en était pris à lui ? Une boule se forme dans mon estomac à l’idée de le perdre. Il est sans aucun doute mon talon d’Achille. Ma vie sans lui ne vaut même plus la peine que je continue de me battre. En le lui montrant, j’ai été faible. Tout simplement pathétique.

Le seul moyen que j’ai trouvé pour rectifier la situation est de revêtir une carapace et de m’éloigner de lui. Ainsi, j’estime pouvoir lui faire croire que je redeviens moi-même. Froid et autoritaire. Je pensais y arriver, mais…

Je suis adossé contre ma tête de lit, une clope entre mes lèvres. Il est à peine 6 h et je rumine encore l’incident du week-end dernier. Mais où a-t-il bien pu aller qui nécessitait qu’il me cache cette information ? Son comportement m’inquiète ; je ne peux pas m’empêcher de penser que je risque de le perdre. Un pressentiment qui refuse de partir. L’un de ceux qui me poussent à croire que quelque chose de gros va bientôt nous tomber dessus. Le doc me l’a pourtant dit la semaine dernière : quelque chose se prépare.

Écoutant l’eau de la douche couler, j’attends patiemment que mon coup de la veille libère mon appartement avant de me lever. Elle était particulièrement douée. À la simple pensée de ce qu’elle m’a fait hier soir, ma queue tressaille sous les couvertures. Quel jour on est ? Vendredi… la journée que je déteste le plus. Celle où il faut jouer au surveillant de garderie.

Aussitôt que je me fais cette réflexion, je me rappelle que mon frère attend sûrement la cargaison appartenant à Romanov. Seb et son air perdu lorsqu’il est arrivé dimanche dernier, trempé comme pas possible. Bon sang ! D’où est-ce que tu sortais, petit frère ? Plus j’y pense et plus la boule dans mon estomac menace d’exploser. Les sentiments qui m’ont assailli, alors que je commençais à creuser un vallon dans le plancher du resto à force de tourner en rond, refont surface, manquant de m’étouffer. J’ai vraiment besoin de distraction…

Oh, et puis merde ! J’avais dit jamais deux fois la même femme, mais si elle n’est pas encore sortie de ma piaule, ça ne compte pas, si ?

D’un pas assuré, je saute en dehors du lit en tenue d’Adam. Devant la salle de bain, j’hésite un instant avant de me dire qu’elle me fera oublier combien je suis naze, complètement voué à devenir une cause perdue. J’entre dans la pièce et me dirige sous la douche tandis qu’elle termine de se rincer les cheveux. Aussitôt qu’elle sent ma présence, elle ouvre les yeux et me sourit. L’un de ces sourires salaces qui pourraient faire tomber tous les hommes à ses pieds. Je me dis plutôt que cette fois est la dernière.

— Tu veux remettre ça ? demande-t-elle en glissant sa paume sur mon torse.

Son geste provoque une réaction primitive dans mon bas-ventre.

— On ne parle pas, grogné-je.

— Alors, fais-moi taire…

À peine une seconde plus tard, je pose agressivement mes lèvres contre les siennes. Parce que je me souviens à quel point elle m’ordonnait de la prendre sans délicatesse, je sais qu’elle aime que je sois rude. Mettant fin au baiser, je la retourne et, au moment où elle appuie ses paumes contre le carrelage, je la pénètre sauvagement. Alors qu’elle gémit, je tente d’oublier tout ce qui me gruge de l’intérieur. Le sexe me le permet…

— Allez, Wesley, il est temps de me faire jouir…

Souriant face à son audace, je frappe encore plus fort. Inlassablement, je glisse en elle dans une cadence rythmée par ses lamentations. Jusqu’à ce qu’on s’envole tous les deux. Elle et moi. Je suis peut-être un salaud qui les fout à la porte, mais je n’atteins jamais le nirvana sans ma partenaire.

Au poste, le cul posé contre mon bureau, je lance le poignard sur le mur devant moi en réfléchissant au mot trouvé à l’intérieur de ce putain de canard en papier. Que la partie commence. La partie de qui ? De quoi ? Un jeu qui laisse des morts n’est jamais l’un de ceux où l’on veut être un participant. Ai-je compromis quelque chose en trouvant ce mot ? Et si ç’avait un lien avec celui que je cherche ? Tant de questions et si peu de réponses. Tout ça va me rendre complètement fou.

En récupérant l’arme du meurtre de mon père, j’avise le clignotant de mon portable qui est un détestable rappel que j’ai loupé Sebastian ce matin. Si j’étais bon pour lui, j’aurais donné signe de vie. Mais voilà, je l’ai laissé se démerder seul. Cette foutue culpabilité me pousse quand même à vérifier s’il va bien. J’appuie sur la fonction haut-parleur puis compose son numéro.

— Allô ? répond-il rapidement.

Sa voix n’est qu’un souffle, il semble nerveux. Bordel ! Qu’est-ce qui s’est passé ?

— Seb, c’est moi. Désolé pour ce matin, j’étais, euh… disons occupé.

— Dans le genre que t’avais la tête entre les jambes d’une nana ?

— Pas la tête, répliqué-je en riant, mais bon t’as compris.

Son léger ricanement diminue l’oppression dans ma cage thoracique. Il ne m’en veut pas trop, sinon il ne trouverait pas drôle ma blague de mauvais goût.

— Alors, tu m’avais appelé ? Tout s’est bien déroulé ce matin ?

— Euh… ou… oui !

— Seb ? relancé-je en entendant son bégaiement. Les hommes de Romanov sont bien venus chercher leur cargaison ?

— Oui, ils… ils é… étaient là.

Pourquoi est-ce que mon petit doigt me dit que quelque chose cloche ? Mais c’est mon frère ; il me le dirait si tout ne s’était pas passé comme prévu. Il n’a plus dix ans…

— OK ! Je dois faire mon vrai boulot de shérif, mais je viens te rejoindre plus tard. Je serai à la réunion de ce soir. Je veux observer les Blacks pour voir s’ils seront autant coopératifs que la semaine dernière.

— Ça marche.

Je m’apprête à raccrocher, mais sa voix m’interpelle :

— Wes ?

— Mmm…

— N’oublie pas que je fais de mon mieux pour que les affaires fonctionnent bien.

Il coupe la communication. Ah ! Fait chier ! Qu’est-ce qu’il a encore fait ? J’ai l’impression que ça sent le roussi, cette histoire…

Plusieurs fois, j’ai voulu me rendre au Double Barrel, mais quelque chose m’empêchait d’y arriver. C’est pourquoi, lorsque j’y mets les pieds, l’après-midi est déjà bien avancé. Encore une fois, une voix m’arrête avant que je me dirige vers l’intérieur.

— Hey, Shérif ! me lance-t-on.

En me retournant, je remarque l’un des voisins s’approcher. Un homme qui me salue chaque fois qu’il me voit passer. M. Thomsen est celui que les habitants ont élu pour me parler lorsqu’une situation les inquiète. Chaque fois, je prends quelques minutes pour apaiser ses angoisses. Aujourd’hui, les rides sur son front me laissent penser que c’est important.

— Qu’est-ce que je peux faire pour vous, M. Thomsen ?

— Les enfants ont peur, Shérif. Rassurez-moi ; il n’y aura pas de coups de feu ce soir ?

— J’ai promis d’assurer votre sécurité à tous, n’ayez aucune crainte.

Glissant la main dans ma poche arrière, j’attrape mon portefeuille pour récupérer des billets. Je lui tends quelques centaines de dollars qu’il accepte d’un hochement de tête. Il les range aussitôt à l’intérieur de son veston. Son attitude change instantanément.

— Nous sommes toujours d’accord, Philip ?

— Parfaitement d’accord, Wesley !

Je le regarde tandis qu’il retourne d’un pas lent chez lui. Les habitants du coin sont plus en sécurité dans ce quartier que partout ailleurs dans la ville. Le restaurant est un endroit sacré où les gangsters tentent rarement de mettre le bordel. Bon, il nous arrive de ramasser des corps à l’intérieur et d’écoper de quelques blessures collatérales, mais sans plus. Puis, l’argent m’a, jusqu’à présent, assuré le silence de l’entourage. Quelques billets et ils deviennent tous, sans exception, comme les trois singes de la sagesse : le sourd, le muet et l’aveugle. Ça fait presque mon bonheur.

Lorsque j’entre dans le Double Barrel, c’est calme. Plus qu’à l’habitude. Deux ou trois clients ici et là, mais aucun malfrat. Leur réunion d’affaires n’est qu’en soirée. En temps normal, il y en a toujours quelques-uns qui viennent manger un morceau. Ça ne sent pas bon, tout ça.

— Hey, Anne, Seb est à l’arrière ?

— Non ! Je ne l’ai pas vu de la journée. Demande à Beryl.

Je traverse la salle, puis entre dans la cuisine. Un rapide coup d’œil me dit qu’il n’est pas là non plus. Je questionne son chef du regard. Il hausse les épaules en pointant le plafond.

— Je crois qu’il ne se sent pas très bien, ajoute le second.

— Tu crois ? questionné-je.

— Bah, il nous a hurlé qu’il ne voulait pas être dérangé !

— Maxim ! aboie Beryl.

— Est-ce que t’as quelque chose à me dire ? m’interposé-je.

— Non, Shérif. Il est là-haut, c’est tout. Je ne sais rien, cette fois…

La lueur qui traverse ses yeux me confirme qu’il est contrarié que mon frère ne l’ait pas mis au courant de ce qui se passe. Et pour que Sebastian le garde dans l’ignorance, c’est que le sujet est d’une grande importance. Prenant congé des deux cuisiniers, je grimpe les marches en courant. Je donne deux coups à la porte avant de tenter d’entrer, mais je frappe un mur. Elle est verrouillée.

— Seb ! Ouvre-moi.

Quelques secondes plus tard, il ouvre l’accès à son loft de quelques centimètres. Je vois mon frère les cheveux emmêlés, l’air épuisé. Mais qu’est-ce qu’il fabrique ?

— Wes, t’es déjà là !

— Oui, je suis là. C’est bientôt l’heure de la réunion Tupperware. T’es malade ou quoi ?

— Euh… non, pas vraiment.

— Tu me laisses entrer ?

— V… vaudrait peut-être mieux p… pas.

Dans un soupir, je l’écarte et pousse la porte de mon épaule. Malgré ses faibles protestations, je m’infiltre chez lui. Peu importe ce qu’il a à me cacher, je m’en balance. Reculant les pans de ma veste de shérif, je place mes mains sur mes hanches en faisant le tour de l’appartement.

— Maintenant que je suis entré, dis-moi ce qui se…

Mes yeux fixent la silhouette gracieuse allongée sur le canapé, ce qui m’empêche de continuer mon charabia. Mais qu’est-ce qu’une femme fout chez lui alors qu’il devrait gérer son entreprise ? Je me tourne vers mon cadet puis le dévisage avant de reposer mes pupilles sur elle. Est-ce qu’ils… ? Hum… Elle respire, au moins ?

M’approchant lentement, j’inspire brusquement lorsque je constate qu’elle est bel et bien en vie. Mais pourquoi est-ce que je m’inquiétais ? Mon frère n’est pas un dangereux psychopathe.

— Tu m’expliques ?

— Ce n’est pas ce que tu crois…

— Seb, ne joue pas à ça avec moi ! Je ne crois rien du tout. Je veux seulement que tu m’expliques pourquoi tu fuis tes responsabilités alors qu’une femme squatte ta piaule. Une femme qui attire le regard…

En attendant qu’il me donne une réponse à mon goût, je détaille la silhouette de l’inconnue. Ses courbes sont splendides sous ce drap mince. Elle est nue là-dessous ? Je caresse mentalement sa peau mate…

— Wes, hum… je sais que t’aimeras pas ce que je vais te dire.

J’ai presque envie de glisser mes doigts dans ses cheveux aux boucles parfaites…

— Les hommes de Romanov ne sont jamais venus récupérer leur chargement ce matin ; je l’ai appelé et il m’a dit de me débrouiller avec ça.

Ses lèvres pulpeuses donnent le goût de les embrasser. Depuis quand une femme m’oblige à m’arrêter pour l’admirer pendant plus de quelques secondes ?

— Je l’ai menacé de jeter sa drogue dans le fond du canal, mais il m’a balancé que tu serais déçu. J’ai alors regardé…

L’envie de poser ma bouche sur chaque partie de son corps me prend par surprise… Dans le fond du canal ? Lentement, j’assimile les paroles que Seb vient de me larguer. Elles se fraient un chemin jusqu’à mes pensées. Attendez !

— Tu as fait quoi ? hurlé-je en me retournant vers lui.

— J’te jure, Wes, je n’avais pas l’intention de… Romanov m’a dit que je devais m’en occuper parce que personne ne viendrait.

— Et qu’est-ce que ça veut dire, Seb ? ON. NE. TOUCHE. PAS. À. LA. MARCHANDISE. Je te l’ai répété un million de fois.

Sentant un mal de tête s’annoncer subtilement, je passe rageusement ma main dans mes cheveux. Mais à quoi il joue, putain ?

— Wes, s’il te plaît ! Romanov a dit que tu serais déçu si tu perdais la marchandise.

— Est-ce que j’ai l’air de quelqu’un qui veut se poudrer le nez avec deux cents kilos de coke ? Ou de quelqu’un qui se branle en regardant de la porno hardcore illégale ? J’ai encore moins besoin d’un arsenal. Seigneur ! J’ai l’artillerie du poste de police à mon service !

Faisant les cent pas, je tente de maîtriser mon exaspération envers mon frère qui n’est pas foutu de suivre les putains de consignes ! Son air de chien battu me fait quand même pitié.

— Ne sois pas en colère, Wes, je t’en prie.

— Qu’est-ce que t’as fait de la marchandise ?

— Euh… je… je…

— Sebastian ! Merde ! Abrège mes souffrances…

— Elle est là…

— Où, là ? T’as fait des brownies avec ou quoi ?

— Non, c’est… c’est… elle.

Suivant son doigt du regard, mes iris croisent ceux de la jeune femme qui nous observe, un air effaré sur le visage. Assise, elle tient la couverture contre son corps. Ma rage qui menaçait d’éclater dans ce petit espace s’évapore aussitôt lorsque je perçois la fragilité de l’inconnue.

— Seb… murmuré-je, je crois que tu vas devoir tout m’expliquer depuis le début.

Une demi-heure plus tard, Seb m’a tout raconté et, honnêtement, si ce n’était pas des Blacks et des Bloody Bears qui vont se pointer d’une minute à l’autre, je m’occuperais de Romanov dès maintenant. Il s’accorde un peu trop de permissions, dernièrement. En plus, on ne connaît même pas cette fille.

— Tu t’appelles comment ? lui demande Seb.

— Je sais pas… souffle-t-elle.

— Tu sais comment t’as atterri dans la boîte ? continué-je en essayant de ne pas m’attarder sur le son de sa voix avec cet accent sensuel.

— Quelle boîte ?

— On n’arrivera à rien ! m’exclamé-je en levant les bras dans les airs.

— Laisse-lui un peu de temps, réplique Seb.

Un coup d’œil à ma montre indique que l’un de nous deux va devoir redescendre pour accueillir les gangs afin de s’assurer du bon fonctionnement de la soirée. Comme si on pouvait tout foutre en l’air pour une femme dont on ignore l’identité.

— Si t’avais pas ouvert cette boîte, aussi… marmonné-je.

— Wes, elle serait morte si je ne l’avais pas ouverte !

— Ouais, mais même ici, son avenir est incertain. Elle ne sait pas qui elle est ! Comment on pourrait comprendre ?

— Les gars ! crie Anne en bas des escaliers. La cavalerie arrive…

Pourquoi fallait-il que cette merdre nous tombe dessus ce soir ? Soupirant de résignation, je regarde la jeune femme qui n’a toujours pas bougé et qui nous dévisage avec inquiétude – ou peut-être même une peur camouflée.

— Je descends, dis-je tout bas à mon frère. Surveille-la et, bordel, donne-lui des vêtements. On règlera tout ceci quand les clans seront partis.

La soirée est calme. Le gang des Blacks et le groupe des Bloody Bears s’entendent mieux que je l’aurais cru. Aucun bain de sang. Aucune menace lancée. Peut-être parce que je suis encore affublé de mon uniforme de shérif ? Je pourrais presque siroter ma bière en mangeant un nacho bien garni sans me préoccuper d’eux. Jusqu’à ce que mon regard s’arrête sur la personne qui vient de faire tinter la clochette de la porte. Andreï Romanov. Il ose se pointer un soir où il ne lui est pas permis de le faire. J’avale ma gorgée avant qu’elle ne me sorte par le nez, puis je pose bruyamment ma bouteille sur le comptoir. Les têtes se tournent vers moi, alors je lève la main pour signifier qu’ils peuvent continuer leur négociation.

Lentement, tandis que l’énervement prend possession de mon corps, je m’avance jusqu’à l’intrus. Je me retiens avec difficulté de l’attraper par le collet et de le pousser loin d’ici. Il ne faudrait pas que l’ambiance tourne au vinaigre.

— Romanov ! l’invité-je en ouvrant à nouveau la porte vers l’extérieur.

Une fois dehors, hors de portée des oreilles indiscrètes des contrebandiers, je vais directement au but.

— Qu’est-ce que tu fous ici, Andreï ?

— Le shérif Hunter a perdu ses bonnes manières, on dirait…

— En ai-je déjà eu ? Dis-moi ce qui t’amène, et débarrasse le plancher ; ma patience à ses limites, tu le sais.

— Ça va, Wes… Shérif. Je voulais seulement savoir si ma cargaison avait rejoint son destinataire.

— Tu parles de l’arrivée de ce matin, où tes hommes n’ont pas été capables de venir faire leur boulot ?

— Et pourquoi seraient-ils venus ? Ils ont reçu l’ordre de partir, parce que ce que contenait la boîte était pour toi.

— Romanov, merde ! juré-je en frappant le mur à ses côtés. Ne me fais pas chier ! Une femme était enfermée à l’intérieur. En quoi ai-je affaire là-dedans ? Et ne me dis pas que tu fais maintenant dans le trafic humain ?!

Le sourire qui s’affiche sur ses lèvres n’augure rien de bon. Je passe à côté de quelque chose, mais de quoi ? Méthodiquement, je glisse la main dans mes cheveux.

— N’est-ce pas connu que le shérif Hunter aime bien les femmes ?

— Les femmes consentantes qui savent qui elles sont, pas celles qui sont amnésiques.

— Oh, la jolie demoiselle est éveillée à ce que je comprends ?

— Pff… lâché-je en me disant que j’ai sûrement trop parlé.

— Alors, tu me menaces pour ensuite oublier tes demandes.

À ses mots, j’appréhende ce à quoi il fait référence.

— Pour qui me prends-tu, Romanov ? Je n’ai rien oublié du tout ; t’as toujours jusqu’à minuit pour me trouver un truc dont j’ai besoin.

Ah non ! Il ne croit pas vraiment que j’ai le goût d’une femme ! Je ferme les yeux d’exaspération.

— T’as besoin d’elle, Wesley.

Il a baissé le ton. En ouvrant les paupières, je plonge dans ses iris pâles pour y lire une sincérité déconcertante. Il connaît un secret que j’ignore et ça, ça me fait royalement suer.

— Et pourquoi aurais-je besoin d’elle, selon toi ?

— Shérif, tu m’as demandé un présent dont tu pourrais avoir besoin. Je ne suis pas obligé de te donner tout cuit dans le bec. À toi de trouver son utilité.

Bordel ! À quoi cette fille pourrait-elle me servir ? Je repousse des images qui tentent de s’infiltrer dans mon esprit. Ses lèvres qui semblent si délicieuses… Je ne la connais même pas et elle accapare mes pensées. Ça risque de dégénérer, cette histoire, encore plus si je dois passer du temps avec elle pour découvrir qui elle est. Comme si je n’avais que ça à faire ; j’ai des meurtres à élucider.

— Considère ta dette payée… pour cette fois. Mais souviens-toi, pour le futur : je déteste les mystères.

— Celle-là, tu l’aimeras, j’en suis certain.

Secouant la tête, je me retourne pour entrer dans le resto. Les doigts sur le pommeau, j’entends la voix de Romanov :

— Oh, Shérif ?

— Quoi ? aboyé-je.

— Une dernière chose… tu peux l’appeler Mika. À toi de trouver le reste. Et, j’oubliais : assure-toi de sa sécurité parce que si certains finissent par connaître son identité, elle risque sa peau.

Sans répondre, j’entre dans le restaurant à l’instant où des poignées de main sont échangées, des accords conclus. La bonne nouvelle, c’est que les deux gangs s’entendent à merveille. Tandis que je rumine les paroles du chef de la mafia russe, les clients célèbrent leur nouveau partenariat. Quelques heures plus tard, les membres des deux clans et les employés quittent le resto alors que je n’attends qu’une chose : verrouiller la porte pour aller résoudre le mystère de cette femme si magnifique.

Au moment où je franchis le battant de la cuisine, un corps ferme se frappe contre mon torse. Un parfum floral chatouille mes narines, odeur délicate qui me ramène à des souvenirs lointains. Je saisis les bras de l’inconnue avant de planter mes iris bleus dans le vert des siens. Je dois me retenir pour mettre le nez dans ses boucles brunes.

— Hey, ma jolie ! Où crois-tu aller ?

— Laissez-moi partir, s’il vous plaît, laissez-moi partir.

Une demande tout à fait légitime, mais la mise en garde de Romanov me revient en mémoire. Il existe un danger qui rôde au-dessus de sa tête. Quel shérif serais-je si je ne protégeais pas une jeune femme dans le besoin ? Mais avant, je dois obtenir sa confiance : c’est la seule façon de découvrir quel est le lien avec moi. Si cet enfoiré d’Andreï a raison, je ne peux pas me permettre de la laisser partir.

— Doucement… chuchoté-je.

— Oh ! lance Seb en descendant l’escalier à la course. Merci, mon Dieu, elle est là.

— Certainement pas grâce à toi, le sermonné-je.

— J’avais besoin d’utiliser la salle de bain…

— Alors, voilà, dis-je à la jeune femme en relevant son menton vers moi. Écoute attentivement ce que je vais te dire. Je suis Wesley, le shérif de cette ville. Lui, c’est mon frère Sebastian, gérant de ce restaurant. Si tu ne te souviens vraiment pas de qui tu es, tu as deux options : la première est qu’on te permette de partir, et dehors, crois-moi, l’un des membres des gangsters mettra probablement la main sur toi. Il va sans dire que je ne donne pas cher de ta peau ; ils te tortureront avant de te tuer. La deuxième est que tu nous laisses assurer ta sécurité le temps que tu retrouves ta mémoire. On t’aide et ensuite, lorsque tu iras mieux, tu m’aideras à comprendre pourquoi on t’a offerte à moi. Un marché équitable, tu ne crois pas ?

Seb est adossé négligemment contre le mur, ne manquant aucune de mes paroles. Je n’ai pas eu le temps de lui parler de ma discussion avec Romanov, mais je le ferai dans quelques minutes. Pour l’instant, lui et moi attendons le verdict de la dame. Comme pour affirmer mes propos, un coup de feu se fait entendre pas très loin. Mika – si c’est bien son nom – sursaute et attrape mon bras. Douce sensation qui irradie aussitôt dans mon bas-ventre. Putain ! Je suis damné.

— D’accord, souffle-t-elle. Votre protection, jusqu’à ce que je sache qui je suis, que je retrouve ma mémoire…